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Read Ebook: Symbolistes et Décadents by Kahn Gustave

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Ebook has 520 lines and 97815 words, and 11 pages

Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont ?t? corrig?es. L'orthographe d'origine a ?t? conserv?e et n'a pas ?t? harmonis?e, except? pour les noms propres.

SYMBOLISTES & D?CADENTS

DU M?ME AUTEUR

Les Palais nomades. Chansons d'Amant. Domaine de F?e. Limbes de Lumi?res. La Pluie et le beau temps. Livre d'Images. Premiers po?mes .

Le Roi Fou. Le Cirque Solaire. Les Petites Ames press?es. Les Fleurs de la Passion. Le Conte de l'or et du silence. L'Adult?re sentimental.

L'Esth?tique de la rue.

SAINT-AMAND, CHER.--IMPRIMERIE BUSSI?RE.

GUSTAVE KAHN

SYMBOLISTES ET D?CADENTS

PARIS LIBRAIRIE L?ON VANIER, ?DITEUR 19, QUAI SAINT-MICHEL, 19

Tous droits r?serv?s

IL A ?T? TIR? DE CE LIVRE:

LES ORIGINES DU SYMBOLISME

Symbolistes et D?cadents

LES ORIGINES DU SYMBOLISME

Ce sont les Goncourt, artistes rares, historiens consciencieux ? qui ne fut point ?pargn? le nom de d?cadents, qui affirm?rent qu'il ?tait beaucoup plus difficile de reconstituer une ?poque toute r?cente que de reconstruire, avec quelques chartes ou inscriptions, l'histoire d'une ?poque mythique ou f?odale. Il semblerait qu'ils ont raison si l'on envisage la fa?on plut?t maladroite, inexacte, incoh?rente dont on a ?crit jusqu'ici l'histoire litt?raire de ces toutes derni?res ann?es. Le temps que des fils couleur d'hiver viennent commencer ? se m?ler ? leurs barbes, les v?t?rans du symbolisme ont entendu sur leurs oeuvres plus de sottises que les tableaux de mus?e. Pourtant ce n'est point ici le cas, comme pour les Goncourt, de s'?crier devant la multiplicit? des textes qu'il faut lire et m?me d?couvrir pour arriver ? la v?rit?. Au contraire, pour notre petit point d'histoire litt?raire, petit en regard de la marche du monde, mais pas si petit relativement et dont l'importance sera de jour en jour plus ?vidente, les textes sont peu nombreux, tous faciles ? se procurer .

Je n'excepte que les Propos de litt?rature de M. Albert Mockel des articles de M. Remy de Gourmont et des articles publi?s l'ann?e derni?re et cette ann?e m?me par M. Andr? Beaunier.

Une objection plus grave ? une histoire du symbolisme, et celle-l? je la d?clare tout de suite tr?s valable, c'est que l'?volution du symbolisme n'est pas termin?e.

Avons-nous eu raison? nous, les premiers symbolistes, ceux qui vinrent tout de suite vers nous, ceux qui voisin?rent avec nous, s'?tant associ?s ? certaines de nos id?es, s'?tant reconnus dans quelques-uns de nos vouloirs? Le vers libre sera-t-il le chemin futur de la po?sie fran?aise? po?me en prose que nous avons d?pass?, et qui se retrouve reprendre de la consistance d'apr?s notre orientation, sera-t-il cette forme interm?diaire entre la prose et le vers que recherchait, qu'avait trouv?e Baudelaire et deviendra-t-il le Verbe de nos successeurs? Y aura-t-il trois langages litt?raires: le vers, gardant son allure parnassienne, ?ternellement, sur la chute des soci?t?s et des empires, puis le po?me en prose et la prose, ou bien le vers libre, englobant dans sa large rythmique les anciennes prosodies, voisinera-t-il avec le po?me en prose baudelairien, et la prose propre?

Ce sont nos successeurs qui r?soudront ce probl?me.

Ma conjecture est que se demandant de plus en plus et avec inqui?tude sur quelles bases s?rieuses on s'appuierait pour boucler l'?volution rythmique et la r?duire ? des variations sur le principe binaire, on ira au vers libre.

Et je vais dire toute ma pens?e: je crois que m?me si une r?action condamnait le vers libre, si, pour des raisons multiples, excellentes, irr?fragables on en revenait ? la pratique litt?raire d'avant 1884, si on d?cr?tait nos innovations hasard?es, inutiles, cela n'aurait qu'une importance relative. Une ?volution faite dans le sens de la libert? du rythme et de son ?largissement est toujours destin?e, ? la longue au moins, malgr? les r?actions, ? s'imposer; les r?actions sont fatales, l'action les cause. Et puis, les jeunes gens qui ne partagent point nos id?es th?oriques sont tellement imbus de l'application pratique que nous en avons faite, ont absorb? assez de l'influence de l'un ou l'autre de nous, ou bien sont assez fortement p?n?tr?s de l'influence d'un de nos a?n?s, de ceux qui ont travaill? au d?frichement des routes que nous avons trac?es, que leur vers lib?r? et m?me leur vers parnassien profond?ment modifi? n'est plus, sauf exception, l'ancien vers, et que tel qui nie le symbolisme se sert du vers verlainien comme un sourd, que tel qui se relie ?troitement au pass?, d?veloppe et fait aboutir des conceptions que nous avions indiqu?es. Je ne discute pas les d?tails; je ne veux pas dire que des jeunes gens venus apr?s nous sont nos vassaux litt?raires. Je dis simplement qu'? les lire on voit que nous sommes pass?s, l'un ou l'autre lu et consult? par eux avec plaisir, et s'ils font autre chose que nous, c'est non seulement leur droit mais leur devoir; tout de m?me nous avons compt? dans leur ?volution.

Je crois aussi qu'il est pr?matur? d'?crire l'histoire du symbolisme. Aussi n'est-ce point son histoire que je donne aujourd'hui mais des notes pour servir ? l'histoire de ses commencements.

Elles seront ? l'histoire litt?raire de notre ?poque ce que sont les M?moires du temps ? l'histoire sociale et politique. Je veux bien admettre que l'acteur d'une p?riode ne peut la d?crire compl?tement, que l'impartialit? est difficile pour parler de ses ?mules, de soi et qu'il se peut que lorsqu'on croit l'atteindre on se trompe. C'est possible; il est possible que l'histoire, m?me des d?buts d'une p?riode ne soit r?alisable qu'avec un recul plus grand, et peut-?tre n'appartient-il pas ? ceux qui pos?rent les pr?misses de tirer la conclusion. En tout cas, on a toujours admis volontiers le r?le de ceux qui sont venus dire: <>, c'est leur droit, il y a int?r?t pour tous ? ce qu'ils le disent, et qu'ils disent aussi pourquoi ils ont agi de telle fa?on. Ce sera l'utilit? de ces notes.

On est toujours le fils de quelqu'un, et de plus on d?pend de son pays, de son ambiance, de l'aspect g?n?ral de l'?poque o? l'on na?t, et du contraste de cet aspect g?n?ral. Vers ses dix-huit ans, le jeune homme franchement libre du joug des humanistes, plut?t parfois, l'enfant qui sait grimper jusqu'? la lucarne qu'on lui laisse sur la vie, se p?n?tre des nouveaut?s d'art. Elles sont de sortes diverses. Il y a celles que l'on est en train de consacrer, celles qui conqui?rent la faveur publique, celles dont l'on se d?tourne, mais non point avec simplicit? et unanimit? en laissant tomber le m?diocre livre, mais celles qu'on discute, qu'on vitup?re, qu'on honnit, le chef-d'oeuvre de demain, ou quelque mani?re de beau livre, plein de d?fauts mais o? le don a fait ?tinceler son ?clair d'aurore, ou l'aigrette diamant?e d'une f?e des cr?puscules, cri jeune de coq pas assez entendu, ou noble parole attrist?e qui tombe aux lacs d'oubli.

La jeunesse ? Paris a l'oreille tr?s fine. Elle est tr?s distincte ? cet ?gard, et pour les nouveaut?s litt?raires, de la jeunesse de province. Le petit provincial n'apprend pas grand chose en dehors de ce que lui disent ses professeurs, le critique autoris? du journal de Paris qu'affectionnent son p?re ou son petit caf?, et le critique du journal local, habituellement moins lumineux qu'un phare. Le filtre est tr?s serr? qui laisse p?n?trer jusqu'? lui les efforts nouveaux. Les revues provinciales actuelles qui renseignent plus ou moins les jeunes gens, et toujours tendancieusement, c'est-?-dire inexactement, sont de cr?ation toute r?cente. Elles sont faites pour faire conna?tre aux a?n?s de Paris un petit groupe qui veut ? son tour conqu?rir le monde, et non point pour renseigner sur Paris la province pensante. Les d?fenseurs de la d?centralisation artistique objectent, ? des centralisateurs qui voudraient enrichir le Louvre et le Luxembourg du tr?sor d'art ?pars dans nos mus?es de province sous la serrure rouill?e, la clef oisive, et la sieste tranquille d'un conservateur qui est souvent un politicien cas? et former ainsi une collection d'art compl?te,--ils objectent le jeune homme pensif et sage dont la vocation d'art pictural ou litt?raire s'?veillerait au contact fr?quent d'un beau chef-d'oeuvre, et l'objection est assez forte pour que les centralisateurs n'insistent que platoniquement. Ce mus?e d'art, o? par le hasard peut se glisser une toile moderniste, n'a pas d'?quivalent litt?raire pour nos jeunes hommes de province. En tout cas, il n'y verrait pas d'impressionnistes ou ils n'en ont vu de longtemps; le garde qui veille en habit ? palmes vertes ? la barri?re du Luxembourg n'est point tol?rant. C'est pourquoi, lorsqu'? Paris, le jeune homme a d?j? des clart?s de tout et m?dite des r?volutions, son premier adversaire est le jeune homme du m?me ?ge venu de sa ville lointaine. Dans ma prime jeunesse, ces jeunes gens, ceux qui n'?taient plus Lamartiniens ou Hugol?tres, se souciaient surtout de Copp?e et de Richepin; leurs cheveux ?taient longs sur des pensers antiques, et, en somme, malgr? que le temps qui marche a tout de m?me produit quelques modifications, les choses n'ont pas beaucoup chang?.

Ces jeunes gens virent aussi la r?action contre tout ce romantisme. C'?tait la fille de Roland acclam?e, le nouveau Ponsard ?tait tr?s ? la mode, pas tant que D?roul?de exalt?, pinaclis?, mais enfin on citait des mots du pauvre M. de Bornier, devenu le plus parisien des biblioth?caires quasi-suburbains.

On parlait aussi de Bourget, alors po?te, dont on attendait, parall?lement ? Copp?e, le renouvellement du roman en vers; on attendait sans vibration. Richepin surtout ?tait ? la mode. Les normaliens s'en enorgueillissaient, les candidats aux titres universitaires l'adoraient de les avoir pi?tin?s, les futurs po?tes aimaient sa saveur rude, et les ?tudiants admiraient sa l?gende de force et de boh?mianisme.

Un Briar?e, que dis-je, plusieurs, lan?aient sans rel?che de l'encens et des roses sur tous les rimeurs de Paris, de province, du Canada sans doute. Un jour, M. Emmanuel des Essarts y assuma la t?che d'?num?rer, avec une sobre indication, trois mots au plus, tous les po?tes de grand talent qui fleurissaient notre pays de France. La chose ne tint pas dans un seul num?ro. C'?tait charmant et beaucoup mieux fr?quent? tout de m?me que les Muses Santones.

Il y avait la peinture, il y avait la musique. La peinture c'?tait les impressionnistes exposant des merveilles dans des appartements vacants pour trois mois. C'?tait, ? l'exposition de 1878, un merveilleux panneau de Gustave Moreau, ouvrant sur la l?gende une porte niell?e et damasquin?e et orf?vr?e, c'?tait Manet, Monet, Renoir, de la gr?ce, de l'?l?gance, du soleil, de la v?rit?, et surtout c'?tait la Musique qui se r?veillait en France d'un long sommeil.

Un tas d'oiseaux merveilleux ?taient entr?s dans le palais de la Belle au Bois dormant, apr?s que Wagner en avait fait, de stupeur, et on disait alors de fracas, ?clater les savantes coupoles. Au th??tre, les ?chos de Membr?e et de Mermet saluaient ? leur fa?on la musique nouvelle, en un bruit sonore de chutes de portants; et on commen?ait ? entendre les musiques de Bizet, de Guiraud, de Saint-Sa?ns.

Dirai-je qu'alors je r?vais beaucoup, j'?crivais un peu, et que j'?tais tr?s tent? de donner ? mes r?veries une forme personnelle. Je ne connaissais personne, personne n'avait d'influence sur moi, et je t?tonnais, plein de visions diverses et voyant ?tinceler confus?ment devant moi une s?rie de projets ? remplir plusieurs vies.

Mallarm? m'attirait et par son talent et par son formidable insucc?s. Je me targue d'avoir port? mes premiers respects ? l'homme le plus m?connu de la litt?rature mondiale, et d'avoir soutenu et aim? par dessus tout les inconnus et les pers?cut?s. Ce n'?tait point esprit de singularit?, mais de bonne solidarit?. D'ailleurs, il faut le dire, et tr?s haut, une des vertus du symbolisme naissant fut de ne pas se courber devant la puissance litt?raire, devant les titres, les journaux ouverts, les amiti?s de bonne marque, et de redresser les torts de la pr?c?dente g?n?ration. Viel?-Griffin a dit avec raison que sa g?n?ration a ?t? entourer de respects justes, Villiers, Dierx, Verlaine, Mallarm?, qu'elle les a remont?s, les a r?tablis au rang d'o? les Parnassiens les avaient ?vinc?s. C'est tr?s juste; la premi?re, et la seconde g?n?ration des symbolistes, , furent anim?es du m?me et louable sentiment, d'un bel esprit de justice.

Donc je voulais envoyer un exemplaire de la Revue ? Mallarm?. J'ignorais son adresse. Mais Mallarm? avait publi? une traduction chez un ?diteur, et l'?diteur de Mallarm? s'appelait Rothschild. Un petit vieux casse-noisette me regarda derri?re de soup?onneuses lunettes, derri?re un tiroir de ghetto, rue Bonaparte ou rue des Saints-P?res. A ma demande d'adresse, Rothschild me dit: <

Je me suis quelquefois repenti de n'avoir pas plus insist? aupr?s de Mallarm? sur toutes les bonnes raisons qui me poussaient ? renouveler le rythmique. Mais c'est un peu effarant d'?tre tout seul ? penser quelque chose, et puis d?s qu'il s'agissait du vers il semblait qu'en y portant une main violente on commettait un sacril?ge; le ton augural toujours, m?me en riant, de Mallarm? se faisait plus lointain, j'avais peur d'insister sur un point d?licat o? toutes les fibres de la pens?e concentraient leur sensibilit? et puis Mallarm? me disait tant de bien, si poliment, avec de si adroites et bienveillantes r?serves, des po?mes en prose, dont je lui infligeais une lecture presque p?riodique, que mon audace novatrice reculait; j'avais peur qu'il se cr?t forc? ? ?tendre sa bienveillance ? des essais qu'il ne go?tait pas. Je ne crains pas d'ailleurs de dire qu'il influa sur moi et que je fis en ce temps-l? une paire de sonnets.

Ceux que je vis dans ces soir?es du mardi de 1879, bien diff?rentes des glorieuses chambr?es que je retrouvais en 1885, ce furent outre de l'Angle Beaumanoir, le bon Jean Marras, M. Henry Roujon, le musicien L?opold Dauphin qui a fait de si jolis vers, Germain Nouveau.

Il se d?pensait ? ce club beaucoup de franche ga?t?, ? laquelle contribuait plus que tous autres Alphonse Allais, Jules Jouy et on disait des vers. Champsaur y ?tait populaire, on y vit M. Le Bargy et le bon Charles de Sivry faisait honneur au groupe quand il le visitait, en plus Fragerolle, Rollinat parfois, et un hypoth?tique savant qu'on d?nommait l'Hydropathe-Melon. Goudeau ?tait pr?sident de ce cercle, et Grenet-Dancourt vice-pr?sident; or, ce fut Grenet-Dancourt, homme infiniment aimable, qui assuma de quitter un soir sa sonnette vice-pr?sidentielle, pour dire aux foules surprises un po?me en prose de moi, et son autorit? couvrit l'?chec noir de mon oeuvre br?ve. Paternellement Grenet-Dancourt m'engagea ? pers?v?rer et ? habituer le public ? ma conception de la prose po?tique. Je le remerciai et ajournai. Cros, naturellement, me f?licita, et apr?s lui un jeune homme que j'avais d?j? entrevu par l?, et dont j'avais remarqu? l'aspect un peu clergyman et correct un peu trop pour le milieu; ce jeune camarade, int?ress? par ces quelques pauvres lignes, devait devenir mon meilleur ami d'art, c'?tait Jules Laforgue.

Je l'avais un peu remarqu? ? cause de sa tenue, et aussi pour cette particularit?; qu'il semblait ne pas venir l? pour autre chose que pour ?couter des vers, ses tranquilles yeux gris s'?clairaient et ses joues se rosaient quand les po?mes offraient le plus petit int?r?t. Nous caus?mes, tandis que Joseph Gayda, sur le tr?teau, assurait qu'il ne voulait plus aimer que des femmes de pierre, et ? la dispersion nous remont?mes un peu par les rues. Il m'apprit qu'il se voulait consacrer ? l'histoire de l'art et il m?ditait aussi un drame sur Savonarole. Il fut convenu que nous nous reverrions; nous nous montr?mes nos bagages litt?raires, le sien consistait en une petite ?tude lyrique sur Watteau et quelques sonnets infiniment impeccables, et ?crits sur des ph?nom?nes de la rue, des enfants dont la chemise passe, et les points les plus ?lev?s d'une s?rieuse cosmogonie. Il pr?ta une oreille attentive ? mes id?es de rhythmique, ? qui il voulut tout de suite consid?rer une grande port?e; pourtant il continua quelque temps encore ? ?crire des sonnets, il en fit un petit volume, je ne les connus pas tous, je crois que trop pr?cipitamment il les d?truisit. Il m'en dit quelques-uns, en r?ciprocit? de mes essais, en de longues promenades ? pied que nous faisions dans les coins excentriques de Paris, trace ind?niable d'une influence naturaliste qui s'apalissait.

C'est un de mes plus chers souvenirs que celui de ces apr?s-midi de l'?t? 1880. Ce cerveau de jeune sage, d'une ?tonnante r?ceptivit?, d'une extr?me finesse ? saisir les rapports, les analogies, m'int?ressait infiniment. Au cours des promenades, o? un livre ? la main, quelque mauvais Taine d'art ou quelque bouquin de philosophie lui paraissait n?cessaire ? son maintien, nous ?change?mes des id?es.

Mais ce petit point tunisien, o? je go?tais quelque ind?pendance, ?tant log? assez loin du camp, dans un petit village arabe, ?tait si tranquille, si loin de tout mouvement, de toute pens?e; la mer y ?tait si belle et si tranquille, avec un chenal o? on pouvait se promener avec de l'eau jusqu'aux ?paules comme sur le boulevard; il avait une si jolie petite place, avec un caf? maure, dont le cafetier ?tait en m?me temps le gardien de la prison, laquelle diff?rait des autres prisons en ce que sa porte ?tait trou?e d'un trou o? un homme de corpulence moyenne pouvait facilement passer, que un quart d'heure apr?s ce heurt de sentiments divers je n'y pensais plus et je passais une d?p?che o? le mercanti X demandait au mercanti Z une certaine quantit? de denr?es, ou bien je donnais une le?on de fran?ais au fils de mon surveillant de t?l?graphe ou bien j'allais chasser ? l'oiseau de mer, je ne m'en souviens plus. Je chassais alors pour tuer le temps beaucoup plus que le gibier, et entre temps je pouvais, dans la Syrte creuse, me jouer du piano et me d?chiffrer les partitions nouvelles sur un clavecin que mettait obligeamment ? ma disposition le chef du service des renseignements, le lieutenant Du Paty de Clam.--C'?tait ma distraction avec la vue de la mer, le passage hebdomadaire d'un steamer au large, et la vue d'indig?nes qui p?chaient dans des claies, avec des tridents mythologiques.

A ma rentr?e en France, ? l'automne de 1885, Paris m'y parut un Eden grelottant et quelque paradis o?, dans la lumi?re ind?cise des cinq heures, des lampes ardentes allumaient partout derri?re les glaces des mirages d'Hesp?rides. Litt?rairement, tout ?tait chang?. Mallarm? montait les premiers degr?s de la gloire, ses mardis soirs ?taient suivis avec tant de recueillement qu'on e?t dit vraiment, dans le bon sens du mot, une chapelle ? son quatri?me de la rue de Rome. Il y avait un peu, dans l'empressement joyeux qu'on mettait ? le visiter, en m?me temps que de la tr?s bien intentionn?e curiosit?, un peu de la joie qu'on ?prouve ? aller voir un prestidigitateur tr?s sup?rieur, ou un pr?dicateur c?l?bre. Oui, on e?t cru, ? certains soirs, ?tre dans une de ces ?glises au cinqui?me, ou au fond d'une cour, o? la manne d'une religion nouvelle est communiqu?e ? des adeptes qui doivent, pour entrer, montrer patte blanche; la patte blanche l? c'?tait un po?me ou la pr?sentation par un accueilli d?j? depuis quelque temps.

D'abord, je m'?tais rendu compte de la parfaite imperm?abilit? des masses populaires vis-?-vis de la litt?rature de nos a?n?s, et leur art m'apparaissait b?tard, incapable de satisfaire le populaire, incapable de charmer l'?lite; comme il fallait d'abord reforger l'instrument, ce dont les masses s'occupent fort peu, les premiers efforts pouvaient ?tre dirig?s de fa?on, non pas ? plaire ? l'?lite, mais ? la guider. De l?, le manque de concessions, m?me typographiques, dans mes premiers ?crits publi?s. Le premier crit?rium, le seul, ?tait de me satisfaire moi-m?me; me satisfaisant moi-m?me j'?tais s?r de plaire, soit tout de suite, soit avec d'in?valuables d?lais ? ceux de ma sorte, et cela me suffisait. Cette base esth?tique, chez moi, n'a pas chang?, et si je ne rencontre plus le reproche d'incompr?hensibilit?, c'est que l'?volution a march?.

Une autre id?e s'?tait enracin?e en moi; c'est que l'art devait ?tre social. J'entendais, par l?, qu'il devait, autant que faire se pouvait, n?gliger les habitudes et les pr?tentions de la bourgeoisie, s'adresser, en attendant que le peuple s'y int?ress?t, aux prol?taires intellectuels, ? ceux de demain, et pas ? ceux d'hier; je ne pensais pas un instant qu'on d?t faire banal pour ?tre s?rement compris. On pouvait donner au lecteur tout le temps n?cessaire , et lui faire observer que, de m?me qu'il ne peut pas, sans une certaine pr?paration, s'int?resser ? la science m?me ?l?mentaire, il lui faut aussi quelque pr?paration pour s'y conna?tre en litt?rature.

La troisi?me id?e c'est que le po?me en prose ?tait insuffisant et que c'?tait le vers, la strophe qu'il fallait modifier.

Une quatri?me id?e, c'est que le nouveau po?te se devait et devait aux autres, quoique l'occupation ne fut pas fort amusante, de faire de la critique. Pour pouvoir ?crire l'oeuvre d'art pure, il fallait pouvoir l'expliquer dans des travaux lat?raux.

Pourtant j'ajournai cette partie fatale de mon travail, car j'avais rapport? d'Afrique, outre des id?es nettes, une certaine paresse, et je ne me pressai point d'?crire, n'?tant pas ambitieux, hors des vers, quand il me semblait que c'?tait absolument n?cessaire pour fixer quelque papillon fugitif de l'id?e. Et puis j'avais aussi des anciens r?ves d'?rudit ? satisfaire, des mus?es ? revoir, des livres ? lire, ? relire, des lacunes d'instruction ? combler, je ne me h?tais gu?re de lancer une oeuvre ou des manifestes, j'avais envie de voyager, d'errer, de sentir sous mes pieds une multiple Europe. Quant ? l'enseignement oral, aux longues parlottes, avec un peu de pr?che, je ne les craignais point et m'y d?cidai assez volontiers. C'?tait encore une trace de l'influence de Mallarm?, et je ne pense pas que ces sortes de conf?rences vagues, au hasard des rencontres et des r?unions, furent toujours et pour tous inutiles. Mais il me tarde de rentrer dans l'histoire g?n?rale du symbolisme.

En 1885, il y avait des d?cadents et des symbolistes, beaucoup de d?cadents et peu de symbolistes. Le mot de d?cadent avait ?t? prononc?, celui de symboliste pas encore; nous parlions de symbole, nous n'avions pas cr?? le mot g?n?rique de symbolisme, et les d?cadents et les symbolistes c'?tait tout autre chose, alors. Le mot de d?cadent avait ?t? cr?? par des journalistes, quelques-uns l'avaient, disaient-ils, ramass? comme les gueux de Hollande avaient arbor? l'?pith?te injurieuse; pas si injurieuse et pas si inexacte.

Mallarm?, autrefois, m'avait parl? du vicomte de Montesquiou avec des ?loges pour son am?nit?, son dandysme, son ?l?gance, .

Le raffinement particulier de M. de Montesquiou, son go?t pour le chantournement, sa fa?on de dissimuler les portes de son appartement et d'?gayer les tapis aux frais de la sant? des tortues orf?vr?es, avaient infiniment s?duit l'intelligence avide de petites nouveaut?s de M. J. K. Huysmans.

Verlaine, le cr?ateur avec Rimbaud du vers lib?r?, avait dans son esth?tique complexe et peu certaine, avec des ?clairs superbes, des coins o? r?gnait encore du baudelairisme de l'ordre le moins sup?rieur. Il lui demeurait quelques restes d'avoir ?t?, parmi les Parnassiens, le Saturnien; il ?tait croyant et satanique, avait quelque ironique respect pour le Saint-Sulpice qui lui semblait, je pense, aussi louable qu'une autre sorte d'imagerie populaire. Tr?s clair, pr?cis, poignant, d?s qu'il ?coutait sa sensibilit?, laquelle ?tait amoureuse, susceptible et m?l?e de cr?dulit? religieuse, il ?tait tr?s embarrass? sur les terrains d'ex?g?se et de critique. Encore qu'il ait, ? mon souvenir, merveilleusement d?velopp? dans une conversation le type de Parsifal il brillait moins par la p?n?tration critique que par un don de se traduire tout entier dans une simple chanson, avec son ?me douce, rodomontante et peureuse. Il m?le donc au symbolisme initial, dont il fut une forte colonne, du d?cadentisme, c'est-?-dire du satanisme, de l'innocente perversit?, et du catholicisme po?tique; le sonnet de B?r?nice, si c?l?bre, si joli, ne veut pas peindre Rome au temps de la d?cadence, mais bien rythmer une sorte d'?tat de convalescence charmante, d'?veil att?nu?, d'id?es rafra?chies par un bref sommeil qui fut assez familier ? Verlaine; ce fut comme beaucoup de po?mes symbolistes, l'?tat all?goris? ou le symbole, soit la traduction bien pr?cise et sans oiseux commentaire, d'un ?tat d'?me. N'importe, le succ?s du sonnet aida ? la fortune du mot d?cadence; la presse, dont nous nous souciions fort peu en g?n?ral, rattrapa le mot et l'?cole d?cadente eut plus de consistance apr?s ce sonnet.

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