Read Ebook: Ames dormantes by Melegari Dora
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Ebook has 421 lines and 54984 words, and 9 pages
NOTES SUR LA TRANSCRIPTION:
--Les erreurs clairement introduites par le typographe ont ?t? corrig?es.
--On a conserv? l'orthographie de l'original, incluant ses variantes.
--Les lettres ?crites au-dessus ont ?t?es represent?es ainsi: a^b et a^.
Ames dormantes
OUVRAGES DU M?ME AUTEUR
ROMANS
Expiation . Marthe de Thiennes . Les Incertitudes de Livia. Id. Dans la Vieille rue. Id. La Duchesse Ghislaine. Id. Kyrie Eleison. Id.
AUTRES OUVRAGES
Journal intime de Benjamin Constant, et lettres ? sa famille et ? ses amis, avec une Introduction par Dora Melegari.
Lettres intimes de Joseph Massini, avec une Introduction par Dora Melegari.
EN PR?PARATION
Faiseurs de joie et Faiseurs de peine
DORA MELEGARI
AMES DORMANTES
PARIS LIBRAIRIE FISCHBACHER SOCI?T? ANONYME 33, RUE DE SEINE, 33
Tous droits r?serv?s
PR?FACE
Il y a dix ans que l'id?e de ce livre est n?e dans mon esprit.
A mesure que j'y travaillais, la conviction que la plus grande partie des maux dont souffre l'humanit? est due ? l'inertie des honn?tes gens, s'est affermie en moi, chaque jour davantage.
Ceux qui portent le nom de chr?tiens, ceux qui se rattachent d'une fa?on quelconque ? une croyance spiritualiste, ceux qui, en dehors de tout dogme, admettent la n?cessit? d'une morale individuelle et sociale ne sont-ils pas, en effet, les vrais coupables de l'?tat d'anarchie o? se d?bat avec angoisse la conscience moderne?
D?pourvus de confiance en eux-m?mes, manquant de foi dans la puissance du bien, ils ont laiss? les courants malfaisants prendre partout le dessus, sans essayer de r?agir contre eux par des courants plus intenses. Et aujourd'hui, devant la masse compacte des forces pernicieuses coalis?es contre la v?rit? et la justice, l'?pouvante paralyse leur volont?; le plus grand nombre pr?f?re d?tourner la t?te, fermer les yeux et ne pas voir.
On dirait qu'attaquer le mal, s'en d?fendre, lui opposer le bien est devenu impossible ? la partie respectable de la soci?t?. La loi pourvoit ? peu pr?s ? la s?curit? mat?rielle des individus: en dehors d'elle, il n'y a qu'? laisser faire, m?me si on est victime de ce laisser faire. En quelques pays et en certains milieux, des cris d'alarme ont ?t? pouss?s contre cet effrayant sympt?me de l?thargie, et de g?n?reuses initiatives ont surgi; dans d'autres, il se manifeste avec une ?vidence croissante, sans provoquer un mouvement quelconque de r?action. De quelle cause proc?de cette an?mie des volont?s bonnes? Il n'y en a qu'une: la source o? elles s'alimentent est dess?ch?e; les ?mes, engourdies presque jusqu'? la mort, ne peuvent communiquer ? la volont? des principes vivifiants.
Tout semble avoir progress? sur la terre, sauf l'?me. Serait-elle seule rest?e stationnaire? Depuis l'av?nement du christianisme, n'aurait-elle pas avanc?? On dirait qu'oubliant les promesses re?ues, les horizons sans limites indiqu?es, les puissances dont elle ?tait d?positaire, elle s'est peu ? peu an?antie elle-m?me; aussi, au terme du si?cle qui vient de finir, la voit-on, vis-?-vis du monde physique et intellectuel, dans une position d'inf?riorit? qui fournit de redoutables arguments aux n?gateurs de son existence.
Entre les sciences physiques et les sciences psychiques un accord commence ? s'?tablir; celles-ci profitent d?j? des d?couvertes de celles-l? et les psychologues appliquent ? l'?tude de l'?me quelques-unes des m?thodes exp?rimentales. Afin d'acc?l?rer l'heure qui apportera ? l'humanit? l'harmonie intellectuelle et morale, tous ceux qui croient poss?der l'?tincelle qui ne meurt pas devraient se recueillir dans une m?ditation silencieuse, appeler leur ?me endormie jusqu'? ce qu'elle se r?veille, et, une fois qu'elle serait r?veill?e, la laisser rayonner autour d'eux, de fa?on ? prouver au monde que cet ?l?ment de vie, ni? par tant d'esprits, repr?sente une r?alit? sup?rieure.
Quelle que soit la forme religieuse ? laquelle on appartienne, la philosophie ? laquelle on se rattache, toutes les ?mes vivantes peuvent se grouper et agir dans une communion invisible et silencieuse. Mais, pour vouloir ressusciter, il faut savoir qu'on a ?t? mort; pour saisir la v?rit?, il faut comprendre qu'on a ?t? dans l'erreur; pour prendre la route qui conduit ? la joie, il faut se rendre compte que celle du d?couragement menait au tombeau. C'est ce qu'il est n?cessaire de dire aux justes, aux bons, aux purs qui ne savent pas l'?tre efficacement pour leur bonheur et celui d'autrui.
J'adresse ces pages uniquement ? ceux qui admettent en nous l'existence d'un principe immortel, car pour essayer d'en d?montrer la r?alit? aux intelligences qui le nient, il faudrait une culture th?ologique, philosophique et scientifique dont je suis d?pourvue.
Ces r?flexions tr?s simples n'ont d'autre m?rite que leur sinc?rit?, et je tiens ? ajouter que je ne pr?tends nullement appartenir ? cette ?lite de justes, de bons et de purs auxquels j'expose le cas de conscience.
Rome, 31 d?cembre 1900.
AMES DORMANTES
CHAPITRE I
LE SOMMEIL DES AMES
Tout avance et se d?veloppe, une seule chose diminue, c'est l'?me.
Ce ne sont pas ses n?gations audacieuses, ses doctrines perverses, sa corruption g?n?ralis?e qui ont amen? la soci?t? moderne ? la crise qu'elle traverse aujourd'hui. Le mal autrefois se pr?sentait sous des formes bien plus brutales et violentes, les pr?jug?s ?touffaient dans les consciences toute notion de justice et de droit, les pr?occupations humanitaires n'existaient pour ainsi dire pas. Le si?cle qui vient de tomber dans l'?ternit? ?tait ?videmment en progr?s sur les autres, et pourtant il a laiss? derri?re lui une atmosph?re si charg?e que les poitrines se soul?vent avec angoisse, cherchant en vain un peu d'air respirable.
Tout est devenu point d'interrogation dans les consciences; c'est le trait caract?ristique de l'?poque actuelle. Les plus sinc?res ont perdu le sentiment pr?cis et la vue nette du bien. L'anarchie morale r?gne partout, d?compose tout, et elle a tellement p?n?tr? les meilleurs esprits qu'ils ont perdu la force de la combativit? et de la r?sistance. Une sorte d'an?mie a affadi les coeurs; ce n'est pas l'immoralit?, ce n'est pas le positivisme qui ?crase le monde sous une chape de plomb, c'est la diminution de l'?me individuelle.
L'expansion des doctrines mat?rialistes, les th?ories utilitaires, les exc?s d'une civilisation ultra avanc?e ont pu contribuer au malaise de la conscience moderne, mais ils auraient ?t? impuissants ? la troubler compl?tement si les forces invisibles qui ?manent des ?mes croyantes s'?taient oppos?es ? ce courant d?l?t?re, si elles avaient refus? de laisser corrompre leurs eaux pures par le torrent empoisonn? de la n?gation et de l'?go?sme.
Mais ces ?mes pendant longtemps n'ont ?lev? aucune digue efficace, essay? d'aucun barrage; m?me pour se mettre au niveau de l'opinion dominante, elles ont abjur? leurs dieux, ?tabli des limites aux ?lans nobles qui auraient pu les entra?ner loin des routes m?diocres. Elles ont, comme les ?mes incr?dules, vulgaris? leur pens?e jusqu'au plus mesquin utilitarisme, subissant le prestige des renomm?es bruyantes, des succ?s rapides, au point de ne plus pouvoir discerner, ni juger de quels ?l?ments ils se composent.
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De grandes ?mes ont travers? l'histoire pa?enne; celles que le christianisme avait form?es ont r?pandu leurs parfums et leurs forces; elles furent la lumi?re des ?poques disparues. La n?tre demande des ?mes en marche, suivant pas ? pas les progr?s de la science et de la raison et les d?passant par des intuitions et des esp?rances sup?rieures aux puissances actuelles de l'une et de l'autre. Mais sur quoi peut compter l'heure pr?sente? Les ?mes de jadis, ces ?mes h?ro?ques et pures n?es des premi?res promesses, celles des ap?tres, des p?res, des saints ont depuis longtemps cess? de fleurir; les ?mes des si?cles suivants, moins ardentes, ont recul? puisqu'elles ne progressaient pas; celles de notre temps, d?j? n?es plus faibles, voyant que toutes les autres facult?s humaines les d?passaient, se sont--de peur d'?tre submerg?es dans le grand courant des connaissances nouvelles--piteusement refugi?es dans une ?troite prison int?rieure d'o? elles refusent de sortir et de se manifester. C'est une lumi?re qui a cess? de rayonner sur le monde.
Ces ren?gats, inconscients de leur apostasie, vivent dans un bien-?tre morne s'ils sont riches, dans l'?crasement s'ils sont pauvres, dans le d?couragement s'ils appartiennent ? la cat?gorie des ?tres qui r?fl?chissent, sans se rendre compte que, si leur bien-?tre est d?pourvu de joie, leur ?crasement de consolation, leur d?couragement d'esp?rance, c'est parce qu'ils ne pensent pas ? leur ?me, qu'ils ne font rien pour la secouer de son engourdissement et la r?veiller du sommeil cataleptique o? elle est tomb?e.
Au lieu d'?couter sa voix quand elle essayait de parler, ils l'ont ?touff?e sous les raisonnements m?diocres, les points de vue pratiques, les mis?rables calculs de l'?go?sme qu'ils confondent avec la sagesse. Parfois, il est vrai, ?pouvant?s par les incertitudes de l'heure pr?sente et les menaces de l'avenir, ils voudraient trouver moyen de r?agir contre la mar?e montante, ils tentent de vagues efforts et retombent promptement dans l'inertie.
L'explication du fait d?courageant est bien simple: les soi-disant croyants ont cherch? des ?nergies en dehors de l'?me; leurs inspirations sont sorties de leur cerveau, de leur coeur peut-?tre, elles n'ont pas jailli de ce sanctuaire myst?rieux o? s'?labore la vie spirituelle et qui a re?u les promesses de l'immortalit?.
M'adressant uniquement ? ceux qui croient ? l'existence de l'?me comme ? un fait indiscutable et admettent le parall?lisme psychophysique, je ne tenterai pas la d?monstration du ph?nom?ne ?me, cette partie profonde de nous-m?mes, distincte du coeur et de l'intelligence, de la conscience et de la volont?, qui peut seule entrer en communication avec les forces sup?rieures. <
Un amour, une amiti? o? l'on fait entrer l'?me ne peut jamais mourir compl?tement; elle communique aux sentiments une force subtile qui est comme une parcelle d'?ternit?. Il en est de m?me pour tout effort auquel l'?me participe; ce qu'elle accomplit r?ussit presque toujours et ne s'efface jamais, du moins la trace en reste. Ce succ?s que l'homme recherche avec un acharnement et une avidit? souvent r?pugnantes, il ne sait pas que le plus s?r moyen de l'atteindre serait de le poursuivre avec son ?me. Mais cette puissance ?norme qu'il porte en lui, ? qui il devrait remettre la direction et la responsabilit? de sa vie, qui pourrait transfigurer ses faiblesses en forces et ses tristesses en joie, il ne l'interroge pas, il ne l'appelle pas ? son aide; il l'a laiss?e s'endormir, ne pense pas ? la r?veiller, et si elle esquisse un l?ger mouvement, vite il ?touffe, sous des raisonnements faux, m?diocres, ?go?stes et durs, la voix qu'elle allait peut-?tre faire entendre. L'?me, alors, ?pouvant?e de cette aridit?, se rendort ou s'enfuit; on dirait m?me parfois qu'elle meurt. Pour sauver le monde il faut le rappeler avec cris, avec pri?res, avec supplications.
Il y a peu d'ann?es seulement un pareil langage aurait paru absurde et inutile. Tout appel d'ordre moral tombait dans le vide; nul ne le comprenait et ne daignait y r?pondre. Pendant une p?riode de temps assez longue, rien n'a sembl? remuer dans l'?me humaine. Le d?terminisme d?cr?tait par la voix de Taine que la vertu et le vice ?taient des produits comme le sucre et le vitriol; les doctrines mat?rialistes et positivistes r?gnaient sans conteste sur les intelligences; le grand troupeau des ignorants et des indiff?rents les acceptaient, yeux ferm?s, sans essayer m?me de se rendre compte quelle part de v?rit? elles pouvaient contenir; simplement parce qu'elles ?taient moins g?nantes et que de se d?clarer fils du hasard paraissait flatteur ? cette vanit? de la n?gation qui, depuis Voltaire, a travaill? tant d'esprits.
Dans le camp oppos? tout ?tait silence; presqu'aucune manifestation spiritualiste n'?tait signal?e. Les ti?des subissaient sans le r?aliser le mouvement de la conscience g?n?rale et ne r?agissaient pas contre l'engourdissement envahisseur, ?pouvant?s peut-?tre ? l'id?e d'engager une lutte o? leurs principes pouvaient sombrer. Les ardents, les forts, tr?s diminu?s de nombre, se taisaient, eux aussi, d?courag?s.
Cette torpeur, il est juste de le dire, n'?tait pas aussi accentu?e partout. En certains pays, les pulsations de la vie morale n'ont jamais cess? compl?tement. Sans avoir ? craindre de diminuer sa position litt?raire ou son autorit? intellectuelle, un ?crivain ? la mode pouvait se risquer ? attribuer aux actions humaines des mobiles qui ne fussent pas uniquement ceux de l'int?r?t personnel, visible et tangible. Mais ces manifestations ne se r?percutaient que faiblement. Dans d'autres pays, au contraire, la scission semblait compl?te entre la vie moderne, ses objectifs et ses victoires et les principes spiritualistes et chr?tiens.
Mais Dieu ne pouvait laisser p?rir l'?me du monde. C'est du pays d'o? aucun grand mot n'?tait parti encore que la premi?re ?tincelle a jailli. Une voix venue du Nord a jet? une parole de piti? qui a commenc? ? remuer les consciences; la souffrance a pris forme et vie; elle a cri? sa plainte et les coeurs ont vibr?. Une sorte de religion nouvelle a surgi qui, laissant de c?t? les dogmes, s'est rattach?e au christianisme primitif et a pris la douleur pour drapeau. Sa base ?tait le soulagement des d?sh?rit?s par le d?pouillement spontan? de ceux qui poss?dent; pour d?truire chez les malheureux le levain de l'amertume, il fallait non seulement all?ger leur croix, mais que les privil?gi?s la rel?vent et la partagent volontairement.
Tr?s probablement le Tolsto?sme ne d?passera pas les limites du pays o? il est n? et, en tant qu'application, restera ? l'?tat d'essai. On ne peut renoncer aux conqu?tes de la civilisation,--le but est, au contraire, d'en faire jouir un nombre croissant d'individus,--mais il est certain que ce mot de sacrifice lanc? ? travers le monde par le grand romancier russe a ?t? un facteur efficace du mouvement spiritualiste qui se manifeste depuis quelques ann?es, imposant le devoir de la valeur morale, proclamant ? nouveau les lettres de noblesse de l'?me humaine, admettant l'esp?rance d'un avenir o? le douloureux contraste entre les aspirations de l'homme et son existence quotidienne cessera d'exister.
Ce r?veil,--d? aussi en partie ? de simples forces de r?action,--remonte en outre ? des causes multiples et simultan?es que la critique morale a recherch?es d?j? et dont je ne ferai pas ici l'?num?ration. Les r?centes d?couvertes scientifiques ont contribu? ? faciliter ce courant. Aujourd'hui que le mat?rialisme ne peut plus ?tre reconnu comme la seule explication rationnelle de l'univers et que le d?terminisme et le positivisme ont ?t? battus en br?che par les m?mes coups, l'antagonisme, entre la science et la religion a cess? de para?tre absolument irr?ductible. Non seulement le doute a p?n?tr? dans les rangs de ceux qui d?finissaient hautainement toutes les manifestations de la vie, comme propri?t? de la mati?re, mais cette d?b?cle de tant d'explications abusives a rendu la libert? ? une foule d'esprits. Par respect pour des affirmations dont souvent elle ignorait la gen?se, la grande masse des individus, ce docile troupeau dont j'ai parl? d?j?, n'osait plus admettre la possibilit? d'un monde moral, d?pendant de forces sup?rieures et invisibles, et dont l'existence s'affirmait en dehors des faits apparents.
Maintenant que la pens?e humaine a commenc? ? secouer dans le domaine moral, la tyrannie d'une science incompl?te, on voit les regards se tourner de nouveau vers ce ciel que la pr?somption de l'homme avait d?clar? vide. Les croyances spiritualistes renaissent. Le n?o-boudhisme, le spiritisme, la th?osophie et autres tentatives de cultes nouveaux ne sont que la manifestation du besoin religieux qui travaille les ?mes.
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