Read Ebook: Don Juan ou le Festin de pierre by Moli Re
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Ebook has 1338 lines and 22985 words, and 27 pages
Don Juan, ou le Festin de pierre
Source:
Jean-Baptiste Poquelin , alias Moli?re, "Oeuvres de Moli?re, avec des notes de tous les commentateurs", Tome Premier, Paris, Librarie de Firmin-Didot et Cie, Imprimeurs de l'Institut, rue Jacob, 56, 1890.
Pages 449-512.
DON JUAN
LE FESTIN DE PIERRE
Com?die
PERSONNAGES ACTEURS
Don Juan, fils de don Louis. La Grange. Sganarelle. Moli?re. Elvire, ma?tresse de don Juan. Mlle Du Parc. Gusman, ?cuyer d'Elvire. Don Carlos, Don Alonse, fr?res d'Elvire. Don Louis, p?re de don Juan. B?jart. Francisque, pauvre. Charlotte, Mlle Moli?re. Mathurine, paysannes. Mlle de Brie. Pierrot, paysan. Hubert. La Statue du Commandeur. La Violette, Ragotin, valets de don Juan. M. Dimanche, marchand. Du Croisy. La Ram?e, spadassin. De Brie. Suite de don Juan. Suite de don Carlos et don Alonse, fr?res. Un spectre.
La sc?ne est en Sicile.
Le th??tre repr?sente un palais.
Sc?ne premi?re. - Sganarelle, Gusman.
- Sganarelle -
Quoi que puisse dire Aristote, et toute la philosophie, il n'est rien d'?gal au tabac ; c'est la passion des honn?tes gens ; et qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre. Non seulement il r?jouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les ?mes ? la vertu, et l'on apprend avec lui ? devenir honn?te homme. Ne voyez-vous pas bien, d?s qu'on en prend, de quelle mani?re obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d'en donner ? droite et ? gauche, partout o? l'on se trouve ? On n'attend pas m?me qu'on en demande, et l'on court au-devant du souhait des gens ; tant il est vrai que le tabac inspire des sentiments d'honneur et de vertu ? tous ceux qui en prennent. Mais c'est assez de cette mati?re, reprenons un peu notre discours. Si bien donc, cher Gusman, que done Elvire, ta ma?tresse, surprise de notre d?part, s'est mise en campagne apr?s nous ; et son coeur, que mon Ma?tre a su toucher trop fortement, n'a pu vivre, dis-tu, sans le venir chercher ici. Veux-tu qu'entre-nous je te dise ma pens?e ? J'ai peur qu'elle ne soit mal pay?e de son amour, que son voyage en cette ville produise peu de fruit, et que vous eussiez autant gagn? ? ne bouger de l?.
- Gusman -
Et la raison encore ? Dis-moi, je te prie, Sganarelle, qui peut t'inspirer une peur d'un si mauvais augure ? Ton ma?tre t'a-t-il ouvert son coeur l?-dessus, et t'a-t-il dit qu'il e?t pour nous quelque froideur qui l'ait oblig? ? partir ?
- Sganarelle -
Non pas ; mais, ? vue de pays, je connais ? peu pr?s le train des choses ; et sans qu'il m'ait encore rien dit, je gagerais presque que l'affaire va l?. Je pourrais peut-?tre me tromper ; mais enfin, sur de tels sujets, l'exp?rience m'a pu donner quelques lumi?res.
- Gusman -
Quoi ! ce d?part si peu pr?vu serait une infid?lit? de don Juan ? il pourrait faire cette injure aux chastes feux de done Elvire ?
- Sganarelle -
Non, c'est qu'il est jeune encore, et qu'il n'a pas le courage...
- Gusman -
Un homme de sa qualit? ferait une action si l?che !
- Sganarelle -
H? ! oui, sa qualit? ! La raison en est belle ; et c'est par l? qu'il s'emp?cherait des choses !
- Gusman -
Mais les saints noeuds du mariage le tiennent engag?.
- Sganarelle -
H? ! mon pauvre Gusman, mon ami, tu ne sais pas encore, crois-moi, quel homme est don Juan.
- Gusman -
Je ne sais pas, de vrai, quel homme il peut ?tre, s'il faut qu'il nous ait fait cette perfidie ; et je ne comprends point comme, apr?s tant d'amour et tant d'impatience t?moign?e, tant d'hommages pressants, de voeux, de soupirs et de larmes, tant de lettres passionn?es, de protestations ardentes et de serments r?it?r?s, tant de transports enfin, et tant d'emportements qu'il a fait para?tre, jusqu'? forcer, dans sa passion, l'obstacle sacr? d'un couvent, pour mettre done Elvire en sa puissance ; je ne comprends pas, dis-je, comme apr?s tout cela, il aurait le coeur de pouvoir manquer ? sa parole.
- Sganarelle -
Je n'ai pas grande peine ? le comprendre, moi ; et si tu connaissais le p?lerin, tu trouverais la chose assez facile pour lui. Je ne dis pas qu'il ait chang? de sentiments pour done Elvire, je n'en ai point de certitude encore. Tu sais que, par son ordre, je partis avant lui ; et depuis son arriv?e, il ne m'a point entretenu ; mais par pr?caution, je t'apprends, "inter nos", que tu vois, en don Juan mon ma?tre, le plus grand sc?l?rat que la terre ait jamais port?, un enrag?, un chien, un diable, un Turc, un h?r?tique, qui ne croit ni ciel, ni saint, ni Dieu, ni loup-garou, qui passe cette vie en v?ritable b?te brute ; un pourceau d'Epicure, un vrai Sardanapale, qui ferme l'oreille ? toutes les remontrances chr?tiennes qu'on lui peut faire, et traite de billeves?es tout ce que nous croyons. Tu me dis qu'il a ?pous? ta ma?tresse ; crois qu'il aurait plus fait pour sa passion, et qu'avec elle il aurait encore ?pous?, toi, son chien, et son chat. Un mariage ne lui co?te rien ? contracter ; il ne se sert point d'autres pi?ges pour attraper les belles ; et c'est un ?pouseur ? toutes mains. Dame, demoiselle, bourgeoise, paysanne, il ne trouve rien de trop chaud ni de trop froid pour lui ; et si je te disais le nom de toutes celles qu'il a ?pous?es en divers lieux, ce serait un chapitre ? durer jusqu'au soir. Tu demeures surpris et changes de couleur ? ce discours ; ce n'est l? qu'une ?bauche du personnage, et, pour en achever le portrait, il faudrait bien d'autres coups de pinceau. Suffit qu'il faut que le courroux du ciel l'accable quelque jour ; qu'il me vaudrait bien mieux d'?tre au diable que d'?tre ? lui, et qu'il me fait voir tant d'horreurs, que je souhaiterais qu'il f?t d?j? je ne sais o?. Mais un grand seigneur m?chant homme est une terrible chose : il faut que je lui sois fid?le, en d?pit que j'en aie ; la crainte en moi fait l'office du z?le, brise mes sentiments, et me r?duit d'applaudir bien souvent ? ce que mon ?me d?teste. Le voil? qui vient se promener dans ce palais, s?parons-nous. Ecoute au moins ; je t'ai fait cette confidence avec franchise, et cela m'est sorti un peu bien vite de la bouche ; mais s'il fallait qu'il en v?nt quelque chose ? ses oreilles, je dirais hautement que tu aurais menti.
- Don Juan -
Quel homme te parlait l? ? Il a bien l'air, ce me semble, du bon Gusman de done Elvire ?
- Sganarelle -
C'est quelque chose aussi ? peu pr?s comme cela.
- Don Juan -
Quoi ! c'est lui ?
- Sganarelle -
Lui-m?me.
- Don Juan -
Et depuis quand est-il en cette ville ?
- Sganarelle -
D'hier au soir.
- Don Juan -
Et quel sujet l'am?ne ?
- Sganarelle -
Je crois que vous jugez assez ce qui le peut inqui?ter.
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