Read Ebook: Tableau historique et pittoresque de Paris depuis les Gaulois jusqu'à nos jours (Volume 5/8) by Saint Victor J B De Jacques Benjamin
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TABLEAU
HISTORIQUE ET PITTORESQUE
DE PARIS.
IMPRIMERIE DE COSSON, RUE GARANCI?RE, N? 5.
TABLEAU HISTORIQUE ET PITTORESQUE DE PARIS,
DEPUIS LES GAULOIS JUSQU'? NOS JOURS.
D?di? au Roi Par J. B. de Saint-Victor.
TOME TROISI?ME.--PREMI?RE PARTIE.
PARIS, ? LA LIBRAIRIE CLASSIQUE-?L?MENTAIRE, CHEZ LESAGE, RUE DU PAON, N? 8.
TABLEAU
HISTORIQUE ET PITTORESQUE
DE PARIS.
QUARTIER
DE LA PLACE MAUBERT.
Ce quartier est born? ? l'Orient par les extr?mit?s des faubourgs Saint-Victor et Saint-Marcel jusqu'aux barri?res; au Septentrion, par les quais de la Tournelle et de Saint-Bernard inclusivement; ? l'Occident, par la rue du Pav?-de-la-place-Maubert, le march? de ladite place, la rue de la Montagne-Sainte-Genevi?ve, et par les rues Bordet, Moufetard et de l'Oursine inclusivement; au Midi, par les extr?mit?s du faubourg Saint-Marcel, jusqu'aux barri?res.
On y comptoit, en 1789, soixante-neuf rues, quatre culs-de-sacs, quatre places ou march?s, cinq paroisses, une abbaye, un chapitre, dix coll?ges; dont sept sans exercice, deux couvents d'hommes, quatre de filles, trois communaut?s d'hommes, trois de filles, quatre h?pitaux, quatre s?minaires, etc., etc.
La partie de la ville de Paris qui nous reste ? d?crire pour compl?ter l'histoire de cette capitale, est s?par?e de celle que nous venons de quitter, par la Seine qui coule au milieu: elle en occupe la rive m?ridionale; et, quoique moins consid?rable que l'autre, il ne lui fallut pas moins de temps pour acqu?rir son dernier degr? d'accroissement. Avant d'y parvenir, elle ?prouva un grand nombre de r?volutions qui vont successivement se d?velopper dans la description de ses rues et de ses principaux ?difices.
Comprim?s par les lois s?v?res que Fran?ois Ier avoit rendues contre eux, et par la terreur des supplices, les partisans de la nouvelle h?r?sie, attendant des circonstances plus favorables, avoient mis, pendant les derni?res ann?es du r?gne de ce prince, et dans leurs mouvements et dans les actes de leur pros?lytisme, une circonspection qui les faisoit ?chapper ? l'oeil vigilant de la police. Cependant Calvin venoit de succ?der ? Luther: plus savant que les premiers r?formateurs dans les lettres sacr?es, ?crivain plus poli et plus ?l?gant, esprit plus p?n?trant et plus subtil, il avoit d'abord reconnu, en adoptant leurs erreurs, que ces chefs de secte n'avoient en effet ni principes suivis, ni corps de doctrine, ni profession de foi, ni r?gles fixes de discipline; et, comprenant que la r?forme ne pouvoit subsister, si l'on ne parvenoit ? la ramener ? une sorte d'unit?, il rassembla ses erreurs principales, auxquelles il joignit encore des erreurs nouvelles emprunt?es ? tous les h?r?siarques anciens et modernes, et composa du tout un syst?me complet de th?ologie, au moyen duquel il sut entra?ner beaucoup d'esprits que Luther et ses premiers disciples n'avoient qu'?branl?s. Ce fut ce syst?me d?testable, dans lequel l'esprit de r?volte se fortifie de ce que le fanatisme a de plus farouche et le fatalisme de plus d?sesp?rant, qui pr?valut parmi nous. Gen?ve ?toit le lieu d'asile o? s'?toit r?fugi? le nouvel h?r?siarque: c'?toit l? qu'il avoit ?tabli sa chaire pontificale et qu'il dogmatisoit en s?ret?, tandis que ses ?missaires, dispers?s en Italie, dans la Flandre, dans la Navarre, surtout en France, r?pandoient de toutes parts les poisons de sa nouvelle doctrine. Lorsque le roi mourut, elle comptoit d?j? de nombreux partisants, ? la cour, ? la ville, dans le parlement, jusque dans les derni?res classes de la soci?t?, dans le clerg? lui-m?me; elle avoit perverti la reine Marguerite de Navarre, et par elle presque toute sa famille et une grande partie de ses sujets: ce qui fut, comme nous le verrons bient?t, la plus grande victoire qu'elle e?t pu remporter et le plus grand mal qu'elle e?t pu produire.
Henri II monta sur le tr?ne; et la r?forme esp?ra un moment d'obtenir quelques adoucissements aux rigueurs que Fran?ois Ier avoit exerc?es contre elle; mais le nouveau roi lui fit voir d'abord qu'elle n'auroit point de plus redoutable ennemi. Il confirma les ?dits rendus par son p?re, et y ajouta des r?glements encore plus s?v?res; il confisqua les biens de tous ceux qui s'?toient retir?s ? Gen?ve; et les tribunaux eccl?siastiques et s?culiers re?urent l'ordre de tenir la main ? l'ex?cution des lois port?es contre les sectaires, et de se montrer inflexibles. Ces mesures rigoureuses imposant aux novateurs, les apparences du calme se r?tablirent aussit?t; et pendant les deux premi?res ann?es de son r?gne, il ne se passa rien de remarquable ? Paris, ni m?me dans le reste de la France.
Tranquille sur ce point, toute l'attention du roi se porta sur l'empereur Charles-Quint, dont les armes et la politique avoient achev? de subjuguer l'Allemagne, et dont l'ambition effr?n?e mena?oit alors la libert? de l'Europe enti?re. Dans le m?me temps, il se pr?paroit en Angleterre un ?v?nement qui ne causoit pas de moindres inqui?tudes au cabinet fran?ois, puisqu'il n'?toit question de rien moins que de lui enlever ? jamais l'alliance de l'?cosse, en r?unissant ce royaume ? la Grande-Bretagne par le mariage du jeune roi ?douard avec Marie Stuart, qui en ?toit h?riti?re. Henri II para ce coup en faisant venir en France cette princesse encore en bas ?ge. Marie ?pousa depuis le Dauphin, qui fut roi sous le nom de Fran?ois II; et comme elle ?toit, par sa m?re Marie de Lorraine, ni?ce des princes lorrains, ce mariage, plus encore que les grandes qualit?s de Fran?ois, duc de Guise, et du cardinal de Lorraine son fr?re, fut le principe de l'?l?vation prodigieuse et du cr?dit sans ?gal que cette famille des Guises obtint sous les r?gnes suivants. Deux ans apr?s l'arriv?e de l'h?riti?re d'?cosse, le roi rentra dans Boulogne, dont les Anglois s'?toient empar?s pendant les derni?res ann?es de Fran?ois Ier, et qu'ils refusoient de rendre conform?ment au trait?. On auroit pu s'en emparer de vive force; mais Henri, qui avoit besoin de l'alliance de l'Angleterre ou du moins de sa neutralit? dans les circonstances difficiles o? il se trouvoit, aima mieux employer la voie des n?gociations; et c'est ? tort que quelques-uns de nos historiens ont bl?m? le conn?table de Montmorenci d'avoir achet? cette place ? prix d'argent, lorsqu'un assaut pouvoit la lui livrer: il avoit pris, de concert avec son ma?tre, le parti le plus politique et le plus avantageux.
Ce seigneur, disgr?ci? sous le r?gne pr?c?dent, jouissoit alors de la plus haute faveur aupr?s de Henri II, dont il ?toit l'ami le plus intime, le conseiller secret, et pour ainsi dire le tuteur. L'abus qu'il fit de son cr?dit pour ?lever sa famille, le rendit odieux ? tous les grands, mais donna une grande force ? son parti, que rien ne put balancer ? la cour, si l'on en excepte celui des Guises. Ind?pendamment de la consid?ration personnelle que leur donnoient les hautes qualit?s et le rang qu'ils tenoient aupr?s du roi, ils ?toient soutenus par le cr?dit de la c?l?bre Diane de Poitiers dont l'empire ?toit grand sur l'esprit de Henri II, et qui m?ritoit, sous bien des rapports, la confiance enti?re qu'il lui avoit accord?e. Le mar?chal de Saint-Andr?, ? qui sa charge de premier chambellan donnoit un libre acc?s aupr?s de lui, partageoit aussi ses bonnes gr?ces; Catherine de M?dicis, peu consid?r?e de son ?poux, trouvoit cependant le moyen de se conserver quelque cr?dit en se m?nageant entre ces divers partis, qu'elle d?testoit; et l'on pouvoit d?j? reconno?tre dans sa conduite cet esprit artificieux et cette dissimulation profonde qui signal?rent depuis sa carri?re politique. Au milieu de ces factions rivales, les princes du sang ?toient n?glig?s et r?duits ? la nullit? la plus absolue.
Il s'agissoit ici de faire une guerre d?cisive contre l'ennemi le plus formidable de la France; et le plus difficile n'?toit pas de r?unir de nombreuses arm?es, mais de se procurer des fonds assez consid?rables pour les stipendier, et pour acquitter les subsides promis aux conf?d?r?s. Le d?sordre des finances ?toit tel, que d?j?, pour soutenir l'exp?dition d'Italie, le roi avoit ?t? forc? de faire plusieurs emprunts aux principales villes de son royaume, emprunts dans lesquels la ville de Paris s'?toit engag?e pour 240,000 liv. Elle avoit en m?me temps accord? un don gratuit ? ce prince, et obtenu comme indemnit? un octroi sur les vins qui se consommoient dans son enceinte; mais ces petits exp?dients ne r?pondoient plus ? l'immensit? des besoins: il fallut trouver des moyens plus puissants pour une circonstance si imp?rieuse. Le garde des sceaux Bertrand en imagina plusieurs; et le roi, les ayant go?t?s, parce qu'ils remplissoient le but qu'il se proposoit d'avoir sur-le-champ des sommes consid?rables, vint, le 12 f?vrier de cette ann?e, tenir un lit de justice au parlement.
Il y d?clara que, son intention ?tant de pr?venir les mauvais desseins de son ennemi en allant lui-m?me, ? la t?te de ses arm?es, porter le premier la guerre dans ses ?tats, il laissoit, en son absence, le gouvernement du royaume ? la reine son ?pouse, assist?e du dauphin et de quelques personnages exp?riment?s qui formeroient son conseil; que, dans cette circonstance extraordinaire, il enjoignoit formellement ? la compagnie de montrer, dans l'enregistrement des ?dits qui lui seroient adress?s, une soumission sans bornes; ajoutant qu'il ne pr?tendoit point lui ?ter par l? le droit de remontrances, mais qu'il ne le lui laissoit que sous la condition formelle d'ex?cuter sans d?lai les ordres qui lui seroient donn?s, si le conseil jugeoit ? propos de ne pas obtemp?rer ? ses demandes.
Apr?s que le roi eut cess? de parler, le conn?table, prenant la parole, d?veloppa dans un long discours ce que le prince n'avoit fait qu'indiquer dans le sien: les motifs qui le portoient ? commencer la guerre avant que son perfide ennemi e?t fait des pr?paratifs suffisants pour fondre sur lui avec avantage et d?vaster la France; les ressources qu'il trouvoit tant dans les forces de son royaume que dans le concours d'alli?s qu'attachoient ? sa cause l'ambition et la mauvaise foi de l'empereur, etc. Il finit en invitant le parlement ? correspondre dignement aux intentions salutaires du souverain.
Le premier pr?sident Le Ma?tre ne r?pondit que par des protestations d'un d?vouement sans bornes, tant aux ordres du roi qu'? ceux des personnes augustes qu'il avoit nomm?es pour le repr?senter pendant son absence; <
On n'a point oubli? combien, sous le r?gne pr?c?dent la volont? inflexible du monarque avoit fait perdre ? cette cour de sa hauteur et de son influence politique. Toute l'autorit? qu'elle s'?toit arrog?e dans les mati?res de gouvernement, s'?toit peu ? peu concentr?e dans le grand conseil; et un affront qu'elle avoit ?t? forc?e de d?vorer, deux ans auparavant, avoit achev? de lui faire perdre le peu de consid?ration que le feu roi ne lui avoit pas enlev?. On peut dire qu'an?anti par tant de coups, le parlement, si l'on en excepte l'administration de la justice, ?toit r?duit maintenant ? la nullit? la plus absolue; toutefois il conservoit dans son abaissement tout son ancien orgueil, toutes ses pr?tentions ambitieuses, et pour rentrer dans ses voies, sembloit n'attendre que les fautes de la cour ou le malheur des temps. C'?toit lui en offrir l'occasion que de pr?senter ? son examen de nouveaux ?dits bursaux; et ce n'?toit pas sans doute un des moindres inconv?nients de ces guerres impolitiques et lointaines, que cette n?cessit? ? laquelle elles r?duisoient le gouvernement d'imposer aux peuples des charges extraordinaires, et de venir en quelque sorte rendre compte de sa conduite devant une assembl?e toute populaire, dont il accroissoit ainsi l'importance et fortifioit l'esprit d'opposition.
Le parlement n'avoit donc garde, en cette circonstance, de se manquer ? lui-m?me. Aussi, malgr? toutes les protestations qu'il avoit faites d'ob?ir sans r?plique aux ordres qui lui seroient intim?s, s'?leva-t-il avec la plus grande chaleur contre les nouveaux ?dits. Le roi ?tant d?j? parti, ce fut au conseil qu'il adressa ses repr?sentations qui ne furent point ?cout?es: il hasarda de renvoyer ses d?put?s avec des repr?sentations nouvelles; mais la reine leur ayant d?fendu d'approcher, et ayant adress? au parlement, avec menaces, un ordre positif d'enregistrer dans le plus bref d?lai, il se d?termina ? ob?ir, parce qu'il n'?toit point encore en mesure de persister dans son refus; et l'enregistrement se fit avec les formes usit?es en pareil cas.
L'exp?dition de Henri II commen?a sous les plus heureux auspices: tandis que Maurice poursuivoit jusque dans le Tyrol, et for?oit ? sortir de l'Allemagne ce m?me empereur qui, peu de temps auparavant, la parcouroit en triomphateur, et y commandoit en ma?tre absolu, le roi s'emparoit de Metz, Toul, Verdun, et s'avan?oit, sans rencontrer d'obstacle, dans le dessein d'op?rer sa jonction avec les princes de la ligue protestante; mais la suite ne r?pondit point ? d'aussi beaux commencements. La politique astucieuse et profonde de Charles-Quint ne tarda pas ? jeter la division au milieu de semblables alli?s. La pacification de Passau lui ramena et Maurice et les autres chefs de la ligue. Rest? seul contre son ennemi, Henri II, loin de pouvoir porter chez lui la guerre, se vit bient?t forc? de revenir sur ses pas pour d?fendre ses propres ?tats attaqu?s avec avantage du c?t? de la Picardie par Marie d'Autriche, soeur de Charles-Quint, et gouvernante des Pays-Bas. D'autres consid?rations le d?termin?rent d'ailleurs ? pr?cipiter son retour: on n'approuvoit en France ni cette guerre, dont le motif ?toit de prot?ger des h?r?tiques qui faisoient horreur ? la masse de la nation, ni les moyens violents employ?s pour la soutenir. Le m?contentement alla m?me si loin, que deux pr?dicateurs, l'un cordelier, l'autre jacobin, eurent l'audace de faire ? ce sujet des d?clamations s?ditieuses dans les principales ?glises de Paris, d?clamations qui portoient principalement sur la spoliation du clerg?, dont les biens ?toient employ?s, dans une guerre impie, ? faire triompher les plus dangereux ennemis de la v?ritable religion. Le cardinal de Bourbon, alors gouverneur de cette capitale, les fit tra?ner en prison; mais cette mesure n'arr?ta point les murmures du peuple. Des placards mena?ants furent affich?s aux charniers des Innocents et ? la porte du Grand-Ch?telet; et ces premiers sympt?mes d'une fermentation sourde et g?n?rale devinrent d'autant plus alarmants, que, malgr? toutes les pr?cautions que le conn?table de Montmorenci avoit pu prendre pour couvrir les fronti?res, l'ennemi avoit p?n?tr? en France sans trouver beaucoup de r?sistance, et s'?toit m?me tellement avanc? dans l'int?rieur du pays, que la ville de Compi?gne, craignant pour sa s?ret?, avoit envoy? demander des secours ? la ville de Paris. On lui envoya la compagnie des arquebusiers; et l'?pouvante fut telle dans cette capitale, qu'elle ne se crut pas elle-m?me ? l'abri d'un coup de main: car ? cette ?poque elle se trouvoit presque enti?rement ouverte du c?t? de Vincennes. Afin de pourvoir ? la s?ret? commune, on ?tablit une taxe proportionnelle sur tous les propri?taires de maisons; avec l'argent qu'elle produisit on creusa des foss?s, et l'on ?leva un boulevard sur le terrain qu'occupe aujourd'hui l'Arsenal.
Ce fut pendant cette guerre que commenc?rent ? se faire conno?tre les deux chefs de la maison de Lorraine, Fran?ois, duc de Guise et le cardinal son fr?re; et que l'on vit se d?velopper dans le premier de ces deux princes les qualit?s h?ro?ques qui depuis lui firent jouer un si grand r?le dans les affaires de l'?tat. Plac? par sa belle d?fense de Metz, qui fut son premier fait d'armes, au rang des plus habiles et des plus valeureux capitaines, il avoit ?t?, imm?diatement apr?s, charg? de la guerre d'Italie, guerre entreprise de concert avec le pape, et dont le r?sultat devoit ?tre pour la France la conqu?te du royaume de Naples, mais qui n'aboutit qu'? montrer combien ?toit douloureuse la position du p?re commun des files, ainsi press? entre deux puissants rivaux qu'il ne pouvoit s'emp?cher de consid?rer l'un et l'autre comme les ennemis des libert?s de l'Italie, et dont les secours ne le mena?oient pas moins que les hostilit?s. Il arriva donc que, mal second? par la cour de Rome, qui commen?oit ? n?gocier secr?tement pour la paix avec le duc d'Albe, g?n?ral des troupes espagnoles, le duc de Guise se trouvoit d?j? dans une situation d?sagr?able et embarrassante, lorsque la bataille d?sastreuse de Saint-Quentin, perdue par la faute du conn?table, le fit rappeler en France comme le seul homme qui, dans de telles extr?mit?s, f?t capable de r?tablir les affaires. Nomm? lieutenant-g?n?ral du royaume, une suite non interrompue de victoires et l'?v?nement d?cisif de la prise de Calais prouv?rent qu'il ?toit digne de cette haute mission qui lui avoit ?t? confi?e. Devenu l'idole d'un peuple qui le consid?roit avec juste raison comme l'instrument de son salut, le cr?dit de sa maison, d?j? si grand ? la cour, s'accrut encore par le mariage qui se fit alors de sa ni?ce, la reine Marie d'?cosse, avec l'h?ritier pr?somptif de la couronne; et toutes les factions qui agitoient cette cour, s'?clips?rent devant celle des Guises et de la duchesse de Valentinois. Ce fut au milieu de ces succ?s ?clatants et lorsque la France commen?oit ? reprendre un ascendant marqu? sur l'Espagne, que Henri signa avec son nouveau roi, Philippe II, la paix de Cateau-Cambr?sis, paix qui fit murmurer alors ceux qu'?blouissoit la gloire dont la France venoit de se couvrir; que depuis quelques historiens superficiels, qui ne voient de prosp?rit? pour les ?tats que dans l'?tendue de leurs conqu?tes, ont appel?e d?sastreuse et d?shonorante; mais que de meilleurs esprits ont jug?e un acte de prudence et de v?ritable politique, et dans laquelle la France m?me, en ayant l'air de faire des sacrifices, conserva r?ellement tous les v?ritables avantages que la guerre et la victoire lui avoient procur?s.
En effet, quel ?toit le motif principal de ces guerres acharn?es, dans lesquelles le salut m?me de l'?tat avoit ?t? plusieurs fois compromis? Quelques portions de territoire, que la France s'?toit jusqu'alors obstin?e ? conqu?rir et qu'il lui ?toit impossible de conserver; et que de maux ?toient r?sult?s de cette fatale obstination! On a vu combien ?toit grand l'?puisement des finances au moment o? la guerre avoit commenc?, et quels moyens violents il avoit fallu employer pour se procurer de l'argent: de nouveaux besoins avoient bient?t exig? de nouvelles ressources; et dans l'impossibilit? o? l'on se trouvoit de les obtenir par les recettes ordinaires, il avoit fallu recourir encore ? ces op?rations financi?res contre lesquelles le parlement ne cessoit point de s'?lever, et qui s'ex?cutoient toujours malgr? ses oppositions. Il avoit fortement r?clam?, ? l'ouverture de la premi?re campagne, contre les cr?ations d'offices: peu de temps apr?s on fut oblig? de recommencer, et ce fut dans son propre sein que l'on r?solut de faire les nouvelles cr?ations. Il avoit d'abord laiss? passer, non sans beaucoup de difficult?s, quelques ?dits bursaux qui ali?noient et le domaine du roi et les revenus publics; mais quand on vint ? proposer l'?tablissement de quatre nouveaux pr?sidents et de trente-sept conseillers, en laissant ? la cour, devenue par l? trop nombreuse, le droit de se partager par semestre, ces nouveaut?s, qui portoient, disoit-elle, une atteinte directe ? sa constitution, y excit?rent les plus violentes agitations. Elle y opposa les remontrances, les protestations, tous les moyens de r?sistance qu'elle ?toit accoutum?e d'employer; et les enregistrements ne se firent qu'avec la formule de r?volte, d?j? si souvent r?p?t?e: <
Il ?toit de la sagesse du roi d'arr?ter les progr?s de ce mal int?rieur; et la paix seule pouvoit en ?tre le rem?de. D'ailleurs un ennemi domestique, plus dangereux mille fois que celui du dehors, appeloit de nouveau toute son attention et toutes ses sollicitudes. L'h?r?sie, quelques instants comprim?e par la terreur des supplices, avoit su habilement profiter de ces troubles et de ces dangers de l'?tat, qui la faisoient observer de moins pr?s, pour reprendre, avec plus de pr?cautions sans doute, mais avec non moins d'ardeur et de fanatisme, son plan de pros?lytisme, et les manoeuvres propres ? le faire r?ussir. D?s l'an 1549, deux ans apr?s l'av?nement du roi, les calvinistes r?pandus dans la capitale avoient recommenc? ? donner de telles inqui?tudes, qu'? la suite d'une procession g?n?rale, o? l'on porta les reliques des principales ?glises de Paris, et ? laquelle assista le roi avec toute sa cour, il avoit ?t? tenu, dans une des salles du palais, une assembl?e de notables, ? l'effet de trouver les moyens d'arr?ter les progr?s effrayants de cette secte dangereuse. Le cardinal de Guise y avoit parl? pour le clerg?, le pr?sident Lizet pour les magistrats, le pr?v?t des marchands pour le peuple; et tous les trois s'?toient accord?s ? supplier le roi de remettre en vigueur les derniers ?dits, et de prendre plus de pr?cautions qu'on n'avoit fait jusqu'alors pour en assurer l'ex?cution. Cette s?ance solennelle avoit ?t? suivie de supplice d'un grand nombre de r?form?s qu'on tenoit depuis long-temps enferm?s dans les prisons de la Conciergerie. Ils furent livr?s aux flammes au milieu des f?tes et des r?jouissances que l'on c?l?broit ? Paris pour l'entr?e du monarque.
Ces rigueurs, loin de ralentir le z?le des religionnaires, sembl?rent l'accro?tre encore davantage; et le spectacle de la corruption du clerg?, qui ?toit grande alors, ne contribua pas peu ? augmenter le nombre de leurs pros?lytes. D?s le r?gne de Fran?ois Ier, comme nous l'avons d?j? dit, ils avoient trouv? des appuis dans les plus hautes classes de la soci?t?; et la c?l?bre Marguerite de Valois, soeur de ce monarque, n'avoit pas craint d'embrasser les erreurs de Calvin sous les yeux d'un fr?re qui punissoit les calvinistes du dernier supplice. Il compt?rent bient?t, et nous l'avons dit encore, des partisants et des protecteurs dans tous les ordres de l'?tat; et en peu d'ann?es le nombre en devint si consid?rable, qu'ils pens?rent ? donner une forme r?guli?re ? leur institution en cr?ant une ?glise sur le mod?le de celle de Gen?ve. Ce fut en 1555, ?poque ? jamais fameuse dans nos annales, que s'?tablirent en France les premi?res ?glises pr?tendues r?form?es; et ce fut ? Paris, sous les yeux de magistrats vigilants et si int?ress?s ? emp?cher un tel scandale, que la premi?re de toutes fut form?e. Elle le fut dans le faubourg Saint-Germain, par un gentilhomme du Maine, nomm? Ferri?re-Maligni; et, d?s ce moment, les ministres protestants, qui jusqu'alors, sans poste fixe, sans asile, souvent sans ressources, disparoissoient au premier orage, et laissoient sans pasteurs et sans administration de foibles troupeaux rassembl?s avec tant de dangers, eurent une r?sidence fixe, permanente, purent correspondre entre eux, former de proche en proche de nouvelles colonies, et propager leurs principes avec plus de s?ret? et de rapidit?. La contagion se r?pandit alors partout; elle gagna jusqu'aux magistrats charg?s de veiller ? l'ex?cution des ?dits rendus contre les h?r?tiques; et, comme la juridiction eccl?siastique ?toit alors extr?mement born?e par l'appel aux tribunaux s?culiers, ils ?chappoient presque toujours, par ce moyen, aux peines que la loi avoit prononc?es contre eux.
Ce fut pour arr?ter les effets de ce mal, toujours croissant, et qui mena?oit de d?truire enti?rement la religion en France, qu'on proposa dans le conseil du roi de rendre ? la juridiction eccl?siastique son ancienne vigueur, ou pour mieux dire, de former des tribunaux d'inquisition tels qu'ils ?toient ?tablis en Espagne et en Italie; ce fut aussi dans cette occasion que le parlement retrouva, pour s'y opposer, cette ancienne vigueur que l'on croyoit ?teinte sous le poids de ses disgr?ces et de ses humiliations. Sur les lettres de jussion qui lui furent envoy?es pour proc?der ? l'enregistrement du nouvel ?dit, il refusa positivement d'obtemp?rer; des remontrances furent sur-le-champ arr?t?es, et le pr?sident Seguier, charg? de les porter au pied du tr?ne, parla devant le roi avec une force et une chaleur ? laquelle on n'?toit plus accoutum?. Il s'attacha ? d?montrer que si une semblable mesure ?toit adopt?e, son effet seroit de ne laisser ? aucun citoyen, pas m?me aux plus grands de l'?tat, de s?ret? pour ses biens, pour sa vie, pour son honneur; ce qui ?toit ?tablir, en d'autres termes, qu'il n'y avoit de principes d'?quit? que dans la conscience des la?ques, et qu'un pr?tre, par cela m?me qu'il ?toit soumis ? des r?gles de morale plus s?v?res, pr?sentoit moins de garanties, et pouvoit ?tre plus justement soup?onn? de devenir un juge inique et pr?varicateur. Les pr?jug?s d?plorables de la cour de France ? l'?gard de l'autorit? du saint si?ge, pr?jug?s qui, par une contradiction dont l'?vidence va de moment en moment nous frapper davantage, favorisoient cette m?me h?r?sie que Henri II vouloit d?truire, rendirent ces absurdit?s raisonnables ? ses yeux; et les arguments de celui qui les d?bitoit parurent si invincibles ? lui et ? son conseil, que ce monarque, bien que ses pr?ventions contre le parlement ne fussent point diminu?es, et qu'il f?t surtout d?cid? ? ne lui jamais rien c?der, consentit ? la suspension de l'?dit. Cependant que ce f?t un moyen de salut, et m?me dans de si grands dangers le seul vraiment efficace, c'est ce que l'on ne peut s'emp?cher de reconno?tre aujourd'hui. La voix de l'histoire est plus forte que les cris des sophistes; et devant ces puissants t?moignages s'?vanouissent toutes leurs vaines d?clamations. Elle va nous montrer l'Italie et l'Espagne paisibles et florissantes, sous la protection vigilante de leurs tribunaux eccl?siastiques; la France, inond?e de sang et couverte de ruines, en proie ? toutes les calamit?s, malgr? ses tribunaux s?culiers; heureuse encore si l'anarchie n'y e?t pas souvent trouv? des pr?neurs, l'h?r?sie des partisants et la r?volte des complices.
Cependant les calvinistes profitoient de cette ind?cision du gouvernement. Les malheurs de la guerre, les embarras qu'elle causoit, ne permettant pas de les observer avec la m?me vigilance, ils en vinrent ? ce degr? d'audace de tenir fr?quemment des assembl?es nocturnes; et, n?gligeant peu ? peu les pr?cautions extr?mes qu'ils avoient prises jusqu'alors, ils ne craignirent point d'?tablir leurs pr?ches et de c?l?brer la c?ne dans les quartiers m?me les plus populeux de Paris. Le peuple de cette ville, fortement attach? ? sa religion, voyoit avec impatience ce scandale et ces insolences; et tout sembloit pr?sager quelque mouvement violent contre les h?r?tiques. Cette haine populaire ?clata enfin en 1557. Une assembl?e plus nombreuse, et probablement plus solennelle que les autres, avoit ?t? indiqu?e rue Saint-Jacques, dans une maison attenante ? la Sorbonne, et situ?e en face du coll?ge du Plessis: le concours extraordinaire d'hommes et de femmes de toutes conditions que l'on vit entrer, ? une heure indue, dans cette maison, fit na?tre des soup?ons qui se r?pandirent bient?t dans tout le quartier. Dans un moment la rue se trouve illumin?e; chacun s'arme; la foule se presse autour de la maison, et des cris de mort se font entendre contre les protestants. Dans ce p?ril extr?me, les plus d?termin?s entre ceux-ci, se pr?cipitent, l'?p?e ? la main, sur cette populace furieuse, mais d?sarm?e, la dissipent devant eux, et ouvrent ainsi le passage ? tous ceux qui ont la r?solution de les suivre. Le reste, compos? de femmes et de vieillards, que l'?ge ou la peur avoit emp?ch? de profiter de cette unique voie de salut, se voit assailli de nouveau par une multitude dont la fureur ?toit encore redoubl?e; et ce fut un bonheur pour eux que la force publique v?nt les arracher ? une mort affreuse et in?vitable en les tra?nant en prison au milieu des hu?es, des menaces et des outrages de leurs ennemis. On les renferma au Ch?telet, et l? on reconnut avec ?tonnement, parmi ces prisonniers, des dames du palais, des filles d'honneur de la reine et plusieurs autres personnes d'une haute distinction. Le proc?s s'instruisit au parlement, et d'abord on y d?ploya la plus grande rigueur. Cinq de ces malheureux furent br?l?s sur la place de Gr?ve; mais le nombre et la qualit? des coupables d?termin?rent bient?t ? adoucir d'aussi terribles jugements. Les accus?s furent aid?s dans tous les moyens qu'ils purent employer pour ?chapper au supplice; les cantons protestants et l'?lecteur Palatin, alors alli?s du roi, sollicit?rent eux-m?mes leur ?largissement, et ces motifs politiques d?termin?rent ce prince ? l'accorder.
Henri II n'en ?toit pas moins l'ennemi le plus ardent de la nouvelle secte; et, aussi inexorable que Fran?ois Ier son p?re, on ne peut douter que, s'il e?t v?cu plus long-temps, il n'est point de moyens qu'il n'e?t employ?s pour parvenir ? l'?touffer enti?rement. Une sc?ne nouvelle dont Paris fut le th??tre lui fit sentir plus vivement encore toute la grandeur du mal: le dauphin et la jeune reine Marie, ayant atteint tous les deux l'?ge nubile, leur mariage venoit d'?tre consomm?; et les noces en avoient ?t? c?l?br?es avec la plus grande magnificence. Peu de temps apr?s ces f?tes, le roi ?toit parti pour la Champagne o? l'appeloient des op?rations militaires, laissant dans la capitale Antoine de Bourbon, roi de Navarre, Jeanne d'Albret sa femme, le prince et la princesse de Cond?, que cette solennit? y avoit attir?s, et qui depuis long-temps n'avoient point paru dans une cour o? ils ?toient d?daign?s. Profond?ment irrit?s de ce m?pris, ils profit?rent du temps qu'ils pass?rent ? Paris, pour y pratiquer les ministres du culte r?form? qu'ils avoient secr?tement embrass?, plut?t pour se cr?er un parti que par une enti?re conviction. Ils fr?quent?rent leurs assembl?es et les exhort?rent ? redoubler de z?le et d'activit?. Soutenus par des protecteurs aussi puissants, excit?s par Calvin lui-m?me, qui, du fond de la Suisse, leur reprochoit leur ti?deur et leur pusillanimit?, enhardis par l'absence du roi, les protestants r?solurent de tenter un coup d'?clat; et quelque p?rilleux qu'il f?t pour eux de faire un semblable essai de leurs forces, les Parisiens virent alors un spectacle ?trange et tel qu'ils osoient ? peine en croire le t?moignage de leurs yeux. Pendant deux ou trois jours cons?cutifs plus de quatre mille personnes travers?rent en plein jour, et en forme de procession, une partie des rues du faubourg Saint-Germain, et se rendirent ainsi dans le Pr?-aux-Clercs, chantant ? haute voix les psaumes de Marot, et prot?g?es dans leur marche par une compagnie de gentilshommes arm?s, qui mena?oit ceux qui osoient leur barrer le chemin, et repoussoit avec violence la multitude attir?e ? ce spectacle par la simple curiosit?. Les magistrats pr?pos?s ? la police, effray?s d'un mouvement aussi extraordinaire, firent fermer les portes de la ville qui communiquoient avec le quartier de l'universit? et le faubourg Saint-Germain, et se born?rent ? faire des informations secr?tes, tandis que l'?v?que de Paris envoyoit en toute h?te au roi un r?cit circonstanci? de cette entreprise audacieuse, toutefois sans oser lui en nommer les principaux auteurs. Henri, rapprochant cet ?v?nement d'un avis donn? depuis peu au cardinal de Lorraine sur une conspiration pr?te ? ?clater, fit partir le garde des sceaux Bertrand, avec ordre de proc?der sur-le-champ et dans la plus grande rigueur ? la punition des coupables. Celui-ci arriva, dispos? ? ex?cuter strictement les ordres de son ma?tre, et s'exprima m?me ? ce sujet avec la plus grande vigueur dans une s?ance du parlement; mais, d?s qu'il eut connu et le nom et la qualit? des chefs de l'?meute, il jugea ? propos de ne pas pousser plus loin les informations.
Cependant le monarque fr?mit d'indignation en se voyant en quelque sorte investi de calvinistes. Bien qu'il ne p?t bl?mer les motifs qui avoient port? le garde des sceaux et le parlement ? user d'indulgence dans une circonstance o? il auroit fallu chercher des coupables jusque dans sa propre famille, il n'en r?solut pas moins d'exterminer, ? quelque prix que ce f?t, une secte qu'il regardoit comme le fl?au le plus dangereux de l'?tat, puisqu'elle d?truisoit la religion sur laquelle l'?tat ?toit principalement fond?. Ce fut, nous le r?p?tons, l'un des motifs qui lui firent h?ter la conclusion de la paix avec l'Espagne, et le d?termin?rent, dans un p?ril si imminent, ? se rel?cher sur quelques conditions du trait?, qui, quoi qu'on en ait pu dire, n'avoient point l'importance qu'on s'est plu ? leur donner.
Libre des soins que lui avoit caus?s une guerre aussi longue et aussi dispendieuse, ce prince, d?sormais uniquement occup? d'un projet aussi important, porta d'abord son attention sur les tribunaux, depuis long-temps soup?onn?s pour la plupart de favoriser les h?r?tiques, qu'ils devoient punir, et reconnut que cette corruption avoit p?n?tr? jusque dans le parlement, o? l'on remarquoit depuis long-temps une discordance frappante dans les jugements rendus contre ces sectaires, suivant qu'ils avoient ?t? jug?s dans la Grand'Chambre ou dans celle des Tournelles. Il s'en plaignit d'abord avec douceur; mais peu de temps apr?s un proc?s de cette nature, dans lequel quatre ?coliers, convaincus d'h?r?sie par leurs propres aveux, avoient ?t? condamn?s par cette derni?re chambre ? un simple bannissement, lui ouvrit enti?rement les yeux sur la collusion coupable qui existoit entre ses membres et les disciples de Calvin; et les d?clarations secr?tes et positives que lui firent ? ce sujet plusieurs des principaux membres de la cour ne lui permirent plus d'en douter. D?termin? ? la faire cesser, il choisit pour se rendre au parlement le moment o? cette compagnie tenoit des mercuriales que les gens du roi avoient provoqu?es ? l'occasion de ce jugement, et dont l'objet ?toit justement d'aviser aux moyens de faire cesser ces contradictions choquantes qui d?shonoroient depuis quelque temps les arr?ts de la cour. Henri, arrivant au milieu de la discussion qui s'?toit ?lev?e ? ce sujet, et s'apercevant que sa pr?sence jetoit quelque effroi parmi ceux qui se pr?paroient ? parler, leur ordonna d'un air serein et affable de continuer, faisant entendre qu'il n'?toit venu que pour s'?clairer en recueillant leurs avis divers. On le crut; et plusieurs conseillers, entre autres Louis Dufaur et Anne Dubourg, attach?s au fond du coeur ? la nouvelle doctrine, laiss?rent ?chapper leur secret, en proposant des mesures de douceur ? l'?gard des protestants, et surtout la convocation d'un concile dans la m?me forme que ceux-ci qui l'avoient toujours demand?. Alors le roi, d?pouillant cette contrainte qu'il s'?toit jusque-l? impos?e, s'?cria qu'il n'?toit que trop vrai, quoiqu'il e?t refus? de le croire avant de s'en ?tre assur? lui-m?me, qu'il y avoit un grand nombre d'h?r?tiques dans son parlement, que le corps entier m?ritoit sans doute d'?tre puni, pour les avoir support?s si long-temps dans son sein, mais que cependant il ne confondroit point l'innocent avec le coupable. ? peine eut-il achev? ces mots, que le conn?table alla, par son ordre, saisir sur leurs si?ges Dufaur et Dubourg, et les remit ? Montgommeri, capitaine des gardes, qui les conduisit ? la Bastille. Six autres conseillers, qui n'avoient pas ?t? plus r?serv?s dans leurs opinions, furent ?galement d?sign?s par le roi; mais ils ?toient sortis de l'assembl?e, et l'on n'en put arr?ter que trois. Les autres trouv?rent le moyen de s'?vader.
Ce coup d'autorit? retentit dans l'Europe enti?re, et le parti protestant parut ?cras? sans retour. On en rechercha les sectaires avec plus de rigueur que jamais; dans un moment les prisons en furent remplies, et la terreur qu'inspiroit la col?re du monarque fit taire toutes les voix qui auroient pu s'?lever en leur faveur. Ma?tre absolu dans son royaume, en paix avec tous ses voisins, pouvant disposer de toutes les forces de l'?tat pour r?tablir le calme int?rieur, Henri II paroissoit r?solu d'exterminer jusqu'au nom des sectes qui y portoient le d?sordre, et il y seroit probablement parvenu, lorsque sa mort impr?vue et pr?matur?e vint tout ? coup ranimer leur courage et leurs esp?rances. Bless? ? mort dans un tournois qu'il donnoit au palais des Tournelles, en courant contre le comte de Montgommeri, capitaine de la garde ?cossaise, ce prince expira peu de jours apr?s, le 10 juillet 1559.
Les r?gnes de ses fils, dont les trois a?n?s mont?rent sur le tr?ne et en qui s'?teignit la branche des Valois, firent bien voir ce que la France avoit perdu en perdant un tel monarque. Ces trois r?gnes composent une des ?poques les plus funestes de son histoire; les maux qu'ils produisirent, les germes de corruption qu'ils achev?rent de d?velopper, bien que les r?gnes suivants en aient arr?t? ou du moins palli? les effets, ne cess?rent point d'exercer sur la soci?t? une action, de jour en jour plus funeste, l'amenant par degr?s au point o? nous le voyons aujourd'hui; et les d?sordres inou?s de nos jours prennent leur source dans les d?sordres de ce temps-l?.
Lorsque Fran?ois II succ?da ? son p?re, deux factions partageoient la cour, celle des Guises et celle du conn?table de Montmorenci. Le nouveau roi, ? peine sorti de l'enfance, d'un corps foible et val?tudinaire, d'un esprit indolent et born?, sembloit ne devoir ?tre qu'un instrument entre les mains qui se montreroient les plus promptes et les plus adroites ? le saisir. Dans cette situation nouvelle des choses, les intrigues se compliqu?rent, et de nouveaux personnages parurent sur la sc?ne: d'un c?t? les princes du sang, que la politique des deux r?gnes pr?c?dents avoit constamment r?duits ? la nullit? la plus absolue; de l'autre, la reine m?re qui, peu consid?r?e du feu roi, avoit su dissimuler tant qu'il avoit v?cu, et avec un artifice dont un caract?re italien ?toit seul capable, et l'amour du pouvoir dont elle ?toit d?vor?e, et la haine qu'elle ressentoit pour la rivale qui lui avoit enlev? le coeur de son ?poux. Oncles de la jeune reine dont l'influence ?toit grande sur son ?poux, les Guises surent profiter de cet avantage immense qu'ils avoient sur leurs rivaux; et, partageant aussit?t leur autorit? pour la mieux affermir, ils eurent l'art, et ce fut pour eux un coup d?cisif, de faire entrer dans leur parti Catherine de M?dicis, ce qu'ils obtinrent en abandonnant ? son caract?re vindicatif tous ceux qui, sous le r?gne pr?c?dent, avoient eu le malheur de lui d?plaire; surtout en flattant cette soif qu'elle avoit de commander par les marques du plus entier d?vouement. Le cardinal de Lorraine fut nomm? premier ministre, et le duc de Guise g?n?ralissime.
Enti?rement livr? aux conseils de sa m?re et de ses deux ministres, recevant sans la moindre r?sistance toutes les impressions qu'ils lui donnoient, le monarque enfant laissa tomber entre leurs mains un sceptre qu'il n'avoit pas la force de porter. Ce fut vainement que le conn?table de Montmorenci tenta de se rallier aux princes du sang pour former une faction capable de balancer celle des princes lorrains: la m?fiance et l'ind?cision impolitique du roi de Navarre, Antoine de Bourbon, emp?ch?rent l'heureux effet d'une r?union qui auroit pu ?tre d?cisive si elle e?t ?t? form?e sur-le-champ; et lorsqu'il eut enfin pris son parti, il ?toit trop tard. Mal re?u ? la cour, o? les Guises bien pr?par?s l'attendoient sans la moindre inqui?tude, il acheva de tout perdre par l'incons?quence et la foiblesse de sa conduite. Les m?contents qui s'?toient ralli?s autour de lui, pr?ts d'abord ? tout faire pour l'aider ? abattre ses puissants ennemis, bient?t d?courag?s par le peu d'?nergie d'un tel chef, n'os?rent plus se montrer; quelques-uns m?me se ralli?rent au parti dominant. Vainement le foible prince, forc? en quelque sorte de s'enfuir de Saint-Germain, o? la cour s?journoit alors, vint-il ? Paris pour essayer d'y faire na?tre un mouvement en sa faveur: le parlement, qu'il tenta de gagner, demeura attach? aux Guises, parce qu'ils prot?geoient la religion catholique, et qu'on ne pouvoit plus ignorer qu'Antoine de Bourbon et le prince de Cond? son fr?re soutenoient secr?tement le parti des r?form?s. Cependant comme il s'obstinoit ? rester dans cette ville, les Guises trouv?rent le moyen de l'en faire sortir, en lui faisant voir le roi d'Espagne, alors alli? du roi de France, dont il alloit ?pouser la soeur, pr?t ? fondre sur les d?bris de ses ?tats, s'il s'obstinoit ? troubler l'administration int?rieure du royaume. Antoine ?pouvant? ne chercha plus qu'un pr?texte qui lui fournit l'occasion de s'?loigner sans d?shonneur. On lui offrit de conduire la jeune princesse ? son ?poux; il y consentit, et se retira ensuite dans le B?arn, abandonnant m?contents et r?form?s, et bien d?cid? d?sormais ? ne plus se m?ler des affaires.
C'est alors que paro?t sur la sc?ne ce fameux prince de Cond?, ?me ardente et fi?re, caract?re profond et audacieux, d'autant plus dangereux qu'il cachoit ses grandes qualit?s sous les apparences d'une gaiet? insouciante et d'un go?t tr?s-vif pour les plaisirs les plus frivoles. ?cart? par la reine et par les princes lorrains de toutes les places, de tous les gouvernements, bless? jusqu'au fond du coeur du r?le humiliant et obscur qu'il ?toit forc? de jouer ? la cour, il se d?clara ouvertement le chef de la faction que son fr?re venoit d'abandonner. C'est alors que l'on put reconno?tre ce qu'?toit un parti religieux dans l'?tat, et combien on avoit eu raison d'en concevoir des alarmes et de d?ployer contre lui toute la s?v?rit? des lois. Il devint un parti politique, d?s qu'un chef m?content voulut en faire l'instrument de son ambition; et les doctrines nouvelles en avoient su lier indissolublement toutes les parties, avant que la r?volte, dont elles consacroient d'ailleurs toutes les maximes, s'en f?t empar?. L'amiral Coligni et ses deux fr?res, d'Andelot et le cardinal de Ch?tillon, ?toient tout ? la fois les chefs des nouveaux religionnaires et les principaux agents de la faction du conn?table leur oncle, que les Guises venoient de renverser. Leurs int?r?ts politiques ?tant absolument les m?mes que ceux du prince de Cond?, ils se rattach?rent donc ? lui de nouveau: un rendez-vous fut indiqu? dans son ch?teau de la Fert?, en Champagne; et ce fut dans cette r?union fameuse que les trois fr?res d?velopp?rent ? ses yeux toutes les ressources du parti protestant, qui, malgr? la terreur des supplices et la violence des pers?cutions, n'avoit cess? de s'accro?tre dans l'ombre, comptoit des partisants dans toutes les classes de la soci?t?, pouvoit, s'il ?toit ralli?, braver tout, et ?toit pr?t ? tout. Ce qu'ils en dirent frappa tellement le prince; le nombre et l'ardeur des r?form?s lui parurent tellement r?pondre ? la grandeur de ses desseins, qu'il n'h?sita plus ? professer hautement leurs principes qui, au fond du coeur, ?toient les siens; et ce fut ainsi qu'il les attacha invariablement ? sa fortune. L'effet de cette entrevue fut tel qu'avant qu'ils se fussent s?par?s, le plan d'une conspiration dont le but ?toit de renverser les Guises fut d?finitivement arr?t?; et que le prince, second? de l'amiral Coligni, s'occupa sans rel?che des moyens de la faire r?ussir.
Pendant le cours de cette affaire, les r?form?s de l'?glise de Paris, effray?s du caract?re violent que prenoient les mesures exerc?es contre eux, avoient hasard? d'?crire ? la reine m?re une lettre par laquelle ils la supplioient dans les termes les plus touchants de prendre sous sa protection de malheureux Fran?ois, innocents des crimes et des erreurs qu'on leur imputoit, et que l'on avoit jusqu'ici calomni?s et opprim?s, parce qu'on n'avoit pas voulu les entendre. Cette d?marche avoit paru produire quelque effet sur Catherine; et, commen?ant d?s-lors ? donner quelques indices de ce caract?re incertain et de ces opinions vacillantes qui rendirent depuis sa politique si funeste ? la France, elle s'?toit m?me montr?e dispos?e ? mod?rer la rigueur des Guises, et ? ?couter les ministres du nouveau culte; mais la secte ne tarda pas ? perdre la faveur momentan?e qu'elle venoit d'obtenir, en faisant suivre cette premi?re lettre d'une seconde, dans laquelle, se plaignant de l'acharnement avec lequel on poursuivoit Dubourg, les sectaires eurent l'imprudence de joindre des menaces ? leurs pri?res, et de faire craindre un soul?vement, si l'on refusoit de leur rendre justice. La reine indign?e les abandonna alors enti?rement; et, abandonn?s par elle, ils cess?rent de se contraindre. Ils tinrent des assembl?es plus fr?quentes, r?pandirent en prose et en vers une foule de libelles, dans lesquels, m?lant les affaires politiques aux questions religieuses, ils accusoient hautement les Guises de tyrannie envers le peuple, et de s?duction ? l'?gard du roi. Les Guises de leur c?t? ne s'oublioient pas: s?rs du parlement, qui, malgr? ses erreurs et ses pr?jug?s, pr?sentoit une majorit? fid?le au roi et attach?e ? la religion catholique, et s'empressoit d'entrer dans toutes leurs vues, ils renouveloient les anciennes ordonnances; ils suscitoient des d?lateurs par l'app?t des r?compenses; et dans les apologies qu'ils faisoient r?pandre en r?ponse aux libelles de leurs ennemis, ils ne manquoient pas d'aigrir par les peintures les plus fortes les haines que le peuple fran?ois, et surtout celui de Paris, avoit depuis long-temps con?ues contre ces nouveaut?s. Les poursuites contre les fauteurs de l'h?r?sie recommenc?rent alors avec plus de rigueur que jamais. On en jeta un grand nombre dans les prisons; ils y furent tra?n?s en plein jour, et ce spectacle ne fit qu'accro?tre contre eux les fureurs de la multitude.
Cependant les r?form?s ?toient si loin de perdre courage, qu'au milieu m?me de ces pers?cutions si violentes, ils avoient tent? d'enlever de sa prison Dubourg, dont on instruisoit alors le proc?s. La trame avoit ?t? d?couverte; mais pour avoir ?chou? dans cette entreprise, ils n'en ?toient pas moins pleins d'esp?rances, attendant le succ?s, qu'ils consid?roient comme immanquable, d'un plus vaste complot qui devoit op?rer une r?volution compl?te dans leurs destin?es et dans celles de l'?tat.
Malgr? leur activit? et leur p?n?tration, les Guises n'avoient pu obtenir par leurs espions que des renseignements incertains. Ils voyoient dans l'int?rieur de la France des mouvements qui les alarmoient, mais il s'en falloit de beaucoup cependant qu'ils fussent sur la voie du coup qui les mena?oit; et l'on ne peut douter qu'ils n'eussent ?t? pris au d?pourvu, si l'homme le plus int?ress? au succ?s de l'entreprise, La Renaudie, n'en e?t lui-m?me laiss? ?chapper le secret. Venu ? Paris pour conf?rer avec le ministre et les anciens de l'?glise qui y ?toit ?tablie, il ?toit all? se loger au faubourg Saint-Germain, chez un avocat nomm? des Avenelles, lequel professoit secr?tement la religion r?form?e. Au point o? en ?toient les choses, il crut pouvoir sans danger confier la conspiration ? un homme de son parti, et qui d?j? en avoit con?u quelques soup?ons: celui-ci, ou frapp? de terreur, ou pouss? par quelque motif d'int?r?t, aussit?t apr?s le d?part de son h?te, alla tout r?v?ler; et les Guises, ? qui cet homme fut envoy? ? Amboise, connurent enfin le pr?cipice dans lequel ils ?toient sur le point de tomber. Ils furent surpris, mais non d?concert?s; et l'on peut dire que, dans aucune circonstance ces deux hommes extraordinaires, et particuli?rement le duc de Guise, ne se montr?rent aussi calmes dans le danger, aussi f?conds en ressources, aussi prompts dans l'ex?cution.
L'avis du conseil ?toit de faire un appel ? la noblesse de France, de rassembler des troupes, et de dissiper ainsi la conjuration, avant qu'elle e?t commenc? d'?clater. Le duc de Guise, dirig? par des vues plus hautes, jugea qu'une telle mesure n'alloit point ? la source du mal, que c'?toit seulement l'?loigner et non le d?truire; et les forces dont il pouvoit alors disposer lui paroissant suffisantes pour triompher des rebelles, les armes ? la main, il trouvoit ? les laisser s'avancer et ? les prendre sur le fait, le double avantage de r?pandre l'?pouvante au milieu de leur parti, et de justifier aux yeux de la France toutes les rigueurs que l'on pourroit exercer d?sormais contre l'h?r?sie et ses fauteurs. Ce parti pris, le duc de Guise l'ex?cuta avec sa vigueur accoutum?e. La ville de Blois ?tant ouverte de toutes parts, il fit conduire le roi au ch?teau d'Amboise, sans laisser paro?tre la moindre marque d'inqui?tude et de m?fiance, et comme si ce voyage, dont le prince de Cond? faisoit partie, n'e?t ?t? qu'une simple partie de plaisir. Les conjur?s ne tard?rent point ? paro?tre; et tandis que, sur tous les points, il les faisoit attaquer, envelopper et tailler en pi?ces, avant qu'ils eussent eu le temps de se rallier, pla?ant le prince de Cond? au milieu d'une troupe d?vou?e, qui surveilloit ses moindres mouvements, il sut dissimuler avec lui jusqu'au point de le charger de la garde d'une des portes du ch?teau. Presque tous les conjur?s, entre autres La Renaudie, se battirent en d?sesp?r?s et rest?rent morts sur le champ de bataille; la plupart des prisonniers que l'on fit, furent, suivant leur condition, ou d?capit?s, ou noy?s dans la Loire, ou pendus aux cr?neaux du ch?teau, et sans qu'aucun d'eux e?t charg? le prince de Cond? assez positivement pour qu'il f?t possible de l'impliquer dans leur proc?s. Toutefois ce prince, ? qui l'on avoit donn? des gardes, et qui n'?toit pas sans alarmes pour sa vie, fut oblig? de comparo?tre devant le roi pour y protester de son innocence, et se justifier d'avoir pris aucune part ? une conspiration dont il ?toit le principal auteur, conspiration qu'il se vit forc? de reconno?tre comme criminelle au premier chef, puisqu'elle avoit ?t? dirig?e contre la personne m?me du monarque; par cons?quent comme ayant m?rit? le ch?timent terrible dont elle venoit d'?tre punie. Telle fut l'issue de ce grand ?v?nement, le premier dans lequel les protestants de France aient os? tirer l'?p?e contre leur l?gitime souverain.
Quelques historiens ont pens? que les preuves recueillies sur la complicit? du prince de Cond?, ?toient suffisantes pour le faire mettre en jugement et monter sur l'?chafaud; mais que les Guises n'os?rent, en ce moment, en venir ? de telles extr?mit?s. Il ?toit prince du sang, et leurs ennemis les accusoient hautement d'avoir form? le projet d'exterminer la famille royale, pour s'emparer du tr?ne et se mettre ? sa place: tout absurdes qu'?toient ces bruits, ils craignirent de les accr?diter; ils consid?roient en outre que le parti avoit d'autres chefs qui n'?toient pas alors en la puissance du roi, et que cette ex?cution sanglante pousseroit n?cessairement ? des actes de d?sespoir, dont les suites pouvoient ?tre un soul?vement g?n?ral de tout le parti religionnaire, auquel n'auroient pas manqu? de se joindre ce grand nombre de m?contents qu'avoient faits et leur faveur et le pouvoir auxquels ils ?toient parvenus. Ils jug?rent donc prudent de dissimuler, et d'attendre quelque autre occasion plus favorable, o? ils pussent envelopper tous ces ennemis de l'?tat dans le m?me pi?ge et dans la m?me accusation.
Ce fut ? cette ?poque que la mort du chancelier Olivier fit entrer dans le conseil un homme ? qui le si?cle qui vient de finir et celui qui commence ont, pour la premi?re fois, ?lev? des statues, ce qui seul suffiroit pour rendre suspecte sa grande renomm?e. Cet homme, qui prouva ce que tant d'autres ont prouv? apr?s lui, qu'on peut ?tre un tr?s-habile l?giste et en m?me temps un esprit faux, m?diocre, et un tr?s-mauvais politique, est Michel de l'H?pital. Il avoit long-temps ?tudi?; il connoissoit ? fond la litt?rature ancienne et moderne, la philosophie, la jurisprudence, et paroissoit fort enfl? de cette vaine science, sachant en effet beaucoup de choses, hors la seule qu'il importoit alors de savoir ? ceux qui avoient la pr?tention de se m?ler des affaires publiques: c'est que la nouvelle religion ?toit le mal le plus effrayant et le plus dangereux qui e?t encore menac? l'?tat; et il ?toit si loin de le savoir, qu'il en approuvoit les maximes, pr?chant d'ailleurs la tol?rance comme auroient pu le faire les d?istes et les ath?es de nos jours, et sous cette mod?ration apparente qu'il essayoit de l?gitimer par quelques d?monstrations hypocrites de catholicisme, cachant, ainsi que plusieurs l'ont cru avec beaucoup de vraisemblance, une philosophie toute pa?enne, et une indiff?rence compl?te pour toute esp?ce de religion. Il entra donc au conseil pour y devenir un dangereux auxiliaire de la reine Catherine, qui, de m?me indiff?rente ? toutes croyances religieuses, n'?toit poss?d?e que d'une seule passion, l'amour du pouvoir. Remplie de cette unique pens?e, ne portant point ses regards au-del? de la sph?re born?e des intrigues de la cour, sa politique ?troite et artificieuse ne connoissoit qu'une seule manoeuvre: c'?toit d'opposer sans cesse les partis aux partis, de soutenir l'un pour diminuer l'influence de l'autre, et formant entre eux un parti mitoyen, de parvenir ainsi ? s'?lever sur la ruine de tous.
Le cr?dit et la puissance des Guises commen?oient ? l'effrayer: elle crut que le temps ?toit arriv?, non pas de s'associer ? leurs ennemis, mais de m?nager ceux-ci pour entraver du moins la marche inqui?tante de ceux-l?. Les Ch?tillons ?tant revenus ? la cour, en furent donc bien accueillis; il s'?tablit m?me entre elle et l'amiral une correspondance ?crite touchant l'?tat actuel des affaires, dans laquelle on peut penser qu'il lui donnoit des conseils fort diff?rents des desseins vigoureux qu'avoient form?s les deux ministres. L'impression qu'elle en re?ut fut telle, que ceux-ci, commen?ant ? se m?fier de ses dispositions, et la voyant en outre pr?ter l'oreille aux suggestions du nouveau chancelier, qui ne parloit jamais que de tout apaiser et de tout concilier, jug?rent prudent, dans cette circonstance, de se rel?cher un peu d'une rigueur qu'ils avoient d'abord r?solu de pousser aussi loin que possible contre les h?r?tiques. Ce fut ? cette opposition de vues et d'int?r?ts et ? ces intrigues secr?tes du cabinet que ceux-ci durent l'?dit de Romorantin, le premier qui ait ?t? rendu en leur faveur, ?dit qui restraignoit de beaucoup la s?v?rit? des pr?c?dents, et n'?tablissoit de poursuites judiciaires que contre ceux des r?form?s qui auroient ?t? convaincus de violences, de s?ditions et de conventicules.
Ceci pr?c?da une assembl?e des plus grands personnages de l'?tat, que le roi convoqua extraordinairement ? Fontainebleau pour le mois d'ao?t suivant, d?sirant les consulter sur les moyens de rendre le repos ? l'?tat. Cependant, par suite de la conspiration d'Amboise, et pour n'avoir pas ?t? avertis ? temps de son mauvais succ?s, les calvinistes se soulev?rent en plusieurs provinces, en Normandie, en Provence, dans le Dauphin?, et l'on eut quelque peine ? apaiser ces mouvements. C'?toient l? de sinistres avant-coureurs de l'orage qui se pr?paroit, et comme un essai que le parti faisoit de la guerre civile ? laquelle il se pr?paroit.
Cependant ce qui causa une surprise g?n?rale, c'est que cette assembl?e, qui n'avoit ?t? faite que pour parvenir ? se passer des ?tats-g?n?raux, que l'on consid?roit justement comme un moyen extr?me et dangereux, se termina par la convocation qu'en fit le roi pour un terme tr?s-peu ?loign?. Les Guises avoient depuis chang? de sentiment, et m?ditoient un grand dessein.
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