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Read Ebook: Romans et contes by Gautier Th Ophile

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Ebook has 1723 lines and 106985 words, and 35 pages

NOTES SUR LA TRANSCRIPTION:

--Les erreurs clairement introduites par le typographe ont ?t? corrig?es.

--On a conserv? l'orthographie de l'original, incluant ses variantes.

--Les lettres ?crites au-dessus ont ?t?es represent?es ainsi: a^b et a^.

TH?OPHILE GAUTIER

ROMANS ET CONTES

PARIS CHARPENTIER ET C^, LIBRAIRES-?DITEURS 28, QUAI DU LOUVRE

Tous droits r?serv?s

ROMANS ET CONTES

OUVRAGES DU M?ME AUTEUR

DANS LA BIBLIOTH?QUE-CHARPENTIER

? 3 fr. 50 chaque volume

PREMI?RES PO?SIES 1 vol.

MADEMOISELLE DE MAUPIN 1 vol.

LE ROMAN DE LA MOMIE. Nouvelle ?dition 1 vol.

LE CAPITAINE FRACASSE 2 vol.

SPIRITE, nouvelle fantastique 1 vol.

VOYAGE EN ESPAGNE 1 vol.

VOYAGE EN RUSSIE 2 vol.

NOUVELLES. 1 vol.

TABLEAUX DE SI?GE. Paris, 1870-1871 1 vol.

TH?ATRE.--Myst?re, Com?dies et Ballets 1 vol.

PARIS.--IMP. SIMON RA?ON ET COMP., RUE D'ERFURTH, 1.

ROMANS ET CONTES

AVATAR

Personne ne pouvait rien comprendre ? la maladie qui minait lentement Octave de Saville. Il ne gardait pas le lit et menait son train de vie ordinaire; jamais une plainte ne sortait de ses l?vres, et cependant il d?p?rissait ? vue d'oeil. Interrog? par les m?decins que le for?aient ? consulter la sollicitude de ses parents et de ses amis, il n'accusait aucune souffrance pr?cise, et la science ne d?couvrait en lui nul sympt?me alarmant: sa poitrine auscult?e rendait un son favorable, et ? peine si l'oreille appliqu?e sur son coeur y surprenait quelque battement trop lent ou trop pr?cipit?; il ne toussait pas, n'avait pas la fi?vre, mais la vie se retirait de lui et fuyait par une de ces fentes invisibles dont l'homme est plein, au dire de T?rence.

Il ?tait donc revenu ? son petit appartement de la rue Saint-Lazare et avait repris en apparence ses habitudes anciennes.

Cet appartement ?tait aussi confortablement meubl? que peut l'?tre une gar?onni?re. Mais comme un int?rieur prend ? la longue la physionomie et peut-?tre la pens?e de celui qui l'habite, le logis d'Octave s'?tait peu ? peu attrist?; le damas des rideaux avait p?li et ne laissait plus filtrer qu'une lumi?re grise. Les grands bouquets de pivoine se fl?trissaient sur le fond moins blanc du tapis; l'or des bordures encadrant quelques aquarelles et quelques esquisses de ma?tres avait lentement rougi sous une implacable poussi?re; le feu d?courag? s'?teignait et fumait au milieu des cendres. La vieille pendule de Boule incrust?e de cuivre et d'?caille verte retenait le bruit de son tic-tac, et le timbre des heures ennuy?es parlait bas comme on fait dans une chambre de malade; les portes retombaient silencieuses, et les pas des rares visiteurs s'amortissaient sur la moquette; le rire s'arr?tait de lui-m?me en p?n?trant dans ces chambres mornes, froides et obscures, o? cependant rien ne manquait du luxe moderne. Jean, le domestique d'Octave, s'y glissait comme une ombre, un plumeau sous le bras, un plateau sur la main, car, impressionn? ? son insu de la m?lancolie du lieu, il avait fini par perdre sa loquacit?.--Aux murailles pendaient en troph?e des gants de boxe, des masques et des fleurets; mais il ?tait facile de voir qu'on n'y avait pas touch? depuis longtemps; des livres pris et jet?s insouciamment tra?naient sur tous les meubles, comme si Octave e?t voulu, par cette lecture machinale, endormir une id?e fixe. Une lettre commenc?e, dont le papier avait jauni, semblait attendre depuis des mois qu'on l'achev?t, et s'?talait comme un muet reproche au milieu du bureau. Quoique habit?, l'appartement paraissait d?sert. La vie en ?tait absente, et en y entrant on recevait ? la figure cette bouff?e d'air froid qui sort des tombeaux quand on les ouvre.

Dans cette lugubre demeure o? jamais une femme n'aventurait le bout de sa bottine, Octave se trouvait plus ? l'aise que partout ailleurs,--ce silence, cette tristesse et cet abandon lui convenaient; le joyeux tumulte de la vie l'effarouchait, quoiqu'il f?t parfois des efforts pour s'y m?ler; mais il revenait plus sombre des mascarades, des parties ou des soupers o? ses amis l'entra?naient; aussi ne luttait-il plus contre cette douleur myst?rieuse, et laissait-il aller les jours avec l'indiff?rence d'un homme qui ne compte pas sur le lendemain. Il ne formait aucun projet, ne croyant plus ? l'avenir, et il avait tacitement envoy? ? Dieu sa d?mission de la vie, attendant qu'il l'accept?t. Pourtant, si vous vous imaginiez une figure amaigrie et creus?e, un teint terreux, des membres ext?nu?s, un grand ravage ext?rieur, vous vous tromperiez; tout au plus apercevrait-on quelques meurtrissures de bistre sous les paupi?res, quelques nuances orang?es autour de l'orbite, quelque attendrissement aux tempes sillonn?es de veines bleu?tres. Seulement l'?tincelle de l'?me ne brillait pas dans l'oeil, dont la volont?, l'esp?rance et le d?sir s'?taient envol?s. Ce regard mort dans ce jeune visage formait un contraste ?trange, et produisait un effet plus p?nible que le masque d?charn?, aux yeux allum?s de fi?vre, de la maladie ordinaire.

Octave avait ?t?, avant de languir de la sorte, ce qu'on nomme un joli gar?on, et il l'?tait encore: d'?pais cheveux noirs, aux boucles abondantes, se massaient, soyeux et lustr?s, de chaque c?t? de ses tempes; ses yeux longs, velout?s, d'un bleu nocturne, frang?s de cils recourb?s, s'allumaient parfois d'une ?tincelle humide; dans le repos, et lorsque nulle passion ne les animait, ils se faisaient remarquer par cette qui?tude sereine qu'ont les yeux des Orientaux, lorsqu'? la porte d'un caf? de Smyrne ou de Constantinople ils font le kief apr?s avoir fum? leur narguilh?. Son teint n'avait jamais ?t? color?, et ressemblait ? ces teints m?ridionaux d'un blanc oliv?tre qui ne produisent tout leur effet qu'aux lumi?res; sa main ?tait fine et d?licate, son pied ?troit et cambr?. Il se mettait bien, sans pr?c?der la mode ni la suivre en retardataire, et savait ? merveille faire valoir ses avantages naturels. Quoiqu'il n'e?t aucune pr?tention de dandy ou de gentleman rider, s'il se f?t pr?sent? au Jockey-Club, il n'e?t pas ?t? refus?.

Comment se faisait-il que, jeune, beau, riche, avec tant de raisons d'?tre heureux, un jeune homme se consum?t si mis?rablement? Vous allez dire qu'Octave ?tait blas?, que les romans ? la mode du jour lui avaient g?t? la cervelle de leurs id?es malsaines, qu'il ne croyait ? rien, que de sa jeunesse et de sa fortune gaspill?es en folles orgies il ne lui restait que des dettes;--toutes ces suppositions manquent de v?rit?.--Ayant fort peu us? des plaisirs, Octave ne pouvait en ?tre d?go?t?; il n'?tait ni spl?n?tique, ni romanesque, ni ath?e, ni libertin, ni dissipateur; sa vie avait ?t? jusqu'alors m?l?e d'?tudes et de distractions comme celle des autres jeunes gens; il s'asseyait le matin au cours de la Sorbonne, et le soir il se plantait sur l'escalier de l'Op?ra pour voir s'?couler la cascade des toilettes. On ne lui connaissait ni fille de marbre ni duchesse, et il d?pensait son revenu sans faire mordre ses fantaisies au capital,--son notaire l'estimait;--c'?tait donc un personnage tout uni, incapable de se jeter au glacier de Manfred ou d'allumer le r?chaud d'Escousse. Quant ? la cause de l'?tat singulier o? il se trouvait et qui mettait en d?faut la science de la facult?, nous n'osons l'avouer, tellement la chose est invraisemblable ? Paris, au dix-neuvi?me si?cle, et nous laissons le soin de la dire ? notre h?ros lui-m?me.

Comme les m?decins ordinaires n'entendaient rien ? cette maladie ?trange, car on n'a pas encore diss?qu? d'?me aux amphith??tres d'anatomie, on eut recours en dernier lieu ? un docteur singulier, revenu des Indes apr?s un long s?jour, et qui passait pour op?rer des cures merveilleuses.

Octave, pressentant une perspicacit? sup?rieure et capable de p?n?trer son secret, semblait redouter la visite du docteur, et ce ne fut que sur les instances r?it?r?es de sa m?re qu'il consentit ? recevoir M. Balthazar Cherbonneau.

Quand le docteur entra, Octave ?tait ? demi couch? sur un divan: un coussin ?tayait sa t?te, un autre lui soutenait le coude, un troisi?me lui couvrait les pieds; une gandoura l'enveloppait de ses plis souples et moelleux; il lisait ou plut?t il tenait un livre, car ses yeux arr?t?s sur une page ne regardaient pas. Sa figure ?tait p?le, mais, comme nous l'avons dit, ne pr?sentait pas d'alt?ration bien sensible. Une observation superficielle n'aurait pas cru au danger chez ce jeune malade, dont le gu?ridon supportait une bo?te ? cigares au lieu des fioles, des lochs, des potions, des tisanes, et autres pharmacop?es de rigueur en pareil cas. Ses traits purs, quoiqu'un peu fatigu?s, n'avaient presque rien perdu de leur gr?ce, et, sauf l'atonie profonde et l'incurable d?sesp?rance de l'oeil, Octave e?t sembl? jouir d'une sant? normale.

Quelque indiff?rent que f?t Octave, l'aspect bizarre du docteur le frappa. M. Balthazar Cherbonneau avait l'air d'une figure ?chapp?e d'un conte fantastique d'Hoffmann et se promenant dans la r?alit? stup?faite de voir cette cr?ation falote. Sa face extr?mement basan?e ?tait comme d?vor?e par un cr?ne ?norme que la chute des cheveux faisait para?tre plus vaste encore. Ce cr?ne nu, poli comme de l'ivoire, avait gard? ses teintes blanches, tandis que le masque, expos? aux rayons du soleil, s'?tait rev?tu, gr?ce aux superpositions des couches du h?le, d'un ton de vieux ch?ne ou de portrait enfum?. Les m?plats, les cavit?s et les saillies des os s'y accentuaient si vigoureusement, que le peu de chair qui les recouvrait ressemblait, avec ses mille rides frip?es, ? une peau mouill?e appliqu?e sur une t?te de mort. Les rares poils gris qui fl?naient encore sur l'occiput, mass?s en trois maigres m?ches dont deux se dressaient au-dessus des oreilles et dont la troisi?me partait de la nuque pour mourir ? la naissance du front, faisaient regretter l'usage de l'antique perruque ? marteaux ou de la moderne tignasse de chiendent, et couronnaient d'une fa?on grotesque cette physionomie de casse-noisettes. Mais ce qui occupait invinciblement chez le docteur, c'?taient les yeux; au milieu de ce visage tann? par l'?ge, calcin? ? des cieux incandescents, us? dans l'?tude, o? les fatigues de la science et de la vie s'?crivaient en sillages profonds, en pattes d'oie rayonnantes, en plis plus press?s que les feuillets d'un livre, ?tincelaient deux prunelles d'un bleu de turquoise, d'une limpidit?, d'une fra?cheur et d'une jeunesse inconcevables. Ces ?toiles bleues brillaient au fond d'orbites brunes et de membranes concentriques dont les cercles fauves rappelaient vaguement les plumes dispos?es en aur?ole autour de la prunelle nyctalope des hiboux. On e?t dit que, par quelque sorcellerie apprise des brahmes et des pandits, le docteur avait vol? des yeux d'enfant et se les ?tait ajust?s dans sa face de cadavre. Chez le vieillard, le regard marquait vingt ans; chez le jeune homme, il en marquait soixante.

Le costume ?tait le costume classique du m?decin: habit et pantalon de drap noir, gilet de soie de m?me couleur, et sur la chemise un gros diamant, pr?sent de quelque rajah ou de quelque nabab. Mais ces v?tements flottaient comme s'ils eussent ?t? accroch?s ? un portemanteau, et dessinaient des plis perpendiculaires que les f?murs et les tibias du docteur cassaient en angles aigus lorsqu'il s'asseyait. Pour produire cette maigreur ph?nom?nale, le d?vorant soleil de l'Inde n'avait pas suffi. Sans doute Balthazar Cherbonneau s'?tait soumis, dans quelque but d'initiation, aux longs je?nes des fakirs et tenu sur la peau de gazelle aupr?s des yoghis entre les quatre r?chauds ardents; mais cette d?perdition de substance n'accusait aucun affaiblissement. Des ligaments solides et tendus sur les mains comme les cordes sur le manche d'un violon reliaient entre eux les osselets d?charn?s des phalanges et les faisaient mouvoir sans trop de grincements.

Le docteur s'assit sur le si?ge qu'Octave lui d?signait de la main ? c?t? du divan, en faisant des coudes comme un m?tre qu'on reploie et avec des mouvements qui indiquaient l'habitude inv?t?r?e de s'accroupir sur des nattes. Ainsi plac?, M. Cherbonneau tournait le dos ? la lumi?re, qui ?clairait en plein le visage de son malade, situation favorable ? l'examen et que prennent volontiers les observateurs, plus curieux de voir que d'?tre vus. Quoique la figure du docteur f?t baign?e d'ombre et que le haut de son cr?ne, luisant et arrondi comme un gigantesque oeuf d'autruche, accroch?t seul au passage un rayon du jour, Octave distinguait la scintillation des ?tranges prunelles bleues qui semblaient dou?es d'une lueur propre comme les corps phosphorescents: il en jaillissait un rayon aigu et clair que le jeune malade recevait en pleine poitrine avec cette sensation de picotement et de chaleur produite par l'?m?tique.

Octave sourit faiblement, comme pour remercier M. Cherbonneau de lui ?pargner d'inutiles et fastidieux rem?des.

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Croyant que M. Cherbonneau allait lui t?ter le pouls et s'attendant ? lui voir tirer sa montre ? secondes, Octave retroussa la manche de sa gandoura, mit son poignet ? d?couvert et le tendit machinalement au docteur. Sans chercher du pouce cette pulsation rapide ou lente qui indique si l'horloge de la vie est d?traqu?e chez l'homme, M. Cherbonneau prit dans sa patte brune, dont les doigts osseux ressemblaient ? des pinces de crabe, la main fluette, vein?e et moite du jeune homme; il la palpa, la p?trit, la malaxa en quelque sorte comme pour se mettre en communication magn?tique avec son sujet. Octave, bien qu'il f?t sceptique en m?decine, ne pouvait s'emp?cher d'?prouver une certaine ?motion anxieuse, car il lui semblait que le docteur lui soutirait l'?me par cette pression, et le sang avait tout ? fait abandonn? ses pommettes.

<> Et le docteur se frotta joyeusement les mains en grima?ant un sourire qui d?termina un remous de rides dans les mille plis de sa figure.

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--Vous avez, reprit le docteur, une impossibilit? de vivre chronique, maladie toute morale et plus fr?quente qu'on ne pense. La pens?e est une force qui peut tuer comme l'acide prussique, comme l'?tincelle de la bouteille de Leyde, quoique la trace de ses ravages ne soit pas saisissable aux faibles moyens d'analyse dont la science vulgaire dispose. Quel chagrin a enfonc? son bec crochu dans votre foie? Du haut de quelle ambition secr?te ?tes-vous retomb? bris? et moulu? Quel d?sespoir amer ruminez-vous dans l'immobilit?? Est-ce la soif du pouvoir qui vous tourmente? Avez-vous renonc? volontairement ? un but plac? hors de la port?e humaine?--Vous ?tes bien jeune pour cela.--Une femme vous a-t-elle tromp??

--Non, docteur, r?pondit Octave, je n'ai pas m?me eu ce bonheur.

--Et cependant, reprit M. Balthazar Cherbonneau, je lis dans vos yeux ternes, dans l'habitude d?courag?e de votre corps, dans le timbre sourd de votre voix, le titre d'une pi?ce de Shakspeare aussi nettement que s'il ?tait estamp? en lettres d'or sur le dos d'une reliure de maroquin.

--Et quelle est cette pi?ce que je traduis sans le savoir? dit Octave, dont la curiosit? s'?veillait malgr? lui.

--Pr?cis?ment.>>

Octave ne r?pondit pas; une l?g?re rougeur colora ses joues, et, pour se donner une contenance, il se mit ? jouer avec le gland de sa cordeli?re: le docteur avait reploy? une de ses jambes sur l'autre, ce qui produisait l'effet des os en sautoir grav?s sur les tombes, et se tenait le pied avec la main ? la mode orientale. Ses yeux bleus se plongeaient dans les yeux d'Octave et les interrogeaient d'un regard imp?rieux et doux.

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--A quoi bon? En supposant que vous ayez devin? juste, vous raconter mes douleurs ne les soulagerait pas. Je n'ai pas le chagrin bavard,--aucun pouvoir humain, m?me le v?tre, ne saurait me gu?rir.

--Peut-?tre,>> fit le docteur en s'?tablissant plus carr?ment dans son fauteuil, comme quelqu'un qui se dispose ? ?couter une confidence d'une certaine longueur.

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