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Read Ebook: Romans et contes by Gautier Th Ophile

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Ebook has 1723 lines and 106985 words, and 35 pages

--Peut-?tre,>> fit le docteur en s'?tablissant plus carr?ment dans son fauteuil, comme quelqu'un qui se dispose ? ?couter une confidence d'une certaine longueur.

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--N'ayez aucune crainte; il n'y a plus que le commun qui soit extraordinaire pour moi, dit le docteur en souriant.

--Eh bien, docteur, je me meurs d'amour.>>

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M. Balthazar Cherbonneau avait ?cout? Octave avec une attention profonde, car pour lui le r?cit du jeune homme n'?tait pas seulement une histoire romanesque, et il se dit comme ? lui-m?me pendant une pause du narrateur: <> Sa parenth?se ferm?e, il fit signe de la main ? M. de Saville de continuer; et, reployant sa jambe sur la cuisse comme la patte articul?e d'une sauterelle, de mani?re ? faire soutenir son menton par son genou, il s'?tablit dans cette position impossible pour tout autre, mais qui semblait sp?cialement commode pour lui.

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<<--Ne dites pas un mot, Octave; vous m'aimez, je le sais, je le sens, je le crois; je ne vous en veux point, car l'amour est involontaire. D'autres femmes plus s?v?res se montreraient offens?es; moi, je vous plains, car je ne puis vous aimer, et c'est une tristesse pour moi d'?tre votre malheur.--Je regrette que vous m'ayez rencontr?e, et maudis le caprice qui m'a fait quitter Venise pour Florence. J'esp?rais d'abord que ma froideur persistante vous lasserait et vous ?loignerait; mais le vrai amour, dont je vois tous les signes dans vos yeux, ne se rebute de rien. Que ma douceur ne fasse na?tre en vous aucune illusion, aucun r?ve, et ne prenez pas ma piti? pour un encouragement. Un ange au bouclier de diamant, ? l'?p?e flamboyante, me garde contre toute s?duction, mieux que la religion, mieux que le devoir, mieux que la vertu;--et cet ange, c'est mon amour:--j'adore le comte Labinski. J'ai le bonheur d'avoir trouv? la passion dans le mariage.>>

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<<--Allons, ne pleurez pas, me dit-elle, je vous le d?fends. T?chez de penser ? autre chose, imaginez que je suis partie ? tout jamais, que je suis morte; oubliez-moi. Voyagez, travaillez, faites du bien, m?lez-vous activement ? la vie humaine; consolez-vous dans un art ou un amour...>>

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<<--Croyez-vous souffrir moins en continuant ? me voir? reprit la comtesse; venez, je vous recevrai toujours. Dieu dit qu'il faut pardonner ? ses ennemis; pourquoi traiterait-on plus mal ceux qui nous aiment? Cependant l'absence me para?t un rem?de plus s?r.--Dans deux ans nous pourrons nous serrer la main sans p?ril,--pour vous,>> ajouta-t-elle en essayant de sourire.

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--Avez-vous revu la comtesse Prascovie Labinska?>> dit le docteur, dont les yeux bleus scintillaient bizarrement.

<> Et il tendit ? M. Balthazar Cherbonneau une carte grav?e sur laquelle on lisait:

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Parmi les promeneurs assez rares alors qui suivaient aux Champs-?lys?es l'avenue Gabriel, ? partir de l'ambassade ottomane jusqu'? l'?lys?e Bourbon, pr?f?rant au tourbillon poussi?reux et ? l'?l?gant fracas de la grande chauss?e l'isolement, le silence et la calme fra?cheur de cette route bord?e d'arbres d'un c?t? et de l'autre de jardins, il en est peu qui ne se fussent arr?t?s, tout r?veurs et avec un sentiment d'admiration m?l? d'envie, devant une po?tique et myst?rieuse retraite, o?, chose rare, la richesse semblait loger le bonheur.

A qui n'est-il pas arriv? de suspendre sa marche ? la grille d'un parc, de regarder longtemps la blanche villa ? travers les massifs de verdure, et de s'?loigner le coeur gros, comme si le r?ve de sa vie ?tait cach? derri?re ces murailles? Au contraire, d'autres habitations, vues ainsi du dehors, vous inspirent une tristesse ind?finissable; l'ennui, l'abandon, la d?sesp?rance glacent la fa?ade de leurs teintes grises et jaunissent les cimes ? demi chauves des arbres; les statues ont des l?pres de mousse, les fleurs s'?tiolent, l'eau des bassins verdit, les mauvaises herbes envahissent les sentiers malgr? le racloir; les oiseaux, s'il y en a, se taisent.

Les jardins en contre-bas de l'all?e en ?taient s?par?s par un saut-de-loup et se prolongeaient en bandes plus ou moins larges jusqu'aux h?tels, dont la fa?ade donnait sur la rue du Faubourg-Saint-Honor?. Celui dont nous parlons se terminait au foss? par un remblai que soutenait un mur de grosses roches choisies pour l'irr?gularit? curieuse de leurs formes, et qui, se relevant de chaque c?t? en mani?re de coulisses, encadraient de leurs asp?rit?s rugueuses et de leurs masses sombres le frais et vert paysage resserr? entre elles.

Dans les anfractuosit?s de ces roches, le cactier raquette, l'ascl?piade incarnate, le millepertuis, la saxifrage, le cymbalaire, la joubarbe, la lychnide des Alpes, le lierre d'Irlande trouvaient assez de terre v?g?tale pour nourrir leurs racines et d?coupaient leurs verdures vari?es sur le fond vigoureux de la pierre;--un peintre n'e?t pas dispos?, au premier plan de son tableau, un meilleur repoussoir.

Les murailles lat?rales qui fermaient ce paradis terrestre disparaissaient sous un rideau de plantes grimpantes, aristoloches, grenadilles bleues, campanules, ch?vre-feuille, gypsophiles, glycines de Chine, p?riplocas de Gr?ce dont les griffes, les vrilles et les tiges s'enla?aient ? un treillis vert, car le bonheur lui-m?me ne veut pas ?tre emprisonn?; et gr?ce ? cette disposition le jardin ressemblait ? une clairi?re dans une for?t plut?t qu'? un parterre assez ?troit circonscrit par les cl?tures de la civilisation.

Un peu en arri?re des masses de rocaille, ?taient group?s quelques bouquets d'arbres au port ?l?gant, ? la frondaison vigoureuse dont les feuillages contrastaient pittoresquement: vernis du Japon, tuyas du Canada, planes de Virginie, fr?nes verts, saules blancs, micocouliers de Provence, que dominaient deux ou trois m?l?zes. Au del? des arbres s'?talait un gazon de ray-grass, dont pas une pointe d'herbe ne d?passait l'autre, un gazon plus fin, plus soyeux que le velours d'un manteau de reine, de cet id?al vert d'?meraude qu'on n'obtient qu'en Angleterre devant le perron des manoirs f?odaux, moelleux tapis naturels que l'oeil aime ? caresser et que le pas craint de fouler, moquette v?g?tale o?, le jour, peuvent seuls se rouler au soleil la gazelle famili?re avec le jeune baby ducal dans sa robe de dentelles, et, la nuit, glisser au clair de lune quelque Titania du West-End la main enlac?e ? celle d'un Oberon port? sur le livre du peerage et du baronetage.

Une all?e de sable tamis? au crible, de peur qu'une valve de conque ou qu'un angle de silex ne bless?t les pieds aristocratiques qui y laissaient leur d?licate empreinte, circulait comme un ruban jaune autour de cette nappe verte, courte et drue, que le rouleau ?galisait, et dont la pluie factice de l'arrosoir entretenait la fra?cheur humide, m?me aux jours les plus dess?chants de l'?t?.

Au bout de la pi?ce de gazon ?clatait, ? l'?poque o? se passe cette histoire, un vrai feu d'artifice fleuri tir? par un massif de g?raniums, dont les ?toiles ?carlates flambaient sur le fond brun d'une terre de bruy?re.

L'?l?gante fa?ade de l'h?tel terminait la perspective; de sveltes colonnes d'ordre ionique soutenant l'attique surmont? ? chaque angle d'un gracieux groupe de marbre, lui donnaient l'apparence d'un temple grec transport? l? par le caprice d'un millionnaire, et corrigeaient, en ?veillant une id?e de po?sie et d'art, tout ce que ce luxe aurait pu avoir de trop fastueux; dans les entre-colonnements, des stores ray?s de larges bandes roses et presque toujours baiss?s abritaient et dessinaient les fen?tres, qui s'ouvraient de plein pied sous le portique comme des portes de glace.

Lorsque le ciel fantasque de Paris daignait ?tendre un pan d'azur derri?re ce palazzino, les lignes s'en dessinaient si heureusement entre les touffes de verdure, qu'on pouvait les prendre pour le pied-?-terre de la Reine des f?es, ou pour un tableau de Baron agrandi.

De chaque c?t? de l'h?tel s'avan?aient dans le jardin deux serres formant ailes, dont les parois de cristal se diamentaient au soleil entre leurs nervures dor?es, et faisaient ? une foule de plantes exotiques les plus rares et les plus pr?cieuses l'illusion de leur climat natal.

Si quelque po?te matineux e?t pass? avenue Gabriel aux premi?res rougeurs de l'aurore, il e?t entendu le rossignol achever les derniers trilles de son nocturne, et vu le merle se promener en pantoufles jaunes dans l'all?e du jardin comme un oiseau qui est chez lui; mais la nuit, apr?s que les roulements des voitures revenant de l'Op?ra se sont ?teints au milieu du silence de la vie endormie, ce m?me po?te aurait vaguement distingu? une ombre blanche au bras d'un beau jeune homme, et serait remont? dans sa mansarde solitaire l'?me triste jusqu'? la mort.

C'?tait l? qu'habitaient depuis quelque temps--le lecteur l'a sans doute d?j? devin?--la comtesse Prascovie Labinska et son mari le comte Olaf Labinski, revenu de la guerre du Caucase apr?s une glorieuse campagne, o?, s'il ne s'?tait pas battu corps ? corps avec le mystique et insaisissable Schamyl, certainement il avait eu affaire aux plus fanatiquement d?vou?s des Mourides de l'illustre scheyck. Il avait ?vit? les balles comme les braves les ?vitent, en se pr?cipitant au-devant d'elles, et les damas courbes des sauvages guerriers s'?taient bris?s sur sa poitrine sans l'entamer. Le courage est une cuirasse sans d?faut. Le comte Labinski poss?dait cette valeur folle des races slaves, qui aiment le p?ril pour le p?ril, et auxquelles peut s'appliquer encore ce refrain d'un vieux chant scandinave: <>

Olaf et Prascovie s'?taient aim?s tout enfants; jamais leur coeur n'avait battu qu'? un seul nom; ils savaient presque d?s le berceau qu'ils s'appartiendraient, et le reste du monde n'existait pas pour eux; on e?t dit que les morceaux de l'androgyne de Platon, qui se cherchent en vain depuis le divorce primitif, s'?taient retrouv?s et r?unis en eux; ils formaient cette dualit? dans l'unit?, qui est l'harmonie compl?te, et, c?te ? c?te, ils marchaient, ou plut?t ils volaient ? travers la vie d'un essor ?gal, soutenu, planant comme deux colombes que le m?me d?sir appelle, pour nous servir de la belle expression de Dante.

Afin que rien ne troubl?t cette f?licit?, une fortune immense l'entourait comme d'une atmosph?re d'or. D?s que ce couple radieux paraissait, la mis?re consol?e quittait ses haillons, les larmes se s?chaient; car Olaf et Prascovie avaient le noble ?go?sme du bonheur, et ils ne pouvaient souffrir une douleur dans leur rayonnement.

Depuis que le polyth?isme a emport? avec lui ces jeunes dieux, ces g?nies souriants, ces ?ph?bes c?lestes aux formes d'une perfection si absolue, d'un rhythme si harmonieux, d'un id?al si pur, et que la Gr?ce antique ne chante plus l'hymne de la beaut? en strophes de Paros, l'homme a cruellement abus? de la permission qu'on lui a donn?e d'?tre laid, et, quoique fait ? l'image de Dieu, le repr?sente assez mal. Mais le comte Labinski n'avait pas profit? de cette licence; l'ovale un peu allong? de sa figure, son nez mince, d'une coupe hardie et fine, sa l?vre fermement dessin?e, qu'accentuait une moustache blonde aiguis?e ? ses pointes, son menton relev? et frapp? d'une fossette, ses yeux noirs, singularit? piquante, ?tranget? gracieuse, lui donnaient l'air d'un de ces anges guerriers, saint Michel ou Rapha?l, qui combattent le d?mon, rev?tus d'armures d'or. Il e?t ?t? trop beau sans l'?clair m?le de ses sombres prunelles et la couche h?l?e que le soleil d'Asie avait d?pos?e sur ses traits.

Le comte ?tait de taille moyenne, mince, svelte, nerveux, cachant des muscles d'acier sous une apparente d?licatesse; et lorsque dans quelque bal d'ambassade, il rev?tait son costume de magnat, tout chamarr? d'or, tout ?toil? de diamants, tout brod? de perles, il passait parmi les groupes comme une apparition ?tincelante, excitant la jalousie des hommes et l'amour des femmes, que Prascovie lui rendait indiff?rentes.--Nous n'ajoutons pas que le comte poss?dait les dons de l'esprit comme ceux du corps; les f?es bienveillantes l'avaient dou? ? son berceau, et la m?chante sorci?re qui g?te tout s'?tait montr?e de bonne humeur ce jour-l?.

Vous comprenez qu'avec un tel rival, Octave de Saville avait peu de chance, et qu'il faisait bien de se laisser tranquillement mourir sur les coussins de son divan, malgr? l'espoir qu'essayait de lui remettre au coeur le fantastique docteur Balthazar Cherbonneau.--Oublier Prascovie e?t ?t? le seul moyen, mais c'?tait la chose impossible; la revoir, ? quoi bon? Octave sentait que la r?solution de la jeune femme ne faiblirait jamais dans son implacabilit? douce, dans sa froideur compatissante. Il avait peur que ses blessures non cicatris?es ne se rouvrissent et ne saignassent devant celle qui l'avait tu? innocemment, et il ne voulait pas l'accuser, la douce meurtri?re aim?e!

Deux ans s'?taient ?coul?s depuis le jour o? la comtesse Labinska avait arr?t? sur les l?vres d'Octave la d?claration d'amour qu'elle ne devait pas entendre; Octave, tomb? du haut de son r?ve, s'?tait ?loign?, ayant au foie le bec d'un chagrin noir, et n'avait pas donn? de ses nouvelles ? Prascovie. L'unique mot qu'il e?t pu lui ?crire ?tait le seul d?fendu. Mais plus d'une fois la pens?e de la comtesse effray?e de ce silence s'?tait report?e avec m?lancolie sur son pauvre adorateur:--l'avait-il oubli?e? Dans sa divine absence de coquetterie, elle le souhaitait sans le croire, car l'inextinguible flamme de la passion illuminait les yeux d'Octave, et la comtesse n'avait pu s'y m?prendre. L'amour et les dieux se reconnaissent au regard: cette id?e traversait comme un petit nuage le limpide azur de son bonheur, et lui inspirait la l?g?re tristesse des anges qui, dans le ciel, se souviennent de la terre; son ?me charmante souffrait de savoir l?-bas quelqu'un malheureux ? cause d'elle; mais que peut l'?toile d'or scintillante au haut du firmament pour le p?tre obscur qui l?ve vers elle des bras ?perdus? Aux temps mythologiques, Phoeb? descendit bien des cieux en rayons d'argent sur le sommeil d'Endymion; mais elle n'?tait pas mari?e ? un comte polonais.

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