Read Ebook: Aventures de Baron de Münchausen by B Rger Gottfried August Raspe Rudolf Erich Dor Gustave Illustrator Gautier Th Ophile Translator
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Ebook has 365 lines and 29632 words, and 8 pages
Illustrator: Gustave Dor?
Translator: Th?ophile, fils Gautier
AVENTURES DU BARON
M?NCHHAUSEN
TRADUCTION NOUVELLE
PAR
TH?OPHILE GAUTIER FILS
Les originaux:
The Travels and Surprising Adventures of Baron Munchausen Par Rudolph Erich Raspe
Wunderbare Reisen zu Wasser und zu Lande: Feldz?ge und lustige Abenteuer des Freiherrn von M?nchhausen Par Gottfried August B?rger
ILLUSTR?ES PAR GUSTAVE DOR?
PARIS
FURNE, JOUVET ET Cie, ?DITEURS
PR?FACE
TH?OPHILE GAUTIER.
CHAPITRE PREMIER
VOYAGE EN RUSSIE ET A SAINT-P?TERSBOURG
J'entrepris mon voyage en Russie au milieu de l'hiver, ayant fait ce raisonnement judicieux que, par le froid et la neige, les routes du nord de l'Allemagne, de la Pologne, de la Courlande et de la Livonie, qui, selon les descriptif des voyageurs, sont plus impraticables encore que le chemin du temple de la vertu, s'am?liorent sans qu'il en co?te rien ? la sollicitude des gouvernements. Je voyageais ? cheval, ce qui est assur?ment le plus agr?able mode de transport, pourvu toutefois que le cavalier et la b?te soient bons: de cette fa?on, on n'est pas expos? ? avoir d'affaires d'honneur avec quelque honn?te ma?tre de poste allemand, ni forc? de s?journer devant chaque cabaret, ? la merci d'un postillon alt?r?. J'?tais l?g?rement v?tu, ce dont je me trouvai assez mal, ? mesure que j'avan?ais vers le nord-est.
Repr?sentez-vous maintenant, par ce temps ?pre, sous ce rude climat, un pauvre vieillard gisant sur le bord d?sol? d'une route de Pologne, expos? ? un vent glacial, ayant ? peine de quoi couvrir sa nudit?.
L'aspect de ce pauvre homme me navra l'?me: et, quoi qu'il f?t un froid ? me geler le coeur dans la poitrine, je lui jetai mon manteau. Au m?me instant, une voix retentit dans le ciel, et, me louant de ma mis?ricorde, me cria: <
Je continuai mon voyage, jusqu'? ce que la nuit et les t?n?bres me surprissent. Aucun signe, aucun bruit, qui m'indiqu?t la pr?sence d'un village: le pays tout entier ?tait enseveli sous la neige, et je ne savais pas la route.
Harass?, n'en pouvant plus, je me d?cidai ? descendre de cheval; j'attachai ma b?te ? une sorte de pointe d'arbre qui surgissait de la neige. Je pla?ai, par prudence, un de mes pistolets sous mon bras, et je m'?tendis sur la neige. Je fis un si bon somme, que, lorsque je rouvris les yeux, il faisait grand jour. Quel fut mon ?tonnement lorsque je m'aper?us que je me trouvais au milieu d'un village, dans le cimeti?re! Au premier moment, je ne vis point mon cheval, quand, apr?s quelques instants, j'entendis hennir au-dessus de moi. Je levai la t?te, et je pus me convaincre que ma b?te ?tait suspendue au coq du clocher. Je me rendis imm?diatement compte de ce singulier ?v?nement: j'avais trouv? le village enti?rement recouvert par la neige; pendant la nuit, le temps s'?tait subitement adouci, et, tandis que je dormais, la neige, en fondant, m'avait descendu tout doucement jusque sur le sol; ce que, dans l'obscurit?, j'avais pris pour une pointe d'arbre, n'?tait autre chose que le coq du clocher. Sans m'embarrasser davantage, je pris un de mes pistolets, je visai la bride, je rentrai heureusement par ce moyen en possession de mon cheval, et poursuivis mon voyage.
Tout alla bien jusqu'? mon arriv?e en Russie, o? l'on n'a pas l'habitude d'aller ? cheval en hiver. Comme mon principe est de me conformer toujours aux usages des pays o? je me trouve, je pris un petit tra?neau ? un seul cheval, et me dirigeai gaiement vers Saint-P?tersbourg.
Je ne sais plus au juste si c'?tait en Esthonie ou en Ingrie, mais je me souviens encore parfaitement que c'?tait au milieu d'une effroyable for?t, que je me vis poursuivi par un ?norme loup, rendu plus rapide encore par l'aiguillon de la faim. Il m'eut bient?t rejoint; il n'?tait plus possible de lui ?chapper: je m'?tendis machinalement au fond du tra?neau, et laissai mon cheval se tirer d'affaire et agir au mieux de mes int?r?ts. Il arriva ce que je pr?sumais, mais que je n'osais esp?rer. Le loup, sans s'inqui?ter de mon faible individu, sauta par-dessus moi, tomba furieux sur le cheval, d?chira et d?vora d'un seul coup tout l'arri?re-train de la pauvre b?te, qui, pouss?e par la terreur et la douleur, n'en courut que plus vite encore. J'?tais sauv?! Je relevai furtivement la t?te, et je vis que le loup s'?tait fait jour ? travers le cheval ? mesure qu'il le mangeait: l'occasion ?tait trop belle pour la laisser ?chapper; je ne lis ni une ni deux, je saisis mon fouet, et je me mis ? cingler le loup de toutes mes forces: ce dessert inattendu ne lui causa pas une m?diocre frayeur; il s'?lan?a en avant de toute sa vitesse, le cadavre de mon cheval tomba ? terre et--voyez la chose ?trange!--mon loup se trouva engag? ? sa place dans le harnais. De mon c?t?, je n'en fouettai que de plus belle, de sorte que, courant de ce train-l?, nous ne tard?mes pas ? atteindre sains et saufs Saint-P?tersbourg, contre notre attente respective, et au grand ?tonnement des passants.
Je ne veux pas, messieurs, vous ennuyer de bavardages sur les coutumes, les arts, les sciences et autres particularit?s de la brillante capitale de la Russie: encore moins vous entretiendrai-je des intrigues et des joyeuses aventures qu'on rencontre dans la soci?t? ?l?gante, o? les dames offrent aux ?trangers une si large hospitalit?. Je pr?f?re arr?ter votre attention sur des objets plus grands et plus nobles, sur les chevaux et les chiens, par exemple, que j'ai toujours eus en grande estime; puis sur les renards, les loups et les ours, dont la Russie, si riche d?j? en toute esp?ce de gibier, abonde plus qu'aucun autre pays de la terre; vous parler, enfin, de ces parties de plaisir, de ces exercices chevaleresques, de ces actions d'?clat qui habillent mieux un gentilhomme qu'un m?chant bout de latin et de grec, ou que ces sachets d'odeur, ces grimaces et ces cabrioles des beaux esprits fran?ais.
Comme il se passa quelque temps avant que je pusse entrer au service, j'eus, pendant une couple de mois, le loisir et la libert? compl?te de d?penser mon temps et mon argent de la plus noble fa?on. Je passai mainte nuit ? jouer, mainte nuit ? choquer les verres. La rigueur du climat et les moeurs de la nation ont assign? ? la bouteille une importance sociale des plus hautes, qu'elle n'a pas dans notre sobre Allemagne, et j'ai trouv? en Russie des gens qui peuvent passer pour des virtuoses accomplis dans ce genre d'exercice; mais tous n'?taient que de pauvres h?res ? c?t? d'un vieux g?n?ral ? la moustache grise, ? la peau cuivr?e, qui d?nait avec nous ? table d'h?te. Ce brave homme avait perdu, dans un combat contre les Turcs, la partie sup?rieure du cr?ne; de sorte que chaque fois qu'un ?tranger se pr?sentait, il s'excusait le plus courtoisement du monde de garder son chapeau ? table. Il avait coutume d'absorber, en mangeant, quelques bouteilles d'eau-de-vie et, pour terminer, de vider un flacon d'arak, doublant parfois la dose, suivant les circonstances; malgr? cela, il ?tait impossible de saisir en lui le moindre signe d'ivresse. La chose vous d?passe, sans doute; elle me fit ?galement le m?me effet: je fus longtemps avant de pouvoir me l'expliquer, jusqu'au jour o? je trouvai, par hasard, la clef de l'?nigme. Le g?n?ral avait l'habitude de soulever de temps en temps son chapeau; j'avais souvent remarqu? ce mouvement, sans m'en inqui?ter autrement. Rien d'?tonnant ? ce qu'il e?t chaud au front, et encore moins ? ce que sa t?te e?t besoin d'air. Je finis cependant par voir qu'en m?me temps que son chapeau, il soulevait une plaque d'argent qui y ?tait fix?e et lui servait de cr?ne, et qu'alors les fum?es des liqueurs spiritueuses qu'il avait absorb?es s'?chappaient en l?gers nuages. L'?nigme ?tait r?solue. Je racontai ma d?couverte ? deux de mes amis, et m'offris ? leur en d?montrer l'exactitude. J'allai me placer, avec ma pipe, derri?re le g?n?ral, et, au moment o? il soulevait son chapeau, je mis avec un morceau de papier le feu ? la fum?e: nous p?mes jouir alors d'un spectacle aussi neuf qu'admirable. J'avais transform? en colonne de feu la colonne de fum?e qui s'?levait au-dessus du g?n?ral; et les vapeurs qui se trouvaient retenues par la chevelure du vieillard formaient un nimbe bleu?tre, comme il n'en brilla jamais autour de la t?te du plus grand saint. Mon exp?rience ne put rester cach?e au g?n?ral; mais il s'en f?cha si peu qu'il nous permit plusieurs fois de r?p?ter un exercice qui lui donnait un air si v?n?rable.
CHAPITRE II
HISTOIRES DE CHASSE
Je passe sous silence maintes joyeuses sc?nes dont nous f?mes acteurs ou t?moins dans des circonstances analogues, parce que je veux vous raconter diff?rentes histoires cyn?g?tiques beaucoup plus merveilleuses et plus int?ressantes que tout cela.
Je n'ai pas besoin de vous dire, messieurs, que ma soci?t? de pr?dilection se composait de ces braves compagnons qui savent appr?cier le noble plaisir de la chasse. Les circonstances qui entour?rent toutes mes aventures, le bonheur qui guida tous mes coups, resteront parmi les plus beaux souvenirs de ma vie.
Un matin je vis, de la fen?tre de ma chambre ? coucher, un grand ?tang, qui se trouvait dans le voisinage, tout couvert de canards sauvages. D?crochant imm?diatement mon fusil, je descendis ? la h?te l'escalier avec tant de pr?cipitation que je heurtai du visage contre la porte: je vis trente-six chandelles, mais cela ne me fit pas perdre une seconde. J'allais tirer, lorsqu'au moment o? j'ajustais je m'aper?us, ? mon grand d?sespoir, que le violent coup que je m'?tais donn? ? la figure avait en m?me temps fait tomber la pierre de mon fusil. Que faire? Je n'avais pas de temps ? perdre. Heureusement, je me rappelai ce que j'avais vu quelques instants auparavant. J'ouvris le bassinet, je dirigeai mon arme dans la direction du gibier et je m'envoyai le poing dans l'un de mes yeux. Ce coup vigoureux en fit sortir un nombre d'?tincelles suffisant pour allumer la poudre; le fusil partit, et je tuai cinq couples de canards, quatre sarcelles et deux poules d'eau. Cela prouve que la pr?sence d'esprit est l'?me des grandes actions. Si elle rend d'inappr?ciables services au soldat et au marin, le chasseur lui doit aussi plus d'un heureux coup.
Ainsi, par exemple, je me souviens qu'un jour je vis sur un lac, au bord duquel m'avait amen? une de mes excursions, quelques douzaines de canards sauvages, trop diss?min?s pour qu'il me f?t permis d'esp?rer en atteindre d'un seul coup un nombre suffisant. Pour comble de malheur, ma derni?re charge ?tait dans mon fusil, et j'aurais pr?cis?ment voulu les rapporter tous, ayant ? traiter chez moi nombre d'amis et de connaissances.
Je me souvins alors que j'avais encore dans ma carnassi?re un morceau de lard, reste des provisions dont je m'?tais muni en partant. J'attachai ce morceau de lard ? la laisse de mon chien que je d?doublai et dont j'attachai les quatre fils bout ? bout; puis je me blottis dans les joncs du bord, lan?ai mon app?t, et j'eus bient?t la satisfaction de voir un premier canard s'en approcher vivement et l'avaler. Les autres accoururent derri?re le premier, et comme, l'onctuosit? du lard aidant, mon app?t eut bient?t travers? le canard dans toute sa longueur, un second l'avala, puis un troisi?me, et ainsi de suite. Au bout de quelques instants mon morceau de lard avait voyag? ? travers tous les canards, sans se s?parer de sa ficelle: il les avait enfil?s comme des perles. Je revins tout joyeux sur le bord, je me passai cinq ou six fois la ficelle autour du corps et sur les ?paules, et m'en retournai ? la maison.
Comme j'avais encore un bon bout de chemin ? faire, et que cette quantit? de canards m'incommodait singuli?rement, je commen?ai ? regretter d'en avoir tant pris. Mais sur ces entrefaites il survint un ?v?nement qui, au premier moment, me causa quelque inqui?tude. Les canards ?taient encore tous vivants: revenus peu ? peu de leur premier ?tourdissement, ils se mirent ? battre de l'aile et ? m'enlever en l'air avec eux. Tout autre que moi e?t assur?ment ?t? fort embarrass?. Mais moi j'utilisai cette circonstance ? mon profit, et, me servant des basques de mon habit comme de rames, je me guidai vers ma demeure. Arriv? au-dessus de la maison, lorsqu'il s'agit de parvenir ? terre sans me rien casser, je tordis successivement le cou ? mes canards, et je descendis par le tuyau de la chemin?e, et, ? la grande stup?faction de mon cuisinier, je tombai sur le fourneau qui par bonheur n'?tait pas allum?.
J'eus une aventure ? peu pr?s semblable avec une compagnie de perdreaux. J'?tais sorti pour essayer un nouveau fusil, et j'avais ?puis? ma provision de petit plomb, lorsque, contre toute attente, je vis se lever sous mes pieds une compagnie de perdreaux. Le d?sir d'en voir le soir m?me figurer quelques-uns sur ma table m'inspira un moyen que, sur ma parole, messieurs, je vous conseille d'employer en pareille circonstance. D?s que j'eus remarqu? la place o? le gibier s'?tait abattu, je chargeai rapidement mon arme et j'y glissai en guise de plomb ma baguette, dont je laissai d?passer l'extr?mit? hors du canon.
Je me dirigeai vers les perdreaux, je tirai au moment o? ils prenaient leur vol, et, ? quelques pas de l?, ma baguette retomba orn?e de sept pi?ces, qui durent ?tre fort surprises de se trouver si subitement mises ? la broche; ce qui justifie le proverbe qui dit: <
Une autre fois, je rencontrai dans une des grandes for?ts de la Russie un magnifique renard bleu. C'e?t ?t? grand dommage de trouer cette pr?cieuse fourrure d'une balle ou d'une d?charge de plomb. Ma?tre renard ?tait tapi derri?re un arbre. Je retirai aussit?t la balle du canon et la rempla?ai par un bon clou: je fis feu, et si habilement, que la queue du renard se trouva fich?e ? l'arbre. Alors je m'avan?ai tranquillement vers lui, je pris mon couteau de chasse et lui lis sur la face une double entaille en forme de croix; je pris ensuite mon fouet et le chassai si joliment hors de sa peau que c'?tait plaisir ? voir.
Le hasard et la chance se chargent souvent de r?parer nos fautes; en voici un exemple. Un jour, je vois dans une ?paisse for?t une laie et un marcassin qui courent sur moi. Je tire, et les manque. Mais voil? le marcassin qui continue sa route, et la laie qui s'arr?te immobile comme fich?e au sol. Je m'approche pour chercher la cause de cette immobilit?, et je m'aper?ois que j'avais affaire ? une laie aveugle, qui tenait entre ses dents la queue du marcassin, lequel, dans sa pi?t? filiale, lui servait de guide. Ma balle, ayant pass? entre les deux b?tes, avait coup? le fil conducteur, dont la vieille laie conservait encore une extr?mit?: ne se sentant plus tir?e par son guide, elle s'?tait arr?t?e. Je saisis aussit?t ce fragment de queue, et je ramenai chez moi, sans peine et sans r?sistance, la pauvre b?te infirme.
Si dangereux que soit cet animal, le sanglier est encore plus redoutable et plus f?roce. J'en rencontrai un jour un dans une for?t, dans un moment o? je n'?tais pr?par? ni ? la d?fense ni ? l'attaque. J'avais ? peine eu le temps de me r?fugier derri?re un arbre, que l'animal se jeta sur moi de tout son ?lan, pour me donner un coup de c?t?; mais, au lieu de m'entrer dans le corps, ses d?fenses p?n?tr?rent si profond?ment dans le tronc, qu'il ne put les retirer pour fondre une seconde fois sur moi.
--Ha, ha! pensai-je, ? nous deux maintenant!
Je pris une pierre, et je cognai de toutes mes forces sur ses d?fenses, de fa?on qu'il lui f?t absolument impossible de se d?gager. Il n'avait qu'? attendre que je d?cidasse de son sort: j'allai chercher des cordes et un chariot au village voisin, et le rapportai fortement garrott? et vivant ? la maison.
Vous avez assur?ment entendu parler, messieurs, de saint Hubert, le patron des chasseurs et des tireurs, ainsi que du cerf qui lui apparut dans une for?t, portant la sainte croix entre ses cors. Je n'ai jamais manqu? de f?ter chaque ann?e ce saint en bonne compagnie, et j'ai bien souvent vu son cerf repr?sent? en peinture dans les ?glises, ainsi que sur la poitrine des chevaliers de l'ordre qui porte son nom; aussi, en mon ?me et conscience, sur mon honneur de brave chasseur, je n'oserais pas nier qu'il n'y ait eu autrefois des cerfs coiff?s de croix, et m?me qu'il n'en existe pas encore aujourd'hui. Mais, sans entrer dans cette discussion, permettez-moi de vous raconter ce que j'ai vu de mes propres yeux. Un jour que je n'avais plus de plomb, je donnai, par un hasard inesp?r?, sur le plus beau cerf du monde. Il s'arr?ta et me regarda fixement, comme s'il e?t su que ma poire ? plomb ?tait vide. Aussit?t je mis dans mon fusil une charge de poudre, et j'y insinuai une poign?e de noyaux de cerises, que j'avais aussi vite que possible d?barrass?s de leur chair. Je lui envoyai le tout sur le front, entre les deux cors. Le coup l'?tourdit: il chancela, puis il se remit et disparut.
Un ou deux ans apr?s, je repassais dans la m?me for?t, et voil?, ? surprise! que j'aper?ois un magnifique cerf portant entre les cors un superbe cerisier, haut de dix pieds, pour le moins. Je me souvins alors de ma premi?re aventure, et, consid?rant l'animal comme une propri?t? depuis longtemps mienne, d'une balle je l'?tendis ? terre, de sorte que je gagnai ? la fois le r?ti et le dessert; car l'arbre ?tait charg? de fruits, les meilleurs et les plus d?licats que j'eusse mang?s de ma vie. Qui peut dire, apr?s cela, que quelque pieux et passionn? chasseur, abb? ou ?v?que, n'ait pas sem? de la m?me fa?on la croix entre les cors du cerf de saint Hubert? Dans les cas extr?mes, un bon chasseur a recours ? n'importe quel exp?dient, plut?t que de laisser ?chapper une belle occasion, et je me suis trouv? moi-m?me maintes fois oblig? de me tirer par ma seule habilet? des passes les plus p?rilleuses.
Que dites-vous, par exemple, du cas suivant?
Il ?tait ?crit que je devais ?tre attaqu? par les b?tes les plus terribles et les plus f?roces, pr?cis?ment dans les moments o? j'?tais le moins en ?tat de leur tenir t?te, comme si leur instinct les e?t averties de ma faiblesse. C'est ainsi qu'une fois que je venais de d?visser la pierre de mon fusil pour la raviver, un monstre d'ours s'?lance en hurlant vers moi.
Tout ce que je pouvais faire, c'?tait de me r?fugier sur un arbre, afin de me pr?parer ? la d?fense. Malheureusement, en grimpant, je laissai tomber mon couteau, et je n'avais plus rien que mes doigts, ce qui ?tait insuffisant, pour visser ma pierre. L'ours se dressait au pied de l'arbre, et je m'attendais ? ?tre d?vor? d'un moment ? l'autre.
J'aurais pu allumer mon amorce en tirant du feu de mes yeux, comme je l'avais fait dans une circonstance pr?c?dente; mais cet exp?dient ne me tentait que m?diocrement: il m'avait occasionn? un mal d'yeux dont je n'?tais pas encore compl?tement gu?ri. Je regardais d?sesp?r?ment mon couteau piqu? droit dans la neige; mais tout mon d?sespoir n'avan?ait pas les choses d'un cran. Enfin il me vint une id?e aussi heureuse que singuli?re. Vous savez tous par exp?rience que le vrai chasseur porte toujours, comme le philosophe, tout son bien avec lui: quant ? moi, ma gibeci?re est un v?ritable arsenal qui me fournit des ressources contre toutes les ?ventualit?s. J'y fouillai et en tirai d'abord une pelote de ficelle, puis un morceau de fer recourb?, puis une bo?te pleine de poix: la poix ?tant durcie par le froid, je la pla?ai contre ma poitrine pour la ramollir. J'attachai ensuite ? la corde le morceau de fer que j'enduisis abondamment de poix, et le laissai rapidement tomber ? terre. Le morceau de fer enduit de poix se fixa au manche du couteau d'autant plus solidement que la poix, se refroidissant ? l'air, formait comme un ciment; je parvins de la sorte, en manoeuvrant avec pr?caution, ? remonter le couteau. A peine avais-je reviss? ma pierre, que ma?tre Martin se mit en devoir d'escalader l'arbre.
--Parbleu, pensai-je, il faut ?tre ours pour choisir si bien son moment!
Et je l'accueillis avec une si belle d?charge, qu'il perdit du coup l'envie de plus jamais monter aux arbres.
Une autre fois je fus serr? de si pr?s par un loup que je n'eus, pour me d?fendre, d'autre ressource que de lui plonger mon poing dans la gueule. Pouss? par l'instinct de ma conservation, je l'enfon?ai toujours de plus en plus profond?ment, de fa?on que mon bras se trouva engag? jusqu'? l'?paule. Mais que faire apr?s cela? Pensez un peu ? ma situation: nez ? nez avec un loup! Je vous assure que nous ne nous faisions pas les yeux doux: si je retirais mon bras, la b?te me sautait dessus infailliblement; je lisais clairement son intention dans son regard flamboyant. Bref, je lui empoignai les entrailles, les tirai ? moi, retournai mon loup comme un gant, et le laissai mort sur la neige.
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