Read Ebook: Histoire d'Attila et de ses successeurs (1/2) jusqu'à l'établissement des Hongrois en Europe by Thierry Am D E
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Ebook has 285 lines and 107729 words, and 6 pages
Pour se rendre de la salle des audiences du prince ? la demeure de l'eunuque, porte-?p?e et premier ministre, on avait ? parcourir tout l'int?rieur des appartements, ces galeries ?tincelantes de porphyre et d'or, ces portiques de marbre blanc, et ces palais divers renferm?s dans un seul palais, qui faisaient de la ville de Constantin le lieu le plus magnifique de la terre. A chaque pas, ?d?con s'extasiait; ? chaque nouvel objet, il s'?criait que les Romains ?taient bien heureux de vivre au milieu de si belles choses et de poss?der tant de richesses. Vigilas, dans la conversation, ne manqua pas de raconter ? Chrysaphius l'?tonnement na?f du Barbare et ses exclamations r?it?r?es sur le bonheur des Romains, et, tandis qu'il parlait, une id?e infernale vint traverser l'esprit du vieil eunuque. Prenant ? part ?d?con, Chrysaphius lui dit qu'il pourrait habiter, lui aussi, des palais dor?s, et mener cette vie heureuse qu'il enviait aux Romains, si, laissant l? son pays sauvage, il se transportait parmi eux. <
Le Barbare fut exact au rendez-vous, o? l'interpr?te se trouvait d?j?. <
Chrysaphius voulait les lui compter sans d?semparer; mais ?d?con l'arr?ta. <
Ils convinrent d'abord que, pour mieux masquer le complot, on n'enverrait pas Vigilas avec une mission en titre, mais comme simple interpr?te en l'attachant ? une ambassade s?rieuse en apparence. Ce premier point pos?, ils reconnurent que l'ambassade qui aurait pour pr?texte la r?ponse de l'empereur aux pr?tentions du roi des Huns devait ?tre confi?e ? un homme non-seulement plac? tr?s-haut dans la hi?rarchie des fonctions administratives, mais plac? encore plus haut dans l'estime publique, ? un honn?te homme en un mot. <
Au demeurant, l'occasion parut favorable pour se montrer fier et Romain vis-?-vis d'un ennemi que l'on ne craindrait bient?t plus. On ?crivit, en r?ponse ? la lettre d'Attila, qu'il e?t ? s'abstenir de tout envahissement du territoire romain au m?pris des trait?s, et que l'empereur lui renvoyait dix-sept transfuges, les seuls qu'on e?t pu d?couvrir dans toute l'?tendue de l'empire d'Orient. C'?tait l? la r?ponse ?crite; mais l'ambassadeur devait y joindre des explications verbales concernant les autres chefs de la mission d'?d?con. Il devait dire que l'empereur ne reconnaissait point ? Attila le droit d'exiger des ambassadeurs consulaires, attendu que ses anc?tres ou pr?d?cesseurs, les rois de la Scythie, s'?taient toujours content?s d'un simple envoy?, souvent m?me d'un messager ou d'un soldat; que sa proposition d'aller recevoir les l?gats romains dans les murs de Sardique n'?tait qu'une raillerie intol?rable: Sardique existait-elle encore? y restait-il pierre sur pierre? et n'?tait-ce pas Attila qui l'avait ruin?e? Enfin l'empereur affectait une grande froideur pour ?d?con, et avertissait le roi des Huns que, s'il avait vraiment ? coeur de terminer leurs diff?rends, il devait lui envoyer On?g?se, dont Th?odose acceptait d'avance l'arbitrage. Or, On?g?se ?tait le premier ministre d'Attila. ?d?con eut connaissance de ces instructions, ou du moins d'une partie de leur contenu; Chrysaphius lui m?nagea m?me une entrevue secr?te avec l'empereur. Ainsi donc cette ambassade avait deux missions distinctes compl?tement ?trang?res l'une ? l'autre, quant aux hommes et quant aux choses: l'une, patente, avou?e, capable d'honorer le gouvernement romain par sa fermet?; l'autre secr?te et inf?me: l'ambassadeur, sans le savoir, partait flanqu? d'un assassin. Maximin, craignant l'ennui d'une longue route ou sentant le besoin d'un bon conseiller, se fit adjoindre comme coll?gue l'historien grec Priscus, dont l'amiti? lui ?tait ch?re, et nous devons ? cette circonstance une des relations de voyage les plus int?ressantes en m?me temps qu'une des pages les plus instructives de l'histoire du Ve si?cle.
?d?con et Maximin quitt?rent en m?me temps Constantinople; les deux ambassades, marchant de conserve, devaient se guider et s'assister mutuellement: les Romains sur les terres de l'empire, les Huns au del? du Danube. Maximin faisait les honneurs du convoi en homme de cour consomm?; il avait des pr?sents pour ses h?tes barbares, et de temps en temps il les invitait ? d?ner ainsi que leur suite. Les d?ners se composaient de boeufs ou de moutons fournis par les habitants, abattus, d?pec?s, accommod?s par les serviteurs de l'ambassade. A Sardique, o? les voyageurs s?journ?rent, Maximin put se convaincre que la r?ponse de la chancellerie imp?riale au sujet de cette ville ne disait rien de trop, car il n'y put trouver un toit pour s'abriter; il planta ses tentes au milieu des ruines, comme s'il e?t ?t? au d?sert. Pendant le d?ner, la conversation, anim?e par le vin, tomba sur le gouvernement des Huns compar? ? celui des Romains; chacun vantait ? qui mieux mieux l'excellence de son souverain, les Huns parlant avec exaltation d'Attila, les Romains soutenant Th?odose, quand Vigilas fit aigrement remarquer qu'il n'y avait pas justice ? comparer un homme avec un dieu: le dieu, dans sa pens?e, c'?tait Th?odose. Ce propos impertinent souleva une vraie temp?te: les Huns criaient, se d?menaient, paraissaient hors d'eux-m?mes, et Maximin eut besoin de toute son habilet?, aid?e de toute celle de Priscus, pour ramener le calme en d?tournant la conversation. Dans le d?sir de sceller une paix compl?te, l'ambassadeur, apr?s d?ner, emmena avec lui sous sa tente ses deux h?tes principaux, et fit don ? chacun d'un beau v?tement de soie broch?e, garni de perles de l'Inde. Oreste ?tait ravi; tout en contemplant son lot, il semblait ?pier du regard la sortie d'?d?con, et, sit?t qu'il le vit parti, il dit ? Maximin: <
Il ne se passa rien de remarquable jusqu'? l'arriv?e des voyageurs ? Na?sse. Ce berceau du grand Constantin ?tait, comme Sardique, un lamentable amas de d?combres, o? quelques malades qui n'avaient pu fuir, et qu'assistait la charit? des paysans voisins, vivaient seuls dans une chapelle encore debout. Au del? de Na?sse, vers le nord-ouest et entre cette ville et le Danube, la petite troupe eut ? parcourir une plaine toute parsem?e d'ossements humains blanchis au soleil et ? la pluie, restes des massacres et des batailles qui avaient d?peupl? ce malheureux pays. A travers ces ruines et ce vaste cimeti?res, elle atteignit la rive droite du Danube, o? elle trouva des bateliers huns en station avec leurs barques, faites d'un seul tronc d'arbre creus?. La rive barbare ?tait encombr?e de ces barques empil?es les unes sur les autres, et qui semblaient ?tre l? pour le passage d'une arm?e; en effet, les Romains apprirent qu'Attila campait dans le voisinage, et se disposait ? ouvrir une grande chasse sur les terres au midi du Danube, dans ces provinces de l'empire qu'il r?clamait comme sa conqu?te.
De l'autre c?t? du Danube, on entrait sur les terres des Huns, et, ? la grande contrari?t? de Maximin, presque aussit?t les ambassades se s?par?rent. ?d?con, sur qui les Romains comptaient pour leur servir de guide dans le pays et d'introducteur pr?s d'Attila, les quitta brusquement, afin de rejoindre, disait-il, l'arm?e et le roi par un chemin de traverse beaucoup plus court que la route battue qu'ils suivaient. R?duits aux guides qu'il leur laissa, les Romains continuaient de marcher depuis plusieurs jours, lorsqu'un soir, ? la tomb?e de la nuit, le galop de plusieurs chevaux frappa leurs oreilles, et des cavaliers huns, mettant pied ? terre, leur annonc?rent qu'Attila les attendait ? son camp, dont ils ?taient tr?s-voisins. Le lendemain en effet, du sommet d'une colline assez escarp?e, ils aper?urent les tentes des Barbares qui se d?ployaient en nombre immense ? leurs pieds, et parmi elles un pavillon qu'? sa position et ? sa forme ils suppos?rent ?tre celui du roi. Le lieu paraissait bon pour camper; Maximin y fit d?poser les bagages, et d?j? l'on plantait les crampons et les pieux pour asseoir les tentes, quand une troupe de Barbares accourut d'en bas ? bride abattue et la lance au poing. <
Les visiteurs disparurent, mais pour revenir au bout de quelques moments, tous, sauf ?d?con. R?p?tant alors mot pour mot ? Maximin le contenu de ses instructions, ils ajout?rent que, s'il n'apportait rien de plus, il n'avait qu'? repartir sur-le-champ. Ce fut, pour Maximin et Priscus, une ?nigme de plus en plus obscure; ils en croyaient ? peine leurs oreilles, et, ne pouvant comprendre comment les int?r?ts confi?s ? la conscience d'un ambassadeur, les secrets inviolables de l'empire se trouvaient ainsi divulgu?s ? ses ennemis; ils restaient muets comme des hommes qu'un coup violent vient d'?tourdir. Sortant enfin de cet ?tat de stupeur, Maximin s'?cria: <
Les mulets ?taient d?j? charg?s, et les Romains se mettaient en route ? la nuit tombante, quand un contre-ordre les retint: <
Priscus, Vigilas et les esclaves porteurs de pr?sents s'?tant arr?t?s par respect pr?s du seuil de la porte, Maximin s'avan?a, salua le roi, et, lui remettant dans les mains la lettre de Th?odose, il lui dit: <
Cette sc?ne, qui laissa les Romains tout ?mus, fut l'unique sujet de leur conversation ? leur retour au quartier. Vigilas ne concevait pas que le m?me homme dont il avait ?prouv? la bienveillance, il y avait ? peine une ann?e, e?t pu le traiter d'une fa?on si ignominieuse, et son esprit se torturait pour en deviner la cause. Priscus la trouvait dans l'aventure du d?ner de Sardique, dans ce propos imprudent de Vigilas, dont les Barbares n'avaient pas manqu? de faire rapport ? leur roi; Maximin, qui n'entrevoyait aucune autre raison que celle-l?, appuyait l'avis de son ami; mais Vigilas secouait la t?te et ne paraissait pas convaincu. Survint ?d?con, qui l'emmena en particulier et causa quelque temps avec lui. Cette d?marche avait pour but de rassurer l'interpr?te sur ce qui venait de se passer, et de lui dire que tout se pr?parait ? merveille pour le succ?s du complot: ?d?con maintenant osait en r?pondre, et ce voyage procurait ? Vigilas une occasion inesp?r?e de tenir au courant Chrysaphius, et de rapporter l'argent dont ils avaient besoin. L'interpr?te, remont? par ces explications, avait repris tout son calme quand il rejoignit ses coll?gues, et aux questions que ceux-ci s'empress?rent de lui adresser, il se contenta de r?pondre que l'affaire des transfuges agitait seule Attila, qui ferait la guerre infailliblement si on ne lui donnait satisfaction. Sur ces entrefaites, des messagers entr?rent dans le quartier de l'ambassade, et proclam?rent une d?fense du roi ? tout Romain, quel qu'il f?t, de rien acheter chez les Huns, ni chevaux, ni b?tes de somme, ni esclaves barbares, ni captifs romains, rien, en un mot, hormis les choses indispensables ? la vie, et ce, jusqu'? la conclusion des difficult?s pendantes entre les deux nations. La d?fense fut signifi?e ? l'ambassadeur, Vigilas pr?sent. C'?tait, comme on le pense bien, une ruse d'Attila pour enlever d'avance ? l'interpr?te tout pr?texte plausible d'introduire une forte somme d'argent dans ses ?tats.
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CHAPITRE QUATRI?ME
Palais d'Attila et de Kerka.--Bain d'On?g?se.--Entr?e d'Attila dans sa ville capitale.--On?g?se, premier ministre d'Attila.--Conversation de Priscus avec un Grec, qui s'?tait fait Hun: comparaison de la vie barbare et de la vie civilis?e.--On?g?se et Maximin.--Audience de la reine Kerka.--Attila rend la justice.--Conversation des Romains sur la puissance et les projets d'Attila.--Attila invite ? sa table les deux ambassades romaines.--Description du repas; c?r?monial; chants nationaux.--Fils d'Attila.--Apparition du nain Zercon.--Repas chez la reine Kerka.--Attila cong?die Maximin.--Mauvaise foi des seigneurs huns; cruaut? d'Attila.--Retour de Vigilas avec son fils.--Vigilas est conduit devant Attila et convaincu de complot.--Il avoue pour sauver son fils.--Attila envoie Oreste ? Constantinople avec la bourse de Vigilas pendue au cou.--Il demande la t?te de Chrysaphius.--Son message mena?ant aux deux empereurs d'Orient et d'Occident.
Le palais du prince barbare, plac? sur une hauteur, dominait toute la bourgade, et attirait au loin les regards par ses hautes tours qui se dressaient vers le ciel. On d?signait sous ce nom un vaste enclos circulaire renfermant plusieurs maisons, telles que celles du roi, de son ?pouse favorite Kerka, de quelques-uns de ses fils, et probablement aussi la demeure de ses gardes; une cl?ture en bois l'entourait; les ?difices int?rieurs ?taient aussi en bois. Situ?e probablement au centre et seule flanqu?e de tours, la maison d'Attila ?tait encadr?e dans de grands panneaux de planches d'un poli admirable, et si exactement joints ensemble qu'ils semblaient ne former qu'une seule pi?ce. Celle de la reine, d'une architecture plus l?g?re et plus orn?e, pr?sentait sur toutes ses faces des dessins en relief et des sculptures qui ne manquaient point de gr?ce. Sa toiture reposait sur des pilastres soigneusement ?quarris, entre lesquels r?gnait une suite de cintres en bois tourn?, appuy?s sur des colonnettes, et formant comme les arcades d'une galerie. La maison d'On?g?se se voyait ? peu de distance du palais, close ?galement d'une palissade et construite dans le m?me genre que celle du roi, avec plus de simplicit?. Une curiosit? y m?ritait l'attention des ?trangers: dans ce pays d?nu? de pierres ? b?tir et m?me d'arbres, et o? il fallait transporter du dehors les mat?riaux de construction, On?g?se avait fait ?lever un bain sur le mod?le des thermes romains. Voici l'histoire de ce bain telle que les Romains l'entendirent conter. Au nombre des captifs provenant du sac de Sirmium, se trouvait un architecte qu'On?g?se r?clama dans sa part de butin. Le ministre d'Attila, Grec de naissance, venu tr?s-jeune chez les Huns, y avait apport? le go?t des bains ? la fa?on romaine, et l'avait communiqu? ? sa femme et ? ses enfants. S'il avait r?clam? la personne de l'architecte, c'?tait afin d'obtenir d'un homme habile la construction d'un b?timent o? il p?t satisfaire son go?t, et le captif, en d?ployant toute son industrie, crut acc?l?rer l'instant o? il verrait tomber ses fers. Il se mit donc ? l'oeuvre avec z?le: des pierres furent tir?es de Pannonie; des fourneaux, des piscines, des ?tuves s'organis?rent; mais, lorsque tout fut achev?, comme il fallait des mains exp?riment?es pour diriger un service si nouveau chez les Huns, On?g?se cr?a l'architecte baigneur en titre de sa maison, et le malheureux dit adieu pour jamais ? la libert?.
Attila fit son entr?e dans la capitale de son empire avec un c?r?monial qui int?ressa vivement les Romains, et surtout Priscus, observateur si curieux, peintre si na?f de tout ce qui frappait ses regards par un c?t? singulier. Ce furent les femmes de la bourgade qui vinrent le recevoir en procession. Rang?es sur deux files, elles ?levaient au-dessus de leurs t?tes et tendaient d'une file ? l'autre, dans leur longueur, des voiles blancs, sous lesquels les jeunes filles marchaient par groupes de sept, chantant des vers compos?s ? la louange du roi. Le cort?ge prit la direction du palais en passant devant la maison d'On?g?se. La femme du ministre favori se tenait en dehors de l'enceinte, entour?e d'une foule de servantes qui portaient des plats garnis de viande et une coupe pleine de vin. Lorsque le roi parut, elle s'approcha de lui, et le pria de go?ter au repas qu'elle lui avait pr?par?; un signe bienveillant fit savoir qu'il y consentait: c'?tait la plus grande faveur qu'un roi des Huns p?t accorder ? ses sujets. Aussit?t quatre hommes vigoureux soulev?rent une table d'argent jusqu'? la hauteur du cheval, et, sans mettre pied ? terre, Attila go?ta de tous les plats et but une gorg?e de vin, apr?s quoi il entra dans son palais. En l'absence de son mari, qui arrivait d'un long voyage et que le roi manda pr?s de lui, la femme d'On?g?se re?ut les ambassadeurs ? souper dans la compagnie des principaux du pays, presque tous ses parents. Maximin prit ensuite des dispositions pour son ?tablissement; il dressa ses tentes dans un lieu voisin tout ? la fois de la maison du ministre et du palais du roi.
On?g?se, dont le nom grec indiquait l'origine, mais qui avait ?t? ?lev? chez les Huns; tenait le premier rang dans l'empire apr?s Attila, soit par la puissance, soit par la richesse: c'?tait presque le roi, si Attila ?tait l'empereur. Ce comble de fortune, devant lequel les Huns de naissance s'inclinaient sans murmurer, On?g?se le devait aux moyens les plus honorables, ? la bravoure sur le champ de bataille, ? la sinc?rit? dans les conseils, au courage m?me avec lequel il luttait contre les r?solutions violentes ou les mauvais instincts de son ma?tre. Il ?tait pr?s d'Attila le meilleur appui des Romains, non par int?r?t personnel ou par souvenir lointain de son origine, mais par pur esprit d'?quit?, par un go?t inn? de ce qui tenait ? la civilisation. La logique, si diff?rente des faits, e?t plac? de droit un tel ministre pr?s d'un prince civilis? et chr?tien, tandis qu'elle e?t rel?gu? au contraire un Chrysaphius pr?s d'Attila. Le roi hun, si absolu, si emport?, c?dait ? ce caract?re ferme dans sa douceur; On?g?se ?tait devenu son conseiller indispensable, et c'est ? lui qu'il avait confi? l'?ducation militaire et la tutelle de son fils a?n?, Ellak, dans le royaume des Acatzires, dont On?g?se venait de terminer la conqu?te. Ramen? sur les bords du Danube, apr?s une longue absence, par le d?sir de revoir son p?re, ce jeune homme avait fait en route une chute de cheval o? il s'?tait d?mis le poignet. On?g?se avait donc bien des choses importantes ? traiter avec le roi, qui le retint toute la soir?e: ce fut le motif de son absence au souper; mais Maximin br?lait d'impatience de le voir pour lui communiquer les instructions de Th?odose ? son ?gard; il esp?rait d'ailleurs beaucoup dans l'intervention de cet homme tout puissant pour aplanir les difficult?s dont sa mission ?tait entour?e. Il dormit ? peine, et, d?s les premi?res lueurs de l'aube, il fit partir Priscus avec les pr?sents destin?s au ministre. L'enceinte ?tait ferm?e; aucun domestique de la maison ne se montrait, et Priscus dut attendre; laissant donc les pr?sents sous la garde des serviteurs de l'ambassade, il se mit ? se promener jusqu'au moment o? quelqu'un para?trait.
< --Parce que vous parlez trop bien le grec, r?pondit Priscus. L'inconnu se mit ? rire. --En effet, dit-il, je suis Grec. Fondateur d'un ?tablissement de commerce ? Viminacium en M?sie, je m'y ?tais mari? richement; j'y vivais heureux: la guerre a dissip? mon bonheur. Comme j'?tais riche, j'ai ?t? adjug?, personne et biens, dans le butin d'On?g?se, car vous saurez que c'est un privil?ge des princes et des chefs des Huns de se r?server les plus riches captifs. Mon nouveau ma?tre me mena ? la guerre, o? je me battis bien et avec profit. Je me mesurai contre les Romains; je me mesurai contre les Acatzires; quand j'eus acquis suffisamment de butin, je le portai ? mon ma?tre barbare, et, en vertu de la loi des Scythes, je r?clamai ma libert?. Depuis lors, je me suis fait Hun; j'ai ?pous? une femme barbare qui m'a donn? des enfants; je suis commensal d'On?g?se, et, ? tout prendre, ma condition actuelle me para?t pr?f?rable ? ma condition pass?e. --Oh! oui, continua cet homme apr?s s'?tre recueilli un instant, le travail de la guerre une fois termin?, on m?ne parmi les Huns une vie exempte de soucis: ce que chacun a re?u de la fortune, il en jouit paisiblement; personne ne le moleste, rien ne le trouble. La guerre nous alimente: elle ?puise et tue ceux qui vivent sous le gouvernement romain. Il faut bien que le sujet romain mette dans le bras d'autrui l'esp?rance de son salut, puisqu'une loi tyrannique ne lui permet pas de porter les armes dont il a besoin pour se d?fendre, et ceux que la loi commet ? les porter, si braves qu'ils soient, font mal la guerre, entrav?s qu'ils sont tant?t par l'ignorance, tant?t par la l?chet? des chefs. Cependant les maux de la guerre ne sont rien chez les Romains en comparaison des calamit?s qui accompagnent la paix, car c'est alors que fleurissent dans tout leur luxe et la rigueur insupportable des tributs, et les exactions des agents du fisc, et l'oppression des hommes puissants. Comment en serait-il autrement? les lois ne sont pas les m?mes pour tout le monde. Si un riche ou un puissant les transgresse, il profitera impun?ment de son injustice; mais un pauvre, mais un homme qui ignore les formalit?s du droit, oh! celui-l?, la peine ne manquera point de l'atteindre, ? moins pourtant qu'il ne meure de d?sespoir avant son jugement, ?puis?, ruin? par un proc?s sans fin. Ne pouvoir obtenir qu'? prix d'argent ce qui est du droit et des lois, c'est, ? mon avis, le comble de l'iniquit?. Quelque injure que vous ayez re?ue, vous ne pouvez ni aborder un tribunal ni demander une sentence au juge avant d'avoir d?pos? pr?alablement une somme d'argent qui b?n?ficiera ? ce juge et ? sa s?quelle.>> L'apostat de la civilisation continua longtemps sur ce ton, d?clamant avec une chaleur qui donnait parfois ? ses paroles l'apparence d'un plaidoyer pour lui-m?me. Quand il parut avoir tout dit, Priscus le pria de le laisser parler quelques instants ? son tour et de l'?couter avec patience. <> Cette vue ?lev?e de la civilisation, ce tableau des protections diverses qui entourent l'individu sous les gouvernements polic?s, sembla remuer vivement l'interlocuteur de Priscus, qui ne cherchait vraisemblablement, en accumulant sophismes sur sophismes, qu'? ?touffer en lui-m?me quelques remords et ? combattre quelques regrets. Ses yeux parurent mouill?s de larmes, puis il s'?cria: < L'insistance que mettait Th?odose ? demander On?g?se pour n?gociateur dans ses diff?rends avec les Huns tenait ? un double calcul de la politique byzantine: d'abord on semblait repousser ?d?con comme trop rude et trop d?vou? aux int?r?ts de son ma?tre, puis, ? tout ?v?nement, on esp?rait attirer par les s?ductions et peut-?tre corrompre par l'argent le ministre tout-puissant qui montrait une bienveillance si pleinement gratuite ? l'empire. De ces deux calculs, l'honn?te Maximin ignorait le premier et soup?onnait ? peine le second; mais cette partie de sa mission lui avait ?t? recommand?e comme une de celles auxquelles l'empereur tenait le plus, et il ne supposait pas qu'une telle avance de la part d'un tel souverain p?t laisser le Barbare indiff?rent. On?g?se, apr?s avoir donn? un coup d'oeil rapide aux pr?sents que Priscus lui apportait, les fit d?poser dans sa maison, et, apprenant que l'ambassadeur romain voulait se rendre chez lui, il tint ? le pr?venir lui-m?me; au bout de quelques instants, Maximin le vit entrer sous sa tente. Alors commen?a entre ces deux hommes d'?tat une conversation dans laquelle le caract?re du ministre d'Attila se d?ploya tout entier. Maximin s'attacha ? lui exposer avec quelque peu d'emphase que le moment d'une pacification solide entre les Romains et les Huns paraissait arriv?, pacification dont l'honneur ?tait r?serv? ? sa prudence, et que l'utilit? tr?s-grande dont le ministre hun pouvait ?tre pour les deux nations se reverserait sur lui-m?me et sur ses enfants en bienfaits perp?tuels de la part de l'empereur et de toute la famille imp?riale. < Cependant la reine Kerka attendait ses pr?sents: Priscus fut encore charg? de les lui pr?senter. Elle les re?ut dans une pi?ce de son ?l?gant palais recouverte d'un tapis de laine; elle-m?me ?tait assise sur des coussins et entour?e de ses femmes et de ses serviteurs accroupis en cercle autour d'elle, les hommes d'un c?t? et les femmes de l'autre; celles-ci travaillaient ? passer des fils d'or et de soie dans des pi?ces d'?toffes destin?es ? relever les v?tements des hommes. En sortant du palais de la reine, Priscus entendit un grand bruit, et vit courir une grande foule ? laquelle il se m?la. Il aper?ut bient?t Attila, qui, flanqu? d'On?g?se, vint se placer devant la porte de sa maison pour y rendre la justice. Sa contenance ?tait grave, et il s'assit en silence. Ceux qui avaient des proc?s ? faire juger s'approch?rent ? tour de r?le; il les jugea tous, puis il rentra pour recevoir des d?put?s qui lui arrivaient de plusieurs pays barbares. L'enclos du palais d'Attila ?tait une sorte de promenade o? les ambassadeurs circulaient librement en attendant les audiences soit du roi, soit de son ministre; ils pouvaient aller, venir, tout observer, aucun garde ne les y g?nant. Priscus s'y rencontra face ? face avec le comte Romulus et ses coll?gues de l'ambassade d'Occident, lesquels se promenaient en compagnie de deux secr?taires d'Attila, Constancius et Constanciolus, tous deux Pannoniens, et de ce Rusticius qui avait accompagn? volontairement l'ambassade d'Orient, et venait de se faire attacher comme scribe ? la chancellerie du roi des Huns. < A ce moment entra le Maure Zercon, et tout aussit?t la salle retentit d'?clats de rire et de tr?pignements capables de l'?branler: c'?tait un interm?de dont les convives ?taient redevables ? l'imagination d'?d?con. Le Maure Zercon, nain bossu, bancal, camus, ou plut?t sans nez, b?gue et idiot, circulait depuis pr?s de vingt ans d'un bout ? l'autre du monde, et d'un ma?tre ? l'autre, comme l'objet le plus ?trange qu'on p?t se procurer pour se divertir. Les Africains l'avaient donn? au g?n?ral romain Aspar, qui l'avait perdu en Thrace, dans une campagne malheureuse contre les Huns: conduit pr?s d'Attila, qui refusa de le voir, Zercon avait trouv? meilleur accueil chez Bl?da. Bient?t m?me le prince hun s'engoua tellement de son nain, qu'il ne pouvait plus s'en passer; il l'avait ? sa table, il l'avait ? la guerre, o? il lui fit fabriquer une armure, et son bonheur ?tait de le voir se pavaner, une grande ?p?e au poing, et prendre grotesquement des attitudes de h?ros. Un jour pourtant Zercon s'enfuit sur le territoire romain, et Bl?da n'eut pas de repos qu'on ne l'e?t repris ou rachet?; la chasse fut heureuse, et on le lui ramena charg? de fers. A l'aspect de son ma?tre irrit?, le Maure se mit ? fondre en larmes, et confessa qu'il avait commis une faute en le quittant; mais cette faute, disait-il, avait une bonne excuse. < Le temps s'?coulait en pure perte pour les ambassadeurs, qui n'obtenaient ni audience du roi ni r?ponse satisfaisante sur aucun point. Ils demand?rent ? partir; mais Attila, sans leur en refuser positivement l'autorisation, les retint sous diff?rents pr?textes: il les gardait. La reine Kerka voulut les traiter ? son tour: elle les invita dans la maison de son intendant Adame ? un repas < Enfin Attila, ayant ?clairci tout ce qu'il lui importait de savoir, l'innocence de l'ambassadeur, la persistance de la cour imp?riale dans le complot contre sa vie, et le retour prochain de Vigilas, qui avait d?j? quitt? Constantinople, laissa partir les ambassadeurs dont la pr?sence lui devenait inutile. Une lettre d?lib?r?e dans un conseil de seigneurs huns et de secr?taires de la chancellerie hunnique, sous la pr?sidence d'On?g?se, fut remise ? B?rikh, qui dut accompagner l'ambassade jusqu'? Constantinople. Quoique les Romains s'en allassent combl?s de politesses et de pr?sents, attendu que chaque grand de la cour, sur l'invitation du roi, s'?tait empress? de leur offrir quelques objets pr?cieux, tels que pelleteries, chevaux, tapis ou v?tements brod?s, les incidents de leur voyage furent peu r?cr?atifs et leur montr?rent, au sortir des festins et des f?tes, un c?t? plus s?rieux du gouvernement d'Attila. A quelques journ?es de marche, ils virent crucifier un transfuge, saisi pr?s de la fronti?re, et qu'on accusait d'?tre venu espionner pour le compte des Romains. Un peu plus loin, ce furent deux captifs probablement romains qui s'?taient enfuis apr?s avoir tu? leur ma?tre hun ? la guerre: on les ramenait pieds et poings li?s, et on profita du passage des ambassadeurs, comme d'une bonne occasion, pour clouer ces malheureux ? un poteau et leur enfoncer dans la gorge un pieu aigu. Leur compagnon de route, B?rikh, ?tait d'ailleurs un vieux Hun de race primitive, sauvage, grossier, vindicatif. A propos d'une querelle survenue entre ses domestiques et ceux de l'ambassade, il reprit ? Maximin un beau cheval qu'il lui avait donn?, et ne cessa pas de murmurer tout le long du chemin. Finalement, ? peu de distance du Danube, sur les terres romaines, l'ambassade rencontra Vigilas, qui s'en allait tout joyeux vers le but de son voyage, en compagnie, comme il croyait, mais en r?alit? sous la garde d'Esla. Tel fut le premier acte de ce drame compliqu? dont Attila faisait mouvoir les fils avec une si profonde astuce et une patience si opini?tre. Il avait eu pendant deux mois entiers sous sa main les repr?sentants d'un gouvernement qui conspirait contre sa vie, une ambassade dont le seul but ?tait de le faire assassiner par les siens; il pouvait invoquer, pour se venger ou se d?fendre, le droit des nations qu'on violait si outrageusement contre lui; l'existence de tous ces Romains d?pendait d'un signe de ses yeux, et ce signe, il ne le fit pas. Avec l'impartialit? d'un juge pronon?ant dans une cause ?trang?re, il s?para l'innocent du coupable, sans vouloir remarquer qu'ils portaient tous deux la m?me tache originelle. S'il y avait dans cette conduite un sentiment d'?quit? naturelle incontestable, il s'y trouvait aussi un grand fonds d'orgueil, une haine superbe qui d?daignait les instruments pour remonter plus implacable jusqu'aux auteurs du crime. C'?tait ? Th?odose, ? Chrysaphius, ? l'honneur romain qu'il en voulait. Il jouissait de pouvoir mettre en parall?le, devant ce monde civilis? qui lui refusait le titre de roi comme ? un chef de sauvages et le m?prisait tout en le redoutant, la justice et les proc?d?s du Barbare avec ceux de l'empereur romain. Vigilas s'?tait h?t? de terminer ? Constantinople les affaires qui servaient de pr?texte ? son voyage. Toujours aveugle, toujours infatu? de sa propre importance, il avait fini par l'inspirer aux autres. Chrysaphius, qui crut, d'apr?s lui, le succ?s du complot assur?, doubla la somme ? tout ?v?nement; l'interpr?te revenait donc avec 100 livres d'or renferm?es dans une bourse de cuir. Tout cela se passait sous l'oeil attentif d'Esla, qui ne perdait aucun de ses mouvements depuis leur d?part. Les serviteurs de l'ambassade hunnique n'?taient pas autre chose non plus que des gardiens qui tenaient le Romain prisonnier sans qu'il s'en dout?t. De l'autre c?t? du Danube, la surveillance se resserra encore davantage. Vigilas amenait de Constantinople son propre fils ?g? de dix-huit ? vingt ans, qui avait ?t? curieux de visiter le pays, et que, suivant toute apparence, l'interpr?te s'?tait fait adjoindre en qualit? de second. Comme ils mettaient le pied dans la bourgade royale d'Attila, ils furent saisis tous les deux et tra?n?s devant le roi; leurs bagages saisis ?galement furent fouill?s sous ses yeux, et l'on y trouva la bourse avec les 100 livres d'or bien pes?es; A cette vue, Attila feignit la surprise et demanda ? l'interpr?te ce qu'il voulait faire de tout cet or? Celui-ci r?pondit sans embarras qu'il le destinait ? l'entretien de sa suite et au sien, ? l'achat de chevaux et de b?tes de somme dont il voulait faire provision pour ses missions, car il en avait perdu beaucoup sur les routes, et enfin ? la ran?on d'un grand nombre de captifs romains dont les familles l'avaient pris pour mandataire. La patience d'Attila n'y tint plus. < Ils arriv?rent ? l'audience de Th?odose, qui connaissait d?j? par le bruit public la d?convenue de ses projets, et n'attendait pas sans anxi?t? le nouveau message du roi des Huns. Les envoy?s se pr?sent?rent au pied de son tr?ne dans l'accoutrement le plus singulier, mais auquel personne n'osa trouver ? redire. Oreste portait pendue ? son cou la m?me bourse de cuir dans laquelle les cent livres d'or avaient ?t? renferm?es, et Esla, plac? pr?s de lui, apr?s avoir demand? ? Chrysaphius s'il reconnaissait la bourse, adressa ces paroles ? l'empereur: < On ne s'attendait pas ? cette conclusion. Th?odose avait pu se r?signer ? toutes les humiliations que son crime d?couvert pouvait faire pleuvoir sur lui; mais les eunuques n'?taient point d?cid?s ? se laisser enlever le pouvoir, ni Chrysaphius ? livrer sa t?te: tout fut donc en rumeur dans le palais. Ce qui pr?occupa surtout l'empereur, ce fut de sauver son chambellan; toutes les mesures adopt?es tendirent ? ce but. Les derni?res entraves que la politique byzantine opposait encore ? l'orgueil d'Attila furent lev?es sans h?sitation: il voulait avoir des ambassadeurs consulaires, on lui en donna; il avait d?sign? les patrices Anatolius et Nomus, parce qu'il n'y avait pas de plus grands seigneurs dans l'empire: on lui envoya Anatolius et Nomus. On le traita comme on traitait le souverain de l'empire des Perses, le grand roi. On s'occupa m?me de Constancius, qui re?ut de la main de l'empereur une veuve tr?s-riche en remplacement de sa fianc?e, mari?e ? un autre. Aucune concession, aucune bassesse ne furent ?pargn?es. La gloriole d'Attila ?tait satisfaite, et il alla par honneur au-devant des hauts personnages qu'on lui d?putait; toutefois il leur parla un langage dur, le langage d'un homme irrit?. Ils apportaient de riches pr?sents qui parurent l'adoucir; ils apportaient aussi beaucoup d'argent: Attila prit tout. Il d?livra Vigilas, qu'il regardait comme un coupable trop infime pour sa vengeance: il ne r?clama plus la zone riveraine du Danube, qu'il poss?dait de fait, sinon de droit; il ne dit plus rien des transfuges, il ?largit m?me sans ran?on un grand nombre de prisonniers romains; mais il exigea la t?te de Chrysaphius. Sur ce point, il fut inflexible. L'ann?e 450 commen?a sous ces auspices. Les contingents des tribus hunniques arrivaient en masse sur les bords du Danube; des armements s'op?raient chez les nations vassales de ces hordes, les Ostrogoths, les G?pides, les H?rules, les Ruges, et l'on annon?ait que les Acatzires ?taient en marche. L'inqui?tude gagna l'empire d'Occident non moins que celui d'Orient: non-seulement l'affaire de Sylvanus restait sans conclusion, mais il ?tait survenu depuis d'autres embarras plus graves; les conjonctures ?taient mena?antes. Enfin deux messagers goths, partis de la Hunnie, se pr?sent?rent, le m?me jour et ? la m?me heure, devant les empereurs Th?odose et Valentinien; ils ?taient charg?s de dire ? l'un et ? l'autre: < CHAPITRE CINQUI?ME On dirait qu'il existe dans les masses populaires un instinct politique qui leur fait pressentir les catastrophes des soci?t?s, comme un instinct naturel annonce d'avance ? tous les ?tres l'approche des bouleversements physiques. L'ann?e 451 fut pour l'empire romain d'Occident une de ces ?poques fatales que tout le monde attend en fr?missant, et qui apportent leurs calamit?s pour ainsi dire ? jour fixe. Les pr?dictions, les prodiges, les signes extraordinaires, cort?ge en quelque sorte oblig? des pr?occupations g?n?rales, ne manqu?rent point ? cette ann?e de malheur. L'histoire nous parle de commotions souterraines qui ?branl?rent en 450 la Gaule et une partie de l'Espagne: la lune s'?clipsa ? son lever, ce qui ?tait regard? comme un pr?sage sinistre; une com?te d'une grandeur et d'une forme effrayantes parut ? l'horizon du c?t? du soleil couchant; et du c?t? du p?le, le ciel se rev?tit pendant plusieurs jours de nuages de sang au milieu desquels des fant?mes arm?s de lances de feu se livraient des combats imaginaires. C'?taient l? des proph?ties pour le vulgaire superstitieux; les ?mes pieuses en cherchaient d'autres dans la religion. L'?v?que de Tongres, Servatius, alla consulter ? Rome les ap?tres Pierre et Paul sur leurs tombeaux, afin de savoir de quels maux la col?re divine mena?ait son pays et quel moyen il y avait de les conjurer; il lui fut r?pondu que la Gaule serait livr?e aux Huns, et que toutes ses villes seraient d?truites; mais que lui, pour prix de la foi qui l'avait amen?, mourrait sans avoir vu ces affreux spectacles. Quant aux esprits politiques, ils d?couvraient des signes de ruine plus infaillibles encore dans l'?tat d'?branlement du monde occidental, tout pr?s de se dissoudre, et qui semblait ne plus se soutenir que par l'?p?e d'A?tius. L'histoire gardant le silence sur les aventures de la princesse Honoria post?rieurement ? sa captivit?, nous ignorons si on l'avait mari?e alors pour couvrir son d?shonneur, ou si on le fit seulement ? la r?ception du message, afin d'opposer aux pr?tentions du roi hun une raison p?remptoire: en tout cas, Honoria se trouva mari?e, et Valentinien put r?pondre que < Carthage et l'Afrique ?taient alors sous la domination d'un homme comparable au roi des Huns par sa laideur et son g?nie, Gens?ric, roi des Vandales. Ce qu'Attila avait accompli avec tant de promptitude et de bonheur sur les Barbares de l'Europe non romaine, Gens?ric le tentait sur les Barbares cantonn?s dans l'empire, il avait entrepris de les r?unir tous en un seul corps soumis ? une m?me discipline politique, ? une m?me communion religieuse, l'arianisme, et toujours pr?t ? soutenir, pour toute chose et en tout lieu, le drapeau barbare contre le drapeau romain. Pour la r?ussite de ce projet, il avait mari? son fils Huneric ? la fille de Th?odoric, roi des Visigoths; mais, ne rencontrant point dans cette alliance les avantages qu'il en avait esp?r?s, il prit sa belle-fille en haine: un jour, sur le simple soup?on qu'elle avait voulu l'empoisonner, il lui fit couper les narines, et la renvoya en Gaule, ? son p?re, ainsi horriblement d?figur?e. R?fl?chissant alors aux cons?quences d'un pareil outrage, et ne doutant point que, pour se venger, Th?odoric ne form?t contre lui quelque ligue avec les Romains, il rechercha l'alliance d'Attila. De riches pr?sents le firent bien venir du roi des Huns. Comme deux ?perviers qui accommodent leur vol pour fondre ensemble sur la m?me proie, ils se concert?rent pour assaillir l'empire romain ? la fois par le nord et par le midi. Gens?ric projetait d?j? sans doute cette descente en Italie qu'il ex?cuta quatre ans plus tard; Attila se chargea des Visigoths et de la Gaule. D'autres raisons engageaient encore le roi hun ? porter la guerre au midi du Rhin. Le chef d'une des principales tribus frankes ?tablies sur la rive droite de ce fleuve, dans la contr?e arros?e par le Necker, ?tait mort en 446 ou 447, laissant deux fils qui se disput?rent son h?ritage, et divis?rent entre eux la nation. L'a?n? ayant demand? l'assistance d'Attila, le second se mit sous la protection des Romains. A?tius l'adopta comme son fils, suivant une pratique militaire alors en usage, et qui nous montre d?j? au Ve si?cle les premi?res lueurs de la chevalerie naissante; puis il l'envoya, combl? de cadeaux, ? Rome, vers l'empereur, pour y conclure un trait? d'alliance. C'est l? que Priscus le vit. < Il ne tarda pas ? la conna?tre. Attila l'informa, par un nouveau message; qu'il avait avec les Visigoths une querelle dont il l'invitait ? ne se point m?ler. < L'histoire nous a laiss? le fun?bre d?nombrement de cette arm?e dont les masses encombraient non-seulement les abords du Danube, mais les campagnes environnantes. Jamais, depuis Xerc?s, l'Europe n'avait vu un tel rassemblement de nations connues ou inconnues; on n'y comptait pas moins de cinq cent mille guerriers. L'Asie y figurait par ses plus hideux et plus f?roces repr?sentants: le Hun noir et l'Acatzire, munis de leurs longs carquois; l'Alain, avec son ?norme lance et sa cuirasse en lames de corne, le Neure, le Bellonote; le G?lon, peint et tatou?, qui avait pour arme une faux, et pour parure une casaque de peau humaine. Des plaines sarmatiques ?taient venues sur leurs chariots les tribus basternes, moiti? slaves, moiti? asiatiques, semblables aux Germains par l'armement, aux Scythes par les moeurs, et polygames comme les Huns. La Germanie avait fourni ses nations les plus recul?es vers l'ouest et le nord: le Ruge des bords de l'Oder et de la Vistule, le Scyre et le Turcilinge, voisins du Ni?men et de la D?na, noms alors obscurs, mais qui devaient bient?t cesser de l'?tre; ils marchaient arm?s du bouclier rond et de la courte ?p?e des Scandinaves. On voyait aussi l'H?rule, rapide ? la course, invincible au combat, mais cruel et la terreur des autres Germains, qui finirent par l'exterminer. Ni l'Ostrogoth ni le G?pide ne manquaient ? l'appel; ils ?taient l? avec leur infanterie pesante, si redout?e des Romains. Le roi Ardaric commandait les G?pides; trois fr?res du sang des Amales, Valamir, Th?odemir et Vid?mir, se montraient en t?te des Ostrogoths. Quoique la royaut? f?t par ?lection dans les mains de Valamir l'a?n?, il avait voulu la partager avec ses fr?res, qu'il aimait tendrement. Les chefs de cette fourmili?re de tribus, tremblants devant Attila, se tenaient ? distance, comme ses appariteurs ou ses gardes, le regard fix? sur lui, attentifs au moindre signe de sa t?te, au moindre clignement de ses yeux: ils accouraient alors prendre ses ordres, qu'ils ex?cutaient sans h?sitation et sans murmure. Il en ?tait deux qu'Attila distinguait particuli?rement au milieu de cette tourbe, et qu'il appelait ? tous ses conseils: c'?taient les deux rois des G?pides et des Ostrogoths. Valamir apportait dans ses avis une franchise, une discr?tion et une douceur de langage qui plaisaient au roi des Huns; Ardaric, une rare prudence et une fid?lit? ? toute ?preuve. Telle ?tait cette arm?e, qui semblait avoir ?puis? le monde barbare, et qui cependant n'?tait pas encore compl?te. Le d?placement de tant de peuples fit comme une r?volution dans la grande plaine du nord de l'Europe; la race slave descendit vers la mer Noire pour y reprendre les campagnes abandonn?es par les Ostrogoths, et qu'elle avait jadis poss?d?es; l'arri?re-ban des Huns noirs et l'avant-garde des Huns blancs, Avares, Bulgares, Hunugares, Turks, firent un pas de plus vers l'Europe. Les d?vastateurs de tout rang, les futurs ma?tres de l'Italie, les rempla?ants des c?sars d'Occident, se trouvaient l? p?le-m?le, chefs et peuples, amis et ennemis. Oreste put y rencontrer Odoacre, simple soldat turcilinge, et le p?re du grand Th?odoric, l'Ostrogoth Th?odemir, ?tait un des capitaines d'Attila: toutes les ruines du monde civilis?, toutes les grandeurs pr?destin?es du monde barbare semblaient faire cort?ge au g?nie de la destruction. Malgr? le caract?re tr?s-significatif de ce d?but, Attila, fid?le au plan qu'il s'?tait trac?, fit proclamer dans toute la Gaule qu'il venait en ami des Romains, et seulement pour ch?tier les Visigoths, ses sujets fugitifs et les ennemis de Rome; que les Gaulois eussent donc ? bien recevoir leur lib?rateur et un des g?n?raux de leur empire. Ses paroles, toutes de bienveillance, concordaient avec ses proclamations. C'?tait un spectacle ? la fois risible et effrayant que ce Calmouk, g?n?ral romain, recevant les curiales des cit?s, assis sur son escabeau, et les haranguant en mauvais latin pour leur persuader de lui ouvrir leurs portes. Quelques villes le firent; d'autres essay?rent de r?sister: toutes furent trait?es de la m?me fa?on. Incapables de soutenir un choc pareil, les faibles garnisons romaines se r?fugiaient dans les places ceintes de bonnes murailles, ou faisaient retraite de proche en proche jusqu'? la Loire, qui devint le lieu g?n?ral de ralliement. De tous les Barbares f?d?r?s, les Burgondes seuls os?rent livrer bataille. Quand la division orientale des Huns traversa la fronti?re de l'Helv?tie pour gagner la route de Strasbourg, ils l'attaqu?rent sous la conduite de Gondicaire, leur roi; mais ils furent battus et mis en d?route; les autres f?d?r?s, ne voyant arriver ni chef ni instructions, suivirent le mouvement r?trograde des garnisons romaines. Les Franks-Ripuaires partirent les premiers. Les Franks-Saliens furent plus lents ? se d?cider, mais enfin ils partirent aussi devant ces masses, contre lesquelles toute r?sistance isol?e ?tait impossible. Leur retraite, g?n?e par les escarmouches des Huns, pr?senta tout le d?sordre d'une fuite. Le jeune Child?ric, fils du roi M?rowig ou M?rov?e, qui gouvernait alors cette nation, fut enlev? avec sa m?re par un gros de cavaliers qui les emmenaient d?j? en captivit?, lorsqu'un noble frank, nomm? Viomade, les d?livra au p?ril de sa vie. Il se m?lait dans cette guerre, o? tous les Barbares purs s'?taient rang?s du c?t? d'Attila, et les demi-Barbares du c?t? de l'empire romain, quelque chose de l'acharnement des guerres sociales. Les Thuringiens, qui vinrent sur le territoire des Franks-Saliens apr?s le d?part du roi et de l'arm?e, exerc?rent contre les femmes, les enfants, les vieillards qui restaient, des cruaut?s inou?es, dont le seul r?cit exaltait encore au bout de quatre-vingts ans le ressentiment des fils de Clovis. Ce fut comme une nu?e d'insectes d?vorants qui s'appesantit sur les deux Germanies et la seconde Belgique. Tout fut pill?, ruin?, affam?. La division orientale, apr?s avoir battu les Burgondes de Gondicaire, avait d?truit de fond en comble les villes d'Augst, de Vindonissa et d'Argentuaria, des d?bris desquelles naquirent plus tard B?le, Windisch et Colmar; ses ?claireurs pouss?rent m?me jusqu'? Besan?on. Strasbourg, Spire, Worms, Mayence, tomb?rent l'une apr?s l'autre aux mains des Huns. A l'aile droite d'Attila, Tongres et Arras eurent le m?me sort. Un moment le front de l'arm?e hunnique occupa la Gaule dans toute sa largeur depuis le Jura jusqu'? l'Oc?an. Quoique Attila v?t ? regret la prolongation de ces pillages, qui diss?minaient ses troupes et lui enlevaient un temps pr?cieux pour l'ex?cution de son plan de campagne, il les tol?rait par n?cessit?, afin de faire vivre son arm?e, ou par calcul, afin de l'animer. Lui-m?me, ? son d?part de Tr?ves, vint assi?ger Metz, ne voulant pas laisser derri?re lui une place si forte, qui dominait les principales routes des Gaules, celles qui mettaient le nord en communication avec le midi, et Tr?ves et Strasbourg avec la ville m?tropolitaine d'Arles, r?sidence actuelle des pr?fets du pr?toire. Cependant, d?pourvu de machines suffisantes et inexpert d'ailleurs ? de telles op?rations, il leva le si?ge tout d?courag?, apr?s avoir battu longtemps du b?lier les murailles de la ville. Il se trouvait d?j? ? vingt et un milles plus loin, occup? ? d?truire le ch?teau de Scarpone, lorsqu'il fut inform? qu'un pan des murs de Metz s'?tait ?croul? subitement. Sauter ? cheval, franchir cette distance et accourir sur la br?che, ce fut pour les Huns l'affaire de quelques heures. Ils arriv?rent en pleine nuit, la veille de P?ques, qui tombait cette ann?e-l? au 8 avril. L'?v?que s'?tait retir? dans l'?glise avec son clerg?; il fut ?pargn? et emmen? captif, mais ses pr?tres furent tous ?gorg?s au pied de l'autel. Les habitants p?rirent soit par l'?p?e, soit dans les flammes de leurs maisons, qui furent r?duites en cendre; on rapporte qu'il ne resta debout qu'un oratoire consacr? ? saint ?tienne, premier martyr et diacre. De Metz, Attila se dirigea sur Reims. La grande et illustre capitale des R?mes ne lui co?ta pas tant de peine ? enlever: elle ?tait presque d?serte, ses habitants s'?tant retir?s dans les bois; mais l'?v?que, nomm? Nicasius, restait avec une poign?e d'hommes courageux et fid?les pour attendre ce qu'il plairait ? Dieu. Quand il vit, apr?s la rupture des portes, les Barbares se pr?cipiter dans la ville, il s'avan?a vers eux sur le seuil de son ?glise, entour? de pr?tres, de diacres, et suivi d'une troupe de peuple qui cherchait protection pr?s de lui. Rev?tu des ornements ?piscopaux, l'?v?que chantait d'une voix forte ce verset d'un psaume de David: < Nicasius avait une soeur d'une grande beaut?, nomm?e Eutropie, qui, craignant d'?tre en butte aux brutalit?s de ces Barbares, frappa le meurtrier au visage, et se fit percer de coups ? c?t? de son fr?re. Ce ne fut que le pr?lude des massacres; mais la basilique, sur le seuil de laquelle ils se passaient ayant retenti d'un bruit soudain et inconnu, les Huns effray?s s'enfuirent, laissant l? leur butin, et quitt?rent bient?t la ville. Le lendemain, les habitants reprirent possession de leurs maisons d?sol?es, et recueillirent les restes de ceux qu'ils consid?raient comme des martyrs; ils ?lev?rent un monument ? leur pasteur, que l'?glise honore encore aujourd'hui sous le nom de saint Nicaise. Ce sont les l?gendes qui nous donnent ces indications, et nous apprennent ?galement la ruine de Laon et celle de la ville des Veromandues, Augusta, aujourd'hui Saint-Quentin. Ces actes, comme de raison, nous entretiennent plus longuement des malheurs des ?v?ques et de leur clerg? que de ceux des habitants la?ques des villes saccag?es, pr?f?rence qui ne tient pas seulement ? la nature des documents dont nous parlons, mais qui a sa cause profonde dans les faits m?mes de l'histoire. Au milieu de la d?sorganisation politique produite par tant de calamit?s, les magistrats civils et militaires faisaient souvent d?faut: les curiales d?sertaient pour ne point subir les avanies du fisc ou les r?quisitions de l'ennemi; mais l'?v?que demeurait, encha?n? ? son troupeau par un lien spirituel. C'?tait donc lui que les Barbares trouvaient toujours en face d'eux, comme le seul fonctionnaire qui repr?sent?t la hi?rarchie romaine; c'?tait lui seulement que les citoyens pouvaient invoquer comme leur conseil et leur guide. Des lois n?es des besoins du temps conf?raient ? l'?v?que des attributions civiles qui en firent peu ? peu un v?ritable magistrat et le premier de la cit?; mais la force des choses lui en conf?rait bien d'autres: elle faisait de lui, suivant les cas, un duumvir, un pr?fet, un intendant des finances, un g?n?ral d'arm?e. Cet ?tat de choses, mal compris par les si?cles suivants, donna lieu ? cette multitude de martyrs que mentionnent les l?gendaires dans les guerres barbares du Ve si?cle, tout ?v?que mis ? mort ?tant naturellement ? leurs yeux mis ? mort pour sa foi. En ce qui concerne la guerre des Huns, nous admettrons comme certain que les profanations s'y m?l?rent souvent aux massacres, et la d?rision du nom de Dieu au m?pris de l'humanit?: nous pouvons supposer m?me que certains peuples germains vassaux des Huns, tels que les Ruges, les Scyres, les Turcilinges, qui arrivaient avec les passions f?roces de l'odinisme, d?ployaient dans l'occasion contre les pr?tres chr?tiens une haine fanatique; mais Attila n'avait point des instincts pers?cuteurs, et sa guerre ? la soci?t? romaine ne fut pas marqu?e au coin d'une guerre au christianisme. Tchinghiz-Khan et Timour en agissaient ainsi, et le premier recommandait express?ment ? ses enfants de ne se point m?ler de la croyance religieuse des peuples vaincus. On aper?oit d?j? cette politique des conqu?rants mongols dans la conduite d'Attila. Un camp fortifi?, des arsenaux, un palais, un amphith??tre, des temples, en un mot tout ce qui constituait un grand ?tablissement militaire et une r?sidence imp?riale avait ?t? construit successivement par ces empereurs sur la rive gauche de la Seine, et hors de la cit?, qui ?tait renferm?e tout enti?re dans une ?le du fleuve. Julien avait pris ce lieu en affection, et y passa plusieurs hivers. C'est l? qu'une ?meute de soldats l'?leva en 360 du rang de c?sar ? celui d'auguste, et qu'en 383 une autre ?meute en renversa Gratien. Cependant l'importance commerciale de la petite ville avait march? de pair avec son importance politique: elle ?tait devenue l'entrep?t de tout le commerce entre la haute et la basse Seine. En d'autres circonstances, sa population de mariniers, c?l?bre d?s le temps de Tib?re, aurait song? ? faire respecter son ?le, que prot?geaient doublement les bras profonds du fleuve et une haute muraille flanqu?e de tours; mais la terreur panique qui pr?c?dait Attila ?nervait les plus braves, et ne montrait aux peuples qu'un seul moyen de salut, la fuite. Les Parisiens avaient donc tenu conseil et r?solu de ne point attendre l'ennemi. D?j? se faisaient les appr?ts d'une ?migration g?n?rale: toutes les barques ?taient ? flot. On ne voyait que meubles entass?s sur les places, que maisons d?sertes et nues, que troupes d'enfants et de femmes qui allaient dire ? leurs foyers un dernier adieu tremp? de larmes. Une femme entreprit de les arr?ter. Le caract?re de cette femme extraordinaire, le genre d'autorit? qu'elle exer?ait autour d'elle, enfin la juste v?n?ration dont la ville de Paris entoure sa m?moire depuis quatorze si?cles, exigent que nous exposions d'abord ici ce qu'elle ?tait, et comment s'?taient ?coul?s les premiers temps de sa vie. Elle se nommait Genovefa, mot que nous avons alt?r? en celui de Genevi?ve, et, malgr? la physionomie toute germanique de son nom, elle ?tait Gallo-Romaine. Son p?re Severus et sa m?re Gerontia habitaient, au moment de sa naissance, le bourg de Nemetodurum, aujourd'hui Nanterre, ? trois lieues de Paris; ils y vivaient sans travailler de leurs mains, et m?me dans une condition d'aisance assez grande. L'enfance de Genevi?ve ne se passa point, quoi qu'en dise la tradition populaire, ? garder les moutons: douce, maladive, cherchant avant tout le repos, la fille de Severus n'avait pas de plus grand plaisir que de s'enfermer dans une chambre de la maison de sa m?re pour y prier et y r?ver, et, d?s qu'elle le pouvait, elle s'?chappait pour aller ? l'?glise. Son humeur taciturne et solitaire l'isolait des autres enfants, aux jeux desquels on ne la voyait jamais se m?ler. A sept ans, elle se dit qu'elle prendrait le voile des vierges chr?tiennes sit?t que l'?ge en serait venu, et nonobstant les repr?sentations de ses parents, ? qui ce parti d?plaisait, ce fut d?s lors chose in?branlable dans son esprit. Il arriva que vers ce temps, c'est-?-dire en 429, Nanterre fut honor? par la visite de deux personnages illustres, Germain, ?v?que d'Auxerre, et Loup, ?v?que de Troyes, que le clerg? des Gaules envoyait dans l'?le de Bretagne comme ses plus ?minents docteurs, afin d'y combattre l'h?r?sie de P?lage, dont la population bretonne et les pr?tres m?mes s'?taient laiss? infecter. Les deux missionnaires, sur l'invitation des habitants du village, avaient promis d'y prendre g?te pour une nuit. Nanterre ?tait donc dans la joie, et au jour marqu?, hommes, femmes, enfants, rev?tus de leurs habits de f?te, all?rent attendre leurs h?tes sur la route pour les recevoir et les accompagner ? l'?glise. Au milieu de la foule qui le pressait et l'admirait, Germain remarqua une jeune fille par?e des gr?ces modestes de l'enfance, et dont l'oeil vif et brillant semblait jeter une flamme surnaturelle; il lui fit signe d'approcher, la souleva dans ses bras, et, lui d?posant un baiser paternel sur le front, il lui demanda qui elle ?tait. Aux r?ponses br?ves et pr?cises de Genevi?ve , ? la fermet? de son regard, le vieillard resta pensif; puis, s'adressant aux parents: < Depuis que l'on parlait de l'arriv?e prochaine d'Attila, surtout depuis que les ravages de la guerre avaient commenc?, Genevi?ve semblait avoir mis de c?t? toute autre pens?e. Profond?ment convaincue avec toutes les ?mes religieuses de son si?cle que les ?v?nements de ce monde ne sont qu'un r?sultat des desseins de Dieu sur les hommes, et qu'ainsi le repentir et la pri?re, en d?sarmant la col?re divine, peuvent conjurer les calamit?s qui nous menacent, elle priait nuit et jour sur la cendre, appelant avec larmes le pardon de Dieu sur son pays. De m?me qu'en d'autres malheurs publics une autre fille des Gaules, Jeanne d'Arc, Genevi?ve eut des visions; elle apprit que la ville de Paris serait ?pargn?e si elle se repentait, et qu'Attila n'approcherait pas de ses murs. Elle alla donc exhorter ses compatriotes ? la p?nitence, leur ordonnant de laisser l? tous leurs pr?paratifs de d?part; mais elle ne re?ut des hommes pour toute r?ponse que des paroles grossi?res et des marques de d?rision. Rebut?e de ce c?t?, elle prit le parti de s'adresser aux femmes. L'intention du roi des Huns n'?tait point de livrer la Gaule ? un pillage g?n?ral, au moins pour le moment. Attila, qui hasardait toujours le moins possible, aimait ? surprendre son ennemi: il avait coutume de dire que <
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