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Read Ebook: Le Cathécumène traduit du chinois by Bordes Charles Dubious Author Voltaire Dubious Author

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Ebook has 32 lines and 9702 words, and 1 pages

LE CATHECUMENE,

TRADUIT DU CHINOIS.

A AMSTERDAM,

LE CATHECUMENE.

Des affaires de commerce m'avoient engag? ? faire un voyage sur mer; j'?tois d?ja bien loin des c?tes de ma patrie, lorsqu'une temp?te affreuse nous fit perdre notre route. Nous pass?mes plusieurs jours entre la vie & la mort; enfin nous fumes jett?s sur une terre inconnue, & forc?s de trouver un azile contre la fureur des flots.

Je tombai entre les mains d'un peuple rempli d'humanit?: je m'aper?us bient?t qu'il avoit perfectionn? tous les arts, qu'il pratiquoit les vertus, & qu'il ?toit dou? des plus hautes lumieres o? l'homme puisse atteindre. Mon admiration ?galoit ma reconnoissance; mais h?las! il n'est que trop vrai, que l'homme d?cele toujours par quelque endroit la foiblesse de son ?tre.

Ces gens-l? avoient pris de l'amiti? pour moi comme j'en avois con?u pour eux; leur douceur, leur honn?tet? avoient gagn? mon ame: ils me dirent un jour, de quelle religion ?tes vous? Cette question me surprit; je leur demandai, s'il y en avoit deux: ma r?ponse les fit sourire, & je vis qu'ils ?toient ?tonn?s de mon ignorance: ils ajouterent, adorez-vous des Dieux de bois, de m?tal ou de pierre? Je haussai les ?paules; ils prirent un air de satisfaction, & poursuivirent: croyez-vous ? Mo?se qui fit massacrer vingt-trois mille de ses concitoyens par ordre de Dieu? Je fis un mouvement d'indignation; ils continuerent & me demanderent, si j'?tois disciple de Mahomet qui fendit la lune en deux, & qui la cacha dans sa manche? Je ne r?pondis que par des signes de m?pris, qui parurent les satisfaire infiniment: ?tes-vous Chr?tien? me dirent-ils enfin: Je repliquai, que je ne savois pas ce qu'ils vouloient dire: ils parurent fort ?tonn?s, & ils ajouterent, qu'ils ne connoissoient dans le monde que quatre especes de religion. Vous n'en avez donc point? me dirent-ils: je leur r?pondis vainement, que j'?tois n? dans un pays, o? l'on adoroit un seul Dieu, Intelligence supr?me & bienfaisante, qui a cr?? le monde & qui le gouverne; qui r?compense dans une autre vie les bonnes actions que l'homme a faites dans celle-ci; que notre culte consistoit dans une reconnoissance & une soumission sans bornes, & dans l'exercice habituel des vertus, c'est-?-dire de la mod?ration, de la temp?rance, de l'humanit?, de la bienfaisance & de la justice. Est-ce tout? reprirent-ils: je leur dis que tout ?toit renferm? dans ce peu de mots. Eh quoi! votre Dieu, ajouterent-ils, n'a point fait de miracles? Il a cr?? le Ciel & la Terre, r?pondis-je modestement; que voulez-vous de plus? Quoi: point de Myst?res, de Pr?tres, de c?r?monies! Je baissai la t?te, & leur dis que je ne les comprenois pas. Je les entendis alors s'?crier entre eux: le pauvre homme! dans quel exc?s d'aveuglement, d'ignorance & de barbarie il est plong?! Mon ami, me dit l'un d'eux, nous avons piti? de votre ?tat: nous voulons vous ?clairer; remerciez Dieu qui vous a conduit de sa main au milieu de nous, pour vous instruire & vous convaincre de notre sainte & admirable religion. Notre Dieu se nomme le Christ, nous nous appellons Catholiques, vous allez voir Dieu. Mon ?tonnement seroit difficile ? exprimer; eh quoi! vous me ferez voir Dieu! Sans doute, r?pondirent-ils, vous le verrez tout comme nous; nous n'avons pour cela que quatre pas ? faire.

Je les suivis donc: nous aprochions d'un ?difice immense, ils me dirent que c'?toit le Temple; je me fis expliquer ce mot: j'appris avec la plus grande surprise, que c'?toit un b?timent o? r?sidoit leur Dieu. Et quoi! leur dis-je, vous renfermez Dieu entre quatre murailles, cet Etre immense, infini, qui anime, p?n?tre, environne des mondes sans nombre! Ils me r?pondirent froidement: quand vous verrez notre Dieu, vous ne serez plus si surpris. J'aper?us des portes, des serrures & des clefs ? l'entr?e de l'?difice, j'en demandai l'explication. Quoi! le Dieu du Ciel & de la Terre, vous le tenez sous la clef! Il le faut bien, dirent-ils, sans cela on pourroit le voler, le profaner. Voler Dieu! le profaner! Je passois d'?tonnement en ?tonnement.

Nous avancions dans ce qu'ils appelloient le Temple; je demandai o? ?toit le Dieu qu'on devoit me faire voir. Un peu de patience, me dit-on; on me conduisit ? l'extr?mit? de l'?difice.

L? sur une table ?lev?e de quelques marches au dessus du sol, on me montre une grande niche d'un travail riche & ?l?gant: dans cette niche, un cercle tout rayonnant d'or & de pierreries attire mes regards. Ce qui m'?tonnoit, c'?toit de voir ce cercle rempli d'une espece de morceau de papier blanc: je leur demandai ce que c'?toit? C'est notre Dieu, dirent-ils, le voil?: ? genoux, Profane? adorez le Dieu de l'univers.

J'avoue que je n'y voyois pas beaucoup de vraisemblance: cependant comme j'ai toujours ?t? avide de m'instruire, je pris la libert? de leur demander, pourquoi ils croyoient que le morceau de papier f?t Dieu lui-m?me?

Du papier, r?pliqu?rent-ils, Blasph?mateur! Ce que vous voyez, n'est point du papier, c'est un morceau de p?te travaill? avec la plus fine farine. Non moins ?tonn? qu'auparavant, j'insistai & fis la m?me demande, ? l'?gard de la feuille de p?te.

Alors ils me dirent, vous ne savez donc pas, ignorant, que Dieu s'est fait homme? Je leur jurai que j'en apprenois la premi?re nouvelle. Je leur demandai pourquoi il s'?toit fait homme? Il faut que vous sachiez, reprirent-ils, que le premier homme mangea une pomme malgr? la d?fense de Dieu, & que toute sa post?rit? fut en cons?quence condamn?e ? des suplices ?ternels. Une autre fois les hommes se rendirent si coupables, que Dieu se repentit de les avoir cr??s; & dans un moment d'humeur, il les noya tous, ? l'exception d'un tr?s-petit nombre. La post?rit? de ceux-ci n'en devint pas meilleure: Dieu continuoit ? ?tre irrit?; il s'agissoit de r?concilier le genre humain avec lui, & Dieu le fils se fit homme pour appaiser Dieu le p?re.

Cette famille Divine ne laissa pas que de m'?tonner un peu; & la fille de Dieu, dis-je alors, qu'est-elle devenue? Ils r?pondirent gravement, Dieu n'a point de fille.--Ha ha! il n'a que des gar?ons. Mais dites-moi, ? quoi vous connoissez le sexe de ce fils.--Ils r?pondirent, Dieu est incorporel, il n'a point de sexe, il n'en peut avoir.--Mais, insistai-je, comment Dieu le p?re a-t-il produit le fils, qui ne peut ?tre ni gar?on ni fille?--Il l'a engendr?. Dieu le p?re a donc un sexe? Il a donc une femme?--Rien de tout cela.--Oh! mes amis, ne vous servez donc pas de termes qui d?signent une op?ration toute corporelle; mais passons l?-dessus. Quand est-ce que le p?re a engendr? le fils?--De toute Eternit?.--Mes amis, il y a encore ici quelque contradiction, il n'y a pas moyen que l'engendreur & l'engendr? soient pr?cis?ment aussi anciens l'un que l'autre. Accordez-moi au moins une minute.--Nous ne vous accorderions pas une seconde.--Eh bien, passons encore, je n'aime point ? disputer sur ce que je n'entens pas; dites-moi ? pr?sent: votre Dieu n'a-t-il point eu d'autre enfant?--Non, mais il y a dans la famille une troisi?me personne, qui proc?de du p?re & du fils.--Proc?de! Je ne comprens pas cela: elle n'est donc pas engendr?e celle-l??--Non vraiment, prenez garde ? ce que vous dites, vous commettriez une h?r?sie.--Eh bien, je vous passe encore votre procession, quoique je n'y entende rien.--Oh! Monsieur, ce sont des Myst?res.--Et qu'est-ce que des Myst?res?--Ecoutez bien, Monsieur, ce sont des choses que Dieu lui-m?me a r?v?l?es aux hommes, tout expr?s afin qu'ils n'y comprissent rien du tout.--A merveille, Messieurs!--Il a voulu humilier leur raison.--C'est-?-dire qu'il a voulu leur inspirer du m?pris pour le bien le plus pr?cieux qu'ils tiennent de lui; & vous ne faites donc plus aucun usage de votre raison.--Pardonnez-moi, il nous est ordonn? de l'employer dans toutes les choses de la vie, except? lorsqu'il s'agit de Religion, alors ce seroit un crime de la consulter.--

Toujours de mieux en mieux, mais vous avez donc trois Dieux?--Point du tout; trois personnes, ? la v?rit?, dont la premi?re est le p?re, la seconde le fils, le Verbe ou la parole, la troisi?me l'Esprit; mais toutes les trois ne font qu'un seul Dieu; remarquez bien cela, car c'est une chose importante.--Comment! comment! Messieurs, trois qui ne font qu'un & un seul qui fait trois!--Oui, cela est, ? la v?rit?, contre toutes les r?gles de l'Arithm?tique, mais vous concevez combien la Th?ologie doit ?tre au-dessus de cette petite science subalterne.--Fort bien; & lorsque quelqu'un vous doit trois ?cus, ?tes-vous contens s'il ne vous en donne qu'un?--Oh! Monsieur, vous voulez rire, mais ce n'est pas ici mati?re ? plaisanter; c'est encore un Myst?re.--Oh! tant...--Vous n'?tes pas au bout, c'est ce qui fait notre m?rite; croire ce qui est absurde, voil?, voil? ce qui peut flatter Dieu: d'ailleurs nous sommes venus ? bout d'expliquer tout cela & d'en rendre raison.--Ah! pourriez-vous me faire voir ces explications?--Ah! cela vous prendroit trop de tems. Il y a dix-sept cens ans que nous composons sans cesse des volumes d'explication sur toutes ces mati?res; & le croiriez-vous? il y a encore des milliers d'incr?dules que nous ne pouvons convaincre.--Eh mais! je vois un moyen de les ramener: menacez-les de leur jetter les volumes ? la t?te, je parie qu'ils viennent se soumettre ? vos pieds.

Mais revenons ? votre troisi?me personne, comment l'appellez-vous?--Le Saint Esprit.--S'est-il fait homme aussi?--Point du tout, il s'est fait Pigeon:--Fort bien, mes amis, l'un me paro?t aussi croyable que l'autre.--Nous ne sommes pas bien assur?s que ce f?t sa forme naturelle, mais toutes les fois qu'il s'est montr? aux hommes, il n'a pas manqu? de rev?tir celle-l?.--Et vous tenez sans doute ce Dieu-l? dans un pigeonnier?--Point du tout, nous ne le tenons point du tout, non plus que Dieu le p?re, que vous voyez peint l? haut avec des cheveux blancs & une longue barbe.--Vous peignez sans doute le fils avec la m?me barbe & les m?mes cheveux blancs?--Oh! non, vous le voyez l? sous la figure d'un bel homme, d'?ge viril, comme il convient.--Mais s'ils sont aussi anciens l'un que l'autre, il me semble que le fils a autant de droit que le p?re, ? tous les v?n?rables signes de vieillesse.--Monsieur, il faut de l'ordre en toutes choses: vous voudriez donc renverser les loix de la nature & confondre le p?re avec le fils: celui-ci disoit toujours dans sa course mortelle, que son p?re ?toit plus grand que lui.--Et vous le croyez pourtant son ?gal?--Sans doute, ?gal, plus grand; quand on veut s'entendre, tout cela revient au m?me.--

On ne peut mieux raisonner: Et le fils s'est fait homme sans doute de toute Eternit??--Quelle piti?! il n'y a que dix-sept cens ans.--De qui & comment est-il n??--Mon cher Monsieur, il est n? d'une Vierge.--Elle fut tr?s surprise sans doute?--Oh! vous jugez bien, mais un Ange, un Esprit C?leste ?toit venu heureusement pour la pr?parer: sans cela vous concevez qu'elle seroit morte de frayeur & de honte en accouchant: vous allez ?tre bien surpris encore, cette Vierge ?toit mari?e.--Ah pardonnez-moi, je le suis un peu moins que vous ne pensez: ce Myst?re ? mon avis se comprend un peu mieux que les autres.--Ne plaisantez point, son mari ne couchoit point avec elle; c'est encore une r?v?lation.--Mais enfin comment cette Vierge con?ut-elle?--Par l'op?ration du St. Esprit:--Eh bien, par exemple, voil? qui est clair, & l'expression est de plus fort honn?te; c'est-?-dire que le pigeon qui proc?de du fils, a ensuite produit le fils Dieu homme?--Vous y ?tes pr?cis?ment. Il faut que vous ayez un talent naturel pour d?brouiller les g?n?alogies.--Le fils d'une Vierge & d'un pigeon ?toit v?ritablement un Dieu?--N'en doutez pas, la chose est si claire, comme vous voyez.--Et cet homme Dieu, de quelle esp?ce de femme n?quit-il?--D'une Charpenti?re.--Ah! j'en suis bien aise pour les Charpentiers; & o? n?quit-il?--Dans une ?table, entre un boeuf & un ?ne, au mois de D?cembre, par un tr?s-grand froid; mais Dieu n'abandonna pas son fils; l'?ne & le boeuf souffloient sur lui & le r?chauffoient.--Et n'y avoit-il qu'un ?ne?--Non, Monsieur.--Ah! je con?ois bien, qu'ils n'?toient pas tous l?; & quelle vie mena-t-il ensuite?--Il passa trente ans dans la boutique de son p?re ? qui il ?toit d'un grand secours dans tous ses ouvrages.--Vraiment je crois que c'?toit de la besogne bien faite: ah! Messieurs, les belles id?es que vous avez de la Divinit?!--Au bout de ces trente ans, il se mit ? pr?cher le peuple dans les Campagnes, cela dura quelque tems; ensuite les Magistrats se mirent de mauvaise humeur, parce qu'il disoit dans ses sermons beaucoup de mal des gens riches & en place, & qu'il pr?tendoit qu'ils iroient ? tous les Diables: il pr?vit qu'il alloit ?tre mis en prison, & il sua de peur sang & eau.--Votre Dieu sua de peur! Eh bien, voil? encore un beau trait dans son histoire.--On l'arr?ta, & par Sentence des Magistrats, apr?s qu'on lui eut crach? au visage, il fut mis en croix entre deux voleurs.--Franchement, voil? un Dieu en f?cheuse posture, ou en bien mauvaise compagnie! Et il mourut?--Et il mourut.--Et il fut enterr??--Et il fut enterr?.--Eh bien, Messieurs, voil? donc qui est fini, votre Dieu est pendu, mort & enterr?, voil? son histoire termin?e: je la trouve, d'honneur, on ne peut pas plus amusante.--Monsieur, Monsieur, vous allez bien vite; il mourut, il est vrai, pour engager Dieu le p?re ? pardonner aux hommes.--En consid?ration de ce qu'ils avoient tu? son fils: rien de mieux imagin? en effet.--Mais aprenez que pour t?moignage de sa Divinit?, il se ressuscita lui-m?me trois jours apr?s sa mort.--En public?--Non, secrettement.--Et quelles preuves en avez-vous?--Le r?cit de ses Disciples.--Et que disoit tout le peuple?--Il nioit le fait.--Fort bien, Messieurs, vous ?tes aussi heureux en preuves qu'en raisonnemens; & avoit-il fait d'autres miracles pendant sa vie.--Oh! tant! il gu?rissoit tous les poss?d?s, il s?choit les figuiers, il envoyoit les Diables dans des troupeaux de cochons, il remplissoit de poisson les filets de ses disciples, il remettoit tr?s-proprement les oreilles coup?es, il changeoit l'eau en vin, lorsqu'il ?toit pri? d'assister ? des n?ces: car il faut vous dire qu'il ne se faisoit pas une peine de se trouver ? des festins lorsqu'on l'en prioit.--Vraiment pour un Dieu Charpentier, il ?toit tout-?-fait aimable, & de plus je vois qu'il se rendoit utile dans les maisons: c'est fort bien ? lui: Et voyoit-il des femmes?--Quelquefois, il ?toit surtout fort indulgent pour les femmes adult?res, & sa meilleure amie ?toit une Courtisanne publique: il avoit gagn? son ame, au point qu'elle ne voyoit plus que lui.--Et mais! je suis assez content de ce miracle-l?, il marque du talent & un m?rite cach?.--Ah! vous dites bien, Monsieur, il aimoit tant ? se cacher, que jamais dans sa vie il n'a dit qu'il ?toit Dieu.--Et pourtant vous le croyez Dieu?--Sans toute: ses Sectateurs ont disput? longtems sur cet important article: il en a ?t? de m?me du St. Esprit, & parce qu'il n'?toit point parl? de ces trois personnes Divines dans les anciennes ?critures. Le St. Esprit n'a ?t? reconnu qu'apr?s douze cens ans: & quant ? la Divinit? de J?sus, il n'a fallu que trois cens ans de disputes, de troubles, de massacres, pour d?cider la chose ? son avantage.--Ah! je suis charm? de cette fortune-l?: elle s'est un peu fait attendre, mais que Diable il me semble qu'il doit le dire lui-m?me; sans cela c'est sa faute aussi: lorsqu'un Charpentier est Dieu, comment veut-il qu'on le devine? Il me semble que ce seroit encore assez faire, que de l'en croire sur sa parole; en v?rit? tous les Charpentiers du monde n'en peuvent exiger davantage.

Mais puisque vous aimez tant ce Dieu homme, sans doute il est n? dans votre pays?--Point du tout, il n?quit, il v?cut dans une autre partie du monde.--Il me semble que vous cherchez vos Dieux bien loin: apparemment il avoit compos? un corps de Doctrine & de Religion, que vous avez cru devoir adopter?--Il n'a point fait de corps de Doctrine, il n'a point enseign? de nouvelle Religion, il n'a rien compos?, rien ?crit; ne vous avons-nous pas dit qu'il aimoit ? cacher ses oeuvres? Mais ? son d?faut, quelques-uns de ses disciples ont ?crit son histoire, ses discours, ses pens?es.--Et c'est ce qui forme le code de votre Religion? elle y est annonc?e, d?finie, prescrite exactement?--Rien de tout cela, on n'y trouve que quelques faits de sa vie: accompagn?s de quelques pr?ceptes de morale, qu'il r?pandoit ?? et l? dans ses discours: il y dit lui-m?me hautement & express?ment, qu'il est venu accomplir la loi ancienne, & non la changer.--Il y avoit donc avant lui une Religion particuli?re dans le pays o? il prit naissance?--Oui vraiment.--C'est donc cette Religion que vous suivez?--Nullement; la notre lui est oppos?e presque dans tous les points.--Mais d'o? vous est donc venue cette Religion nouvelle que vous avouez vous-m?mes n'avoir pas ?t? annonc?e ni enseign?e par votre Dieu? C'est donc vous qui l'avez faite.--Nous avons expliqu?, comment?, interpr?t? sans cesse pendant dix-sept cens ans, tous les discours de notre Dieu, & nous en avons tir? une belle suite de Dogmes & de Myst?res tout nouveaux.--Et vous ?tes tous d'accord dans ces explications?--Ah! il s'en faut bien, nous n'avons pas cess? de disputer, de combattre, de nous ?gorger pour ces diverses interpr?tations.--Je suis f?ch? de vous le dire, mais voil? une Religion qui ne paro?t pas attirante; vous ne vous entendez pas les uns les autres, & vous vous ?gorgez pour cela! Je suis fort mal ?difi?, je vous l'avoue; il s'ensuivroit de vos principes que Dieu seroit venu expr?s parmi les hommes, pour les engager ? se massacrer mutuellement. Votre Dieu ne me pla?t point du tout, mais je vois ce qui vous a fait adopter une Religion si extraordinaire, c'est que les habitans o? votre Dieu pr?cha, l'avoient tous embrass?e?--C'est encore ce qui vous trompe; notre Dieu n'y gagna qu'un tr?s-petit nombre de Disciples, tous de la lie du peuple: & ne vous avons-nous pas dit qu'il fut mis ? mort par ordre des Magistrats?--Quoi! Messieurs, ses discours n'ont pas ?t? crus par la Nation qu'il instruisoit?--Non, Monsieur.--Ses miracles n'ont pas persuad? ceux qui en ?toient t?moins?--Non, Monsieur,--Et vous croyez ? toutes ces choses, vous qui ?tes ? mille lieues & ? dix-sept cens ans de distance?--Oh! Monsieur, il y a explication ? tout. Il faut que vous sachiez que Dieu avoit envoy? expr?s son fils chez ce peuple, & qu'il avoit expr?s endurci le coeur de ce peuple, pour qu'il ne cr?t pas ? son fils.--Bien expliqu?! en honneur, voil? qui me paro?t satisfaisant ? l'exc?s. Faites-moi le plaisir de me dire quel ?toit le nom de ce peuple?--On l'appelloit le peuple Juif.--Je ne le connois point.--Oh! Je le crois; il occupoit un si petit & si pauvre pays, que sa r?putation n'a pu faire beaucoup de chemin; mais il n'en ?toit pas moins autrefois le premier peuple de la Terre. Dieu l'avoit choisi parmi tous les autres, pour en faire sa Nation favorite: il le gouvernoit par lui-m?me, il parloit souvent ? ses chefs, mais il ne leur montroit que son derri?re. Nous ne finirions pas, si nous voulions vous raconter tous les prodiges qu'il ne cessoit d'op?rer en leur faveur.

Une fois entre autres qu'ils ?toient au nombre de six cens mille combattans, il leur donna les moyens de se sauver des mains des ennemis qui les poursuivoient pour les avoir vol?s par ordre de Dieu.--Ah! Monsieur, le beau miracle! Six cens mille combattans qui s'enfuient! L'admirable id?e que vous me donnez de cette brave Nation, & de son Dieu!--Il la ch?rissoit ? tel point, qu'? la moindre faute qu'elle commettoit, il la livroit en proye aux peuples voisins, qui la r?duisoient en esclavage, ou la massacroient sans piti?; quelquefois aussi par pure tendresse pour les Juifs, il leur ordonnoit de s'?gorger mutuellement, & il y en eut une fois vingt-trois mille mis ? mort par leurs propres concitoyens: & cela par les ordres de Dieu m?me. Il commanda ? un de leurs Rois de massacrer jusqu'au dernier homme d'une Nation vaincue. Celui-ci eut l'audace de ne pas ?gorger des hommes hors d'?tat de se d?fendre, il en fut puni: un fils de ce Roi mangea un peu de miel un jour de bataille, il fut condamn? ? la mort. Le p?re & le fils furent proscrits par leur Dieu justement irrit?, qui choisit expr?s de sa main un nouveau Roi. Celui-ci ? la v?rit? coucha avec la femme d'un de ses G?n?raux, & fit massacrer le mari.

Il eut de cette femme adultere un fils, qui rassembla sept cens femmes dans son S?rail: mais Dieu les ch?rit toujours l'un & l'autre. Tous deux furent combl?s de b?n?dictions c?lestes. Notre Dieu homme avoit l'honneur de descendre en droite ligne de cette femme adultere.--Ah! Messieurs, vous me faites fr?mir.--Ne vous avons-nous pas d?ja dit que la conduite de ce Dieu fut toujours myst?rieuse, & qu'il s'est propos? pour objet d'humilier la raison humaine? Le premier l?gislateur de ce peuple, & qui lui fut donn? pour chef par Dieu m?me, ?toit un assassin; il n'en eut pas moins le don de faire des miracles sans nombre. Il composa un tr?s grand corps de Loix Civiles & Religieuses, que nous conservons encore, & que nous r?v?rons comme certainement inspir?es par la Divinit?.--Et vous ne les suivez pas?--Non vraiment, nous les avons en horreur ainsi que ceux qui les pratiquent. Il est vrai que ce peuple avoit d'abord ?t? choisi de Dieu, & tout le reste de la Terre rejett?: ensuite toute la Terre a ?t? appell?e, & ce m?me peuple proscrit. N'admirez-vous pas, Monsieur, la sagesse du Dieu que nous adorons? Nous voulons aussi vous faire admirer sa bont?: il avoit d?fendu au peuple Juif, sous les plus grandes peines, de manger du Cochon, & Dieu s'est fait homme tout expr?s pour changer cela. Depuis dix-sept cens ans, nous mangeons du Cochon tant qu'il nous plait, & par reconnoissance nous br?lons ceux qui n'en mangent pas.--

--Je comprens: mais puisque tous les hommes ont ?t? appell?s ? votre nouvelle Religion, pourquoi n'a-t-elle jamais ?t? connue dans le pays o? je suis n??--Myst?re, monsieur, Myst?re! Et croyez-vous ?tre le seul, qui n'ayez point connoissance de cette nouvelle religion?--Je l'imagine du moins d'apr?s vos principes.--Apprenez que le Christianisme a ramp? d'abord sur la terre pendant plusieurs si?cles, ignor?, cach?, r?pandu lentement dans le peuple. Quelques Souverains l'adopterent: alors ses progr?s se firent plus rapidement & d'une maniere ?clatante: mais dans son plus haut point de grandeur, jamais il n'est parvenu ? occuper la quinzieme partie de la Terre.--Et les quatorze autres parties de la Terre ne produisent que des damn?s?--Rien n'est plus certain, & gardez-vous bien d'en douter, vous seriez damn? vous m?me.--Cela me paro?t bien dur: mais sans doute votre Dieu, votre religion ont ?t? annonc?s ? tous les peuples: c'est leur faute, s'ils persistent dans l'erreur.--Vous vous pressez toujours trop t?t de juger: apprenez que les trois quarts de la Terre n'ont jamais eu ni pu avoir connoissance de notre religion, du moins pendant quinze-cens ans. Nous ignorions encor l'art de la navigation, nous ne pouvions traverser les mers immenses qui nous s?paroient d'eux, pour aller les instruire de nos dogmes & de notre culte.--Et ces gens-l? ?toient damn?s pour n'avoir pas connu ce qu'ils ne pouvoient pas conno?tre?--Sans doute: depuis trois si?cles l'art de naviguer nous a mis ? port?e d'aller instruire quelques-uns de ces peuples, seulement sur les c?tes; car il ?toit impossible de p?n?trer bien avant dans les terres. Nous avons fait quelques Pros?lites.--Et ceux qui ne peuvent croire que trois ne font qu'un?--Mr. nous les ?gorgeons, toutes les fois que nous sommes les plus forts.--Ah! barbares!--Prenez garde ? ce que vous dites: nous vengeons notre Dieu, qu'ils ne veulent pas reconno?tre: nous voulons lui gagner des ames; elles resistent, il faut bien punir leur obstination.--Messieurs, croyez-vous votre Dieu tout-puissant?--Certainement.--Il est tout-puissant, & vous pensez qu'il a besoin de votre secours pour gagner des ames, & vous vous chargez du soin de punir pour lui, & de le venger! Quelle terrible incons?quence! Et votre Dieu vous a-t-il ordonn? express?ment d'?gorger vos freres en son nom?--Non pas pr?cis?ment, mais nous avons l'art d'interpr?ter ses volont?s. On voit bien que vous ne savez pas ce que c'est que le z?le de la gloire de Dieu, & l'extr?me envie de lui plaire.--Et le moyen que vous choisissez, c'est de massacrer ses Cr?atures.

Je fr?missois de tant d'absurdit?s & d'horreurs: mais, faisant effort sur moi-m?me, pour achever de m'instruire je leur demandai quel ?toit leur culte. Ils me dirent, vous l'allez voir, voil? le Pr?tre qui monte ? l'autel, suivez les c?r?monies.

Je vis en effet cet homme singuli?rement & richement v?tu, se courber, se relever, se promener d'un c?t? ? l'autre, lisant, marmotant des paroles que je n'entendois pas: je leur dis, cet homme ne parle donc pas votre langue?--Vraiment non, r?pondirent-ils; toutes nos prieres sont dans une langue ?trangere, qui n'est guere entendue que de la millieme partie de la nation; & la plupart m?me des livres de notre religion sont ?crits dans un langage si ancien, que personne ne le comprend plus.--Je t?moignai ma surprise, mais on me r?p?ta doucement, suivez les c?r?monies. Je vis alors le Pr?tre prendre entre ses mains une grande feuille de p?te. Je leur dis: est-ce encore l? votre Dieu? Pas encore, me repliqua-t-on; mais vous n'attendrez pas longtems.--Je redoublai d'attention, pour voir comme on devenoit Dieu. Le Pr?tre s'inclina, marmota quelques mots, leva le morceau de p?te par dessus sa t?te: tout le monde ?toit prostern?, on m'obligea d'en faire autant. Je ne comprenois rien ? tout cela. Cependant le Pr?tre prit une coupe d'argent, dans laquelle je lui avois vu mettre de l'eau & du vin; il s'inclina encore, pronon?a des paroles, leva la coupe par dessus sa t?te. Interdit, ?tonn?, je demandai l'explication de ce que je voyois.--On me r?pondit, ce morceau de p?te que vous avez vu d'abord, & que vous voyez encore, ce vin & cette eau qui sont renferm?s dans cette coupe, existoient tout-?-l'heure, & n'existent plus.--Comment! ils n'existent plus, & je les vois comme je les voyois auparavant!--N'importe, me dit-on, vos sens vous trompent: d'abord, c'?toit en effet de la p?te, c'?toit du vin & de l'eau; ? pr?sent par le moyen des paroles que le Pr?tre vient de prononcer, cette p?te s'est an?antie, elle est devenue le Corps m?me de notre Dieu: cette eau & ce vin ont cess? d'?tre, ils sont devenus le sang de Dieu. Etes-vous au fait ? pr?sent? Convenez que voil? un beau mystere.--Admirable en effet! Le corps de Dieu d'un c?t? & son sang de l'autre! Que cela est heureusement imagin?! Mais, Messieurs, ?tes-vous bien assur?s de ce que vous me dites?--Comment en pouvez-vous douter? Le Pr?tre a dit les paroles.--Et votre Dieu est oblig? de s'y soumettre, & de se rendre l? ? point nomm??--Sans doute.--J'avois ou? dire que Dieu avoit cr?? l'homme, & ici c'est l'homme qui cr?e Dieu.--Oui, Monsieur.--Et vous pouvez tous op?rer ce prodige.--Oh! non, il n'y a parmi nous que les Pr?tres qui ayent ce pouvoir.--Et qu'est-ce que les Pr?tres?--Ce sont des hommes qui embrassent cet ?tat pour vivre, & ? qui l'on donne dix sols pour faire ce prodige.--Cela ne me paro?t pas cher, & il ne le font apparemment qu'une seule fois dans leur vie?--Point du tout, il le peuvent ? toute heure, ? tout moment: mais pour l'ordinaire, il se contentent d'une seule fois par jour.--En v?rit? cela me paro?t bien modeste de leur part. Vous avez donc chaque jour autant de Dieux que de Pr?tres?--Vous y ?tes pr?cis?ment.--Et avez-vous beaucoup de Pr?tres?--Un nombre presqu'infini.--Et par cons?quent un nombre presqu'infini de Dieux. Ah! Messieurs, la belle manufacture que vous avez l?! Je suis dans un ?tonnement.--Ne vous pressez pas de vous ?tonner, me dirent-ils, vous n'?tes pas au bout.--Apparemment, leur dis-je alors, qu'il n'y a qu'un seul de vos Pr?tres qui fasse cette c?r?monie ? une heure fix?e: votre Dieu ne pourroit se trouver en deux endroits ? la fois.--Vous vous trompez encore: il y a peut-?tre, en ce moment m?me, cinq cens mille Pr?tres qui prononcent les m?mes paroles.--Et cinq cens mille Dieux cr??s ? la fois au m?me instant?--Oui, Monsieur, & c'est absolument un seul & m?me Dieu partout.--Et les cinq cent mille Dieux ne font qu'un?--A merveille, vous voyez bien que cela va tout seul, & que rien n'est plus ais? ? comprendre, vous l'avez saisi d'abord, mais ne perdez pas le Pr?tre de vue, & observez attentivement ce qu'il fait.

Je levai les yeux, & je l'aper?us qui rompoit la feuille de p?te entre ses doigts; je fr?mis, & ne pus m'emp?cher de m'?crier: ah! Messieurs, voil? le Pr?tre qui casse les bras & les jambes ? votre Dieu! Ils se mirent ? sourire & me dirent avec douleur: ne craignez rien, il l'a divis? en trois parties, il est vrai, mais c'est sans lui faire aucun mal: car le corps de Dieu se trouve ? pr?sent tout entier dans chacune de ces trois parties, & vous devez convenir que cela se comprend aussi ais?ment que tout le reste.--Je fus oblig? de l'avouer. En m?me tems je remarquai que le Pr?tre mettoit un petit morceau de p?te dans la coupe o? ?toit le sang; ?tonn? encore, je leur dis: le voil? qui met le corps dans le sang, & il me semble au contraire que c'est le sang qui devroit ?tre dans le corps. Ils se moquerent de moi, & me dirent de ne pas insister sur ces bagatelles, & que j'allois voir bien autre chose.

En effet je vis le Pr?tre qui plioit proprement les deux grandes parties de la feuille de p?te, l'une sur l'autre; il se frappa trois fois la poitrine, il aprocha sa bouche: jugez de ma surprise! je le vis saisir son Dieu entre les dents, lui faire craquer les os, le manger, le d?vorer, l'avaler enfin & l'absorber dans son estomach. On me dit, vous voil? bien ?tonn?: vous ignoriez qu'un homme p?t manger Dieu: vous voyez pourtant que cela est bient?t fait.--Ah! Messieurs, leur dis-je, il en a mang? trente pour le moins, car j'ai bien vu qu'il l'a m?ch? assez longtems, & il ne l'a pu sans le diviser entre ses dents; & vous venez de me dire que dans chaque partie il reconnoissoit un Dieu tout entier.--Eh bien! trente fois, me r?pondit-on.--J'avoue, repris-je alors, qu'il ?toit bien juste qu'il les mange?t, puisqu'il les avoit faits. Mais comment n'a-t-il pu faire qu'une bouch?e de ce corps tout entier, ou plut?t de ces trente corps? Comment le go?t de la chair de cet homme Dieu ne l'a-t-il pas fait fr?mir?--Vous n'y ?tes pas, reprirent-ils: il n'a senti que le volume & le go?t de la petite feuille de p?te: ne vous avons-nous pas dit que toutes ses apparences continuoient de subsister?--C'est-?-dire, que votre Dieu apr?s avoir fait un miracle pour venir l?, en op?re un second pour vous en faire douter.--Oui, Monsieur, afin que nous ayons du m?rite ? croire.--Je vois, Messieurs, que vous n'en ?tes pas les dupes, & que vous ne donnez pas dans ces pi?ges-l?. Mais sans doute votre Dieu a enseign? formellement & ?videmment ce Dogme, il a institu? distinctement le Sacrifice & toutes les c?r?monies, il a cr?? des Pr?tres?--Rien de tout cela: on ne trouve dans son histoire ?crite par ses disciples, ni ces sacrifices, ni ces mist?res, ni ces Pr?tres, ni ces prodiges sans nombre: mais nous lisons dans cette histoire, qu'?tant un soir ? souper avec ses amis il prit par forme de conversation un morceau de pain qu'il partagea avec eux en leur disant: ceci est mon Corps, & quand vous ferez ces choses, vous les ferez en m?moire de moi; il n'a jamais dit que ce peu de mots sur cette importante mati?re. Cent auteurs ont travaill?, ont ?crit sur ce passage, & en ont enfin tir? cette admirable doctrine que nous venons de vous enseigner.--Il falloit que ce fussent d'habiles gens.--Oh! nous vous en faisons juge; il faut vous dire aussi, qu'ils ?toient tous pr?tres.--C'est-?-dire de ceux qui se vantent de faire le miracle?--Oui, Monsieur.--Eh mais! je suis un peu moins ?tonn? que je n'?tois d'abord.--Malgr? une autorit? si d?cisive, des nations entieres ont alter?, ont d?figur?, ont ni? ce dogme; il a fallu le d?fendre les armes ? la main, & il n'en a gu?re co?t? que trois ou quatre cens mille hommes, pour le conserver dans toute sa puret? chez quelques peuples seulement, car il a ?t? aboli chez beaucoup d'autres.

Cependant un d'entre eux me tira doucement par la manche, & me dit: suivez ce qui se passe ? l'autel. J'ob?is: le Pr?tre tira une petite clef de sa poche, il l'appliqua ? une petite serrure, & ouvrit une petite niche obscure qui ?toit au milieu de l'autel; il s'inclina, porta sa main dans la niche, & en retira un vase d'argent; il d?couvrit le vase, & retira avec le bout des doigts une tr?s-petite feuille de p?te, se retourna vers les spectateurs, descendit de l'autel, s'aprocha d'une balustrade couverte d'une nape; tous les assistans s'avanc?rent l'un apr?s l'autre, prirent un bout de la nape sur leurs mains, baiss?rent les yeux, lev?rent la t?te, tir?rent la langue: le Pr?tre les parcouroit tous, & leur pla?oit sur la langue le petit morceau de p?te.

Quand tout cela fut fini, j'en demandai l'explication, selon mon usage: ils me dirent tranquillement, ce sont autant de Dieux que nous avons mang?s: de quoi ?tes-vous ?tonn?? il me semble que chacun son Dieu ce n'est pas trop.--Quoi! Messieurs, ce vase que le Pr?tre a tir? de ce petit cachot noir, ?toit tout plein de Dieux?--Oui vraiment, tant qu'il en peut tenir, tous couch?s les uns sur les autres en attendant qu'on les mange; tous les jours la table est dress?e, comme vous voyez, la nape est mise; & tout homme qui se sent en app?tit spirituel peut venir se r?galer d?votement.--Le matin & l'apr?s midi?--Le matin seulement.--Ah! je comprens, vous ne mangez votre Dieu qu'? d?jeuner: Et dans tous vos Temples est-ce la m?me chose?--N'en doutez pas; dans tous les pays o? notre Religion est ?tablie, il se consomme peut-?tre, bon an, mal an, cent ou deux cent millions de Dieux. R?p?tez ce nombre jusqu'? la fin du monde, ajoutez-y le grand nombre de si?cles qui se sont ?coul?s depuis l'?tablissement de notre culte, vous verrez des milliards de milliards de morceaux de p?te, de Dieux, de m?tamorphoses, de prodiges & d'estomachs humains chang?s en temples de la divinit?. Ah! Monsieur, l'admirable Religion! nos champs sont couverts de moissons, & il n'y a pas un seul grain de bled qui ne puisse au besoin devenir un Dieu.--Vous n'en dites pas assez, Messieurs; car d'apr?s vos principes, vous n'avez qu'? briser en particules insensibles tous les morceaux de p?te, le tout sans faire aucun mal ? votre Dieu, & en ce cas, vous multipliez vos Dieux comme les sables de la mer. Je d?couvre encore que, comme il y a dans le sein de la terre une infinit? de portions de mati?res qui peuvent devenir du bled & de la farine, toutes ces multitudes innombrables de particules n'attendent qu'un heureux hazard, pour ?tre autant de Dieux; j'apper?ois dans un tas de fumier des milliers d'Etres Divins possibles; vos latrines m?me en regorgent; & il n'y a pas une partie de vos cadavres, qui ne puisse ? son tour devenir une Divinit?.--

On ne peut pas mieux raisonner, dirent-ils alors: vous avez saisi toute la f?condit? des principes.--Mais, repris-je aussit?t, il me reste une question ? vous faire: quand vous avez mang? votre Dieu, vous ?tes donc vous-m?mes autant de Dieux ambulans: & s'il plaisoit ? un de vos Pr?tres de se nourrir uniquement de cette p?te divine, tout son corps ? la longue ne seroit donc plus qu'une coagulation de dieux, & s'il alloit ? la garde-robe, ses excr?mens seroient encore des Dieux, & vous tiendriez sans doute ? grand honneur de les manger?--Vous vous trompez ici, me dirent-ils froidement.--Mais, Messieurs, comment la chose peut-elle n'?tre pas ainsi? j'ai bien voulu ne pas vous contester la destruction & l'an?antissement de votre p?te, de votre eau & de votre vin; mais Dieu ne peut ?tre ni d?truit, ni an?anti; & s'il ne peut l'?tre, ma cons?quence est n?cessaire & ?vidente. Puisque vous mangez Dieu, ou vous le dig?rez ou vous le rendez par les selles, pardonnez-moi le terme.--Ni l'un ni l'autre, me dirent-ils: notre Dieu, il est vrai, prend un singulier plaisir ? ?tre mang?: on ne peut rien faire qui lui soit plus agr?able.--A la bonne heure, on ne dispute pas des go?ts.--Mais, Monsieur, de ce qu'il aime ? entrer dans notre bouche, il ne s'ensuit pas qu'il veuille s'enterrer dans notre estomach ni sortir par notre derri?re; notre Dieu est d?cent, & nous vous prions de croire qu'il n'habita jamais dans un pot de chambre: ?coutez bien comment la chose se passe: aussit?t que Dieu est descendu dans notre estomach, la p?te, l'eau & le vin, renaissent, & il n'est plus question de Dieu.--Il sort sans doute par en-haut ou par en-bas?--Il ne sort point.--Il reste donc?--Il ne reste pas non plus.--Que devient-il donc? car enfin il faut qu'il sorte ou qu'il reste, ou bien qu'il s'an?antisse; & je vous avoue qu'un Dieu qui s'an?antit, ne m'en impose point du tout, & qu'il me donne tr?s-mauvaise opinion de lui.--Prenez garde ? ce que vous dites; notre Dieu ne s'an?antit point.--Eh bien! je ne veux pas disputer, je me bornerai ? une expression, qui pourra peut-?tre vous satisfaire: il a d'abord escamott? le pain & le vin, & il finit par s'escamotter lui-m?me.--Le terme n'est pas noble, mais nous voulons bien vous le passer, puisqu'il ne rend pas mal l'id?e que nous avons de cet adorable myst?re: d'ailleurs il s'agit de vous gagner ? notre sainte Religion, nous vous devons quelque condescendance. Ne vous sentez-vous pas merveilleusement ?difi?? notre Dieu ne vous paro?t-il pas grand & sublime? sa doctrine, sa vie, ses myst?res, tout ne vous semble-t-il pas marqu? au coin de la Divinit??

J'h?sitois ? r?pondre: allons, mon cher enfant, reprirent-ils, soumettez-vous, ne r?sistez plus. Je craignois de les choquer, je ne disois mot: alors ils s'approch?rent de moi avec un vase plein d'eau; il me pri?rent avec beaucoup de politesse de permettre que l'on vers?t quelques goutes de cette eau sur ma t?te. Je suis complaisant de mon naturel, je ne fis aucune difficult? d'y consentir, d'autant plus qu'ils paroissoient le souhaiter avec beaucoup d'empressement. L'eau fut vers?e; ils m'essuy?rent ensuite tr?s-proprement; ils me saut?rent au col, ils s'?crioient, vous ?tes notre fr?re, vous ?tes Chr?tien.

Toute cette c?r?monie finit par un grand d?ner; un des Chapelains prit beaucoup d'amiti? pour moi en buvant; il me dit le secret de l'Eglise. Toutes ces inepties, dit-il, furent invent?es par des Fanatiques, & prot?g?es par des Fripons: Les uns & les autres trouv?rent leur compte ? tromper les hommes: les Energum?nes nourissoient leur orgueil en faisant des Pros?lites: les gens adroits mirent l'argent des uns & des autres dans leurs poches. Quand la folie & l'int?r?t se joignent ensemble, cela va loin; la raison est venue trop tard, elle n'a pu r?sister au torrent; & nous serons le peuple le plus absurde de la terre, jusqu'? ce qu'enfin la voix des honn?tes gens qui d?testent ces inf?mes, puisse se faire entendre.

Je levai les ?paules de piti?! j'embrassai mon homme, & je retournai bien vite dans mon pays.

FIN.

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