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Read Ebook: Symbolistes et Décadents by Kahn Gustave

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Ebook has 520 lines and 97815 words, and 11 pages

Verlaine, le cr?ateur avec Rimbaud du vers lib?r?, avait dans son esth?tique complexe et peu certaine, avec des ?clairs superbes, des coins o? r?gnait encore du baudelairisme de l'ordre le moins sup?rieur. Il lui demeurait quelques restes d'avoir ?t?, parmi les Parnassiens, le Saturnien; il ?tait croyant et satanique, avait quelque ironique respect pour le Saint-Sulpice qui lui semblait, je pense, aussi louable qu'une autre sorte d'imagerie populaire. Tr?s clair, pr?cis, poignant, d?s qu'il ?coutait sa sensibilit?, laquelle ?tait amoureuse, susceptible et m?l?e de cr?dulit? religieuse, il ?tait tr?s embarrass? sur les terrains d'ex?g?se et de critique. Encore qu'il ait, ? mon souvenir, merveilleusement d?velopp? dans une conversation le type de Parsifal il brillait moins par la p?n?tration critique que par un don de se traduire tout entier dans une simple chanson, avec son ?me douce, rodomontante et peureuse. Il m?le donc au symbolisme initial, dont il fut une forte colonne, du d?cadentisme, c'est-?-dire du satanisme, de l'innocente perversit?, et du catholicisme po?tique; le sonnet de B?r?nice, si c?l?bre, si joli, ne veut pas peindre Rome au temps de la d?cadence, mais bien rythmer une sorte d'?tat de convalescence charmante, d'?veil att?nu?, d'id?es rafra?chies par un bref sommeil qui fut assez familier ? Verlaine; ce fut comme beaucoup de po?mes symbolistes, l'?tat all?goris? ou le symbole, soit la traduction bien pr?cise et sans oiseux commentaire, d'un ?tat d'?me. N'importe, le succ?s du sonnet aida ? la fortune du mot d?cadence; la presse, dont nous nous souciions fort peu en g?n?ral, rattrapa le mot et l'?cole d?cadente eut plus de consistance apr?s ce sonnet.

Mallarm? m'avait dit quand je lui avais cont? l'apparition prochaine de la revue, et son nom: <> je r?pondis <> nous y avons r?ussi.

C'?tait F?lix F?n?on qui assurait la bonne p?riodicit? de la revue; tr?s d?vou? aux po?tes, il corrigeait les ?preuves, m?ticuleusement, artistement. Ce fut gr?ce ? lui que nous f?mes r?guliers; les articles de critique d'art qu'il nous donna font regretter qu'il s'abstienne depuis longtemps d'?crire.

Il se rappelait fort bien impressions d'enfance, assez identiques aux miennes de l'Esplanade, dont, hasard amusant, c'est G?rard de Nerval qui parla le premier dans la litt?rature, de l'Esplanade, superbe terrasse sur la plus jolie vall?e, actuellement si boulevers?e, h?riss?e de forts et de glacis, sur les ossuaires de 1870, qu'un Messin ne saurait retrouver apr?s tant de terrassements une seule des mottes de terre qu'il a jadis foul?es, et qu'il y a suppression totale de la petite patrie pour lui. Nous caus?mes des rues silencieuses o? poussait l'herbe pr?s de l'Ev?ch?, et des gens qui eurent comme nous le sort de na?tre dans cette ville; l'id?e que Pilatre des Roziers, l'a?ronaute, fut notre compatriote, lui fut agr?able, mais le voisinage futur dans le Bouillet avec Ambroise Thomas le laissa plus froid.

C'est Nancy qui a assum? la t?che de remplacer Metz et d'en recueillir les nationaux illustres. Nous f?mes, de ce chef, un certain nombre r?unis un jour chez M. Poincar?, sous la pr?sidence de M. Andr? Theuriet, de l'Acad?mie fran?aise; il s'agissait d'avoir des id?es et de dresser vite les bustes de Goncourt et celui de Verlaine dans ce beau jardin de la P?pini?re, encore que ces hommes de valeur n'avaient point par? l'Acad?mie de leur reflet plus radieux que celui des palmes vertes. M. Roger Marx avait acquis le concours de Carri?re pour un buste de Verlaine qui eut ?t? digne du beau portrait qu'il a peint. Mais dans cette ville, livr?e aux plus basses men?es nationalistes et ? un d?go?tant antis?mitisme, on n'a pas le temps de f?ter des artistes.

L'id?e de ce glossaire avait ?t? engendr?e chez Paul Adam par une commande ? moi faite. Un jeune ?diteur, M. Dupret, qui, apr?s avoir mis au jour quelques plaquettes curieuses, s'alla retremper dans un fructueux commerce de bois, avait re?u de moi l'offre d'une sorte de grammaire fran?aise, avec rhythmique, projet que je reprendrai quelque jour de loisir un peu large. Comme il n'?ditait r?solument que de petites plaquettes in-32, M. Dupret me proposa d'en ?diter les derniers chapitres ceux qui auraient trait ? l'?poque que nous traversions, c'e?t ?t? une petite grammaire et rhythmique symboliste. Mon indolence ?tait alors assez grande pour qu'il n'exist?t, de longtemps, de ce petit livre, qu'un sch?ma d?taill?. J'avais cont? le fait de la prochaine ?closion de ce livre ? mes camarades, et par cons?quent ? Paul Adam.

Le lendemain, Adam vint nous trouver, quelques-uns, dans un caf? du boulevard d'o? nous aimions voir s'?couler les passants de l'heure; on vit bien ? son approche qu'il s'?tait pass? quelque chose; le paletot mastic de notre ami, paletot alors c?l?bre, flottait avec des plis d'?tendard. Sur la hampe de cet ?tendard son chapeau avait une inclinaison martiale comme s'il se f?t dout? de la victoire d'Uhde.

Notre ami abordait avec des performances de galion. Il s'assit et tous ses gestes ?clat?rent en munificence. Il nous confia alors que Vanier, consult? par lui sur l'opportunit? d'un petit dictionnaire de nos n?ologismes, compl?ment plus qu'indispensable de mon futur travail, avait adh?r? avec empressement ? ses projets, et qu'un fort lexique allait na?tre. Il demandait notre concours avec une face rayonnante, et il e?t ?t? criminel d'adresser des objections ? un ami aussi heureux. Plowert naquit et besogna dare-dare.

Nous n'attach?mes pas ? son oeuvre assez d'importance. A le faire, il e?t fallu fondre nos projets et donner, d'un coup, importants, cette grammaire et ce dictionnaire des symbolistes qui eussent ?t? des documents curieux, et qui auraient ?t? fort utiles. Nous ?rigions ainsi notre monument en face celui qu'?laborent sans cesse les doctes ralentisseurs du Verbe qui s'?vertuent ? l'Acad?mie. Tel qu'il est et malgr? l'abondance de ses fautes d'impression le petit volume, qui ne contient que nos n?ologismes alors parus, qui n'est qu'un petit r?pertoire, offre cet int?r?t, qu'en le parcourant on pourra voir que tous nos postulats d'alors ont ?t? accueillis, et sont entr?s dans le courant de la langue et ne d?rangent plus que de tr?s p?rim?s dilettantes.

Ah! le fun?bre enterrement! dans un jour saum?tre, fumeux, un matin jaun?tre et moite; enterrement simple, sans aucune tenture ? la porte, h?tivement parti ? huit heures, sans attendre un instant quelque ami retardataire, et nous ?tions si peu derri?re ce cercueil: Emile Laforgue, son fr?re, Th. Ysaye le pianiste, quelques parents lointains fix?s ? Paris, dans une voiture, avec Mme Jules Laforgue; Paul Bourget, F?n?on, Mor?as, Adam et moi; et la mont?e lente, lente ? travers la rue des Plantes, ? travers les quartiers sales, de mis?re, d'incurie et de nonchalance, o? le crime social suait ? toutes les fen?tres pavois?es de linge sale, aux devantures sang de boeuf, rues ferm?es, muettes, obscures, sans intelligence, la ville telle que la rejette sur ses barri?res les quartiers de luxe, sourds et ?go?stes; on avait d?pass? si vite ces quartiers de couvents ?go?stes et clos o? quelques baguettes d?pouill?es de branches accentuent ces tristesses de dimanche et d'automne qu'il avait dites dans ses Complaintes et, parmi le demi-silence, nous arrivons ? ce cimeti?re de Bagneux, alors neuf, plus sinistre encore d'?tre vide, avec des morts comme sous des plates-bandes de croix de bois, concessions provisoires, comme dit b?tement le langage officiel, et sur la tombe fra?che, avec l'empressement, aupr?s du convoi, du menuisier ? qui on a command? la croix de bois, et qui s'informe si c'est bien son client qui passe, avec trop de mots dits trop haut, on voit, du fiacre, Mme Laforgue, riant d'un gloussement d?chirant et sans pleurs, et, sur cet effondrement de deux vies, personne de nous ne pensait ? de la rh?torique tumulaire.

La mort de Laforgue ?tait, pour les lettres, irr?parable; il emportait la gr?ce de notre mouvement, une nuance d'esprit vari?, humain et philosophique; une place est demeur?e vide parmi nous. C'?tait le pauvre Yorik qui avait eu un si joli sourire, le pauvre Yorik qui avait profess? la sagesse ? Wittemberg, et en avait fait la comparaison la plus s?rieuse avec la folie; c'?tait un musicien du grand tout, un passereau tout transperc? d'infini qui s'en allait, et qu'on blotissait dans une glaise froide et collante--la plus pauvre mort de grand artiste, et le destin y eut une part hostile, qui ne laisse vivre les plus d?licats que s'ils paient ? la soci?t? la ran?on d'un emploi qui les rend semblables ? tous, connaissant le bien et le mal ? la fa?on d'un comptable, et ne leur jette pas, des mille fen?tres indiff?rentes ? l'art, de la presse, un sou pour subsister pauvrement et fi?rement, en restant des artistes--? moins qu'une robustesse sans tare morbide ne leur permette de franchir, en les descendant et en les remontant ensuite, tous les cycles de l'enfer social.

Pour des raisons diverses M. Dujardin m'offrit la r?daction en chef de sa revue qui devint d?s lors plus nette et plus progressiste et accepta tout le symbolisme en tenant compte, ainsi qu'il me paraissait n?cessaire, des efforts int?ressants de romanciers comme les Rosny. La revue qui marchait fort bien litt?rairement p?rit de la gestion plus que chim?rique de son directeur et administrateur, ou du moins passa chez le libraire Savine aux mains de M. de Nion qui en fit la revue des n?o-naturalistes, et elle ne fit plus que d?cliner, passant de mains en mains, sans retrouver un instant l'importance que j'avais pu lui donner en 1888.

Le symbolisme avait alors acquis sa pleine importance, car il n'?tait plus repr?sent? seulement par ses promoteurs, il avait re?u des adh?sions pr?cieuses. C'?tait Francis Viel?-Griffin et Henri de R?gnier, sortis avec ?clat des premiers t?tonnements, apportant l'un des visions ?l?gantes et hi?ratiques, l'autre un sentiment tr?s vif de la nature, une sorte de lakisme curieux de folk-lore, avec une libert? encore h?sitante du rhythme, mais une d?cision compl?te sur cette libert? rythmique. Albert Mockel qui donnait sa jolie Chantefable, et Ajalbert, Albert Saint-Paul Adolphe, Rett?; il y eut beaucoup de symbolistes, et puis plus encore, et un instant tous les po?tes furent symbolistes.

C'est alors que chacun tira de son cot?, d?gageant son originalit? propre, compl?tant les donn?es premi?res du premier groupe, dont les demeurants Mor?as, Adam et moi, eurent ? d?velopper et ? faire pr?valoir chacun sa mani?re propre; les divergences, qu'on ne s'?tait jamais tues, mais qui ne pouvaient ?clater lors des premi?res luttes contre des adversaires communs, devenaient n?cessairement plus visibles puisque nous avions des id?aux diff?rents. Mor?as, d'esprit classique, redevenait classique, Adam reprenait, apr?s une course dans la politique, ses ambitions balzaciennes. Ma fa?on particuli?re de comprendre le symbolisme avait ses partisans; bref, nous entrions dans l'histoire litt?raire: les pr?misses pos?es allaient donner leurs effets, des surgeons vivaces allaient se projeter, des originalit?s curieuses s'affirmer ? c?t? de nous, Maurice Maeterlinck, Charles Von Lerberghe, Remy de Gourmont, etc. Ce serait d?passer le sujet de ces notes que de d?crire tout le mouvement de 1889 et des ann?es suivantes, encore que certains articles r?unis dans ce volume pr?senteront l?-dessus ce que, comme critique, j'en ai pu penser.

Un mot encore.

M. Henri de R?gnier ?crivait r?cemment dans un article que j'?tais demeur? ? peu pr?s le seul symboliste, presque tous ceux qui furent du premier ou du second ban du symbolisme ayant vari?, sur une foule de points, leur fa?on de voir. C'est leur affaire, et je n'y ai rien ? voir qu'? constater, lorsque l'occasion s'en impose, au hasard de mon m?tier de critique, les variations sur lesquelles je puis donner mon simple avis. Si M. Mor?as est arriv? au classicisme pur, non sans le parer de beaut?--si M. Paul Adam ne trouve pas l'?tiquette assez large pour son effort multiple --si, parmi les autres du second ban, encore que je ne vois qu'un d?veloppement et non un changement chez M. Francis Viel?-Griffin, M. Henri de R?gnier pr?sente une formule combin?e, entre autres ?l?ments, de classicisme, de symbolisme et de romantisme,--si M. Maeterlinck n'appelle pas symbolistes ses beaux drames symboliques, ce qui est son droit, tout cela ne constitue pas des raisons pour que je modifie mon art; je fais de mon mieux pour suivre un d?veloppement logique, et ne peux me froisser d'?tre consid?r? comme d'accord avec moi-m?me.

Il m'a paru n?cessaire de reformer l'instrument lyrique. On m'a cru. La biblioth?que du vers libre est nombreuse, et de belles oeuvres portent aux dos de leurs reliures des noms divers, illustres ou notoires. Depuis le symbolisme il existe, ? c?t? du roman romanesque et du roman romantique, une mani?re de roman qui n'est pas le roman naturaliste, qu'on peut appeler le roman symboliste; j'en ai donn? qui valent ce qu'ils valent, mais ils ne sont pas ceux du voisin.

De m?me que j'ai toujours dit que je n'entendais pas fournir, en cr?ant les vers libres, un canon fixe de nouvelles strophes, mais prouver que chacun pouvait trouver en lui sa rythmique propre, ob?issante toujours, malgr? qu'il en aie, sauf clowneries, aux lois du langage, je n'ai jamais pens? ? enfermer le symbolisme dans une trop ?troite d?finition.

Il y a place pour beaucoup d'efforts sur le terrain de l'analyse caract?ristique et de la synth?se du nouveau roman. Un jour peut-?tre d?velopperai-je avec exemples ce que peut ?tre le roman symboliste; il y en a, et qui ne ressemblent pas aux miens. Mais je passe, et ferai simplement observer ? M. Henri de R?gnier, qui le sait d'ailleurs, que si je suis rest? ? peu pr?s le seul symboliste, c'est que j'?tais un des rares qui l'?taient vraiment de fond, parce que le symbolisme ?tait l'expression de leur temp?rament propre et de leur opinion critique.

Et puis, aussi, il faut en tenir compte, les temps ont chang?. En 1886, et aux ann?es suivantes, nous ?tions plus attentifs ? notre d?veloppement litt?raire qu'? la marche du monde. Nous avons ?difi? une partie de ce que nous voulions ?difier, et il est moins important que nous n'ayons renvers? qu'une partie de ce que nous voulions renverser. Si l'on ?voquait le pass? de notre litt?rature et ses ?coles vari?es, comme on fait aux expositions, pour les peuples par des s?ries de pavillons, le pavillon du symbolisme ne serait point indigne des autres, et pourrait lancer ses clochetons et ses minarets, fi?rement aupr?s des coupoles du Parnasse. Les beaut?s de l'entr?e et du hall central, pour lesquelles, je le d?clare avec joie, beaucoup de peintres, de d?corateurs, d'harmonistes auraient ?t? convoqu?s autour de chefs d'?quipe, dont je serais, je pense, seraient augment?es de l'inconnu de salles encore non termin?es, et dont nous annoncerions l'ouverture pour la prochaine exposition. Le Symbolisme n'a qu'une vingtaine d'ann?es, il lui faut du temps pour produire encore, et qu'on ?tudie chez lui les sympt?mes de vieillesse en m?me temps qu'on en pourra d?nombrer et r?sumer les complexit?s et les influences.

De plus, nous f?mes amen?s, ? un certain moment, tous les symbolistes, ? comparer notre d?veloppement particulier ? la marche du monde, nous avons tir? des opinions diff?rentes et personnelles, mais ? moi il m'a paru n?cessaire d'accorder, dans nos pr?occupations d'aujourd'hui, une pr??minence ? l'art social, mais sans rien ali?ner des droits de la synth?se et du style.

Elles pr?cisent, sur quelques points, le mouvement. Elles expliquent des ?tats d'esprit.

J'ai choisi dans ces articles ce qui se rapportait davantage aux po?tes, aux circonstances adventices du mouvement, soit les lin?aments d'influence ?trang?re qui se sont pr?sent?s concurremment au symbolisme et ont contribu? ? son aspect g?n?ral. De l? des ?tudes sur Tolsto?.

J'ai conserv? des pages sur Poictevin qu'on oublie trop.

J'ai donn? une chronique enti?re, parce que le groupement des livres de ce mois-l? permettait d'esquisser tout le groupement litt?raire du moment, avant et en dehors des Symbolistes, au moins d'indiquer une esquisse, de Hugo ? Lavedan.

Je n'ai pas retouch? ni comme fond ni comme forme ces ?tudes. Leur seule valeur ?tant d'?tre documentaire sur l'?tat d'esprit des novateurs, et l'essence du Symbolisme en 1888, pr?s des d?buts; je resignerais d'ailleurs, en des articles d'aujourd'hui, presque tout ce qui se trouve au cours de ces pages.

Paysages

PAR FRANCIS POICTEVIN

Entre tous, M. Francis Poictevin est un artiste sinc?re et ?mu. Tourment?, perp?tuellement inquiet du but m?me de son art, tr?s soucieux des moyens d'expression, inquiet des lignes g?n?rales de la sensation, il est de ceux qui poussent le plus vers l'ach?vement d?finitif une page, et non par la surprise du mot, ou l'accord fortuit des sonorit?s, mais par la recherche d'un ordre logique des mots ?tiquetant chacun une des variations de la sensation.

L'ordre de sensations qui se meut ? travers ses livres est une contemplation des choses de la nature en leur accord avec l'?me humaine; avec la sienne surtout, prise comme exemple, car c'est la seule qu'il puisse conna?tre ? fond; non qu'il ne se permette hors de lui-m?me des divinations, qu'il ne tente de se rendre compte de ce qui peut se passer derri?re les grilles perp?tuellement closes d'un h?tel vieilli, qu'il ne tente d'animer des profils de jeunes filles, ou des silhouettes d'?tres rencontr?s au hasard des courses ? travers les paysages; mais ces ?tres sont silhouettes ou symboles destin?s ? marquer les diff?rences entre lui et les autres hommes, et ? faire comprendre sa fa?on diff?rente de saisir et de traduire les ph?nom?nes d'aspect qui, ? travers sa r?tine, arrivent ? son cerveau.

Le drame ?tant ainsi compris, c'est-?-dire un personnage unique jouissant ou souffrant par la variation des minutes de la vie ext?rieure, il est fort inutile ? M. Poictevin de donner ? ses livres une affabulation compliqu?e; l'ext?riorit? du drame est toujours, en tous ses livres, homologue: un ?tre souffre ou jouit de la r?action des choses; deux ?tres unis souffrent ou jouissent de la r?action du pr?sent et des souvenirs et des sites sur eux, et vivent d'une vie commune remplie par les r?ves divergents qu'inspirent les m?mes faits et les m?mes lignes vues par des cerveaux diff?rents.

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Et s'animent ainsi des coins de Paris, de Menton, de Toulouse, des salles d'attente o? l'attention se fixe sur tel ou tel ?tre caract?ristique autour duquel s'?brouent des formes vagues, des sites de Luchon, des Pyr?n?es, de Fontarabie, du pays basque, de la Bretagne, de la Suisse, du Rhin, de la Hollande, des notations au Bois de Boulogne, sur les cygnes du parc Monceau, et, brusques, des th?ories sur le choix des fleurs, puis un ?t? en Normandie d?taillant de longues courses, des haltes pour p?n?trer l'accord de l'autochthone et du paysage, etc...

A cette forme, ? ce rendu strict de la nature cherch?e par l'artiste, l'?cueil se pr?sente que devant les variations infinies et menues du d?cor le mot tr?s pr?cis et juste ne se trouve pas, ou que le mot trouv?, quelque peu technique et lourd, ne rende qu'insuffisamment les l?g?res diff?rences qu'il note; encore, ce danger, qu'? ?tudier aussi consciencieusement qu'un peintre impressionniste les intimit?s des choses et les variations de leur couleur, l'oeil ne s'hypnotise et ne traduise plus que de pures impressions mentales et un peu d?vi?es. Mais M. Poictevin se tire presque toujours de ces complexes difficult?s.

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Parmi ceux qui croient que la r?alit? subsiste surtout dans les r?ves, peut-?tre uniquement dans les r?ves, et que les choses et les ?tres seraient cr?ation nulle et tout au plus mauvaise sans un large instinct de solidarit?, M. Poictevin est un des plus dou?s intellectuellement, un des mieux munis pour traduire son intelligence.

Il ?voque, une mani?re de Lucr?ce mystique, et aussi de Th?ocrite ayant remarqu? que les p?tres font tache dans le paysage choisi o? les artistes pa?ens les plac?rent. Au moins sait-il qu'ils ne comprennent pas la f?min?it? de ces lignes naturistes, et qu'il vaut mieux les en ?laguer, eux et leurs aspirations. Son livre actuel est un des plus complets dans une oeuvre o?, sauf les livres de d?but, tout a chance de rester de par la conscience et la sinc?rit? de l'?crivain et par la valeur des ph?nom?nes ?tudi?s.

Paul Verlaine.

A PROPOS D'UN ARTICLE DE M. JULES LEMAITRE

Voici le premier grand article qu'un critique officiel, d?cor?, consacre ? Paul Verlaine. Ce que dit M. Lema?tre sur les po?tes symbolistes et les po?tes d?cadents ne nous para?t qu'une entr?e en mati?re, une mise en milieu de Verlaine, bien inutile et bien inexacte; le sagace critique est mal renseign?; il n'a pas tout lu; il a souvent mal lu; tomber sur le pauvre M. Ghil, ses aspects de pythonisse, ses th?ories peu litt?raires et pas du tout scientifiques, est vraiment simple; taxer les gens de talent de ce groupe d'?tre des ?l?ves de Baudelaire est encore bien abr?viatif; il y a des ?l?ves de Baudelaire, tels m?me qui encaquent des variations dans le moule exactement conserv? des sonnets du ma?tre, mais ce ne sont gu?re des novateurs, si ce sont des symbolistes; et vraiment si M. Lema?tre a raison, il a raison trop facilement, et sans fruit.

Pourquoi accuser des ?crivains de noctambulisme et d'alcoolisme? Qu'en sait-il? de quels renseignements use-t-il ou abuse-t-il? Ce ne serait de la critique que s'il ?tait plus complet et d?montrait chez ces ?crivains des d?rivations de pens?e sous l'influence de l'alcool; mais il ne l'a pas voulu, et peut-?tre ne le pourrait-il pas.

Il n'y a ni alcoolisme, ni noctambulisme, ni n?vrose en jeu, ici, du moins, pas plus que dans la plupart des op?rations intellectuelles de notre temps. Ce malheureux temps est bien loin d'?tre normal; et, si l'on admet que c'est une des gloires du Moyen Age, que dans cette p?riode de force et de guerre, il ait exist? de purs mystiques affol?s d'amour de Dieu et d'espoir en Dieu, pourquoi ne point vouloir qu'en notre p?riode d'affaires, strictement d'affaires, il soit des po?tes se confinant dans l'intellect pur et disant pour eux, pour les initi?s existants, pour les initi?s ? venir, la chanson de leurs sensations, sans s'occuper des exigences populaires, sans travestir le sch?ma de leur pens?e sous la forme de conversation qu'utilisent les po?tes et les romanciers class?s; et si parfois le but peut-?tre est d?pass?, si le livre ou le po?me ne contiennent pas toute la s?r?nit? qui pare l'oeuvre d'un classique, peut-?tre cela vient-il de ceci, que:

Si l'on d?veloppe une id?e, en voulant enfermer dans sa traduction ses origines et son mouvement et l'accent personnel d'?motion qu'elle eut en ?mergeant de votre inconscience, on est expos? ? faire un peu embrouill? en croyant faire complet;

Que si l'on se borne ? donner de cette id?e la grosse carrure, presque le fait mat?riel dont elle est la repr?sentation, on a bien des chances de la traduire sans nouveaut?: car, comme dit M. Lema?tre, toutes choses ont bien pr?s de six mille ans, elles ont peut-?tre davantage.

Le premier jour o? un p?tre arya modula une onomatop?e admirative ou joyeuse ou ?clata en sanglots, le po?me ?tait fond?, et le po?me ne servit depuis qu'? d?velopper le cri de joie et le cri de douleur de l'humanit?. Or, les s?r?nit?s pures se traduisirent habituellement par les architectures th?oriques des Mo?se, des Pythagore, des Platon, etc., les besoins de certitude par les Euclide, les Galil?e, etc. Toute l'exp?rience, toute la science des formes tangibles s'analysa. Le po?me fut sans cesse ou l'?vocation de la l?gende ou son cri d'amour joyeux ou triste. Ajouter ? cela qu'alternativement ce po?me fut en son ?criture abstrait et quasi blanc, soit que le mysticisme humain f?t, dans le plus large sens du mot, religieux , soit qu'il f?t idol?tre ; au premier cas la recherche d'une forme fluide, libre, musicale et vraie, car en l'essence m?me de l? po?sie elle s'adresse ? l'oreille tout en cherchant ? fixer des attitudes; en l'autre cas, souvent rocailleuse et dure un peu, pr?occup?e de figer de simples et ?l?mentaires polychromies. Mais ces deux formes d'art qui parfois en des ?poques troubles peuvent ?tre mani?es par le m?me po?te, sont surtout et avant tout diff?rentes et de la forme exp?rimentale de la science courante, et de l'allure explicative de la litt?rature courante. En somme, la marque de cette po?sie serait d'?tre purement intuitive et personnelle, en opposition aux formes traditionnelles, qui sont simples car d?j? vues, claires parce qu'explicatives. Or, le lyrisme est exclusivement d'allure intuitive et personnelle, et la po?sie va dans ce sens depuis cinquante ans , et rien d'?tonnant ? ce qu'un nouveau pas en avant fasse para?tre le po?te comme chantant pour lui-m?me, tandis qu'il ne fait au fond que syllabiser son moi d'une fa?on assez profonde pour que ce moi devienne un soi, c'est-?-dire l'?me de tous; et si tous ne s'y reconnaissent pas tout de suite, c'est peut-?tre que les formes sensationnelles per?ues par le po?te ne se sont pas encore produites en eux, que peut-?tre il fallait que le po?te les per??t le premier pour qu'une g?n?ration nouvelle inconsciemment s'en impr?gn?t et fin?t par s'y reconna?tre. En face, la litt?rature traditionnelle continue son train-train, de concessions en concessions, et d?tient l'intelligence populaire, ravie d'entrer sans efforts dans des oeuvres d'apparence renouvel?e.

Ces th?ories ici trop rapides, vagues ? force d'?tre condens?es expliqueront-elles ? M. Lema?tre la pr?tendue obscurit? de certains vers? Faut-il ajouter qu'en un art serr?, une technique bien comprise du vers, il faut ?viter toute explication, toute parenth?se inutile, et que peut-?tre ces n?cessit?s imposent au lecteur de se placer d'abord, par une premi?re lecture, en l'?tat d'esprit du po?te, et de ne comprendre compl?tement qu'? une seconde lecture.

Quant au symbole, tr?s justement le critique remarque sa perp?tuelle utilisation; tout beau po?me est un symbole; une trag?die de Racine peut, ?tant une ?tude du jeu des passions, ?tre consid?r?e comme symbolique. Mais il y a des mauvais po?mes, des mauvais genres de po?me qui ne sont pas symboliques et que l'?volution de la po?sie ?branche, on a vu dispara?tre l'?p?tre, le conte, la satire; M. de Banville n'admet plus, en somme, qu'une ode multiforme; Baudelaire n'admet plus que la notation br?ve de multiples sensations concourant ? former un livre de po?mes ?crits dans les m?mes tonalit?s. J'inclinerais ? ne plus admettre qu'un po?me ?voluant sur lui-m?me, pr?sentant toutes les facettes d'un sujet, chacune isol?ment trait?e, mais ?troitement et strictement encha?n?es par le lien d'une id?e unique.

Est-il n?cessaire pour comprendre le merveilleux sonnet:

de supposer la r?elle entr?e du po?te dans un cabaret? la gu?pe est-elle une gu?pe r?elle? n'est-ce pas la m?moire d'un instant de vie, revenant se figer par quelques inflexions simplifiantes, et par l? symboliques.

Rien n'est inintelligible; c'est en embrouillant de commentaires et d'explications la sensation franche et si compl?tement sortie du po?me qu'on le rend ? peu pr?s incompr?hensible.

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