Read Ebook: Elémens de la philosophie de Neuton: Mis à la portée de tout le monde by Voltaire
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EL?MENS DE LA PHILOSOPHIE DE NEUTON,
Mis ? la port?e de tout le monde.
Par MONSIEUR. DE VOLTAIRE.
A AMSTERDAM,
Chez ETIENNE LEDET & Compagnie.
ELEMENS DE LA PHILOSOPHIE DE NEUTON.
Tu m'appelles ? toi vaste & puissant G?nie, Minerve de la France, immortelle Emilie, Disciple de Neuton, & de la V?rit?, Tu p?n?tres mes sens des feux de ta clart?, Je renonce aux lauriers, que long-tems au Th??tre Chercha d'un vain plaisir mon esprit idol?tre. De ces triomphes vains mon coeur n'est plus touch?. Que le jaloux Rufus ? la terre attach?, Tra?ne au bord du tombeau la fureur insens?e, D'enfermer dans un vers une fausse pens?e, Qu'il arme contre moi ses languissantes mains Des traits qu'il destinoit au reste des humains. Que quatre fois par mois un ignorant Zo?le, Eleve en fremissant une voix imb?cile. Je n'entends point leurs cris que la haine a formez. Je ne vois point leurs pas dans la fange imprimez. Le charme tout-puissant de la Philosophie Eleve un esprit sage au-dessus de l'envie. Tranquille au haut des Cieux que Neuton s'est soumis, Il ignore en effet s'il a des Ennemis. Je ne les connois plus. D?ja de la carriere L'auguste V?rit? vient m'ouvrir la barriere. D?ja ces tourbillons l'un par l'autre pressez, Se mouvant sans espace, & sans r?gle entassez, Ces fant?mes savants ? mes yeux disparaissent. Un jour plus pur me luit; les mouvements renaissent. L'espace qui de Dieu contient l'immensit?, Voit rouler dans son sein l'Univers limit?, Cet Univers si vaste ? notre faible v?e, Et qui n'est qu'un atome, un point dans l'?tendue.
Dieu parle, & le Chaos se dissipe ? sa voix; Vers un centre commun tout gravite ? la fois, Ce ressort si puissant l'ame de la Nature, Etoit ens?veli dans une nuit obscure, Le compas de Neuton mesurant l'Univers, Leve enfin ce grand voile & les Cieux sont ouverts.
Il d?ploye ? mes yeux par une main savante, De l'Astre des Saisons la robe ?tincelante. L'Emeraude, l'azur, le pourpre, le rubis, Sont l'immortel tissu dont brillent ses habits. Chacun de ses rayons dans sa substance pure, Porte en soi les couleurs dont se peint la Nature, Et confondus ensemble, ils ?clairent nos yeux, Ils animent le Monde, ils emplissent les Cieux.
Confidens du Tr?s-Haut, Substances ?ternelles, Qui br?l?s de ses feux, qui couvrez de vos a?les Le Tr?ne o? votre Ma?tre est assis parmi vous, Parlez, du grand Neuton n'?tiez-vous point jaloux?
La Mer entend sa voix. Je vois l'humide Empire, S'?lever, s'avancer, vers le Ciel qui l'attire, Mais un pouvoir central arr?te ses efforts, La Mer tombe, s'affaisse, & roule vers ses bords.
Cometes que l'on craint ? l'?gal du tonnerre, Cessez d'?pouvanter les Peuples de la Terre, Dans une ellipse immense achevez votre cours, Remontez, descendez pr?s de l'Astre des jours, Lancez vos feux, volez, & revenant sans cesse, Des Mondes ?puisez ranimez la vieillesse.
Et toi Soeur du Soleil, Astre, qui dans les Cieux, Des sages ?blou?s trompois les faibles yeux, Neuton de ta carriere a marqu? les limites, Marche, ?claire les nuits; tes bornes sont prescrites.
Terre change de forme, & que la pesanteur, En abaissant le Pole, ?leve l'Equateur. Pole immobile aux yeux, si lent dans votre course, Fuyez le char glac? de sept Astres de l'Ourse, Embrassez dans le cours de vos longs mouvements, Deux cens si?cles entiers par del? six mille ans.
Que ces objets sont beaux! que notre ame ?pur?e Vole ? ces v?rit?s dont elle est ?clair?e! Oui dans le sein de Dieu, loin de ce corps mortel, L'esprit semble ?couter la voix de l'Eternel.
Vous ? qui cette voix se fait si bien entendre, Comment avez-vous pu, dans un ?ge encor tendre, Malgr? les vains plaisirs, ces ?cueils des beaux jours, Prendre un vol si hardi, suivre un si vaste cours, Marcher apr?s Neuton dans cette route obscure Du labyrinthe immense, o? se perd la Nature? Puissai-je aupr?s de vous, dans ce Temple ?cart?, Aux regards des Fran?ais montrer la V?rit?. Tandis qu'Algaroti, s?r d'instruire & de plaire, Vers le Tibre ?tonn? conduit cette Etrangere, Que de nouvelles fleurs il orne ses atraits, Le Compas ? la main j'en tracerai les traits, De mes crayons grossiers je peindrai l'Immortelle. Cherchant ? l'embellir je la rendrais moins belle, Elle est ainsi que vous, noble, simple & sans fard, Au-dessus de l'?loge, au-dessus de mon Art.
Mr. Algaroti jeune V?nitien fait imprimer actuellement ? Venise un Trait? sur la lumiere dans lequel il explique l'attraction.
MADAME,
Ce n'est point ici une Marquise, ni une Philosophie imaginaire. L'?tude solide que vous avez faite de plusieurs nouvelles v?rit?s & le fruit d'un travail respectable, sont ce que j'offre au Public pour votre gloire, pour celle de votre Sexe, & pour l'utilit? de quiconque voudra cultiver sa raison & jou?r sans peine de vos recherches. Il ne faut pas s'attendre ? trouver ici des agr?mens. Toutes les mains ne savent pas couvrir de fleurs les ?pines des Sciences; je dois me borner ? t?cher de bien concevoir quelques V?rit?s & ? les faire voir avec ordre & clart?. Ce seroit ? vous de leur pr?ter des ornemens.
Ce nom de Nouvelle Philosophie ne seroit que le titre d'un Roman nouveau, s'il n'annon?oit que les conjectures d'un Moderne, oppos?es aux fantaisies des Anciens. Une Philosophie qui ne seroit ?tablie que sur des explications hazard?es, ne m?riteroit pas en rigueur le moindre examen. Car il y a un nombre innombrable de manieres d'arriver ? l'Erreur, il n'y a qu'une seule route vers la V?rit?: il y a donc l'infini contre un ? parier, qu'un Philosophe qui ne s'appuiera que sur des Hypoth?ses ne dira que des chim?res. Voil? pourquoi tous les Anciens qui ont raisonn? sur la Physique sans avoir le flambeau de l'exp?rience, n'ont ?t? que des aveugles, qui expliquoient la nature des couleurs ? d'autres aveugles.
Cet Ecrit ne sera point un cours de Physique complet. S'il ?toit tel, il seroit immense; une seule partie de la Physique occupe la vie de plusieurs hommes, & les laisse souvent mourir dans l'incertitude.
Vous vous bornez dans cette ?tude, dont je rends compte, ? vous faire seulement une id?e nette de ces Ressorts si d?liez & si puissants, de ces Loix primitives de la Nature, que Neuton a d?couvertes; ? examiner jusqu'o? l'on a ?t? avant lui, d'o? il est parti, & o? il s'est arr?t?. Nous commencerons, comme lui, par la lumiere: c'est de tous les corps qui se font sentir ? nous le plus d?li?, le plus approchant de l'infini en petit, c'est pourtant celui que nous connoissons davantage. On l'a suivi dans ses mouvemens, dans ses effets; on est parvenu ? l'anatomiser, ? le s?parer en toutes ses parties possibles. C'est celui de tous les corps dont la nature intime est le plus d?velopp?e. C'est celui qui nous approche de plus pr?s des premiers Ressorts de la Nature.
La Philosophie de Neuton a sembl? jusqu'? pr?sent ? beaucoup de personnes aussi inintelligible que celle des Anciens: mais l'obscurit? des Grecs venoit de ce qu'en effet ils n'avoient point de lumiere; & les t?n?bres de Neuton viennent de ce que sa lumiere ?toit trop loin de nos yeux. Il a trouv? des v?rit?s: mais il les a cherch?es & plac?es dans un ab?me, il faut y descendre & les apporter au grand jour.
On trouvera ici toutes celles qui conduisent ? ?tablir la nouvelle propriet? de la matiere d?couverte par Neuton. On sera oblig? de parler de quelques singularit?s, qui se sont trouv?es sur la route dans cette carriere; mais on ne s'?cartera point du but.
Ceux qui voudront s'instruire davantage, liront les excellentes Physiques des Gravesandes, des Keils, des Muschenbroeks, des Pembertons & s'approcheront de Neuton par degrez.
CHAPITRE PREMIER.
LES GRECS & ensuite tous les Peuples Barbares, qui ont appris d'eux ? raisonner & ? se tromper, ont dit de Si?cle en Si?cle: <
C'est cet absurde galimatias que des Ma?tres d'ignorance, payez par le Public, ont fait respecter ? la cr?dulit? humaine pendant tant d'ann?es: c'est ainsi qu'on a raisonn? presque sur-tout, jusqu'aux tems des Galil?es & des Descartes. Long-tems m?me apr?s eux ce Jargon, qui deshonore l'Entendement humain, a subsist? dans plusieurs Ecoles. J'ose dire que la Raison de l'homme, ainsi obscurcie, est bien au-dessous de ces connaissances si born?es, mais si s?res, que nous appellons Instinct dans les Brutes. Ainsi nous ne pouvons trop nous f?liciter d'?tre nez dans un tems & chez un Peuple, o? l'on commence ? ouvrir les yeux, & ? jou?r du plus bel appanage de l'Humanit?, l'usage de la Raison.
Tous les pr?tendus Philosophes ayant donc devin? au hazard, ? travers le voile qui couvroit la Nature, Descartes est venu qui a d?couvert un coin de ce grand voile. Il a dit: la Lumiere est une matiere fine & d?li?e, qui est r?pandue par-tout, & qui frappe nos yeux. Les couleurs sont les sensations que Dieu excite en nous, selon les divers mouvemens qui portent cette Matiere ? nos organes. Jusques-l? Descartes a eu raison, il falloit, ou qu'il s'en tint l?, ou qu'en allant plus loin, l'exp?rience f?t son guide. Mais il ?toit poss?d? de l'envie d'?tablir un Syst?me. Cette passion fit dans ce grand Homme ce que font les passions dans tous les hommes; elles les entra?nent au-del? de leurs Principes.
Il avoit pos? pour premier fondement de sa Philosophie, qu'il ne falloit rien croire sans ?vidence; & cependant au m?pris de sa propre R?gle, il imagine trois El?mens formez des cubes pr?tendus qu'il suppose avoir ?t? faits par le Cr?ateur, & s'?tre brisez en tournant sur eux-m?mes, lorsqu'ils sortirent des mains de Dieu. Ces trois El?mens imaginaires sont, comme on sait:
Plus ce Syst?me ?toit ing?nieusement imagin?, plus vous sentez qu'il ?toit indigne d'un Philosophe. Car, puisque rien de tout cela n'est prouv?, autant valloit adopter le froid & le chaud, le sec & l'humide. Erreur pour erreur qu'importe laquelle domine! Ne perdons point de tems ? combattre cette cr?ation des cubes & des trois El?mens, ou plut?t ce Chaos. Contentons-nous de voir ici seulement les erreurs Philosophiques dans lesquelles l'esprit Syst?matique a entra?n? le g?nie sublime de Descartes; & ne r?futons sur-tout que ces sortes d'erreurs qui, ayant l'air de la v?rit?, sembloient respectables, & m?ritoient d'?tre relev?es.
Voici en peu de mots la substance de la D?monstration sensible de Romer, que la lumiere employe sept ? huit minutes dans son chemin du Soleil ? la Terre.
On observe de la Terre en C. ce Satellite de Jupiter, qui s'?clipse r?guli?rement une fois en quarante-deux heures & demie. Si la Terre ?toit immobile, l'Observateur en C. verroit en trente fois quarante-deux heures & demie, trente ?mersions de ce Satellite, mais au bout de ce tems, la Terre se trouve en D. alors l'Observateur ne voit plus cette ?mersion pr?cis?ment au bout de trente fois quarante-deux heures & demie, mais il faut ajouter le tems que la lumiere met ? se mouvoir de C. en D. & ce tems est sensiblement consid?rable. Mais cet espace C. D. est encore moins grand que l'espace G. H. car C. D. est corde du Cercle, & G. H. est le Diametre du Cercle. Ce Cercle est le grand Orbe que d?crit la Terre, le Soleil est au milieu; la lumiere en venant du Satellite de Jupiter, traverse C. D. en dix minutes, & G. H. en 15. ou 16. minutes. Le Soleil est entre G. & H. donc la lumiere vient du Soleil en 7 ou 8 minutes.
Mr. Broadley, en dernier lieu, a observ? par des exp?riences r??t?r?es & s?res, que plusieurs Etoiles, vues en diff?rens tems, paroissoient tant?t un peu plus vers le Nord, tant?t un peu plus vers le Sud; il a prouv? que cette diff?rence ne pouvoit venir que du mouvement annuel de la Terre, & de la progression de la lumiere. Il a observ? que si ces Etoiles ont une parallaxe, cette parallaxe n'est que d'une seconde.
Or cela pr?suppos?, voici le raisonnement que je fais: Un Astre, qui n'a qu'une seconde de parallaxe annuelle, est quatre cens mille fois plus loin de nous que le Soleil; si la lumiere nous vient du Soleil en 8. minutes, comme le croit Mr. Broadley, elle nous viendra donc de ces Etoiles en 6. ann?es & plus d'un mois. Mais ce n'est pas tout. Ces Etoiles sont de la premiere grandeur, donc les Etoiles de la sixi?me grandeur, ?tant six fois plus ?loign?es, ne font parvenir leur lumiere ? nous qu'en plus de 36. ans & demi.
Le Pere Mallebranche, g?nie plus subtil que vrai, qui consulta toujours ses m?ditations, mais non toujours la Nature, adopta sans preuve les trois El?mens de Descartes; mais il changea beaucoup de choses ? ce Ch?teau enchant?. Il imagina sans autre preuve une autre explication de la lumiere.
Ainsi une bougie allum?e br?leroit l'oeil qui ne seroit qu'? quelques lignes d'elle, & ?claire l'oeil qui en est ? quelques pouces. Ainsi les rayons du Soleil, ?pars dans l'espace de l'air, illuminent les objets, & r?unis dans un verre ardent fondent le plomb & l'or.
Ce feu est dard? en tout sens du point rayonnant: c'est ce qui fait qu'il est apper?u de tous les c?tez; il faut donc toujours le consid?rer comme des lignes partant d'un centre ? la circonf?rence. Ainsi tout faisceau, tout amas, tout trait de rayons, venant du Soleil ou d'un feu quelconque, doit ?tre consid?r? comme un cone, dont la base est sur notre prunelle, & dont la pointe est dans le feu qui le darde.
Cette matiere de feu s'?lance du Soleil jusqu'? nous & jusqu'? Saturne, &c. avec une rapidit? qui ?pouvante l'imagination.
Le calcul apprend que, si le Soleil est ? vingt-quatre mille demi-diametres de la Terre, il s'ensuit que la lumiere parcourt de cet Astre ? nous, mille millions de pieds par seconde. Or un boulet d'une livre de balle, pouss? par une demi-livre de poudre, ne fait en une seconde que 600. pieds; ainsi donc la rapidit? d'un rayon du Soleil est, en nombres ronds, seize cens soixante & six mille six cens fois plus forte que celle d'un boulet de Canon.
Je n'entrerai point ici dans la fameuse dispute des forces vives; je renvoye sur cela le Lecteur au M?moire plein de sagesse & de profondeur qu'a donn? Mr. de Mairan.
J'esp?re que ce Philosophe & ceux qui sont le plus oppos?s aux forces vives, permettront qu'on avance en toute rigueur cette Proposition suivante:
L'effet que produit la force d'un corps dans un mouvement, du moins uniformement acc?l?r?, est le produit de sa masse par le quarr? de sa v?tesse; c'est-?-dire qu'un corps, s'il a dix degrez de v?tesse, fera, toutes choses ?gales, cent fois autant d'impression, que s'il n'avoit qu'un degr? de v?tesse.
Si donc une seule particule de lumiere agit en raison du quarr? de sa v?tesse, & si cette v?tesse est environ seize cens mille par rapport ? celle du boulet, ce quarr? sera 2560000000000; il sera donc vrai que, si cet atome n'est que deux milliasses cinq cens soixante miliards moins gros qu'une livre, il fera encore le m?me effet qu'un boulet de Canon. Supposez cet atome mille miliards plus petit encore; un moment d'?manation de lumiere d?truiroit tout ce qui veg?te sur la surface de la Terre. Concevez qu'elle doit ?tre la petitesse d'une particule de lumiere, qui passe si librement ?-travers d'un verre; & pour avoir quelque id?e de l'infini, concevez ce que doit ?tre une matiere un million de fois plus subtile encore, qui passe entre les pores de l'Or & de l'Aimant, & qui p?n?tre les Rochers & les entrailles de la Terre.
Le Soleil qui nous darde cette matiere lumineuse en sept ou huit minutes, & les Etoiles, ces autres Soleils, qui nous l'envoyent en plusieurs ann?es, en fournissent ?ternellement, sans para?tre s'?puiser, ? peu pr?s comme le Musc ?lance sans cesse autour de lui des corps odorif?rants, sans rien perdre sensiblement de son poids.
Enfin, la rapidit? avec laquelle le Soleil darde ses rayons est en proportion avec sa grosseur, qui surpasse environ un million de fois celle de la Terre, & avec la v?tesse dont ce Corps de feu immense roule sur lui-m?me en vingt-cinq jours & demi.
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