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Read Ebook: Young Oliver: or the Thoughtless Boy. A Tale by Anonymous

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Ebook has 279 lines and 104096 words, and 6 pages

M. Guizot avait agi sans aucune h?sitation. Dans cette convention nouvelle, il ne voyait que la confirmation d'un r?gime accept? depuis dix ans par l'opinion fran?aise et pratiqu? sans avoir donn? lieu ? de s?rieux abus. Quant ? se demander si, pour ?tre accept? sans ombrage et exerc? sans conflit, le droit de visite ne supposait pas, entre les puissances contractantes, un ?tat de confiance et de bon vouloir r?ciproques qui n'existait plus depuis 1840, notre ministre ne para?t pas y avoir song?. En ne reculant pas davantage la conclusion de cette affaire commenc?e et pr?par?e par ses pr?d?cesseurs, il croyait faire un acte tout naturel et ne s'attendait de ce chef ? aucune difficult? s?rieuse et durable. Les faits sembl?rent d'abord lui donner raison. L'incident fut jug? si insignifiant que, dans la conf?rence o? ils fix?rent les points sur lesquels porterait l'attaque dans la discussion de l'adresse, les chefs de la gauche et du centre gauche commenc?rent par l'?carter. Ce fut M. Billault qui r?clama: il ?tait d?put? de Nantes; or les armateurs et les n?gociants de nos ports ?taient fort pr?venus contre le droit de visite, les uns parce qu'ils croyaient avoir ? redouter de mauvais proc?d?s de la part de la marine anglaise; quelques autres par des motifs peut-?tre moins avouables: ils passaient pour ne pas ?tre grands ennemis de la traite; sans la faire eux-m?mes, ils exp?diaient sur la c?te d'Afrique les marchandises que les n?griers employaient comme mati?re d'?change dans leur trafic. Sur l'insistance de M. Billault, il fut d?cid? <>, mais on n'en esp?rait aucun r?sultat important.

? peine l'annonce du d?bat eut-elle forc? l'attention du public ? se porter sur cette convention, que commen?a ? se manifester une opposition d'une vivacit? ? laquelle personne ne s'?tait attendu. Quelque fait nouveau avait-il donc subitement r?v?l?, dans l'exercice du droit de visite, des inconv?nients jusqu'alors inaper?us? Non; le seul fait nouveau, c'?tait le trait? du 15 juillet 1840 qui avait r?veill? contre <> la vieille animosit?, plus ou moins assoupie depuis 1830, et qui, par suite, faisait regarder comme insupportable le r?gime nagu?re si facilement accept?. Le mouvement se dessina tout de suite avec tant de force que M. Guizot, malgr? son optimisme habituel, fut troubl? dans sa s?curit?. La veille m?me du jour o? la question devait ?tre d?battue ? la Chambre, il ?crivait ? M. de Sainte-Aulaire, alors ambassadeur ? Londres: <> Rien de plus fond? que cette derni?re r?flexion; mais M. Guizot ne la faisait-il pas un peu tard?

La discussion s'engagea ? la Chambre des d?put?s, le 22 janvier 1842. M. Billault ouvrit le feu contre le droit de visite, montrant la tradition de la politique fran?aise m?connue, la libert? des mers livr?e ? la pr?potence anglaise, le droit international mutil?, notre marine d?courag?e, nos int?r?ts commerciaux compromis. Habile, incisif, sp?cieux, il eut du succ?s; ce genre de questions convenait mieux ? son talent d'avocat que les d?bats plus g?n?raux. M. Dupin l'appuya avec sa verve famili?re qui agissait toujours sur une certaine fraction de la majorit?. Puis, ce fut M. Thiers qui, devant l'importance inattendue prise par la question, se d?clara adversaire du droit de visite, au risque de se faire rappeler qu'il ?tait ministre lors de la convention de 1833; l'homme d'?tat e?t d? se demander s'il ?tait avantageux ? la France de la jeter dans un nouveau conflit; mais l'opposant avait entrevu une chance de faire ?chec au minist?re, cela lui faisait oublier tout le reste. Le second jour, l'attaque fut continu?e par MM. Berryer, Odilon Barrot et l'amiral Lalande. M. Guizot, presque seul, tint t?te aux assaillants avec courage et talent; il prit plusieurs fois la parole; mais vainement rappelait-il les pr?c?dents; vainement d?montrait-il que, si des abus se produisaient, le gouvernement serait arm? contre eux; vainement essayait-il d'int?resser les sentiments lib?raux et g?n?reux de ses auditeurs ? la r?pression d'un trafic inf?me,--il sentait lui-m?me, non sans surprise, que sa parole ne portait pas, qu'elle se heurtait ? des pr?ventions plus fortes. <> Le fait le plus grave ?tait que l'opposition ne se manifestait pas seulement sur les bancs de la gauche et du centre gauche: elle gagnait visiblement la majorit?. Dans cette derni?re partie de l'Assembl?e, l'appel aux ressentiments contre l'Angleterre rencontrait de l'?cho, et l'on croyait utile de montrer ? tous que le pays n'avait pas le pardon aussi facile que ses gouvernants. D'ailleurs, les m?mes d?put?s qui eussent ?t? le plus ?pouvant?s de voir la France jet?e dans le moindre conflit, ?taient bien aises, une fois rassur?s sur ce danger par la sagesse des ministres, de ne pas laisser ? la gauche seule l'avantage de para?tre partager les susceptibilit?s nationales. Les pr?ventions populaires, avec lesquelles ils devaient ?tre prochainement aux prises dans les ?lections g?n?rales, les pr?occupaient plus que les embarras diplomatiques dont leur manifestation pourrait ?tre la cause: ce serait affaire au cabinet de se tirer de ces embarras, et, si par crainte de ses successeurs on ne voulait pas renverser M. Guizot, on s'inqui?tait peu de lui rendre la vie d?sagr?able.

Malgr? tout, le ministre n'aurait-il pas pu enlever d'autorit? le vote de la Chambre et ?carter ainsi, d?s le d?but, une difficult? qui devait devenir si grosse? Quelques-uns l'ont cru, m?me parmi ses adversaires les plus ardents. ? leur avis, si le minist?re avait r?solument pos? la question de confiance, en d?clarant qu'apr?s avoir fait signer une convention il ne pouvait lui-m?me la d?chirer, la majorit? e?t suivi, bon gr?, mal gr?, et l'amendement de M. Billault e?t ?t? rejet?. C'est ce qu'aurait peut-?tre tent? Casimir P?rier. M. Guizot n'osa pas. Il ne se sentait pas l'autorit? que donnait ? P?rier le p?ril de 1831, et il ne voulait pas risquer, sur une question apr?s tout secondaire, l'existence d'un cabinet dont la chute e?t compromis tant de grandes causes. D'ailleurs, il n'?tait pas, dans ses rapports avec ses partisans, le ministre imp?rieux et dominateur dont l'accent de sa parole donnait parfois l'id?e. Bien plus dispos? ? m?nager leurs pr?jug?s qu'? les brusquer, combien de fois, au cours de son administration, il devait sacrifier ses vues personnelles, souvent les plus hautes et les meilleures, ? la crainte de voir se disloquer par quelque c?t? cette majorit? qu'il savait lui ?tre n?cessaire et dont il connaissait l'inconsistance! <>

D?s que le minist?re ne posait pas la question de confiance, il n'?tait pas douteux que le vote serait une manifestation contre le droit de visite. Ne pouvant emp?cher cette manifestation, les amis de M. Guizot se flatt?rent qu'elle aurait moins le caract?re d'un succ?s de l'opposition et d'un bl?me contre le cabinet, si la r?daction adopt?e par la Chambre ?manait d'un membre de la majorit?. En cons?quence, un minist?riel notoire, M. Jacques Lefebvre, proposa, avec l'assentiment unanime de la commission de l'adresse, un amendement proclamant, comme celui de M. Billault, <>; la seule diff?rence ?tait qu'on y avait ins?r? le mot de <>. Cette d?marche ne se fit ?videmment pas ? l'insu et contre la volont? du minist?re: mais nous doutons que M. Guizot ait connu ? l'avance et approuv? le commentaire apport? ? la tribune par M. Jacques Lefebvre. Celui-ci fit valoir que sa r?daction ?tait celle qui condamnait le plus absolument tout droit de visite, et il exprima le voeu, non seulement que la convention de 1841 ne f?t pas ratifi?e, mais aussi <>. Il d?termina ainsi les membres de la gauche ? abandonner leur amendement et ? se rallier au sien; c'?tait ?videmment son but; mais pensait-il ? la situation o? un tel commentaire mettait M. Guizot?

Si le ministre d?clarait repousser l'amendement, il d?savouait ses amis; s'il l'acceptait, il se d?savouait lui-m?me. En cet embarras, il sut du moins garder la dignit? et la fiert? de son attitude oratoire. Il ne combattit pas l'amendement, mais ne promit pas de s'y soumettre. <> Pour remplir le premier de ces devoirs, il d?fendit, une fois de plus, le principe du droit de visite, sans reculer devant le flot grossissant des pr?ventions contraires; il soutint avec force que la convention sign?e par lui ne portait pas atteinte ? la libert? des mers. <> Puis, abordant un autre ordre d'id?es, le ministre ajoutait: <> Il rappela alors comment, en 1838, la France, <>, avait, de concert avec l'Angleterre, propos? aux autres puissances de faire une nouvelle convention pour l'extension du droit de visite, comment cette convention avait ?t? conclue. <>... Je le r?p?te en finissant: quel que soit le vote de la Chambre, la libert? du gouvernement du Roi, quant ? la ratification du nouveau trait?, reste enti?re; lorsqu'il aura ? se prononcer d?finitivement, il p?sera toutes les consid?rations que je viens de vous rappeler, et il se d?cidera sous sa responsabilit?.>>

Si l'opposition n'avait eu d'autre but que de mettre le minist?re dans l'embarras, sans s'inqui?ter de savoir si, du m?me coup, elle ne mettait pas le pays en p?ril, elle pouvait se f?liciter des premiers r?sultats de sa campagne. Quelle situation, en effet, pour le cabinet! Refuser de ratifier ? la date fix?e une convention que notre gouvernement avait non seulement accept?e, mais propos?e, c'?tait exposer la France ? un conflit avec l'Europe justement bless?e d'un tel manque de parole. Ratifier une convention contre laquelle la presque unanimit? de la Chambre venait de se prononcer, c'?tait exposer le cabinet ? un conflit parlementaire o? il e?t s?rement succomb?. Le probl?me paraissait insoluble. Autour de M. Thiers, on disait, en se frottant les mains: <>

Il devait cependant s'en tirer, non pas tout de suite, mais apr?s une longue n?gociation qui m?rite d'?tre cit?e comme un chef-d'oeuvre de patiente et prudente habilet?. M. Guizot, qui, en 1840, lors de son ambassade ? Londres, ne savait qu'imparfaitement la diplomatie, l'avait apprise depuis par la pratique m?me de ces affaires ?trang?res qu'il dirigeait depuis plus d'une ann?e, au milieu des circonstances les plus difficiles. Il convient aussi de noter, dans cette sorte d'?ducation compl?mentaire de l'homme d'?tat, l'influence d'une femme dont nous avons d?j? eu plusieurs fois l'occasion de prononcer le nom: madame de Lieven. Son mari, titulaire de l'ambassade de Russie ? Londres de 1812 ? 1834, y avait tenu peu de place; la princesse, au contraire, avait ?t? tout de suite fort en vue. C'?tait une grande dame et une femme d'esprit, peu jolie, mais pleine d'aisance et de bonne gr?ce, causeuse habile et charmante, tr?s recherch?e dans les salons et ayant su s'en cr?er un. Toujours en qu?te d'informations que, de Londres, elle adressait directement au Czar et ? la Czarine, elle t?moignait pour les grandes et les petites affaires de la politique une curiosit? passionn?e qui la faisait parfois soup?onner de cabale et d'intrigue. Quand son mari fut rappel?, en 1834, elle trouva grand accueil ? Saint-P?tersbourg; l'empereur Nicolas se plaisait ? l'entretenir. Cette faveur ne suffit pas cependant ? lui rendre supportable le s?jour en Russie; elle avait la nostalgie de l'Occident et obtint la permission d'y retourner. Apr?s un court passage en Italie, o? elle perdit son mari, elle vint s'?tablir ? Paris. ? peine arriv?e, on la voit, au commencement de 1836, occup?e, avec madame de Dino qu'elle avait connue ? Londres, ? renverser le duc de Broglie et ? pousser M. Thiers ? sa place. Ce dernier la fr?quenta pendant sa courte administration, du 22 f?vrier au 6 septembre 1836. Peu apr?s, M. Guizot devenait le familier de ce salon o? l'on cherchait ? attirer tous les hommes politiques consid?rables; bient?t m?me, l'affection qu'il t?moignait et qui lui ?tait rendue lui fit une situation ? part entre tous les amis de la maison: on e?t dit un autre Chateaubriand aupr?s d'une autre madame R?camier. Quel attrait avait donc pu rapprocher de l'habile et remuante mondaine l'aust?re et grave doctrinaire? En tout cas, l'?ge de l'une, ? d?faut du caract?re de l'autre, ?cartait toute interpr?tation malicieuse. Apr?s la formation du minist?re du 29 octobre 1840, la liaison, loin de se rel?cher, fut encore plus ?troite et plus affich?e; le ministre allait d'ordinaire chez la princesse trois fois par jour, avant la s?ance de la Chambre, en en revenant et dans la soir?e. Il y donnait des rendez-vous et s'y faisait apporter les pi?ces ? signer. ?trange spectacle que celui de cette intimit? notoire entre le principal d?positaire de tous nos secrets d'?tat et une ?trang?re qui, nagu?re encore, jouait un des premiers r?les dans la diplomatie d'un souverain hostile ? la France! Disons tout de suite que les inconv?nients qui semblaient ? craindre ne se produisirent pas; madame de Lieven fut une amie fid?le et s?re. Ajoutons que si elle trouva dans ce commerce une occasion de satisfaire la curiosit? politique qui avait ?t? la passion de toute sa vie, elle apporta ? son ami quelque chose en ?change. Au milieu d'un salon o? passaient tous les repr?sentants de cette haute diplomatie europ?enne, jusqu'alors peu accessible aux hommes de Juillet, dans cette compagnie d'une ancienne ambassadrice qui avait vu de pr?s, depuis 1812, tant d'hommes et d'?v?nements, sous l'influence d'une femme sup?rieure qui poss?dait au plus haut degr? ce je ne sais quoi que l'habitude du grand monde et aussi la d?licatesse f?minine ajoutent si heureusement ? l'habilet? politique, M. Guizot, ministre, trouvait ce que, jeune homme de souche bourgeoise et huguenote, il n'avait pas re?u de sa famille, ce que, professeur et ?crivain, il n'avait pas rencontr? dans les livres, ce que, chef de parti, il n'avait pu acqu?rir dans les luttes du parlement. Aussi n'est-il pas t?m?raire de supposer que les qualit?s toutes nouvelles de souplesse adroite, de mesure, de nuance, qui firent, ? cette ?poque, du puissant orateur un n?gociateur ?minent, un incomparable r?dacteur de d?p?ches et de lettres diplomatiques, sont dues, en grande partie, ? ses rapports avec madame de Lieven.

Au sortir de la s?ance o? avait ?t? vot? l'amendement de M. Jacques Lefebvre, M. Guizot ne se rendait peut-?tre pas compte ? quel point le droit de visite ?tait d?finitivement condamn?; toutefois, comprenant l'impossibilit? de ratifier au jour fix? la convention sign?e le 20 d?cembre 1841, il ?crivit aussit?t ? son ambassadeur ? Londres: <>

Outre-Manche, la surprise et l'irritation furent grandes. On ?tait d?pit? de voir remettre en question une affaire que l'on croyait finie et ? laquelle on attachait beaucoup d'importance. On se demandait, non sans inqui?tude, s'il n'y avait pas l? un coup mont? avec les ?tats-Unis, depuis longtemps r?fractaires au droit de visite; ? ce moment m?me, le gouvernement britannique n?gociait sur ce point avec le cabinet de Washington, et il avait compt?, pour vaincre sa r?sistance, sur l'exemple de l'Europe adh?rant tout enti?re ? la convention de 1841. Enfin, les Anglais se sentaient bless?s d'?tre l'objet de tant de m?fiances et de ressentiments. <> Si port? que f?t lord Aberdeen vers la conciliation, il d?clara tout d'abord ? notre ambassadeur <>, et il ajouta que <>. En effet, le 3 f?vrier 1842, le discours de la couronne annon?a la conclusion du trait?, sans para?tre pr?voir qu'aucune difficult? p?t ?tre soulev?e pour la ratification. C'est que le ministre anglais avait, tout comme le ministre fran?ais, ? compter avec l'opinion de son pays. Les whigs ?taient aux aguets; lord Palmerston voyait venir avec joie un gros embarras pour ses successeurs et une occasion de batailler contre le gouvernement du roi Louis-Philippe, de lui <>; d?s le 8 f?vrier, il souleva la question ? la Chambre des communes; pour cette fois, le minist?re se d?roba en faisant observer que le terme fix? pour les ratifications n'?tait pas arriv?: mais une telle r?ponse ne pouvait servir longtemps encore. Lord Aberdeen ne se sentait pas seulement surveill? par l'opposition: dans le sein m?me du cabinet tory, plusieurs ministres t?moignaient envers notre pays des dispositions fort peu traitables. Quant au <>, sir Robert Peel, il ?tait sans doute d'accord avec le secr?taire d'?tat des affaires ?trang?res pour vouloir sinc?rement la paix et la justice dans les rapports avec la France; mais cet esprit honn?te ?tait facilement inquiet et soup?onneux; tout occup? de la politique int?rieure qu'il menait sup?rieurement, il n'apportait pas dans les questions ?trang?res d'id?es arr?t?es et personnelles; par suite, il ne se d?fendait pas toujours assez, en ces mati?res, contre les impressions passag?res du public, surtout contre ses susceptibilit?s et ses pr?ventions.

Dans les cours du continent, l'impression ne fut pas aussi vive qu'? Londres; on y ?tait beaucoup moins chaud pour le droit de visite. Toutefois, notre conduite provoquait des r?flexions d?sobligeantes. M. de Metternich d?clarait que notre refus de ratifier <>: <>

M. Guizot ne se laissa pas intimider par ces m?contentements, tout en faisant son possible pour les apaiser. Il maintint tr?s nettement, en droit, la facult? de refuser la ratification, et fit valoir, en fait, pour expliquer un ajournement, les manifestations qui s'?taient produites en France. Ce dernier argument ?tait ? la v?rit? d?licat ? employer. <> Il fallait donc user de grandes pr?cautions pour que les pourparlers ne d?g?n?rassent pas en r?criminations. M. Guizot s'y appliqua et y r?ussit; il ne lui ?tait pas inutile de pouvoir rappeler qu'il ne partageait pas et qu'il avait combattu jusqu'? la derni?re heure les pr?ventions dont il ?tait oblig? de tenir compte. Du reste, voyant bien que l'?tat des esprits des deux c?t?s rendait pour le moment toute solution impossible, il ?vitait soigneusement de pr?cipiter les choses. <>

Cependant, le 20 f?vrier 1842, jour fix? par la convention pour l'?change des ratifications, approchait. Si d?sireux qu'il f?t d'user de m?nagements, M. Guizot ne voulut laisser aucun doute sur ses intentions: <> Ceci nettement indiqu?, notre ministre se h?tait d'ajouter: <>

D'ailleurs, si M. Guizot savait ainsi, le cas ?ch?ant, dire ce qu'exigeait la dignit? nationale, il ne perdait pas de vue l'autre partie de son r?le et ne manquait pas une occasion de prononcer des paroles propres ? calmer les susceptibilit?s britanniques. Chez lui, l'orateur veillait toujours ? ne pas desservir le n?gociateur, au contraire. Ainsi, dans les nombreux d?bats auxquels donnait lieu l'affaire du droit de visite, avait-il soin de se s?parer avec ?clat de ceux qui <> entre les deux nations occidentales, et, rappelant la fa?on dont, lors de l'adresse, il avait caract?ris? leurs relations, il ajoutait: <>

Toutefois, notre ministre r?ussirait-il toujours ? ?carter cette rupture? Les membres du cabinet britannique ?taient surpris et bless?s de voir que l'opinion fran?aise, loin de s'apaiser avec le temps, s'?chauffait de plus en plus. Ils se demandaient s'il ne leur faudrait pas se f?cher tout haut, pour ne pas s'ali?ner le public anglais. M. D?sages ?crivait ? un de nos agents diplomatiques, le 30 juin 1842: <> Lord Aberdeen lui-m?me, malgr? sa courtoisie et son esprit de conciliation, manifestait, dans ses conversations avec le comte de Jarnac qui rempla?ait alors notre ambassadeur en cong?, des dispositions inqui?tantes. Sir Robert Peel laissait voir plus d'irritation encore. <> M. de Jarnac signalait ? M. Guizot la gravit? de ces sympt?mes. <> Le clairvoyant diplomate notait aussi le parti que les autres puissances cherchaient ? tirer de ce refroidissement; il montrait leurs repr?sentants <> le m?contentement du cabinet anglais et <>.

Curieux et noble spectacle que celui de ces deux gouvernements r?sistant l'un et l'autre aux ressentiments qui les entouraient, risquant leur popularit? pour sauvegarder l'int?r?t vrai de leur pays et maintenant, par leur seule sagesse, une paix qui, avec le moindre laisser-aller de leur part, e?t ?t? bien vite compromise. Jusqu'? ce jour, tout ?clat a ?t? ?vit?: c'est beaucoup; mais on n'a pu faire davantage. Depuis six mois que la question du droit de visite est soulev?e, on n'a pas fait un pas vers la solution, on s'en est plut?t ?loign?, et moins que jamais on entrevoit sur quel terrain pourra se faire une transaction.

En France, si l'opposition faisait porter son principal effort sur les affaires ?trang?res, elle ne n?gligeait pas cependant les questions de politique int?rieure. Sa tactique ?tait de tout agiter en vue des ?lections. Ainsi avait-elle provoqu?, lors de l'adresse, de violents d?bats sur l'affaire du recensement et sur les pr?tendues atteintes port?es ? la juridiction du jury: mais ce n'?taient que des escarmouches pr?liminaires. Le grand effort ?tait r?serv? pour deux propositions dont le d?p?t avait ?t? d?cid?, d?s le d?but de la session, dans les conciliabules des chefs de la gauche et du centre gauche; l'une, de M. Ganneron, portait sur la r?forme parlementaire, l'autre, de M. Ducos, sur la r?forme ?lectorale; la premi?re interdisait ? un grand nombre de fonctionnaires publics l'entr?e de la Chambre basse et stipulait que, sauf quelques exceptions, aucun d?put? ne pourrait recevoir une fonction salari?e pendant la dur?e de son mandat et une ann?e apr?s; la seconde ?tendait l'?lectorat ? tous les citoyens inscrits sur la liste du jury. Bien souvent d?j?, depuis 1830, des tentatives de ce genre avaient ?t? faites; seulement, jusqu'alors, elles avaient ?t? l'oeuvre de la gauche; le centre gauche y avait ?t? hostile ou tout au moins ?tranger. M. Thiers entre autres s'y ?tait toujours montr? peu favorable; on n'a pas oubli? comment, en 1840, pendant son minist?re, il avait repouss? ouvertement la r?forme ?lectorale et manoeuvr? sous main pour faire <> la r?forme parlementaire. En 1842, au contraire, le centre gauche prend ? son compte le vieux programme de la gauche. M. Thiers n'a pas sans doute plus de go?t au fond pour ces mesures; mais, engag? dans une opposition ? outrance, il ne lui d?pla?t plus de les voir proposer, du moment o? c'est un moyen d'embarrasser la marche du cabinet. ? ce point de vue, la question de la r?forme entrait dans une phase toute nouvelle; on sait quel en devait ?tre le d?nouement.

Approuv?, pouss? m?me par le Roi, M. Guizot r?solut, d?s le premier jour et sans un instant d'h?sitation, d'opposer ? ces propositions la r?sistance absolue dans laquelle il devait se renfermer jusqu'? la derni?re heure de la monarchie. Il ne voulut m?me pas les laisser prendre en consid?ration. ? son avis, le gouvernement se trouvait en face d'une manoeuvre d'opposition qu'il devait d?jouer par son attitude d?cid?e, non d'un mouvement s?rieux d'opinion dont il f?t oblig? de tenir compte. En effet, dans le pays m?me, aucun sympt?me ne r?v?lait une volont? r?elle de r?forme; nagu?re, en 1840, quand on avait essay? des banquets r?formistes, l'agitation ?tait demeur?e ?troitement concentr?e dans le parti radical. <>

Le minist?re ?tait-il donc assur?, pour une r?sistance aussi nette, du concours de toute sa majorit?? Celle-ci, on le sait, ?tait loin d'?tre une et compacte. Elle comprenait, entre autres ?l?ments, les vingt-cinq ou trente membres du centre gauche qui suivaient MM. Dufaure et Passy. Nous avons d?j? eu occasion de parler du caract?re de M. Dufaure, de son ind?pendance un peu h?riss?e et maussade, de ses ?volutions toutes personnelles, de sa r?pugnance pour les attaches et la discipline, de sa crainte des compromissions. Il disait peu auparavant, ? la tribune: <> Sans doute, depuis le 29 octobre 1840, tout en ayant soin de ne pas se laisser absorber par le parti minist?riel, il ne l'avait abandonn? dans aucun des votes o? l'existence du cabinet avait ?t? mise en jeu. L'effroi que lui inspirait la politique aventureuse de M. Thiers, le ressentiment personnel qu'il gardait contre ce dernier ? raison de certains incidents des anciennes crises minist?rielles, l'avaient jusqu'? pr?sent emport?, dans son esprit, sur son peu de go?t pour M. Guizot et sur sa vieille habitude de contredire le syst?me de la r?sistance. Toutefois, plus d'un sympt?me faisait douter de la persistance de son concours. Il r?vait visiblement un r?le interm?diaire, une sorte de tiers parti prenant position entre les minist?riels et les opposants, ne se compromettant d?finitivement ni avec les uns ni avec les autres, volontiers d?sagr?able ? tous les deux, mais comptant pour s'imposer sur le besoin que chacun aurait de son appui. La gauche n'avait pas ?t? la derni?re ? deviner ces dispositions; tant?t mena?ants, tant?t caressants, ses journaux s'?taient beaucoup occup?s d'intimider ou de s?duire ce qu'ils appelaient le groupe Passy-Dufaure. Jusqu'? pr?sent, ils n'avaient pas r?ussi; mais il leur semblait que la question des deux r?formes ?tait une de celles o? il y avait le plus de chance de s?parer le nouveau tiers parti de la majorit? conservatrice.

La r?forme parlementaire vint la premi?re en discussion, le 10 f?vrier 1842. Des deux, c'?tait celle qui effarouchait le moins. Certains conservateurs avaient contribu? ? y habituer les esprits, en lan?ant ?tourdiment, sous le minist?re du 1er mars, cette proposition Remilly qui avait fait un moment tant de bruit. Les orateurs de l'opposition, entre autres M. de R?musat, qui remporta en cette circonstance un brillant succ?s de tribune, eurent soin de donner au nouveau projet de r?forme parlementaire la figure la plus modeste et la plus inoffensive; ils firent remarquer qu'il s'agissait seulement d'une prise en consid?ration, c'est-?-dire de d?cider si la question m?ritait d'?tre examin?e. M. Guizot ne crut pas n?cessaire d'intervenir. Deux de ses coll?gues, M. Villemain et M. Duch?tel, soutenus avec ?clat par M. de Lamartine, firent valoir la place occup?e par les fonctionnaires dans la soci?t? fran?aise et le besoin que la Chambre avait de leur exp?rience. M. Duch?tel, en particulier, ne se borna pas ? ces consid?rations th?oriques; il avertit les conservateurs qu'il s'agissait, avant tout, pour l'opposition, de changer la direction de la politique g?n?rale en mutilant la majorit?. Malgr? ces efforts, la prise en consid?ration ne fut rejet?e que par 198 voix contre 190. ?videmment, la plus grande partie du groupe Dufaure avait vot? avec la gauche. Si le minist?re ?tait vainqueur, il l'?tait bien petitement. Les journaux firent remarquer que, sur les 198 voix de la majorit?, il y avait plus de cent trente fonctionnaires. Un tel r?sultat, succ?dant de pr?s au vote sur le droit de visite, laissait le cabinet debout, mais affaibli et ?branl?.

C'?tait un pr?liminaire inqui?tant pour la discussion de la r?forme ?lectorale. Cette discussion s'engagea le 14 f?vrier. L'opposition, encourag?e par le demi-succ?s de sa premi?re campagne, paraissait pleine de confiance. Ne dut-elle pas, d'ailleurs, se sentir affermie dans cette confiance et regarder la dislocation de la majorit? comme faite, quand elle vit sa proposition soutenue ? la tribune par le chef du centre gauche dissident, M. Dufaure, et par l'ancien orateur des 221, celui-l? m?me qui venait de combattre la r?forme parlementaire, M. de Lamartine? M. Dufaure, mettant en relief le caract?re tr?s modeste, presque insignifiant, de l'innovation propos?e, y montra l'application d'un syst?me d'am?liorations successives qui lui paraissait rentrer dans l'esprit de la Charte, et il termina en rappelant cette parole ?crite par M. Guizot, en 1820: <> M. de Lamartine fut plus v?h?ment: <> Quand un orateur, venu de la majorit?, s'exprimait ainsi, la gauche pouvait se taire; elle n'e?t pu dire plus; elle n'avait qu'? applaudir. Les journaux firent ?cho ? ses bravos; ce mot de <> devait longtemps servir ? leurs pol?miques.

Les ministres se d?fendirent avec ?clat. M. Guizot, qui attribuait peut-?tre ? son abstention l'issue incertaine de la discussion sur la r?forme parlementaire, s'engagea ? fond. <> ? l'origine de ce mouvement, le ministre d?non?ait les factions hostiles ? la monarchie de Juillet; ? son terme, il montrait le suffrage universel. <> S'?levant ensuite, suivant son habitude, pour consid?rer de haut la situation: <> On ne pouvait exposer plus ?loquemment, plus noblement les raisons de ne rien faire, donner ? l'immobilit? une plus fi?re tournure. Le ministre ne se contenta pas de ces hautes consid?rations. En pr?sence de ce qui s'?tait pass? pour la r?forme parlementaire et des manoeuvres dissolvantes que faisaient supposer l'attitude de M. Dufaure et de M. de Lamartine, il jugea ? propos de rappeler la majorit? au sentiment de sa propre responsabilit?: <>

L'avertissement fut entendu et produisit son effet. En d?pit de M. Dufaure et de M. de Lamartine, 234 voix contre 193 repouss?rent la prise en consid?ration. Ce fut une nouvelle surprise en sens inverse. Le vote pr?c?dent avait ?t? plus mauvais qu'on ne s'y attendait; celui-ci ?tait meilleur; en tout cas il effa?ait l'autre. M. de Barante ?crivait au comte Bresson, le 18 f?vrier 1842, au sortir de ce d?bat: <> Cette victoire ?tait bien la victoire personnelle de M. Guizot dont l'?loquente intervention avait d?cid? les suffrages; et cependant, M. de Barante, confirmant une observation qu'il avait d?j? faite avant la session, ajoutait: <> Le ministre, pour le moment, ne paraissait pas s'en inqui?ter. Optimiste de sa nature, il ?tait enti?rement ? la joie et ? la confiance. <> L'opposition ?tait la premi?re ? se rendre compte que, sur la politique int?rieure, elle ?tait d?finitivement battue: on le vit bien ? son attitude lors de la loi des fonds secrets qu'elle n'osa pas contester s?rieusement. Quant ? M. Thiers, d?go?t? de tenter une autre campagne parlementaire, il se donnait ? ses travaux historiques et t?chait d'oublier ses propres d?faites en reprenant le r?cit des victoires du premier Consul.

Si favorables que fussent ces sympt?mes, M. Guizot ne se rendait pas moins compte que les dispositions incertaines du <> demeuraient un danger et que, pour avoir pleine s?curit?, il fallait trouver un moyen de rattacher plus ?troitement ce groupe au minist?re. Le 25 avril 1842, le ministre des finances, M. Humann, fut trouv? sans vie, la t?te appuy?e sur son bureau, la main encore pos?e sur des papiers. Deux jours auparavant, il disait ? un de ses employ?s: <> Cette mort faisait un vide sensible dans le cabinet. Ombrageux, personnel, la main un peu lourde, mais laborieux, d'une grande autorit? financi?re dans la Chambre et dans le monde des affaires, M. Humann ?tait un ministre ? la fois incommode et consid?rable. Tout en sentant l'affaiblissement caus? par cette perte, M. Guizot y vit l'occasion de faire une avance ? la fraction incertaine du centre gauche. D?s le lendemain de la mort de M. Humann, il proposa le portefeuille des finances ? M. Passy. Celui-ci refusa poliment, mais nettement: le nouveau tiers parti voulait garder son ind?pendance. Ainsi rebut?, M. Guizot se tourna d'un tout autre c?t? et donna un gage aux anciens 221; l? aussi, il y avait des pr?ventions ? dissiper, des d?fections ? pr?venir, des intrigues ? d?jouer: la succession de M. Humann fut donc offerte ? l'un des anciens coll?gues de M. Mol?, M. Lacave-Laplagne, qui l'accepta avec empressement.

La question n'?tait pas neuve, mais elle ?tait ? peu pr?s enti?re: on l'avait d?j? beaucoup discut?e, sans ?tre parvenu ? la r?soudre. Ces t?tonnements sont utiles ? conna?tre pour appr?cier l'oeuvre du minist?re du 29 octobre. Les premiers chemins de fer ?tablis ? la fin de la Restauration, notamment celui de Saint-?tienne ? la Loire, n'?taient que des chemins de faible parcours, cr??s par des industriels pour relier des centres de production houillers ou m?tallurgiques avec des rivi?res et des canaux. Ce fut seulement en 1833, que les pouvoirs publics, envisageant l'?tablissement possible d'un r?seau de voies ferr?es pour le transport des voyageurs et des marchandises, ouvrirent un cr?dit de 500,000 francs destin? ? faire face aux premi?res ?tudes. Avec ces faibles ressources, le corps des ponts et chauss?es trouva moyen, en moins de deux ans, de faire le projet de cinq grandes lignes partant de Paris et se dirigeant sur Lille, le Havre, Strasbourg, Lyon et Bordeaux; ces lignes avaient une longueur de 3,600 kilom?tres, et la d?pense ?tait ?valu?e ? un milliard. L'?normit? de ces chiffres n'?tait pas faite pour h?ter la solution; elle effarouchait les esprits timides et les disposait ? regarder une telle entreprise comme une chim?re saint-simonienne. Tandis que l'administration, avec sa m?thode accoutum?e, pr?parait des plans gigantesques dont les ministres n'osaient pas demander l'application, un homme d'initiative, ancien disciple d'Enfantin, M. ?mile Pereire, passant hardiment ? l'ex?cution, se faisait accorder, en 1835, la concession de la ligne de Paris ? Saint-Germain et la menait ? fin en deux ans. Son exemple ?tait suivi, et des lois diverses conc?daient, en 1836, les deux lignes de Paris ? Versailles et celle de Montpellier ? Cette. Ces chemins de fer locaux, sans influence possible sur le mouvement g?n?ral du commerce, n'?taient en quelque sorte que des sp?cimens. ? ce point de vue, ils ne furent pas sans effet sur l'opinion. La ligne de Saint-Germain surtout, inaugur?e en ao?t 1837, au milieu d'une tr?s vive curiosit?, contribua ? faire m?rir l'id?e des chemins de fer dans l'esprit du public parisien.

Cependant, on ?tait loin d'avoir un parti arr?t? sur les conditions dans lesquelles serait cr?? le grand r?seau. Une question s'?tait pos?e d'abord qui dominait toutes les autres: la construction serait-elle faite par l'?tat ou par des compagnies? L'?tranger fournissait des exemples oppos?s: l'Angleterre et les ?tats-Unis avaient hardiment tout abandonn? ? l'initiative priv?e; en Belgique, au contraire, et dans plusieurs parties de l'Allemagne tout ?tait fait par l'?tat. Chez nous, les deux syst?mes eurent aussit?t leurs partisans. En faveur de l'?tat, on faisait valoir que les chemins de fer devaient ?tre dans la main de l'administration comme toutes les autres grandes voies de communication, qu'on ne pouvait abandonner ? des compagnies la fixation de tarifs int?ressant si gravement la fortune publique, qu'avec nos moeurs ?conomiques les associations n'?taient pas pr?par?es ? entreprendre cette oeuvre colossale, que nos capitaux, peu aventureux d'habitude, ne se porteraient pas dans des entreprises aussi nouvelles et aussi al?atoires, que d?s lors la sp?culation serait seule ? s'y jeter avec les abus et les d?sordres dont, ? ce moment m?me, elle donnait trop souvent le r?pugnant spectacle. En faveur des compagnies, on r?pondait qu'il convenait d'encourager l'initiative priv?e et l'esprit d'association, que la puissance publique ne devait se substituer ? eux qu'apr?s d?monstration pr?alable de leur impuissance, que l'?tat construisait tr?s ch?rement, que le charger de cette entreprise ce serait ?craser absolument ses finances, que le gouvernement n'avait d'ailleurs pas int?r?t ? augmenter encore sa responsabilit? et ? s'ali?ner les nombreux int?r?ts n?cessairement froiss?s par une telle transformation. L'administration des ponts et chauss?es, naturellement port?e ? regarder avec d?dain ou d?fiance l'initiative priv?e, ?tait fort ardente pour l'ex?cution par l'?tat; les ?conomistes, les gens d'affaires, ceux qui se piquaient d'id?es lib?rales et, ? leur suite, la plupart des journaux, tenaient pour les compagnies.

Ce fut le 6 mai 1837 que le gouvernement proposa pour la premi?re fois aux Chambres d'entreprendre la construction des grandes voies ferr?es: il les saisit, le m?me jour, de plusieurs projets de loi fixant les conditions d'?tablissement des lignes de Paris ? la Manche, de Paris ? Bordeaux et Bayonne, de Paris ? la fronti?re de Belgique, et de Lyon ? Marseille. Les deux derni?res devaient seules ?tre construites tout de suite en entier; les deux premi?res ne seraient pouss?es pour le moment que jusqu'? Rouen et jusqu'? Orl?ans. Quant au mode d'ex?cution, le minist?re,--c'?tait alors celui de M. Mol?,--avait ?t? fort embarrass? de trancher le d?bat existant entre les partisans de l'?tat et ceux des compagnies. Au fond, il e?t pr?f?r? l'?tat, mais sa tactique ?tant de beaucoup m?nager l'opinion, il se d?cida en faveur des compagnies et proposa de leur conc?der les lignes en question, soit par adjudication, soit par trait?s directs, ? charge pour l'?tat de leur accorder des subventions sous des formes diverses. Tout en faisant ces propositions, le minist?re laissa voir que seule, la crainte de ne pas obtenir les cr?dits n?cessaires l'avait fait renoncer ? la construction par l'?tat. Une telle attitude n'?tait pas le moyen d'en imposer ? des esprits que la nouveaut? et la gravit? du probl?me rendaient d?j? fort perplexes. Ajoutez que le cabinet, qui venait de se reconstituer, le 15 avril, en dehors de tous les grands chefs parlementaires, rencontrait une opposition tr?s vive et n'avait gu?re d'autorit? sur ceux-l? m?mes qui paraissaient constituer sa majorit?. Apr?s une discussion de trois jours, assez ardente, mais peu d?cisive, l'impression dominante fut que la question n'?tait pas suffisamment ?tudi?e et que la Chambre ne pouvait se faire un avis. Tous les projets furent ajourn?s.

Le cabinet se persuada, ou se laissa persuader par l'administration des travaux publics, que la Chambre, en ajournant ces premiers projets, avait marqu? son ?loignement pour le syst?me des compagnies. Il constitua une commission extra-parlementaire dont M. Legrand, l'habile directeur des ponts et chauss?es, fut l'?me. Un vaste projet d'ensemble en sortit, tr?s ?tudi?, tr?s complet, tr?s fortement con?u, mais tr?s syst?matique: neuf lignes principales y ?taient pr?vues, dont sept, partant de Paris, aboutissaient ? la fronti?re belge, au Havre, ? Nantes, ? Bayonne, ? Toulouse, ? Marseille, ? Strasbourg; deux autres allaient de Bordeaux ? Marseille et de Marseille ? B?le; soit 4,400 kilom?tres de voies ferr?es et une d?pense d'un milliard; pour le moment, on n'entreprenait que 1,488 kilom?tres. Ces grandes lignes devaient ?tre ?tablies par l'?tat; on ne r?servait ? l'industrie priv?e, officiellement proclam?e incapable de toute entreprise consid?rable, que les embranchements et les chemins secondaires. Apport? ? la Chambre des d?put?s, le 15 f?vrier 1838, le projet rencontra tout de suite un accueil peu favorable; les uns le combattaient par conviction ?conomique; beaucoup d'autres saisissaient l'occasion de faire ?chec au minist?re. Nomm?e sous cette double impression, la commission fut nettement hostile. Sympt?me significatif, elle renfermait les personnages les plus en vue de l'opposition, MM. Arago, Odilon Barrot, de R?musat, Duvergier de Hauranne, Billault, Berryer, et enfin M. Thiers. Celui-ci s'?tait montr?, d?s l'origine, peu favorable aux chemins de fer; il haussait d?daigneusement les ?paules quand on parlait de leur immense avenir: obstination routini?re qui surprend dans cet esprit, par d'autres c?t?s, si ouvert et si rapide. Sans doute, en 1835, un voyage ? Liverpool et la vue des locomotives en marche l'oblig?rent ? reconna?tre, de plus ou moins bonne gr?ce, que <>, mais il se h?ta d'ajouter que <> L'ann?e suivante, alors qu'il ?tait ministre, voulant ?tablir dans une discussion sur les droits de douane qu'on n'aurait jamais besoin de grandes quantit?s de rails, il avait dit ? la tribune: <> On comprend d?s lors que M. Thiers, dans la commission de 1838, n'e?t pas scrupule de faire ?chouer le projet du minist?re. Le rapport fut confi? ? M. Arago chez qui, en cette circonstance, le parti pris de l'opposant alt?ra singuli?rement la clairvoyance du savant. Il ne se contenta pas, en effet, de marquer pour l'industrie priv?e une pr?f?rence qui pouvait se d?fendre et de contester les moyens financiers indiqu?s dans le projet; il parut vouloir s'en prendre aux chemins de fer eux-m?mes de l'int?r?t que leur portait le gouvernement. ? l'entendre, le moment n'?tait pas encore venu de se lancer dans un travail d'ensemble et d'engager simultan?ment plusieurs grandes lignes; mieux valait attendre, pour profiter des d?couvertes que feraient les nations plus press?es. Il contestait l'importance que l'expos? des motifs attribuait aux chemins de fer sous le rapport du transit; il exprimait aussi des doutes sur leur valeur strat?gique, et annon?ait que le transport en wagons eff?minerait les soldats, en leur faisant perdre l'habitude des grandes marches. En fin de compte, le rapport concluait au rejet pur et simple de tout le projet. La discussion publique porta presque exclusivement sur la question de savoir s'il fallait r?server l'ex?cution ? l'?tat ou la confier aux compagnies. Elle fut, de part et d'autre, fort remarquable, et servit beaucoup ? ?clairer l'esprit public sur ces questions nouvelles et difficiles. Il fut tout de suite visible que les adversaires ?conomiques de l'?tat joints aux adversaires politiques de M. Mol?, auraient la majorit?. Vainement le minist?re, corrigeant apr?s coup ce que l'influence de l'administration des ponts et chauss?es avait donn? de trop absolu ? son projet, offrit de transiger, en le r?duisant ? quatre lignes et en se d?clarant pr?t ? accepter l'intervention de l'industrie priv?e pour deux d'entre elles; vainement finit-il par ne demander qu'une seule ligne, celle de la fronti?re de Belgique; vainement insista-t-il sur la n?cessit? de commencer, ne f?t-ce que par un bout, ces chemins de fer tant demand?s, et chercha-t-il ? effrayer les adversaires de la loi, en leur montrant quelle responsabilit? ils assumeraient par un refus absolu, rien ne put agir sur le parti pris de l'opposition. Le projet fut rejet? ? l'?norme majorit? de 196 voix contre 69.

Le minist?re, fort docile de sa nature, vit dans ce vote une invitation ? reprendre le syst?me des compagnies que lui-m?me avait propos? sans succ?s, en 1837. Il s'y conforma sans retard. D?s les 6 et 7 juillet 1838, deux lois conc?d?rent ? des soci?t?s particuli?res les chemins de Paris ? Rouen et de Paris ? Orl?ans: si ce n'?tait plus un vaste plan d'ensemble, c'?tait du moins le commencement des grandes lignes. On recourut au m?me syst?me pour la concession de quelques chemins secondaires, comme ceux de Strasbourg ? B?le et de Lille ? Dunkerque. Mais bient?t les compagnies concessionnaires, trop faiblement constitu?es, se trouv?rent aux prises avec des embarras qu'aggrav?rent encore d'une part les exc?s d'une sp?culation affol?e, d'autre part, les crises int?rieures et ext?rieures des ann?es 1839 et 1840. Elles se d?clar?rent incapables de remplir leurs obligations; les unes, comme celle du chemin de fer de Rouen, renonc?rent ? poursuivre leur entreprise; d'autres, comme celle d'Orl?ans, essay?rent de tenir bon, en implorant les secours de l'?tat. Plusieurs lois furent vot?es, en 1840, pour venir en aide, sous des formes vari?es, aux soci?t?s en d?tresse. Cette exp?rience semblait donner raison ? ceux qui, d?s le d?but, avaient mis en doute la puissance de l'initiative priv?e. En tous cas, elle n'?tait pas faite pour donner plus de hardiesse aux capitaux fran?ais.

En abordant cette t?che o? venaient d'?chouer tous ses pr?d?cesseurs, le minist?re du 29 octobre avait sur eux ce double avantage que tant de discussions avaient fini par ?lucider les probl?mes, et surtout que tant de retards avaient fait sentir ? tous la n?cessit? d'en finir. N?anmoins, ? un autre point de vue, la situation ?tait plus difficile qu'en 1837 ou en 1838. On sait en effet quelles ?taient, pour nos finances nagu?re si prosp?res, les cons?quences de la crise de 1840: les armements avaient produit, dans les budgets de 1840 ? 1843, des d?ficits constat?s ou pr?vus de pr?s de 500 millions; de plus, les travaux extraordinaires, civils ou militaires, d?finitivement vot?s par la loi du 25 juin 1841, s'?levaient ? une somme ?gale: c'est ce que les adversaires de M. Thiers appelaient le milliard du 1er mars. Trouver dans un budget ? ce point engag? les ressources n?cessaires ? la construction des chemins de fer, ?tait une t?che malais?e. Toutefois, le minist?re ne se laissa pas arr?ter par des consid?rations de prudence financi?re qui lui eussent paru d?cisives en d'autres circonstances: il estima, non sans raison, que l'entreprise ne pouvait ?tre plus longtemps retard?e, et que, d'ailleurs, elle constituait au plus haut degr? un de ces travaux productifs pour lesquels on pouvait sans scrupule engager l'avenir.

Un projet de loi fut donc pr?sent?, le 7 f?vrier 1842, comprenant la construction des six grandes lignes de Paris ? la fronti?re de Belgique, au littoral de la Manche, ? Strasbourg, ? Marseille et ? Cette, ? Nantes, ? Bordeaux: vaste ensemble que la commission devait encore ?tendre, en y ajoutant les lignes de Bordeaux ? Marseille, de la M?diterran?e au Rhin, d'Orl?ans sur le centre de la France par Bourges, et de Bordeaux ? Bayonne. Quant au mode d'ex?cution, il ne pouvait ?tre question de tout remettre aux compagnies qui venaient de se montrer impuissantes, ni de tout r?server ? l'?tat contre le monopole duquel la Chambre s'?tait prononc?e en 1838. Estimant que de semblables conflits doivent presque toujours finir par une transaction, le minist?re imagina un syst?me mixte o? il ?tait fait appel aux deux forces. L'?tat prenait ? sa charge les acquisitions de terrain, les terrassements, les ouvrages d'art et les stations; ? ces conditions, il ?tait propri?taire de la ligne. Quant aux compagnies, elles ?taient admises ? prendre ? bail l'exploitation, sous la charge pour elles de poser la voie de fer, de fournir le mat?riel et d'entretenir l'un et l'autre. Les baux, soumis ? l'approbation du l?gislateur, d?termineraient la dur?e et les conditions de l'exploitation, ainsi que les tarifs des transports. ? l'expiration des baux, la valeur de la voie de fer et du mat?riel, ?tablie ? dire d'experts, serait rembours?e ? la compagnie fermi?re par la compagnie qui lui succ?derait ou par l'?tat. La part de l'?tat dans la construction des lignes ?tait, on le voit, plus consid?rable que celle des compagnies: c'?tait la cons?quence naturelle du discr?dit alors jet? sur ces derni?res par la r?cente crise. La d?pense totale ? la charge de l'?tat ?tait ?valu?e approximativement ? 475 millions, chiffre--soit dit en passant--tr?s au-dessous de la r?alit?. Il n'?tait question d'ouvrir imm?diatement que 126 millions de cr?dits, dont 13 millions sur la fin de l'exercice 1842 et 29 millions sur l'exercice 1843. Pour faire face ? cette d?pense, il ne fallait pas compter sur les emprunts autoris?s, l'ann?e pr?c?dente, jusqu'? concurrence de 450 millions, car ils ?taient destin?s ? payer les travaux militaires et civils pr?vus par la loi du 25 juin 1841; ni sur les disponibilit?s de la caisse d'amortissement, car elles allaient ?tre, pendant plusieurs ann?es, absorb?es par les d?couverts des budgets. On avait donc l'intention de mettre la d?pense des chemins de fer provisoirement ? la charge de la dette flottante, jusqu'? ce que l'extinction des d?couverts des budgets perm?t de consolider cette dette avec les r?serves de l'amortissement, ou, si cette ressource manquait, jusqu'? ce qu'il f?t fait un autre emprunt. ? ce moment, la r?serve de l'amortissement, compos?e des sommes vot?es au budget pour le rachat des rentes et demeur?es sans emploi parce que ces rentes se trouvaient au-dessus du pair, ?tait ?valu?e ? environ 75 millions par an; de plus, la progression annuelle du revenu public n'?tait pas moindre de 19 ? 20 millions, et la construction m?me des chemins de fer devait accro?tre cette progression. Si lourde donc que f?t l'op?ration, elle ne paraissait pas au-dessus des forces financi?res de la France: ? une condition toutefois, c'?tait que la paix ne serait pas troubl?e d'ici ? plusieurs ann?es; il e?t ?t? en effet tr?s grave d'?tre surpris par la guerre, avec toutes les ressources ainsi engag?es.

Le projet fut assez bien accueilli. La solution propos?e semblait indiqu?e par les circonstances, et surtout on sentait qu'il fallait ? tout prix ?viter un nouvel avortement. Ces sentiments pr?valurent aussit?t dans la commission nomm?e par la Chambre des d?put?s. <> Puis, apr?s avoir indiqu? quelques modifications secondaires, il se terminait ainsi: <> Ce langage avait d'autant plus d'action que le rapporteur, loin d'?tre un minist?riel docile, se piquait d'ind?pendance: c'?tait M. Dufaure. Sa puissance de travail, la nettet? vigoureuse de son esprit, son entente des questions d'affaires, aid?rent beaucoup au succ?s du projet. Il paraissait mieux ? sa place que le pr?sident de la commission, M. de Lamartine: c'?tait le temps, il est vrai, o? le chantre d'Elvire se d?fendait presque d'?tre un po?te et mettait une ?trange coquetterie ? faire croire qu'il ?tait un homme de chiffres.

La discussion commen?a, le 26 avril 1842, ? la Chambre des d?put?s, et se prolongea pendant quinze jours. On ne contesta pas s?rieusement le principe m?me de la loi, le concours des deux forces de l'?tat et de l'industrie priv?e. Les partisans de cette derni?re estimaient sans doute qu'on avait fait la part bien large ? l'?tat; mais apr?s l'?chec r?cent des compagnies, ils se sentaient emp?ch?s de demander davantage pour elles. Ils se pr?occup?rent seulement de r?server l'avenir, et l'un d'eux, M. Duvergier de Hauranne, proposa un amendement en vertu duquel les lignes comprises dans le projet, mais non imm?diatement ex?cut?es, <>. <> Tout en ne contestant pas au fond la r?serve faite pour les lois futures, en affirmant m?me qu'elle allait de soi, les ministres eussent pr?f?r? ne pas la voir formul?e si express?ment; ils craignaient que le syst?me de leur projet n'en f?t affaibli. Mais M. Duvergier de Hauranne insista avec sa t?nacit?, avec son ?nergie habituelle, et la majorit? lui donna raison. C'?tait une porte ouverte aux compagnies; celles-ci ne devaient pas tarder ? en profiter pour prendre, dans la construction des grandes lignes, une part beaucoup plus consid?rable qu'on ne songeait ? la leur accorder en 1842.

? d?faut des objections de principe qu'elle ne croyait pas pouvoir faire contre le projet, l'opposition, conduite par M. Thiers, porta l'attaque sur un autre point. Elle demanda qu'au lieu de partager, d?s le commencement des travaux, les efforts entre les diverses lignes, on les concentr?t sur une ligne unique, celle de la fronti?re de Belgique ? Paris et de Paris ? Marseille. C'?tait r?tr?cir, mutiler le projet, retomber dans les mesures incompl?tes et isol?es des ann?es pr?c?dentes. M. Thiers argua de l'?tat budg?taire qu'il peignit fort en noir, bien qu'il en f?t le premier responsable. <> Chez lui, ce n'?tait pas seulement d?sir de faire ?chec au cabinet; en d?pit des d?mentis que les ?v?nements lui avaient d?j? donn?s, il avait gard? quelque chose de son scepticisme originaire ? l'?gard des voies ferr?es. Protestant contre <> dont elles ?taient l'objet, il se risqua encore ? faire d'?tranges pr?dictions; il affirmait, par exemple, que si les ouvriers venaient jamais, ce dont il doutait, ? se servir des chemins de fer, les paysans n'en feraient, en tout cas, aucun usage. M. Duch?tel, bien que fort occup?, en sa qualit? de ministre de l'int?rieur, de l'administration politique, n'oubliait pas qu'il avait ?t? un ?conomiste et un homme d'affaires fort distingu?; ainsi fut-il amen? ? prendre l'un des premiers r?les dans cette discussion. Ayant discern? nettement, d?s le premier jour, cet avenir des chemins de fer que M. Thiers ne savait pas voir, il se fit le champion d?cid? du r?seau complet et simultan?, et combattit vivement ceux qui pr?tendaient se borner ? un essai timide et partiel. Sa parole, comme toujours, pr?cise et claire, fit une grande impression sur la Chambre. M. Thiers, d'ailleurs, ne fut pas suivi en cette circonstance par tous ses amis politiques: M. Billault, entre autres, parla en faveur du projet minist?riel. Le scrutin donna raison ? ceux qui voulaient que la France, confiante en sa force, entr?t r?solument dans la nouvelle carri?re: l'amendement en faveur de la ligne unique fut repouss? par 222 voix contre 152.

Le minist?re n'eut pas seulement ? d?jouer la manoeuvre de l'opposition, il lui fallut aussi, d'un bout ? l'autre du d?bat, r?sister ? ce qu'on put appeler alors <>. Pas un d?put? qui ne pr?tend?t faire passer le chemin de fer par son arrondissement: t?moin ce M. Durand de Romorantin, ainsi d?sign? du nom de la ville qu'il repr?sentait, qui, lors du vote de la ligne de Bourges, proposait gravement et na?vement d'ajouter ces mots: <>. L'approche des ?lections rendait les exigences plus ?pres. Ce fut ? croire, par moments, qu'on ne s'en tirerait pas. On y parvint cependant, gr?ce aux efforts unis du gouvernement et de la commission, gr?ce aussi ? l'esp?ce d'association mutuelle contract?e entre les d?put?s des r?gions qui profitaient des trac?s propos?s; ces d?put?s s'?taient concert?s pour repousser toute modification.

Ces divers incidents ne furent pas les seules difficult?s que le projet de loi dut surmonter. Par une co?ncidence fatale, au cours m?me de la discussion, le 8 mai 1842, survint l'effroyable accident du chemin de fer de Versailles. C'?tait un dimanche: les grandes eaux avaient attir? les promeneurs en foule. Au retour, un train direct compos? de quinze wagons et de deux locomotives avait ? peine d?pass? la station de Bellevue, que la locomotive de t?te s'arr?ta, par suite d'une rupture d'essieu. L'autre machine et le train se pr?cipit?rent alors sur cet obstacle. Ce ne fut plus bient?t qu'un monceau informe o? l'incendie ?clata. Les porti?res, ferm?es ? clef suivant l'usage du temps, emp?chaient les voyageurs de s'?chapper. Plus de cinquante personnes, dont l'amiral Dumont d'Urville, p?rirent en quelques minutes sur cet ?pouvantable b?cher. La consternation et la col?re furent immenses dans Paris. On s'en prenait ? la compagnie concessionnaire et m?me aux chemins de fer en g?n?ral. Peu s'en fallut que le populaire ne m?t le feu ? la gare Montparnasse. Ce n'?tait pas fait pour faciliter la t?che de ceux qui demandaient alors au pays et aux pouvoirs publics un effort puissant et hardi en vue de multiplier les voies ferr?es. On put craindre un moment que tout ne se trouv?t arr?t? ou au moins retard?. <>

En fin de compte et malgr? toutes ces difficult?s, le projet de loi fut adopt?, sans avoir ?t? alt?r? dans aucune de ses dispositions principales. Au vote sur l'ensemble, il r?unit 255 voix contre 83. ? la Chambre des pairs, le succ?s fut plus complet encore: la minorit? ne compta que 6 voix. Le vote de cette loi marquait une ?poque dans l'histoire des chemins de fer en France. Il mettait fin ? une trop longue p?riode d'inertie, de t?tonnements, et donnait l'impulsion d?cisive au grand oeuvre. Notre r?seau ferr? date de l?. La construction devait d?s lors en ?tre continu?e sans interruption, quoique avec des vicissitudes et des crises dont nous aurons ? reparler. Quant aux principes adopt?s en 1842, ils pourront, dans l'avenir, recevoir quelques temp?raments: lorsque les capitaux seront devenus, avec l'exp?rience, plus puissants, plus confiants, mieux accoutum?s ? s'associer, on sera amen? ? augmenter la part des compagnies; mais, alors m?me, on demeurera fid?le ou du moins on reviendra toujours ? ce r?gime mixte, ? ce concours des deux forces de l'?tat et de l'initiative priv?e que le minist?re du 29 octobre avait pour la premi?re fois organis? et qui devait ?tre, en mati?re de chemins de fer le vrai syst?me fran?ais.

Le parlement avait fini ses travaux. Dans la session de 1842 comme dans celle de 1841, la majorit? n'avait manqu? aux ministres dans aucun des votes qui mettaient en jeu leur existence. C'?tait beaucoup apr?s les crises qu'on venait de traverser. Toutefois, M. Guizot souffrait de n'?tre pas mieux le ma?tre de cette majorit?. Que de fois il avait d? renoncer ? braver ses pr?ventions ou ? brusquer ses faiblesses! Jamais il ne s'?tait senti pleinement assur? du lendemain. C'est que la Chambre qui s'?tait cru nomm?e, trois ans auparavant, pour faire pr?valoir une tout autre politique, ne le suivait qu'en for?ant chaque jour sa nature. Issue de la trop fameuse coalition, <>, elle n'avait su ni faire triompher les id?es de cette coalition ni s'en d?gager pleinement. Si, en d?pit de son origine, elle avait donn? successivement des majorit?s nombreuses ? tous les minist?res, ces majorit?s semblaient toujours pr?s de se d?composer. C'?tait l? un mal de naissance, et M. Guizot n'y voyait de rem?de que dans des ?lections nouvelles. Le moment lui sembla favorable pour y proc?der. Il se flattait que rien ne restait des conditions troubl?es et ?quivoques dans lesquelles s'?taient faites les ?lections de 1839, des m?langes de partis, des confusions de programmes qui avaient alors jet? le d?sarroi dans les esprits. Cette fois, tout ne se pr?sentait-il pas simple et clair? La politique conservatrice et celle de gauche se trouvaient seules en pr?sence, l'une et l'autre soutenues par tous leurs partisans. ? une question nettement pos?e, on devait s'attendre que le pays ferait une r?ponse nette. Le 13 juin 1842, une ordonnance pronon?a la dissolution de la Chambre et convoqua les ?lecteurs pour le 9 juillet.

Au premier abord, il ne parut pas qu'aucun grand vent d'opinion s'?lev?t dans le pays, soit d'un c?t?, soit de l'autre. Partout le calme plat. <> Et le m?me observateur ajoutait, un peu plus tard: <> Au point de vue des moeurs publiques, il n'y avait pas lieu de se f?liciter d'un pareil ?tat de choses. Mais, en fait et pour le moment, l'impression g?n?rale ?tait que cette indiff?rence profiterait ? un minist?re qui garantissait pr?cis?ment, ? ce pays d?go?t? de la politique, le repos ? l'int?rieur et la paix au dehors. M. Guizot y comptait; quelques-uns de ses amis n'avaient qu'une crainte, c'?tait que les conservateurs, arrivant en trop grand nombre dans la Chambre future, ne crussent pouvoir s'y passer toutes leurs fantaisies. ? gauche m?me, on ne doutait pas que le gouvernement n'obt?nt une forte majorit?.

CHAPITRE II

LA MORT DU DUC D'ORL?ANS

Les ?lections du 9 juillet 1842 ?taient ? peine connues dans leur ensemble, et l'on commen?ait ? discuter leurs r?sultats, ? supputer leurs cons?quences, quand un coup de foudre, ?clatant soudainement sur les marches du tr?ne, vint faire aux esp?rances des opposants et ? la d?ception des minist?riels une lugubre et tragique diversion. Le 13 juillet, ? onze heures du matin, le duc d'Orl?ans montait en voiture dans la cour des Tuileries, afin de se rendre ? Neuilly: il allait faire ses adieux au Roi, avant de partir pour Saint-Omer, o? il devait inspecter plusieurs r?giments. Il ?tait seul dans un cabriolet ? quatre roues, attel? ? la Daumont. Pr?s de la porte Maillot, dans l'avenue appel?e chemin de la R?volte, les deux chevaux, qui depuis quelques instants donnaient des signes d'agitation, s'emport?rent. <> cria le duc d'Orl?ans au postillon. <> Et en effet, dress? sur ses ?triers, il tenait vigoureusement les r?nes. <> cria de nouveau le duc, debout dans la voiture. <> Alors le prince royal, se pla?ant sur le marchepied qui ?tait tr?s bas, sauta ? pieds joints sur la route. Ses deux talons port?rent avec violence; il retomba lourdement sur le pav? et resta ?tendu sans mouvement en travers du chemin. On accourut du voisinage. Le bless?, qui ne donnait aucun signe de connaissance, fut relev? et transport?, ? quelques pas de l?, dans la maison d'un ?picier; on l'?tendit tout habill? sur un lit. Pendant ce temps, le postillon, qui s'?tait rendu ma?tre des chevaux, ramenait la voiture.

Aussit?t inform?s, le Roi, la Reine, Madame Ad?la?de accoururent de Neuilly, peu apr?s suivis du duc d'Aumale, du duc de Montpensier, de la duchesse de Nemours, des ministres, du chancelier, du mar?chal G?rard, des officiers de la maison royale. La pauvre chambre ne pouvait les contenir tous. La plupart se tenaient dehors, devant la boutique, dans un espace maintenu libre par un cordon de factionnaires. Au del?, la foule se pressait, silencieuse, ?mue d'une respectueuse compassion, ?tonn?e et saisie d'?tre proche t?moin d'un drame qui, dans un cadre vulgaire, mettait en sc?ne de si grands personnages et pouvait avoir de si graves cons?quences, plus ?tonn?e et plus saisie encore de rencontrer de telles douleurs chez ceux qu'elle s'imagine d'ordinaire ?tre les heureux de la vie. Chacun sentait d'ailleurs la myst?rieuse pr?sence de quelqu'un de plus puissant, de plus imposant, de plus redoutable que les ministres, que les princes, que le Roi: c'?tait la mort, la mort implacable et niveleuse, que l'on devinait l?, dans ce galetas d'?picier de banlieue, face ? face avec ce que le monde pouvait offrir de plus brillant par l'?clat du rang, de la fortune et de la jeunesse. Les m?decins, appel?s d?s le premier moment, essayaient de lutter contre le mal que leur science discernait, mais qu'elle ?tait impuissante m?me ? retarder. Pench?s sur le mourant, ils ?vitaient de lever les yeux, de peur de rencontrer les interrogations muettes des augustes afflig?s. Le prince ?tait toujours sans mouvement; il ne donna aucun signe de connaissance, quand le cur? de Neuilly lui administra l'extr?me-onction. Chacun faisait silence pour entendre la respiration qui r?v?lait seule un reste de vie. Un moment pourtant, on per?ut confus?ment quelques mots en allemand; une derni?re pens?e, peut-?tre, qu'il adressait ? la duchesse d'Orl?ans. Le Roi, debout, suivait avec angoisse le progr?s de l'agonie sur le visage de son fils; si d?chir?, si accabl? qu'il f?t, il donnait tous les ordres. Les jeunes princes et les princesses pleuraient. Quant ? la Reine, elle restait ? genoux au pied du lit et priait, souvent ? haute voix: pieusement h?ro?que dans sa maternelle sollicitude, ce qu'elle demandait ? Dieu, ce n'?tait pas de lui rendre son fils, c'?tait d'accorder au mourant un instant de connaissance qui lui perm?t de penser au salut de son ?me, et, en ?change de cette gr?ce supr?me, elle offrait sa propre vie. Pendant plusieurs heures, cette sc?ne se prolongea, sans qu'aucun indice v?nt ramener un peu d'espoir. Enfin, ? quatre heures et demie, un dernier mouvement convulsif secoua le prince, puis l'immobilit?: la mort avait eu raison des derni?res r?sistances de la jeunesse. Les sanglots ?clat?rent dans l'assistance. Le Roi et la Reine se pench?rent pour embrasser leur premier-n?. <> dit le souverain qui pensait ? la France et ? la monarchie. Quant ? la m?re, toujours occup?e de l'?me de son fils, sa premi?re r?ponse aux paroles de condol?ance fut ce cri: <> Le clerg?, de nouveau introduit, dit les pri?res accoutum?es; puis le fun?bre cort?ge se forma pour retourner au ch?teau de Neuilly. Quatre sous-officiers portaient le corps, plac? sur un brancard. Derri?re, suivaient ? pied le Roi et la Reine qui n'avaient pas voulu monter en voiture, les princes et princesses, les ministres, les officiers. Une compagnie d'?lite, mand?e ? la h?te, faisait la haie. Au moment o? l'on se mit en marche, un long cri de: Vive le Roi! partit de la foule, expression spontan?e de la compassion et de l'?motion g?n?rale: beaucoup, du reste, croyaient que le prince n'?tait pas encore mort et qu'on l'emportait ? Neuilly pour le mieux soigner. La marche dura plus d'une demi-heure. On arriva ainsi jusqu'? la chapelle du ch?teau. Apr?s s'?tre agenouill?s une derni?re fois, le Roi et la Reine, le premier toujours ma?tre de soi, la seconde toujours pieusement soumise, mais l'un et l'autre bris?s de fatigue et de douleur, se retir?rent dans leurs appartements.

Dans cette sc?ne douloureuse, on n'a vu para?tre ni la duchesse d'Orl?ans ni ses enfants. La duchesse suivait un traitement ? Plombi?res, o? son mari l'avait conduite et install?e lui-m?me quelques jours auparavant. Les jeunes princes ?taient ? Eu. La nouvelle n'arriva ? Plombi?res que le 14 juillet au soir. Afin de m?nager la princesse, on ne lui parla d'abord que d'une maladie grave. Elle voulut partir imm?diatement pour Paris. Dans sa voiture, elle priait et pleurait en silence, sans que personne os?t lui adresser la parole. Peu apr?s avoir d?pass? ?pinal,--il ?tait une heure du matin,--le courrier annon?a une voiture venant de Paris. <> s'?cria la duchesse d'Orl?ans. On la retint. Mais, ? ce moment, deux hommes s'avanc?rent vers elle; l'un des deux ?tait M. Chomel, le m?decin de la famille royale. ? sa vue, elle poussa un cri per?ant. <> M. Chomel donna quelques d?tails interrompus par les exclamations et les sanglots de la princesse. Puis celle-ci, se retournant vers une dame de sa suite: <> Elle demeura ainsi pr?s d'une heure sur la grande route, dans l'obscurit? de la nuit, sanglotant au fond de sa voiture, tandis que les autres personnes, assises sur les marchepieds, les porti?res ouvertes, ne pouvaient elles-m?mes contenir leur douleur. <> On voulut lui parler de ses enfants! <> Vers deux heures du matin, on se remit en route. La princesse n'avait plus qu'une pens?e, br?ler les ?tapes pour pouvoir contempler une derni?re fois les traits de son ?poux bien-aim?. Apr?s deux cruelles nuits, elle arriva ? Neuilly, le 16 juillet au matin. Le Roi l'attendait, entour? de la famille royale et des deux jeunes orphelins qu'on avait ramen?s d'Eu. <>--<>, reprit la Reine avec sa douce autorit?. Au bout de peu d'instants, soutenue par le Roi et par le duc de Nemours, suivie de ses parents en pleurs, la duchesse alla s'agenouiller dans la chapelle, devant le cercueil, h?las! d?j? referm?. P?le, immobile, sous le coup d'une sorte de stupeur, il semblait que d'elle aussi la vie allait se retirer; mais la foi religieuse la soutenait. Apr?s une courte pri?re, elle se releva et se rendit dans son appartement, pour rev?tir les habits de veuve que, depuis lors, elle n'a plus quitt?s.

Le corps devait rester plus de deux semaines dans la chapelle du ch?teau, en attendant le service solennel que l'on pr?parait ? Notre-Dame: pr?sence ? la fois douloureuse et consolante pour les afflig?s qui ne pouvaient s'emp?cher de retourner vingt fois par jour aupr?s du cercueil. Le deuil planait sur cette royale demeure, o? tout le monde parlait bas, o? aucune voiture ne p?n?trait plus, et o? l'on n'entendait que le bruit des chants religieux qui se continuaient presque sans interruption dans la chapelle. Successivement tous les princes ou princesses, absents au moment de la catastrophe, ?taient revenus. Pour les membres d'une famille si unie, c'?tait du moins un soulagement de pouvoir pleurer ensemble. M. Guizot, t?moin respectueux et ?mu, d?peignait ainsi cet int?rieur d?sol?, dans une lettre adress?e ? une de ses amies: <> De son c?t?, la reine des Belges, accourue d?s le premier jour aupr?s de ses parents, ?crivait qu'elle avait trouv? son p?re et sa m?re <>; elle ajoutait, en parlant d'elle-m?me et de ses fr?res et soeurs: <>

Le coup n'avait pas seulement frapp? la famille royale, il ?tait senti par la nation elle-m?me. La douleur fut universelle et profonde. <> Ce que l'on voyait et ce que l'on savait de la douleur du vieux roi ?veillait une piti? sympathique. <> Il est vrai que Henri Heine ajoutait aussit?t, avec un scepticisme m?lancolique: <> En tout cas, il y avait pour le moment comme un retour de la vieille sensibilit? royaliste que l'on ne connaissait plus depuis 1830. M. de Barante le constatait avec surprise. <> L'?motion ne se renfermait pas dans Paris; ? mesure que la nouvelle gagnait la province, les m?mes impressions s'y produisaient. L'arm?e surtout comprit quelle perte elle faisait. <> ? Alger, le g?n?ral Bugeaud disait du prince: <> De la petite ville de Miliana o? il commandait, le colonel de Saint-Arnaud ?crivait ? son fr?re, le 22 juillet: <>

C'est qu'en effet le duc d'Orl?ans ?tait g?n?ralement aim?, <>, suivant le mot dont se servait alors Henri Heine. Deux ans auparavant, celui-ci avait ?crit: <> J'ai d?j? eu l'occasion, en racontant le voyage fait par le duc d'Orl?ans, en 1836, ? Berlin et ? Vienne, d'esquisser les qualit?s toutes fran?aises, ? la fois charmantes et brillantes, qui lui valaient cette popularit?. Depuis lors, il avait gagn? en maturit?, sans perdre rien de sa gr?ce et de son ?clat. Le dandysme un peu mani?r? de l'adolescent avait fait place ? une ?l?gance plus virile, plus imposante, plus royale. Le cavalier ? bonnes fortunes ?tait devenu le plus tendre et le plus attentif des ?poux. Sans doute, dans l'ordre politique, il n'avait pas encore tout ? fait r?pudi? les vell?it?s belliqueuses qui ?taient chez lui l'entra?nement d'un patriotisme passionn? et comme la chaleur d'un sang jeune et g?n?reux; il n'avait pas non plus enti?rement renonc? ? des affectations lib?rales, m?me parfois un peu r?volutionnaires, qui venaient de 1830; et ces tendances, si elles contribuaient ? sa faveur aupr?s de la foule, ne laissaient pas que d'inqui?ter certains esprits prudents. Mais, m?me sur ces points, il s'?tait assagi, et l'on sentait qu'il deviendrait plus sage encore avec les ann?es, avec l'exp?rience plus compl?te des hommes ou des choses, et surtout avec le sentiment de la responsabilit?. La transformation ainsi en voie de s'accomplir n'?chappait pas au Roi et ? M. Guizot qui s'en f?licitaient. Ajoutons que, si l'origine de la monarchie nouvelle avait fauss? quelques-unes des id?es du duc d'Orl?ans, elle lui avait donn?, d'autre part, un sentiment singuli?rement ?lev? et f?cond de son m?tier de prince: il se croyait tenu de m?riter par lui-m?me, par ses efforts, par ses services, par ses sacrifices, le rang que lui apportait sa naissance, estimant ne pouvoir rester le premier que s'il justifiait ?tre le plus digne. D?s 1837, dans une lettre intime, il se d?clarait <>. <> Cette t?che si virilement et si noblement trac?e, il ?tait r?solu ? s'y donner, sans ?pargner sa peine et, au besoin, son sang. ? en juger d'ailleurs par certains pressentiments qu'il laissait quelquefois percer, par le fond de m?lancolie qui se trahissait sous la gr?ce de son sourire, il n'avait pas dans l'avenir, et notamment dans la dur?e de sa propre vie, la confiance o? se compla?t d'ordinaire la jeunesse heureuse. Il parlait souvent de sa mort; non qu'il ait jamais pr?vu l'accident vulgaire qui devait l'emporter; mais il se voyait tombant sur un champ de bataille ou devant une ?meute. Et alors il se demandait, dans une incertitude anxieuse, ce que deviendrait son jeune fils: serait-il <>, ou bien <>? Il n'osait se r?pondre ? lui-m?me, tant l'horizon lui paraissait obscur.

Sans doute la foule n'avait pas p?n?tr? dans l'?me du prince aussi avant que ces publications posthumes nous permettent de le faire aujourd'hui. Mais d'instinct elle comptait beaucoup sur lui. Elle ?tait persuad?e qu'en lui reposait l'espoir de la monarchie. Si l'habilet? prudente et flexible, la sagesse un peu sceptique, l'exp?rience consomm?e du vieux roi avaient pu seules constituer un gouvernement pacifique et r?gulier au lendemain d'une r?volution, si seules elles avaient pu, apr?s 1830, rassurer l'Europe et d?jouer l'anarchie, les qualit?s plus brillantes et plus g?n?reuses du duc d'Orl?ans, sa confiante hardiesse, sa communion ?troite avec toutes les vibrations du sentiment national, la s?duction et l'?lan de sa jeunesse paraissaient n?cessaires pour assurer l'avenir de la royaut? bourgeoise, en y int?ressant les coeurs et les imaginations. La catastrophe du 13 juillet bouleversa brusquement toutes ces pr?visions, et, ? la place de la grande esp?rance qui s'?vanouissait, se dressa une perspective singuli?rement inqui?tante, celle d'une r?gence, devenue ? peu pr?s in?vitable du moment o? il n'y avait plus aucun interm?diaire entre un roi de soixante-dix ans et un enfant de quatre ans. Cette ?preuve de la r?gence, toujours dangereuse, ne serait-elle pas mortelle pour une dynastie r?cente, contest?e, et dans un pays infest? de r?volution? On e?t dit qu'un voile se d?chirait, laissant voir la fragilit?, jusqu'ici inaper?ue, du r?gime sorti des journ?es de Juillet. <>, ?crivait, d?s le premier jour, Henri Heine; et un autre contemporain, pr?cisant davantage, proclamait que <>. Ainsi, ? la compassion ?veill?e par une grande douleur se joignait aussit?t un sentiment peut-?tre plus vif encore, parce qu'il ?tait int?ress?, celui du danger auquel la chose publique et, par suite, chaque situation particuli?re se trouvaient d?sormais expos?es. <>, disait M. Guizot, et telle ?tait la violence subite de cette inqui?tude qu'un spectateur la qualifiait <>. Cette impression s'?tendait au del? de nos fronti?res. Un homme politique espagnol, M. Donozo Cort?s, ?crivait: <> Lord Palmerston d?clarait voir l? <>. M. de Metternich disait de son c?t?: <>

Impuissant ? rem?dier compl?tement au mal d'une telle perte, le l?gislateur sentit cependant qu'il avait quelque chose ? faire pour le limiter et l'att?nuer. On s'?tait aper?u, en effet, que rien n'avait ?t? pr?vu et r?gl? pour cette ?ventualit? de la r?gence, devenue tout ? coup si probable et peut-?tre si prochaine. La Charte n'en disait mot. Impossible de laisser subsister une incertitude absolument contraire ? l'esprit m?me du gouvernement monarchique. En effet, suivant la parole du feu duc de Broglie, <>. Il fallait donc faire une loi d?terminant ? qui appartiendrait et comment serait exerc?e la r?gence, et la faire tout de suite. Tel ?tait le voeu du public impatient d'?tre rassur?. Le gouvernement n'?tait pas moins press?: il comprenait l'avantage de profiter de l'?motion g?n?rale, de cette n?cessit? de bonne conduite qui s'imposait ? tous, pour enlever rapidement la solution d'un de ces probl?mes constitutionnels qu'il est toujours d?licat de livrer aux discussions des peuples. Il r?solut m?me de ne pas attendre jusqu'au 3 ao?t, jour indiqu? pour l'ouverture de la nouvelle l?gislature, et convoqua le parlement pour le 26 juillet.

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