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Read Ebook: L'esquisse mystérieuse by Erckmann Chatrian

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Ebook has 197 lines and 7472 words, and 4 pages

L'esquisse myst?rieuse

par Erckmann-Chatrian

New York

HENRY HOLT AND COMPANY

Copyright 1899,

HENRY HOLT & CO.

En face de la chapelle Saint-S?balt, ? Nuremberg, s'?l?ve une petite auberge, ?troite et haute, le pignon dentel?, les vitres poudreuses, le toit surmont? d'une Vierge en pl?tre. C'est l? que j'ai pass? les plus tristes jours de ma vie. J'?tais all? ? Nuremberg pour ?tudier les vieux ma?tres allemands; mais, faute d'esp?ces sonnantes, il me fallut faire des portraits...et quels portraits! De grosses comm?res, leur chat sur les genoux, des ?chevins en perruque, des bourgmestres en tricorne, le tout enlumin? d'ocre et de vermillon ? plein godet.

Des portraits je descendis aux croquis, et des croquis aux silhouettes.

Rien de pitoyable comme d'avoir constamment sur le dos un ma?tre d'h?tel, les l?vres pinc?es, la voix criarde, l'air impudent, qui vient vous dire chaque jour: <>

Ceux qui n'ont pas entendu chanter cette gamme ne peuvent s'en faire une id?e; l'amour de l'art, l'imagination, l'enthousiasme sacr? du beau se dess?chent au souffle d'un pareil dr?le... Vous devenez gauche, timide; toute votre ?nergie se perd, aussi bien que le sentiment de votre dignit? personnelle.

Une nuit, n'ayant pas le sou, comme d'habitude, et menac? de la prison par ce digne ma?tre Rap, je r?solus de lui faire banqueroute en me coupant la gorge. Dans cette agr?able pens?e, assis sur mon grabat en face de la fen?tre, je me livrais ? mille r?flexions philosophiques, plus ou moins r?jouissantes. Je n'osais ouvrir mon rasoir, de peur que la force invincible de ma logique ne m'inspir?t le courage d'en finir. Apr?s avoir bien argument? de la sorte, je soufflai ma chandelle, renvoyant la suite au lendemain.

Cet abominable Rap m'avait compl?tement abruti. Je ne voyais plus, en fait d'art, que des silhouettes, et mon seul d?sir ?tait d'avoir de l'argent, pour me d?barrasser de son odieuse pr?sence. Mais cette nuit-l?, il se fit une singuli?re r?volution dans mon esprit. Je m'?veillai vers une heure, je rallumai ma lampe, et, m'enveloppant de ma souquenille grise, je jetai sur le papier une rapide esquisse dans le genre hollandais...quelque chose d'?trange, de bizarre, et qui n'avait aucun rapport avec mes conceptions habituelles.

Figurez-vous une cour sombre, encaiss?e entre de hautes murailles d?cr?pites... Ces murailles sont garnies de crocs, ? sept ou huit pieds du sol. On devine, au premier aspect, une boucherie.

A gauche s'?tend un treillage en lattes; vous apercevez ? travers un boeuf ?cartel?, suspendu ? la vo?te par d'?normes poulies. De larges mares de sang coulent sur les dalles et vont se r?unir dans une rigole pleine de d?bris informes.

La lumi?re vient de haut, entre les chemin?es, dont les girouettes se d?coupent dans un angle du ciel grand comme la main, et les toits des maisons voisines ?chafaudent vigoureusement leurs ombres d'?tage en ?tage.

Au fond de ce r?duit se trouve un hangar...sous le hangar un b?cher, sur le b?cher des ?chelles, quelques bottes de paille, des paquets de corde, une cage ? poules et une vieille cabane ? lapins hors de service.

Comment ces d?tails h?t?roclites s'offraient-ils ? mon imagination? ... Je l'ignore; je n'avais nulle r?miniscence analogue, et pourtant, chaque coup de crayon ?tait un fait d'observation fantastique ? force d'?tre vrai. Rien n'y manquait!

Mais ? droite un coin de l'esquisse restait blanc...je ne savais qu'y mettre... L? quelque chose s'agitait, se mouvait... Tout ? coup j'y vis un pied, un pied renvers?, d?tach? du sol. Malgr? cette position improbable, je suivis l'inspiration sans me rendre compte de ma propre pens?e. Ce pied aboutit ? une jambe...sur la jambe, ?tendue avec effort, flotta bient?t un pan de robe... Bref, une vieille femme, h?ve, d?faite, ?chevel?e, apparut successivement, renvers?e au bord d'un puits, et luttant contre un poing qui lui serrait la gorge...

C'?tait une sc?ne de meurtre que je dessinais. Le crayon me tomba de la main.

Cette femme, dans l'attitude la plus hardie, les reins pli?s sur la margelle du puits, la face contract?e par la terreur, les deux mains crisp?es au bras du meurtrier, me faisait peur... Je n'osais la regarder. Mais l'homme, lui, le personnage de ce bras, je ne le voyais pas... Il me fut impossible de le terminer.

<>

Et je me recouchai, tout effray? de ma vision. Cinq minutes apr?s je dormais profond?ment.

Le lendemain j'?tais debout au petit jour. Je venais de m'habiller, et je m'appr?tais ? reprendre l'oeuvre interrompue, quand deux petits coups retentirent ? la porte.

<>

La porte s'ouvrit. Un homme d?j? vieux, grand, maigre, v?tu de noir, apparut sur le seuil. La physionomie de cet homme, ses yeux rapproch?s, son grand nez en bec d'aigle surmont? d'un front large, osseux, avait quelque chose de s?v?re. Il me salua gravement.

<> dit-il.

<>

Il s'inclina de nouveau, ajoutant:

<>

L'apparition, dans mon pauvre taudis, du riche amateur Van Spreckdal, juge au tribunal criminel, m'impressionna vivement. Je ne pus m'emp?cher de jeter un coup d'oeil d?rob? sur mes vieux meubles vermoulus, sur mes tapisseries humides et sur mon plancher poudreux. Je me sentais humili? d'un tel d?labrement... Mais Van Spreckdal ne parut pas faire attention ? ces d?tails, et s'asseyant devant ma petite table:

<>

Mais, au m?me instant, ses yeux s'arr?t?rent sur l'esquisse inachev?e... il ne termina point sa phrase. Je m'?tais assis au bord du grabat, et l'attention subite que ce personnage accordait ? l'une de mes productions, faisait battre mon coeur d'une appr?hension ind?finissable.

Au bout d'une minute, Van Spreckdal levant la t?te:

<> me dit-il le regard attentif.

<>

<>

<>

<> fit-il, en levant le papier du bout de ses longs doigts jaunes.

Il sortit une lentille de son gilet, et se mit ? ?tudier le dessin en silence.

Le soleil arrivait alors obliquement dans la mansarde. Van Spreckdal ne murmurait pas un mot; son grand nez se recourbait en griffe, ses larges sourcils se contractaient, et son menton, se relevant en galoche, creusait mille petites rides dans ses longues joues maigres. Le silence ?tait si profond que j'entendais distinctement le bourdonnement plaintif d'une mouche, prise dans une toile d'araign?e.

<> fit-il enfin sans me regarder.

<>

<>

<>

Van Spreckdal d?posa le dessin sur la table, et tira de sa poche une longue bourse de soie verte, allong?e en forme de poire; il en fit glisser les anneaux...

<>

J'eus un ?blouissement.

Le baron s'?tait lev?, il me salua, et j'entendis sa grande canne ? pomme d'ivoire r?sonner sur chaque marche jusqu'au bas de l'escalier. Alors, revenu de ma stupeur, je me rappelai tout ? coup que je ne l'avais pas remerci?, et je descendis les cinq ?tages comme la foudre; mais, arriv? sur le seuil, j'eus beau regarder ? droite et ? gauche, la rue ?tait d?serte.

<>

Et je remontai l'escalier tout haletant.

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