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Read Ebook: Le Peuple / Nos Fils by Michelet Jules

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Ebook has 1526 lines and 137491 words, and 31 pages

ie virile de jeunesse et d'avenir.

Qu'est-ce que je craindrais maintenant, mon ami, dites-le-moi? moi, qui suis mort tant de fois, en moi-m?me, et dans l'Histoire.--Et qu'est-ce que je d?sirerais?... Dieu m'a donn?, par l'histoire, de participer ? toute chose.

La vie n'a sur moi qu'une prise, celle que j'ai ressentie le 12 f?vrier dernier, environ trente ans apr?s. Je me retrouvais dans un jour semblable, ?galement couvert de neige, en face de la m?me table. Une chose me monta au coeur: <> Alors, regardant celle de mes mains qui depuis 1813 a gard? la trace du froid, je me dis pour me consoler: <>

Je reviens. Ma foi n'?tait pas absurde; elle se fondait sur la volont?. Je croyais ? l'avenir, parce que je le faisais moi-m?me. Mes ?tudes finirent bien et vite. J'eus le bonheur, ? la sortie, d'?chapper aux deux influences qui perdaient les jeunes gens, celle de l'?cole doctrinaire, majestueuse et st?rile, et la litt?rature industrielle, dont la librairie, ? peine ressuscit?e, accueillait alors facilement les plus malheureux essais.

Je ne voulus point vivre de ma plume. Je voulus un vrai m?tier; je pris celui que mes ?tudes me facilitaient, l'enseignement. Je pensai d?s lors, comme Rousseau, que la litt?rature doit ?tre la chose r?serv?e, le beau luxe de la vie, la fleur int?rieure de l'?me. C'?tait un grand bonheur pour moi lorsque, dans la matin?e, j'avais donn? mes le?ons, de rentrer dans mon faubourg, pr?s du P?re-Lachaise, et l? paresseusement de lire tout le jour les po?tes, Hom?re, Sophocle, Th?ocrite, parfois les historiens. Un de mes anciens camarades et de mes plus chers amis, M. Poret, faisait les m?mes lectures, dont nous conf?rions ensemble, dans nos longues promenades au bois de Vincennes.

L'enseignement me servit beaucoup. La terrible ?preuve du coll?ge avait chang? mon caract?re, m'avait comme serr? et ferm?, rendu timide et d?fiant. Mari? jeune, et vivant dans une grande solitude, je d?sirais de moins en moins la soci?t? des hommes. Celle que je trouvai dans mes ?l?ves, ? l'?cole normale et ailleurs, rouvrit mon coeur, le dilata. Ces jeunes g?n?rations, aimables et confiantes, qui croyaient en moi, me r?concili?rent ? l'humanit?. J'?tais touch?, attrist? souvent aussi, de les voir se succ?der devant moi si rapidement. ? peine m'attachais-je, que d?j? ils s'?loignaient. Les voil? tous dispers?s, et plusieurs sont morts. Peu m'ont oubli?; pour moi, vivants ou morts, je ne les oublierai jamais.

Ils m'ont rendu, sans le savoir, un service immense. Si j'avais, comme historien, un m?rite sp?cial qui me sout?nt ? c?t? de mes illustres pr?d?cesseurs, je le devrais ? l'enseignement, qui pour moi fut l'amiti?. Ces grands historiens ont ?t? brillants, judicieux, profonds. Moi, j'ai aim? davantage.

J'ai souffert davantage aussi. Les ?preuves de mon enfance me sont toujours pr?sentes, j'ai gard? l'impression du travail, d'une vie ?pre et laborieuse, je suis rest? peuple.

Je le disais tout ? l'heure, j'ai cr? comme une herbe entre deux pav?s, mais cette herbe a gard? sa s?ve, autant que celle des Alpes. Mon d?sert dans Paris m?me, ma libre ?tude et mon libre enseignement m'ont agrandi, sans me changer. Presque toujours, ceux qui montent y perdent, parce qu'ils se transforment; ils deviennent mixtes, b?tards; ils perdent l'originalit? de leur classe, sans gagner celle d'une autre. Le difficile n'est pas de monter, mais, en montant, de rester soi.

Nous avons, nous autres Barbares, un avantage naturel; si les classes sup?rieures ont la culture, nous avons bien plus de chaleur vitale. Elles n'ont ni le travail fort, ni l'intensit?, l'?pret?, la conscience dans le travail. Leurs ?l?gants ?crivains, vrais enfants g?t?s du monde, semblent glisser sur les nues, ou bien, fi?rement excentriques, ils ne daignent regarder la terre; comment la f?conderaient-ils? Elle demande, cette terre, ? boire la sueur de l'homme, ? s'empreindre de sa chaleur et de sa vertu vivante. Nos Barbares lui prodiguent tout cela, elle les aime. Eux, ils aiment infiniment, et trop, se donnant parfois au d?tail, avec la sainte gaucherie d'Albert D?rer, ou le poli excessif de Jean-Jacques, qui ne cache pas assez l'art; par ce d?tail minutieux ils compromettent l'ensemble. Il ne faut pas trop les bl?mer: c'est l'exc?s de la volont?, la surabondance d'amour, parfois le luxe de s?ve; cette s?ve, mal dirig?e, tourment?e, se fait tort ? elle-m?me, elle veut tout donner ? la fois, les feuilles, les fruits et les fleurs, elle courbe et tord les rameaux.

Qui serait plus s?v?re que moi, si je faisais la critique de mes livres! le public m'a trop bien trait?. Celui que je donne aujourd'hui, croit-on que je ne voie pas combien il est imparfait?... <>

Un int?r?t?... Plusieurs, comme vous allez voir. D'abord, j'y perds plusieurs de mes amiti?s. Puis, je sors d'une position tranquille, toute conforme ? mes go?ts. J'ajourne mon grand livre, le monument de ma vie.

--Pour entrer dans la vie publique apparemment?--Jamais. Je me suis jug?! Je n'ai ni la sant?, ni le talent, ni le maniement des hommes.

--Pourquoi donc alors...?--Si vous voulez le savoir absolument, je vous le dirai.

Je parle, parce que personne ne parlerait ? ma place. Non qu'il n'y ait une foule d'hommes plus capables de le faire, mais tous sont aigris, tous ha?ssent. Moi, j'aimais encore... Peut-?tre aussi savais-je mieux les pr?c?dents de la France; je vivais de sa grande vie ?ternelle, et non de la situation. J'?tais plus vivant de sympathies, plus mort d'int?r?ts; j'arrivais aux questions avec le d?sint?ressement des morts.

Je souffrais d'ailleurs bien plus qu'un autre du divorce d?plorable que l'on t?che de produire entre les hommes, entre les classes, moi qui les ai tous en moi.

La situation de la France est si grave qu'il n'y avait pas moyen d'h?siter. Je ne m'exag?re pas ce que peut un livre; mais il s'agit du devoir, et nullement du pouvoir.

Eh bien! je vois la France baisser d'heure en heure, s'ab?mer comme une Atlantide. Pendant que nous sommes l?, ? nous quereller, ce pays enfonce.

Qui ne voit, d'Orient et d'Occident, une ombre de mort peser sur l'Europe, et que chaque jour il y a moins de soleil, et que l'Italie a p?ri, et que l'Irlande a p?ri, et que la Pologne a p?ri... Et que l'Allemagne veut p?rir!... ? Allemagne, Allemagne!...

Si la France mourait de mort naturelle, si les temps ?taient venus, je me r?signerais peut-?tre, je ferais comme le voyageur sur un vaisseau qui va sombrer, je m'envelopperais la t?te, et me remettrais ? Dieu... Mais la situation n'est pas du tout celle-l?, et c'est l? ce qui m'indigne: notre ruine est absurde, ridicule, elle ne vient que de nous. Qui a une litt?rature, qui domine encore la pens?e europ?enne? Nous, tout affaiblis que nous sommes. Qui a une arm?e? Nous seuls.

L'Angleterre et la Russie, deux g?ants faibles et bouffis, font illusion ? l'Europe. Grands Empires, et faibles peuples!... Que la France soit une, un instant; elle est forte comme le monde.

La premi?re chose, c'est qu'avant la crise, nous nous reconnaissions bien, et que nous n'ayons pas, comme en 1792, comme en 1815, ? changer de front, de manoeuvre et de syst?me en pr?sence de l'ennemi.

La seconde chose, c'est que nous nous fiions ? la France, et point du tout ? l'Europe.

Ici, chacun va chercher ses amis ailleurs, le politique ? Londres, le philosophe ? Berlin; le communiste dit: Nos fr?res les Chartistes.--Le paysan seul a gard? la tradition du salut; un Prussien pour lui est un Prussien, un Anglais est un Anglais.--Son bon sens a eu raison, contre vous tous, humanitaires! La Prusse, votre amie, et l'Angleterre, votre amie, ont bu l'autre jour ? la France la sant? de Waterloo.

Enfants, enfants, je vous le dis: Montez sur une montagne, pourvu qu'elle soit assez haute; regardez aux quatre vents, vous ne verrez qu'ennemis.

T?chez donc de vous entendre. La paix perp?tuelle que quelques-uns vous promettent , essayons, cette paix, de la commencer entre nous. Nous sommes divis?s sans doute, mais l'Europe nous croit plus divis?s que nous ne sommes. Voil? ce qui l'enhardit. Ce que nous avons de dur ? nous dire, disons-le, versons notre coeur, ne cachons rien des maux, et cherchons bien les rem?des.

Un peuple! une patrie! une France!... Ne devenons jamais deux nations, je vous prie.

Sans l'unit?, nous p?rissons. Comment ne le sentez-vous pas?

Fran?ais, de toute condition, de toute classe et de tout parti, retenez bien une chose, vous n'avez sur cette terre qu'un ami s?r, c'est la France. Vous aurez toujours, pardevant la coalition, toujours subsistante, des aristocraties, un crime, d'avoir, il y a cinquante ans, voulu d?livrer le monde. Ils ne l'ont pas pardonn?, et ne le pardonneront pas. Vous ?tes toujours leur danger. Vous pouvez vous distinguer entre vous par diff?rents noms de partis. Mais vous ?tes, comme Fran?ais, condamn?s d'ensemble. Pardevant l'Europe, la France, sachez-le, n'aura jamais qu'un seul nom, inexpiable, qui est son vrai nom ?ternel: La R?volution!

PREMI?RE PARTIE

DU SERVAGE ET DE LA HAINE.

CHAPITRE PREMIER

Servitudes du paysan.

Si nous voulons conna?tre la pens?e intime, la passion du paysan de France, cela est fort ais?. Promenons-nous le dimanche dans la campagne, suivons-le. Le voil? qui s'en va l?-bas devant nous. Il est deux heures; sa femme est ? v?pres; il est endimanch?; je r?ponds qu'il va voir sa ma?tresse.

Quelle ma?tresse? Sa terre.

Je ne dis pas qu'il y aille tout droit. Non, il est libre ce jour-l?, il est ma?tre d'y aller ou de n'y pas aller. N'y va-t-il pas assez tous les jours de la semaine?... Aussi il se d?tourne, il va ailleurs, il a affaire ailleurs... Et pourtant, il y va.

Il est vrai qu'il passait bien pr?s; c'?tait une occasion. Il la regarde, mais apparemment il n'y entrera pas; qu'y ferait-il?... Et pourtant il y entre.

Du moins, il est probable qu'il n'y travaillera pas; il est endimanch?; il a blouse et chemise blanches.--Rien n'emp?che cependant d'?ter quelque mauvaise herbe, de rejeter cette pierre. Il y a bien encore cette souche qui g?ne, mais il n'a pas sa pioche, ce sera pour demain.

Alors, il croise ses bras et s'arr?te, regarde, s?rieux, soucieux. Il regarde longtemps, tr?s longtemps, et semble s'oublier. ? la fin, s'il se croit observ?, s'il aper?oit un passant, il s'?loigne ? pas lents. ? trente pas encore, il s'arr?te, se retourne, et jette sur sa terre un dernier regard, regard profond et sombre; mais pour qui sait bien voir, il est tout passionn?, ce regard, tout de coeur, plein de d?votion.

Si ce n'est l? l'amour, ? quel signe donc le reconna?trez-vous en ce monde? C'est lui, n'en riez point... La terre le veut ainsi, pour produire; autrement, elle ne donnerait rien, cette pauvre terre de France, sans bestiaux presque et sans engrais. Elle rapporte, parce qu'elle est aim?e.

La terre de France appartient ? quinze ou vingt millions de paysans qui la cultivent; la terre d'Angleterre, ? une aristocratie de trente-deux mille personnes qui la font cultiver.

La France est une terre d'?quit?. Elle a g?n?ralement, en cas douteux, adjug? la terre ? celui qui travaillait la terre. L'Angleterre au contraire a prononc? pour le seigneur, chass? le paysan; elle n'est plus cultiv?e que par des ouvriers.

Cette grande histoire, si peu connue, offre ce caract?re singulier: aux temps les plus mauvais, aux moments de pauvret? universelle o? le riche m?me est pauvre et vend par force, alors le pauvre se trouve en ?tat d'acheter; nul acqu?reur ne se pr?sentant, le paysan en guenilles arrive avec sa pi?ce d'or, et il acquiert un bout de terre.

Myst?re ?trange; il faut que cet homme ait un tr?sor cach?... Et il en a un, en effet: le travail persistant, la sobri?t? et le je?ne. Dieu semble avoir donn? pour patrimoine ? cette indestructible race le don de travailler, de combattre, au besoin, sans manger, de vivre d'esp?rance, de gaiet? courageuse.

Le mouvement, je suis oblig? de le dire, se ralentit, ou s'arr?ta, vers 1650. Les nobles qui avaient vendu, trouv?rent moyen de racheter ? vil prix. Au moment o? nos ministres italiens, un Mazarin, un Emeri, doublaient les taxes, les nobles qui remplissaient la cour, obtinrent ais?ment d'?tre exempt?s, de sorte que le fardeau doubl? tomba d'aplomb sur les ?paules des faibles et des pauvres qui furent bien oblig?s de vendre ou donner cette terre ? peine acquise, et de redevenir des mercenaires, fermiers, m?tayers, journaliers. Par quels incroyables efforts purent-ils, ? travers les guerres et les banqueroutes du grand roi, du r?gent, garder ou reprendre les terres que nous avons vues plus haut se trouver dans leurs mains au dix-huiti?me si?cle, c'est ce qu'on ne peut s'expliquer.

Nos magistrats sp?cialement ont besoin de s'?clairer l?-dessus, d'armer leur conscience; la ruse les assi?ge. Les grands propri?taires, tir?s de leur apathie naturelle par les gens de loi, se sont jet?s derni?rement dans mille proc?s injustes. Il s'est cr?? contre les communes, contre les petits propri?taires, une sp?cialit? d'avocats antiquaires qui travaillent tous ensemble ? fausser l'histoire pour tromper la justice. Ils savent que rarement les juges auront le temps d'examiner ces oeuvres de mensonge. Ils savent que ceux qu'ils attaquent n'ont presque jamais de titres en r?gle. Les communes surtout les ont mal conserv?s, ou n'en ont jamais eu; pourquoi? Justement parce que leur droit est souvent tr?s antique, et d'une ?poque o? l'on se fiait ? la tradition.

Dans tous les pays de fronti?re sp?cialement, les droits des pauvres gens sont d'autant plus sacr?s que personne sans eux n'aurait habit? des marches si dangereuses; la terre e?t ?t? d?serte, il n'y e?t eu ni peuple ni culture. Et voil? qu'aujourd'hui, ? une ?poque de paix et de s?curit?, vous venez disputer la terre ? ceux sans lesquels la terre n'existerait pas! Vous demandez leurs titres; ils sont enfouis; ce sont les os de leurs a?eux qui ont gard? votre fronti?re, et qui en occupent encore la ligne sacr?e.

Il est plus d'un pays en France o? le cultivateur a sur la terre un droit qui certes est le premier de tous, celui de l'avoir faite. Je parle sans figure. Voyez ces rocs br?l?s, ces arides sommets du Midi; l?, je vous prie, o? serait la terre sans l'homme? La propri?t? y est toute dans le propri?taire. Elle est dans le bras infatigable qui brise le caillou tout le jour, et m?le cette poussi?re d'un peu d'humus. Elle est dans la forte ?chine du vigneron qui, du bas de la c?te, remonte toujours son champ qui s'?coule toujours. Elle est dans la docilit?, dans l'ardeur patiente de la femme et de l'enfant qui tirent ? la charrue avec un ?ne... Chose p?nible ? voir... Et la nature y compatit elle-m?me. Entre le roc et le roc, s'accroche la petite vigne. Le ch?taignier, sans terre, se tient en serrant le pur caillou de ses racines, sobre et courageux v?g?tal; il semble vivre de l'air, et, comme son ma?tre, produit tout en je?nant.

Oui, l'homme fait la terre; on peut le dire, m?me des pays moins pauvres. Ne l'oublions jamais, si nous voulons comprendre combien il l'aime et de quelle passion. Songeons que, des si?cles durant, les g?n?rations ont mis l? la sueur des vivants, les os des morts, leur ?pargne, leur nourriture... Cette terre, o? l'homme a si longtemps d?pos? le meilleur de l'homme, son suc et sa substance, son effort, sa vertu, il sent bien que c'est une terre humaine, et il l'aime comme une personne.

Il l'aime; pour l'acqu?rir, il consent ? tout, m?me ? ne plus la voir; il ?migre, il s'?loigne, s'il le faut, soutenu de cette pens?e et de ce souvenir. ? quoi supposez-vous que r?ve, ? votre porte, assis sur une borne, le commissionnaire savoyard? il r?ve au petit champ de seigle, au maigre p?turage qu'au retour il ach?tera dans sa montagne. Il faut dix ans! n'importe... L'Alsacien, pour avoir de la terre dans sept ans, vend sa vie, va mourir en Afrique. Pour avoir quelques pieds de vigne, la femme de Bourgogne ?te son sein de la bouche de son enfant, met ? la place un enfant ?tranger, s?vre le sien, trop jeune: <>

N'est-ce pas l? une chose bien dure ? dire, et presque impie?... Songeons-y bien avant de d?cider. <>, cela veut dire: <> Libre! grande parole, qui contient en effet toute dignit? humaine: nulle vertu sans la libert?.

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