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Read Ebook: Histoire d'Attila et de ses successeurs (1/2) jusqu'à l'établissement des Hongrois en Europe by Thierry Am D E

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Ebook has 285 lines and 107729 words, and 6 pages

HISTOIRE D'ATTILA ET DE SES SUCCESSEURS

PARIS.--IMPRIMERIE DE J. CLAYE RUE SAINT-BENOIT, 7.

HISTOIRE D'ATTILA ET DE SES SUCCESSEURS JUSQU'A L'?TABLISSEMENT DES HONGROIS EN EUROPE SUIVIE DES L?GENDES ET TRADITIONS

PAR AM?D?E THIERRY MEMBRE DE L'INSTITUT

TOME PREMIER

PARIS DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-?DITEURS QUAI DES AUGUSTINS, 35

R?serv? de tous droits

PREMI?RE PARTIE

HISTOIRE D'ATTILA

PR?FACE

Amen?, dans le cours de mes travaux sur la Gaule romaine, ? m'occuper d'Attila et de son irruption au midi du Rhin en 451, j'ai ?t? arr?t? en quelque sorte malgr? moi, par une curiosit? indicible, devant l'?trange et terrible figure du roi des Huns; et je me suis mis ? l'?tudier avec ardeur. Mettant de c?t? la fantasmagorie de convention, qui a fait d'Attila pour presque tout le monde un personnage beaucoup plus l?gendaire qu'historique, j'ai voulu p?n?trer jusqu'? l'homme et le peindre dans sa r?alit?, sinon tel que les contemporains l'ont vu, du moins tel qu'ils nous ont permis de l'entrevoir.

Apr?s les extraits de Priscus, et les chroniques tr?s-r?sum?es de Prosper d'Aquitaine et d'Idace, vient en premier ordre Jornand?s, Visigoth d'origine et ?v?que de Ravenne, qui ?crivit, vers 550, une histoire de ses compatriotes, les Goths, o? il fait une large place ? la peinture des Huns et de leur roi. C'est d?j? un autre point de vue que celui de Priscus, un autre aspect de l'homme et de son temps. Envisag? ainsi r?trospectivement, ? un si?cle de distance et ? travers les traditions des Goths, d?j? fortement po?tis?es, si l'on me pardonne cette expression, Attila appara?t non pas plus grand que dans Priscus, mais plus sauvage; d'une barbarie plus forc?e, plus th??trale; il a beaucoup perdu de sa r?alit? historique. Le tableau de Jornand?s a n?anmoins un prix tout particulier aux yeux de l'histoire, c'est qu'il nous fait apercevoir le travail latent qui s'op?rait d?s lors au sein de la tradition germanique, et devait aboutir au cycle des po?mes teutons sur Attila.

Quant aux traditions hongroises, qui sont, ? mon avis, les plus curieuses de toutes par leur po?sie originale et leurs conceptions souvent ?tranges, si elles servent peu ? l'histoire d'Attila, elles nous font comprendre admirablement l'esprit des races auxquelles Attila appartenait et en particulier celui du peuple magyar, le dernier rameau des populations hunniques ?tablies en Europe. Le h?ros de l'Orient s'y montre sous un jour tout nouveau et fort inattendu pour nous, Occidentaux. Attila est l'?me des nations hunniques: incarn? au peuple hongrois, il revit dans son fondateur Almus, et dans son premier roi chr?tien saint ?tienne; fl?au de Dieu quand les Huns sont pa?ens, il se transforme en patriarche et en pr?curseur du christianisme quand le jour de leur conversion est arriv?. On voit combien est multiple l'Attila populaire, suivant le si?cle et le peuple qui l'ont r?v?; et celui-l? n'est gu?re moins curieux ? ?tudier que l'Attila r?el de l'histoire, car l'esprit humain, dans ses plus ardentes fantaisies, ne s'?gare jamais sans raison, et l'on a pu dire, malgr? l'apparente contradiction des mots, qu'il y a une v?rit? cach?e au fond de chaque erreur. J'ai donc regard? comme le compl?ment n?cessaire d'une ?tude historique sur Attila, une ?tude correspondante sur les l?gendes et les traditions relatives ? ce conqu?rant fameux. Dans ce dernier travail, qui terminera mon ouvrage, je passe successivement en revue les traditions des pays latins, celles des pays teutons, celles enfin qui proviennent ou paraissent provenir des nations orientales de race hunnique.

L'histoire des Huns se lie d'ailleurs ? l'histoire de la France par plus d'un c?t? glorieux pour nous. Ces essaims destructeurs, ? qui rien ne r?sistait, sont venus ? deux reprises se briser contre nos armes. La m?me ?p?e qui dans la main d'A?tius fit reculer Attila sous les murs de Ch?lons et fixa le terme de ses victoires, l'?p?e gallo-franke reprise par Charlemagne, d?truisit sur les bords de la The?sse la seconde domination hunnique, et reporta les bornes de l'empire frank ? la Save et au Pont-Euxin. Plus tard, et en des temps post?rieurs ? ceux o? finissent mes r?cits, une dynastie fran?aise, issue de la famille de saint Louis, ?l?ve la Hongrie au plus haut point de prosp?rit? et de grandeur qu'elle ait jamais atteint. Quoique ce dernier fait et bien d'autres que je pourrais citer restent en dehors du cadre trac? pour mon livre, ce lien historique entre les deux pays, ce choc ou ce rapprochement des deux races, ? des ?poques si diff?rentes, a doubl? pour moi l'int?r?t que peut pr?senter l?gitimement par elle-m?me une histoire aussi curieuse que celle des Huns.

Puisque je viens de toucher ? des choses modernes en parlant de la Hongrie, qu'on me permette d'ajouter quelques mois sur le temps pr?sent. Ce noble peuple magyar, si abattu qu'il paraisse, est encore plein de vie et de force, heureusement pour le monde europ?en. C'est lui qui veille aux portes de l'Europe et de l'Asie, qu'il en soit le gardien fid?le! Il y aurait mauvaise et fatale politique de la part d'une puissance civilis?e, allemande et catholique, ? vouloir ?touffer une nationalit? qui est sa sauvegarde du c?t? o? s'agite une in?puisable passion de conqu?te, appuy?e sur la barbarie. Mais, quoi qu'on ose faire, la Hongrie vivra pour des destin?es dont la Providence n'a point voulu briser le moule. Nul peuple n'a travers? des vicissitudes plus am?res; conquis par les Tartares, envahi par les Turks, opprim? vingt fois par les factions int?rieures, et plus d'une fois aussi trahi par ses propres rois, il s'est relev? de toutes ses ruines fort et confiant en lui-m?me. Cette ?nergique vitalit? qui maintient, depuis quinze si?cles et malgr? tant d'efforts conjur?s, des peuples de sang hunnique aux bords de la The?sse et du Danube, r?side au fond de l'?me du Magyar et ?clate jusque dans son orgueil froiss?. La nation de saint ?tienne, de Louis d'Anjou et des Hunyades, a prouv? qu'elle sait durer pour attendre les jours de gloire.

HISTOIRE D'ATTILA

CHAPITRE PREMIER

Origine des Huns.--Leur portrait.--Ils envahissent l'Europe orientale.--Chute de l'empire gothique d'Ermanaric; fuite des Visigoths vers le Danube.--Divisions politiques et querelles religieuses de ce peuple.--Ambassade d'Ulfila ? l'empereur Valens.--L'empereur accorde aux Visigoths une demeure en M?sie, ? la condition de se faire ariens.--Les Visigoths passent le Danube.--Conduite odieuse des pr?pos?s romains.--Mis?re des Visigoths; ils prennent les armes.--Bataille d'Andrinople; d?faite des Romains et mort de Valens.--Sage politique de Th?odose ? l'?gard des Visigoths.--Rufin les tire de leurs cantonnements de M?sie pour les jeter sur l'Occident.

Le nom d'Attila s'est conquis une place dans la m?moire du genre humain ? c?t? des noms d'Alexandre et de C?sar. Ceux-ci durent leur gloire ? l'admiration, celui-l? ? la peur; mais, admiration ou peur, quel que soit le sentiment qui conf?re ? un homme l'immortalit?, ce sentiment, on peut en ?tre s?r, ne s'adresse qu'au g?nie. Il faut avoir ?branl? bien violemment les cordes du coeur humain pour que les oscillations s'en perp?tuent ainsi ? travers les ?ges. Attila doit sa sinistre gloire moins encore au mal qu'il a fait qu'? celui qu'il pouvait faire, et dont le monde est rest? ?pouvant?. Le catalogue malheureusement trop nombreux des ravageurs de la terre nous pr?sente bien des hommes qui ont d?truit davantage, et sur qui cependant ne p?se pas, comme sur celui-ci, l'?ternelle mal?diction des si?cles. Alaric porta le coup mortel ? l'ancienne civilisation en brisant le prestige d'inviolabilit? qui couvrait Rome depuis sept cents ans; Gens?ric eut un privil?ge unique parmi ces privil?ges de ruine, celui de saccager Rome et Carthage; Radagaise, la plus f?roce des cr?atures que l'histoire ait class?es parmi les hommes, avait fait voeu d'?gorger deux millions de Romains au pied de ses idoles, et le nom de ces d?vastateurs ne se trouve que dans les livres. Attila, qui ?choua devant Orl?ans, qui fut battu par nos p?res ? Ch?lons, qui ?pargna Rome ? la pri?re d'un pr?tre, et qui p?rit de la main d'une femme, a laiss? apr?s lui un nom populaire, synonyme de destruction. Cette contradiction apparente frappe d'abord l'esprit lorsqu'on ?tudie ce terrible personnage. On aper?oit que l'Attila de l'histoire n'est point tout ? fait celui de la tradition, qu'ils ont besoin de se compl?ter, ou du moins de s'expliquer l'un par l'autre, et encore faut-il distinguer des sources de tradition diff?rentes: la tradition romaine, qui tient ? l'action d'Attila sur les races civilis?es, la tradition germanique, qui tient ? son action sur les races barbares de l'Europe, et enfin la tradition nationale qui se maintient encore aujourd'hui parmi les peuples de sang hunnique, principalement en Europe.

Ces diverses traditions, sans se m?ler ? l'histoire qu'elles embarrassent et contrarient souvent, ont n?anmoins leur place marqu?e pr?s d'elle dans une ?tude s?rieuse du caract?re d'Attila. Pour appr?cier ? leur juste valeur le g?nie et la puissance de cet homme, il ne faut point isoler son histoire des ?v?nements qui l'ont suivie. La vie d'Attila, tranch?e par un coup fortuit au moment fix? peut-?tre pour l'accomplissement de ses projets, n'est qu'un drame interrompu dont le h?ros dispara?t, laissant le soin du d?no?ment aux personnages secondaires. Ce d?no?ment, c'est la cl?ture de l'empire romain d'Occident et le d?membrement d'une moiti? de l'Europe par ses fils, ses lieutenants, ses vassaux, ses secr?taires, devenus empereurs ou rois. A l'oeuvre des comparses, on peut mesurer la grandeur du h?ros, et c'est ainsi que firent les contemporains. Mais, avant d'entreprendre ce r?cit, je dois exposer d'abord ce qu'?taient les Huns et les Goths, ces deux peuples ennemis, dont les luttes, commenc?es dans le monde barbare sur les bords du Don et du Dni?per, all?rent se continuer dans le monde romain sur ceux de la Marne et de la Loire, et furent la principale cause du morcellement de l'empire des C?sars.

Dans cette situation, les Huns vivaient de chasse, de vol et du produit de leurs troupeaux. Le Hun blanc d?troussait les marchands dont les caravanes se rendaient dans l'Inde ou en revenaient; le Hun noir chassait la martre, le renard et l'ours dans les for?ts de la Sib?rie, et faisait le commerce des pelleteries sous de grandes halles en bois construites pr?s du Ja?k ou du Volga, et fr?quent?es par les trafiquants de la Perse et de l'empire romain, o? les fourrures ?taient tr?s-recherch?es. Cependant on ne se hasardait qu'avec crainte ? travers ces peuplades sauvages, dont la laideur ?tait repoussante. L'Europe, qui n'avait rien de tel parmi ses enfants, les vit arriver avec autant d'horreur que de surprise. Nous laisserons parler un t?moin de leur premi?re apparition sur les bords du Danube, l'historien Ammien Marcellin, soldat exact et curieux qui ?crivait sous la tente et rendait quelquefois avec un rare bonheur les spectacles qui se d?roulaient sous ses yeux. Nous ferons remarquer cependant que le portrait qu'il trace des Huns s'applique surtout ? la branche occidentale, c'est-?-dire aux tribus finnoises ou finno-mongoles.

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Nous venons de dire que les Goths ?taient issus de la Scandinavie, et en effet ils n'habitaient l'orient de l'Europe que depuis la fin du IIe si?cle de notre ?re. ?migr?s de leur patrie par suite de guerres intestines qui tenaient, selon toute apparence, aux luttes religieuses de l'odinisme, ils quitt?rent la c?te scandinave de concert avec les G?pides, qui leur servaient d'arri?re-garde. Du point de la Baltique o? ils d?barqu?rent, ils se mirent en marche ? travers la grande plaine des Slaves, se dirigeant vers le soleil levant, et ils arriv?rent apr?s de longues fatigues et des combats continuels ? l'endroit o? le Borysth?ne ou Dni?per se jette dans la mer Noire. Ils se divis?rent alors et camp?rent par moiti? sur chacune des rives, les G?pides ayant dirig? leur marche plus au midi. La partie de la nation gothique cantonn?e ? l'orient du fleuve prit par suite de cette circonstance le nom d'Ostrogoths, c'est-?-dire Goths orientaux; l'autre celui de Visigoths, Goths occidentaux: ce furent les noyaux de deux ?tats s?par?s qui grandirent et se d?velopp?rent sous des lois et des chefs diff?rents. Les Ostrogoths ?lurent leurs rois parmi les membres de la famille des Amales, les Visigoths dans celle des Balthes. Intelligents, actifs, ambitieux, les Goths firent des conqu?tes, ceux de l'ouest dans la Dacie qu'ils subjugu?rent jusqu'au Danube, ceux de l'est sur les tribus de la race slave. M?l?s bient?t aux affaires de Rome, comme des ennemis redoutables ou des auxiliaires pr?cieux, les Visigoths y consum?rent toute leur activit?, tandis que les Ostrogoths s'aguerrissaient dans des luttes sans fin et sans quartier contre les races les plus barbares. De proche en proche, ils soumirent les plaines de la Sarmatie et de la Scythie jusqu'au Tana?s du c?t? du nord, jusqu'? la Baltique du c?t? de l'ouest. Un de leurs rois, Ermanaric, employa son long r?gne et sa longue vie ? se battre et ? conqu?rir; ma?tre de la race slave, il retomba de tout le poids de sa puissance sur les peuples de race germanique et r?duisit ? l'?tat de vasselage jusqu'aux G?pides et aux Visigoths, ses compatriotes et ses fr?res.

Tel fut ce fameux empire d'Ermanaric qui valut ? son fondateur la gloire d'?tre compar? au grand Alexandre, dont les Goths avaient entendu parler depuis qu'ils ?taient voisins de la Gr?ce; mais l'Alexandre de Gothie ne montra ni l'humanit? ni la sage politique du roi de Mac?doine, qui m?nageait si bien les vaincus. Les pratiques d'Ermanaric et des conqu?rants ostrogoths furent toutes diff?rentes. Un des peuples sujets de leur domination s'avisait-il de remuer, les traitements les plus cruels le rappelaient bien vite ? l'ob?issance. Tant?t de grandes croix ?taient dress?es en nombre ?gal ? celui des membres de la tribu royale qui gouvernait ce peuple, et on les y clouait tous sans mis?ricorde; tant?t c'?taient des chevaux fougueux que les Goths chargeaient de leur vengeance; et les femmes elles-m?mes n'?chappaient pas ? ces affreux supplices. Vers le temps o? commence notre r?cit, un chef des Roxolans, nation vassale des Ostrogoths, qui habitait pr?s du Tana?s, ayant nou? des intelligences avec les rois huns, la trame fut d?couverte; mais le coupable eut le temps de se sauver. La col?re d'Ermanaric retomba sur la femme de cet homme. Sanielh fut li?e ? quatre chevaux indompt?s et mise en pi?ces. Des fr?res qu'elle avait jur?rent de la venger; ils attir?rent Ermanaric dans un guet-apens et le frapp?rent de leurs couteaux. Le vieux roi n'?tait pas bless? mortellement, mais ses plaies furent lentes ? gu?rir, et elles ne faisaient que se cicatriser lorsqu'un nouvel appel des Roxolans d?cida les Huns ? partir. Tels sont les faits de l'histoire; mais plus tard, quand le d?luge qu'ils avaient provoqu? par leurs cruaut?s impolitiques vint ? fondre sur eux, les Goths trouv?rent dans leurs pr?jug?s superstitieux des raisons plus commodes pour justifier leur d?faite. Ils racont?rent que des chasseurs huns poursuivant un jour une biche, celle-ci les avait attir?s de proche en proche jusqu'au Palus-M?otide, et leur avait r?v?l? l'existence d'un gu? ? travers ce marais qu'ils avaient cru aussi profond que la mer. Comme un guide attentif et intelligent, la biche partait, s'arr?tait, revenait sur ses pas pour repartir encore, jusqu'? l'instant o?, ayant atteint la rive oppos?e, elle disparut. On devine bien qu'au dire des Goths il n'y avait l? rien de r?el, mais une apparition pure, une forme fantastique cr??e par les d?mons.

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Ce fut en l'ann?e 374 que la masse des Huns occidentaux s'?branlant passa le Volga sous la conduite d'un chef nomm? Balamir. Elle se jeta d'abord sur les Alains, peuple pasteur qui poss?dait le steppe situ? entre ce fleuve et le Don; ceux-ci r?sist?rent quelques instants; puis, se voyant les plus faibles, ils se r?unirent ? leurs ennemis, suivant l'usage imm?morial des nomades de l'Asie. Franchissant alors sous le m?me drapeau le gu? des Palus-M?otides, Huns et Alains se pr?cipit?rent sur le royaume d'Ermanaric. Le roi goth, toujours malade de ses blessures, essaya d'arr?ter ce tourbillon de nations, comme dit Jornand?s; mais il fut repouss?. Il revint ? la charge, et fut encore battu; ses plaies se rouvrirent, et, ne pouvant plus supporter ni la souffrance ni la honte, il se per?a le coeur de son ?p?e. Le successeur d'Ermanaric, Vithimir, p?rit bravement dans un combat, laissant deux enfants en bas ?ge, que des mains fid?les sauv?rent chez les Visigoths. Les Ostrogoths n'eurent plus qu'? se soumettre. Les Visigoths, s'attendant ? ?tre attaqu?s ? leur tour, s'?taient retranch?s derri?re le Dniester, sous le commandement du juge ou roi Athanaric, le plus grand de leurs chefs; mais les Huns, avec leurs l?g?res montures, se jouaient des distances et des rivi?res. Un gros de leurs cavaliers, ayant d?couvert un gu? bien au del? des lignes des Goths, passa le fleuve par une nuit claire, et, redescendant la rive oppos?e, surprit le quartier du roi, qui lui-m?me eut peine ? s'?chapper. Ce n'?tait qu'une alerte; n?anmoins ces mouvements imp?tueux, impr?vus, d?rangeaient l'infanterie pesante des Goths et la tenaient dans une inqui?tude fatigante. Le Pruth, qui se jette dans le Danube, et qui longe ? son cours sup?rieur les derniers escarpements des monts Carpathes, semblait offrir une ligne de d?fense plus s?re: Athanaric y transporta son arm?e. Profitant des le?ons des Romains, il fit garnir de palissades et d'un rev?tement de gazon la rive droite de la rivi?re depuis son confluent jusqu'aux d?fil?s de la montagne; avec ce bouclier devant lui, comme s'exprime un contemporain, et derri?re lui la retraite des Carpathes, il esp?rait se garantir ou du moins r?sister longtemps, mais la chose tourna tout autrement qu'il ne pensait.

Le danger commun aurait d? r?unir les Visigoths, chefs et tribus: le danger commun les divisa. Tout, chez ce peuple, ?tait mati?re ? contestation: la religion comme la guerre, l'attaque comme la d?fense, et cette division tenait surtout ? des changements profonds survenus dans ses moeurs depuis trois quarts de si?cle. Une partie avait embrass? le christianisme, l'autre restait pa?enne fervente, et tandis qu'Athanaric pers?cutait cruellement les chr?tiens au nom du culte national, deux autres princes de race royale, Fridighern et Alavive, s'?taient d?clar?s leurs protecteurs. Le patronage de ces deux hommes puissants r?ussit ? calmer les rigueurs de la pers?cution; mais il en r?sulta entre eux et Athanaric une inimiti? personnelle, ardente, qui se r?v?lait ? chaque occasion. Athanaric, calculant toutes les chances de la guerre actuelle, avait propos? aux Visigoths de faire retraite dans les Carpathes jusqu'au plateau abrupt et presque inaccessible appel? Caucaland, si leur position se trouvait forc?e: c'?tait l? son plan; Fridighern et Alavive en eurent aussit?t un autre. Ils conseill?rent aux tribus visigothes de se r?fugier de l'autre c?t? du Danube, sur les terres romaines, o? l'empereur, disaient-ils, ne leur refuserait pas un cantonnement. Constantin n'avait-il pas ouvert la Pannonie aux Vandales Silinges lorsqu'ils fuyaient devant leurs armes? Valens ne ferait pas moins pour les Goths, qui trouveraient, dans quelque endroit de la M?sie ou de la Thrace un sol fertile et de gras p?turages pour leurs troupeaux; rien ne les y troublerait plus, car ils auraient mis une barri?re infranchissable, le Danube et les lignes romaines, entre eux et les d?mons qui les poursuivaient. Quant aux Romains, ils y gagneraient les services des Goths, qui n'?taient certes point ? d?daigner. Voil? ce que r?p?taient les adversaires d'Athanaric: l?-dessus la discorde ?clata. Athanaric, ennemi de Rome depuis son enfance et fils d'un p?re qui lui avait fait jurer sous la foi d'un serment terrible qu'il ne toucherait jamais de son pied la terre des Romains, Athanaric, qui avait tenu religieusement son serment, combattit la proposition de Fridighern comme un outrage pour sa personne et une l?chet? pour les Goths. Fridighern put lui r?pondre que si les pers?cuteurs des chr?tiens, ceux qui nagu?re les faisaient p?rir sous le b?ton, les ?touffaient dans les flammes, les attachaient ? des solives en forme de croix pour les pr?cipiter ensuite, la t?te en bas, dans le courant des fleuves, que si ceux-l? pouvaient justement craindre de toucher du pied une terre romaine, il n'en ?tait pas de m?me des pers?cut?s. L'enfant du Christ ?tait fr?re de l'enfant de Rome; on l'avait bien vu au temps du martyre, lorsque les bannis d'Athanaric trouvaient au del? du Danube non-seulement un refuge toujours ouvert et du pain, mais des consolations, en un mot une hospitalit? fraternelle. Le vieil et v?n?rable Ulfila, ap?tre et oracle des Goths, contribuait ? r?pandre ces illusions, qu'il partageait lui-m?me aveugl?ment.

L'empire d'Orient se trouvait alors aux mains de Valens, fr?re de Valentinien Ier, qui, apr?s avoir gouvern? glorieusement l'Occident, venait de mourir, pour le malheur des Romains. Valens ?tait un compos? bizarre de bonnes qualit?s et de mauvaises pr?tentions. On avait estim? en lui, dans les variations de sa fortune, un grand esprit de d?sint?ressement et d'?quit?: terrible aux m?chants, protecteur des petits, il se montrait un dur mais impartial justicier comme son fr?re, pour qui il professait une admiration respectueuse. C'?tait le seul cas o? l'on voyait faiblir sa vanit?, Soldat rude, mais brave et sympathique au soldat, g?n?ral assez exp?riment? pour bien commander sous un autre, il s'?tait laiss? ?blouir par l'?clat d'une fortune qu'il ne devait qu'au m?rite de Valentinien. D'illusions en illusions, il ?tait arriv? ? l'aveuglement d'un homme n? sur la pourpre: c'?tait la m?me croyance en sa propre infaillibilit?, la m?me confiance na?ve en ses flatteurs. Compl?tement illettr? et si bien fait pour l'?tre, qu'? l'?ge de cinquante ans, et apr?s douze ans de r?gne en Orient, il n'avait pas encore r?ussi ? entendre couramment la langue grecque, il n'en pr?tendait pas moins r?genter l'?glise orientale, alors en proie aux d?chirements de l'arianisme. Ces distinctions subtiles, ces pi?ges de doctrine et surtout de langage que les demi-ariens lan?aient comme autant de filets o? se prirent souvent les plus habiles, semblaient un jeu pour Valens: il d?cidait, il tranchait, il innovait, et les ?v?ques de sa cour, gens perdus dans les intrigues, apr?s en avoir fait un th?ologien infaillible, n'eurent pas de peine ? en faire un pers?cuteur forcen?. Valens semblait renier, d?s qu'il s'agissait de religion, la droiture et l'?quit? proverbiales de son caract?re, pour n'en justifier que la rigueur. Jamais encore le catholicisme n'avait pass? de si mauvais jours: ses ?v?ques ?taient bannis, ses temples ferm?s; partout en Orient le schisme et l'apostasie ?taient provoqu?s par la corruption ou impos?s par la violence. Cet homme, qui n'avait eu longtemps de plaisir que dans les fatigues du champ de bataille, qui avait vaincu les Goths et les Perses, ne r?vait plus que th?ologie; dans son abandon des affaires, on e?t dit qu'il sacrifiait volontiers son titre de prince du peuple romain ? celui de prince de l'?glise arienne.

Valens se livrait donc dans la ville d'Antioche, en compagnie de quelques ?v?ques, ses favoris, ? l'un de ces loisirs th?ologiques qui lui faisaient tout oublier, lorsque la nouvelle des ?v?nements d'outre-Danube lui parvint par de vagues rumeurs. On racontait qu'une race d'hommes inconnus, sortis des marais scythiques, s'?tait pr?cipit?e sur l'Europe avec la violence irr?sistible d'un torrent, culbutant les Alains sur les Ostrogoths, et ceux-ci sur les Visigoths, qui fuyaient devant elle comme un troupeau timide. D'abord on en rit comme d'une fable, attendu qu'? chaque instant il arrivait de ces contr?es lointaines des bruits que l'instant d'apr?s d?mentait; mais il fallut bien y croire quand un courrier, venu ? toute vitesse, apporta l'annonce officielle des propositions des Visigoths et du d?part de leurs d?put?s pour Antioche. La cour fut dans un grand ?moi. Que fallait-il r?pondre aux envoy?s? quelle conduite convenait-il de tenir vis-?-vis des Goths? Les hommes l?gers et les courtisans se r?criaient sur le bonheur qui accompagnait l'empereur en toute circonstance: <> Les hommes s?rieux et prudents tenaient un tout autre langage. <> Les arguments pour et contre furent d?battus avec vivacit? dans le conseil imp?rial; Valens les ?couta, puis il se d?cida par une raison que lui seul pouvait imaginer. Il d?clara qu'il admettrait les Goths, s'ils se faisaient ariens.

Les Goths avaient re?u le christianisme ? peu pr?s de toutes mains; ils comptaient m?me des h?r?siarques parmi leurs ap?tres. Le M?sopotamien Audaeus, qui enseignait que Dieu doit avoir une forme mat?rielle et un corps, puisqu'il a cr?? l'homme ? son image, Audaeus, avec sa grossi?re h?r?sie, s'?tait fait parmi eux de nombreux pros?lytes et des martyrs. Pourtant ils se croyaient bons catholiques, et si les subtilit?s du demi-arianisme pouvaient prendre en d?faut ces th?ologiens des for?ts, ils ?prouvaient une profonde horreur pour l'arianisme pur, celui qui ravalait le Christ au-dessous de son p?re jusqu'? en faire une cr?ature. Les ?v?ques, absorb?s par les soins d'une pr?dication laborieuse, ressemblaient en beaucoup de points au troupeau. Th?ophile, pr?d?cesseur d'Ulfila, avait souscrit, il est vrai, les actes orthodoxes du concile de Nic?e; mais celui-ci adh?ra au formulaire semi-arien de Rimini, que d'abord il ne jugea pas contraire au catholicisme; puis, voyant beaucoup de signataires se r?tracter, il se r?tracta comme eux. Or, Valens pr?tendait qu'Ulfila rev?nt ? son premier avis, et que, par son autorit? que l'on savait toute-puissante, il impos?t ? ses fr?res les dogmes de l'arianisme mitig?: Valens mettait ? ce prix le succ?s de son ambassade. Une fois le mot d'ordre donn?, des docteurs insinuants, des ?v?ques en cr?dit furent ?chelonn?s sur le passage du barbare ? travers l'Asie Mineure; il en trouvait ? chaque station qui, sous le pr?texte de le saluer, se mettaient ? le cat?chiser, ou se pla?aient ? ses c?t?s dans le chariot pour le convertir chemin faisant. Au palais d'Antioche, ce fut bien pis; quand il voulait parler des mis?res de son peuple, on lui r?pondait par des dissertations sur l'identit? ou la conformit? des substances. On le fatiguait d'arguments et de discussions pour le mieux encha?ner, et, pendant ces luttes inhumaines, le malheureux peut-?tre croyait entendre dans le lointain le cri de ses compatriotes aux abois, qui le suppliaient de les sauver. Au fond, il finit par n'attacher qu'une m?diocre importance ? des choses si subtiles et qui lui semblaient si obscures; il se persuada que l'ambition des ?v?ques et l'acharnement de l'esprit de parti en faisaient seuls tout le m?rite. Ce sont les motifs qui le d?termin?rent ? se plier aux volont?s de l'empereur, si nous en croyons les historiens du temps, et le vieil ?v?que visigoth, apr?s avoir courb? sous ces dures n?cessit?s sa t?te blanchie par l'?ge et cicatris?e par le martyre, alla porter aux siens leur salut, qui lui co?tait si cher. Valens triomphait et se croyait un nouveau Constantin. N?anmoins, de peur qu'on lui p?t reprocher de sacrifier la politique ? la religion, il d?cida que les femmes et les enfants des Goths, au moins des Goths notables, passeraient les premiers, et seraient envoy?s dans les villes de l'int?rieur pour y ?tre gard?s ? titre d'otages, et que les hommes ne seraient admis ? franchir le fleuve qu'autant qu'ils auraient d?pos? leurs armes. Au moyen de ces pr?cautions sur la sagesse desquelles chacun s'extasiait, Valens crut avoir conjur? tout p?ril. Une flottille romaine fut charg?e d'op?rer le transport des Goths, et des agents civils, sous les ordres d'un officier sp?cial, le comte Lupicinus, all?rent choisir les cantons o? ce peuple de colons s'?tablirait, mesurer les lots, d?livrer des vivres, du bois et des instruments de culture.

Les difficult?s mis?rables dont Ulfila et ses compagnons s'?taient vu assaillir doubl?rent le temps de leur voyage, et cependant les Goths, camp?s dans la plaine du Danube, comptaient les jours avec une sombre inqui?tude. Leurs provisions s'?puisaient, bient?t ils allaient sentir la faim. Portant perp?tuellement les yeux des lignes romaines aux plaines du nord, tant?t ils croyaient apercevoir la barque qui ramenait leurs d?put?s, tant?t il leur semblait voir la l?g?re cavalerie des Huns poindre ? l'horizon oppos?, et franchir l'espace avec sa rapidit? ordinaire. Ils passaient ainsi vingt fois par jour de l'espoir tromp? aux plus mortelles terreurs. Enfin le d?sespoir les prit. Quoique le Danube, grossi par les pluies, roul?t alors une masse d'eau effroyable, beaucoup entreprirent de le traverser de force. Les uns se jettent ? la nage et sont entra?n?s par le fil de l'eau, d'autres montent dans des troncs d'arbres creus?s ou sur des radeaux qu'ils dirigent avec de longues perches; mais lorsque, par des efforts inou?s, ils sont parvenus ? dominer le courant, les balistes romaines dirigent sur eux une gr?le de projectiles, et le fleuve emporte p?le-m?le des d?bris de barques et des cadavres. Le retour des d?put?s mit fin ? ces sc?nes de d?solation. La flottille romaine fit aussit?t son office, voyageant sans interruption d'un bord ? l'autre. Beaucoup, pour ne pas attendre leur tour, se faisaient remorquer sur des troncs d'arbres ou des planches ? peine li?es ensemble. Les femmes et les enfants pass?rent les premiers, conform?ment aux ordres de l'empereur; ensuite vinrent les hommes. Des agents charg?s de compter les t?tes des passagers s'arr?t?rent, dit-on, fatigu?s ou effray?s de leur nombre. <> On constata pourtant que le nombre des hommes en ?tat de porter les armes ?tait d'environ deux cent mille.

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