bell notificationshomepageloginedit profileclubsdmBox

Read Ebook: Voyages en Sibérie by Kubalski N A Nicolas A

More about this book

Font size:

Background color:

Text color:

Add to tbrJar First Page Next Page

Ebook has 268 lines and 31337 words, and 6 pages

Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont ?t? corrig?es. L'orthographe d'origine a ?t? conserv?e et n'a pas ?t? harmonis?e.

VOYAGES EN SIB?RIE

RECUEILLIS PAR N.-A. KUBALSKI

NOUVELLE ?DITION

TOURS

AD MAME ET CIE, IMPRIMEURS-LIBRAIRES

AVERTISSEMENT DES ?DITEURS.

Bien que d?couverte il y a trois si?cles, la Sib?rie commen?a fort tard ? ?tre explor?e, et aujourd'hui elle n'est encore connue que par des notices dispers?es dans divers recueils scientifiques ou litt?raires.

Pour rendre plus compl?te la connaissance de cette contr?e, si vaste et si int?ressante sous plusieurs rapports, nous avons jug? ? propos de r?unir en substance les relations publi?es, dans le courant du dernier si?cle, par des hommes distingu?s qui y avaient s?journ? soit comme voyageurs, soit comme prisonniers politiques. Le volume que nous offrons aux jeunes lecteurs contient les r?sultats de ce travail; il pr?sente les principaux d?tails sur l'?tat physique de ce pays et sur ses malheureux habitants. On y trouvera donc une ?tude utile et agr?able, sans avoir besoin de recourir ? ces documents ?pars dont l'authenticit? est souvent probl?matique.

VOYAGES EN SIB?RIE

CHAPITRE I

VOYAGES DU PROFESSEUR GMELIN, MEMBRE DE L'ACAD?MIE DE SAINT-P?TERSBOURG, DANS LES ANN?ES 1733-1737.

Originaire d'Allemagne, mais ?tabli en Russie comme professeur de botanique, le docteur-m?decin Gmelin fut, en 1733, charg? par le gouvernement d'explorer toute la Sib?rie, y compris la presqu'?le de Kamtchatka. Accompagn? de deux autres naturalistes nomm?s Muller et de Lille de Coy?re, ses coll?gues ? l'Acad?mie de Saint-P?tersbourg, et dont le dernier appartient ? la France, il consacra ? ce voyage plus de quatre ans, et en publia une relation en allemand.

Nous donnons ici les principaux d?tails de cette relation, d'apr?s une traduction fran?aise, sur les provinces de Tobolsk et d'Irkoutsk, l'auteur ayant ?t? emp?ch?, ainsi qu'on le verra par son r?cit, de visiter les autres parties de la Sib?rie. Cependant les deux chapitres suivants comblent en partie cette lacune.

PROVINCE DE TOBOLSK

Catherinenbourg .--Mines et fonderies.--Tobolsk .--F?tes de carnaval.--Car?me.--Noce tatare.--Courses de chevaux.--P?ques.--F?tes des morts.--Gouvernement et habitants de la province.--Irtisch .--Steppe.--Yanuschna .--Un lac sal?.--Mines.--Obi .--Kusnatzk, Tomsk, Jeniseisk et Krasnojarsk .

La premi?re ville remarquable de la Sib?rie est Catherinenbourg. Cette ville, fond?e en 1723 par Pierre Ier, fut achev?e en 1726, sous l'imp?ratrice Catherine, dont elle porte le nom. On peut la regarder comme le point de r?union de toutes les fonderies et forges de Sib?rie, qui appartiennent au coll?ge supr?me des Mines; car ce coll?ge y r?side, et c'est de l? qu'il dirige tous les ouvrages de Sib?rie. Toutes les maisons qui la composent ont ?t? b?ties aux d?pens de la cour; aussi sont-elles habit?es par des officiers imp?riaux, ou par des ma?tres et des ouvriers attach?s ? l'exploitation des mines. La ville est r?guli?re, et les maisons sont presque toutes b?ties ? l'allemande. Il y a des fortifications que le voisinage des Baskirs rend tr?s-n?cessaires. L'Iser passe au milieu de la ville, et ses eaux suffisent ? tous les besoins des fonderies. L'?glise de Catherinenbourg est en bois; mais on a jet? les fondements d'une ?glise en pierre. Il y a dans cette ville un bazar b?ti en bois et garni de boutiques, mais on n'y trouve gu?re que des marchandises du pays; il y a aussi un bureau de p?age d?pendant de la r?gence de Tobolsk; les marchandises des commer?ants qui y passent dans le temps de la foire d'Irbit, y sont visit?es. La dur?e de cette foire est le seul temps o? il soit permis aux marchands de passer par Catherinenbourg.

Pour s'instruire ? fond dans la mati?re des mines, forges, fonderies, etc., il suffit de voir cette ville. Les ouvrages y sont tous en tr?s-bon ?tat, et les ouvriers y travaillent avec autant d'application que d'habilet?. On emp?che sans violence ces ouvriers de s'enivrer, et voici comment: il est d?fendu par toute la ville de vendre de l'eau-de-vie dans d'autres temps que les dimanches apr?s midi, et l'on ne permet d'en vendre qu'une certaine mesure, pour ne pas profaner ce jour.

Dans la nuit du 31 d?cembre , nous f?mes r?gal?s d'un spectacle russe o? nous ne trouv?mes pas le mot pour rire; notre appartement se remplit tout ? coup de masques. Un homme v?tu de blanc conduisait la troupe; il ?tait arm? d'une faux qu'il aiguisait de temps en temps; c'?tait la Mort qu'il repr?sentait; un autre faisait le r?le du Diable. Il y avait des musiciens et une nombreuse suite d'hommes et de femmes. La Mort et le Diable, qui ?taient les principaux acteurs de la pi?ce, disaient que tous ces gens-l? leur appartenaient, et ils voulaient nous emmener aussi. Nous nous d?barrass?mes d'eux en leur donnant pour boire.

Au commencement de janvier, l'auteur, accompagn? de Muller, alla visiter les mines de cuivre de Polewai, situ?es ? cinquante-deux werstes de Catherinenbourg. Nous entr?mes, dit-il, dans la mine de cuivre qui est dans l'enceinte des ouvrages ?lev?s contre les incursions des Baskirs. Le rocher n'est pas inattaquable; cependant il faut pour le briser de la poudre ? canon. La mine ne s'y trouve pas par couches; elle est distribu?e par chambres, et donne, l'un portant l'autre, trois livres de cuivre par quintal. La terre qui la tient est noir?tre et un peu alumineuse. Comme la mine n'est pas profonde, on a rarement besoin de pousser les galeries au del? de cent brasses de profondeur; aussi n'est-on pas beaucoup incommod? des eaux, qui d'ailleurs sont chass?es par des pompes que la rivi?re la Polewa fait agir.

De la mine nous all?mes aux fonderies, o? l'on voit tous les fourneaux n?cessaires pour pr?parer la pierre crue et le cuivre; dans le m?me endroit sont les forges avec les marteaux. Tous ces ouvrages sont mis en mouvement par la Polewa, qu'un batardeau fait monter.

A Pechler, j'entrai dans une maison de Tatares. Ceux du district de Tobolsk ne sont nullement comparables aux Tatares du Kazan pour la politesse et la propret?. Ces derniers ont ordinairement une chambre dans laquelle toute la famille vit p?le-m?le avec les boeufs, les vaches, les veaux, les moutons. Cette malpropret? provient vraisemblablement de leur pauvret?: c'est par la m?me raison qu'ils ne boivent que de l'eau.

Autant la ville avait ?t? tumultueuse dans la semaine du beurre, autant elle paraissait tranquille dans les f?tes qui la suivirent. On voyait tout le monde en pri?re. La d?votion ?clata surtout dans une c?r?monie qui se fit le 3 mars ? la cath?drale, et qui fut c?l?br?e par l'archev?que du lieu. Elle commen?a par une esp?ce de b?atification de tous les czars morts en odeur de saintet?, de leurs familles, des plus vertueux patriarches, et de plusieurs autres personnages, du nombre desquels fut Jermak , qui avait conquis la Sib?rie; ensuite on pronon?a solennellement le grand ban de l'?glise contre les infid?les, h?r?tiques et schismatiques, c'est-?-dire contre les mahom?tans, les luth?riens, les calvinistes et les catholiques romains, suppos?s auteurs du schisme qui s?pare les deux ?glises. Pendant tout le car?me on n'entendit point de musique; il n'y eut aucune sorte de divertissement, ni noces ni fian?ailles. Si nous n'eussions eu des Tatares ? observer, nous aurions ?t? r?duits ? la plus grande inaction.

Vers les onze heures, on vit arriver trois cavaliers. Ce furent deux jeunes gar?ons russes qui remport?rent les trois premiers prix. Quelque temps apr?s il en arriva plusieurs autres, qui ?taient presque tous de jeunes Tatares ou de jeunes Russes. Les prix furent donn?s aux dix premiers; mais nous appr?mes qu'on les distribuait quelquefois avec un peu de partialit?, et qu'ici particuli?rement il y avait eu de la faveur. A peu de distance, il y avait deux tables, sur chacune desquelles ?tait un instrument de musique tatare, consistant en un vieux pot sur lequel ?tait un vieux cuir bien tendu, et sur lequel on frappait comme sur un tambour. Cette musique n'?tait pas merveilleuse; cependant il y avait une si grande foule de Tatares empress?s de l'entendre, qu'on avait de la peine ? en approcher.

Apr?s la distribution des prix, nous pass?mes dans la chambre du mari?, qui ?tait dans la cour de la maison o? demeurait la future. Cette chambre ?tait remplie de gens qui se divertissaient ? boire. Deux musiciens tatares ?taient de la f?te: l'un avait un simple roseau perc? de trous avec lequel il rendait diff?rents sons; l'embouchure de cette esp?ce de fl?te ?tait enti?rement cach?e dans sa bouche; l'autre raclait un violon ordinaire. Ils nous jou?rent quelques morceaux qui n'?taient pas absolument mauvais; nous f?mes surtout invit?s ? la chanson ou romance de Jermak, qu'ils nous assur?rent avoir ?t? faite dans le temps que ce guerrier conquit la Sib?rie, et que leurs anc?tres furent soumis ? la domination russe.

Nous ne v?mes rien de remarquable ? Tobolsk jusqu'au 14 avril, jour o? finit le car?me. Les c?r?monies de P?ques usit?es chez les Russes parmi le peuple sont ici les m?mes. Le 15, nous e?mes ? peu pr?s le m?me spectacle qu'on nous avait donn? ? Catherinenbourg, si ce n'est qu'il se fit en plein jour: ce fut la repr?sentation d'une pieuse farce toute semblable ? nos anciens myst?res, et distribu?e en trois actes.

La semaine de P?ques se passa gaiement en visites r?ciproques. La populace la c?l?bra par beaucoup de divertissements ? sa mani?re; mais ces extravagances n'approchaient pas, ? beaucoup pr?s, de celles qui se firent dans la semaine du beurre.

La ville haute a cinq ?glises, dont deux construites en pierre, enclav?es dans la forteresse, et trois b?ties en bois, outre un couvent. La ville basse a sept paroisses, et un couvent b?ti en pierre.

La ville haute a l'avantage de ne point ?tre sujette aux inondations; mais elle a une grande incommodit?, en ce qu'il y faut faire monter toute l'eau dont elle a besoin. L'archev?que seul a un puits profond de trente brasses, qu'il a fait creuser ? grands frais, mais dont l'eau n'est ? l'usage de personne hors de son palais. La ville basse a l'avantage d'?tre proche de l'eau; mais elle n'est pas ? l'abri des inondations.

On nous dit ? Tobolsk que cette ville ?prouvait tous les dix ans une inondation qui la mettait sous l'eau. En effet, l'ann?e pr?c?dente , non-seulement la ville, mais tous les lieux bas des environs avaient ?t? submerg?s.

Je n'ai pas connu d'endroit o? l'on v?t autant de vaches qu'on en rencontre ? Tobolsk. Elles courent les rues, m?me en hiver; de quelque c?t? qu'on se tourne on aper?oit des vaches, mais surtout en ?t? et au printemps.

La ville de Tobolsk est fort peupl?e, et les Tatares font pr?s du quart des habitants. Les autres sont presque tous des Russes, ou exil?s pour crimes, ou enfants d'exil?s. Comme ici tout est ? si bon march? qu'un homme d'une condition m?diocre peut y vivre avec le modique revenu de dix roubles par an, la paresse y est excessive. Quoiqu'il y ait des ouvriers de tous m?tiers, il est tr?s-difficile d'obtenir quelque chose de ces gens-l?; on n'y parvient gu?re qu'en usant de contrainte et d'autorit?, ou en les faisant travailler sous bonne garde. Quand ils ont gagn? quelque chose, ils ne cessent de boire jusqu'? ce que, n'ayant plus rien, ils soient forc?s par la faim de revenir au travail. Le bas prix du pain cause en partie ce d?sordre, et fait que les ouvriers ne pensent pas ? ?pargner; deux heures de travail leur donnent de quoi vivre une semaine et satisfaire leur paresse.

Du gouverneur g?n?ral de Tobolsk rel?vent tous les gouverneurs particuliers ; cependant il ne peut pas les destituer ni les choisir lui-m?me; il est oblig? de les recevoir tels qu'on les lui envoie de la prikase ou chancellerie de Sib?rie, qui r?side ? Moscow. Il re?oit, ainsi que les sous-gouverneurs et les autres officiers de la chancellerie, des appointements du tr?sor imp?rial. Il y a deux secr?taires ? la chancellerie de ce gouvernement qui sont perp?tuels, quoiqu'on change les gouverneurs. Ces secr?taires, par cette raison, sont fort respect?s; les grands et les petits recherchent leur protection, et ils gouvernent presque despotiquement toute la ville.

Le gouverneur c?l?bre toutes les f?tes de la cour; il fait inviter ce jour-l? tous ceux qui sont au service de la couronne, et m?me tous les n?gociants de la ville. Tout ce qu'il y avait ? Tobolsk de personnes destin?es pour le voyage du Kamtchatka, re?ut de pareilles invitations. Nous ?tions toujours plac?s ? la m?me table avec l'archev?que, les archimandrites, quelques autres eccl?siastiques d'un ordre inf?rieur, et les officiers de la garnison. Le d?ner ?tait servi ? la mani?re russe; on y buvait beaucoup de vin du Rhin et de muscat. Ordinairement apr?s le d?ner, hors le temps de car?me, on dansait jusqu'? sept ? huit heures du soir; d'autres fumaient, jouaient au trictrac ou s'amusaient ? d'autres jeux.

Ces repas, quelque multipli?s qu'ils soient, ne sont rien moins que ruineux; car aucun des n?gociants ne quitte la table sans laisser un demi-rouble ou un rouble; et c'est ? qui fera le mieux les choses.

Les Tatares ?tablis dans cette ville descendent en partie de ceux qui l'habitaient avant la conqu?te de la Sib?rie, et en partie des Bukhars, qui s'y sont introduits peu ? peu avec la permission des grands-ducs, dont ils ont obtenu certains privil?ges. Ils sont en g?n?ral fort tranquilles, et vivent du commerce; mais il n'y a point de m?tiers parmi eux. Ils regardent l'ivrognerie comme un vice honteux et d?shonorant; ceux d'entre eux qui boivent de l'eau-de-vie sont fort d?cri?s dans la nation. Je n'eus aucune occasion de voir leurs c?r?monies religieuses; mais il suffit de dire qu'ils sont tous mahom?tans.

Les Tatares ne changent pas souvent de religion; on en a cependant baptis? quelques-uns; mais ces pros?lytes sont fort m?pris?s dans leur nation. Ceux qui s'appellent les vrais croyants leur reprochent qu'ils ne changent de religion que par go?t pour l'ivrognerie, et pour se retirer de l'esclavage. Cette derni?re raison para?t la plus vraisemblable.

Le temps de notre d?part approchait; nous avions fait pr?parer deux doschts-chennikes, o? l'on avait r?uni toutes les commodit?s possibles. Un doschts-chennike est un b?timent qu'on peut regarder comme une grande barque couverte; lorsqu'il est destin? ? remonter les rivi?res, il a un gouvernail; mais ceux qui les descendent ont, au lieu de gouvernail, une grande et longue poutre devant et derri?re, comme les b?timents du Volga. Dans chacun de ces b?timents il y avait vingt-deux manouvriers, tous Tatares; chacun ?tait muni en outre de deux canons et d'un canonnier. Nous nous embarqu?mes, et nous remont?mes le fleuve Irtisch.

Au del? de l'embouchure du Tara, qui se jette dans l'Irtisch, nous avions au rivage oriental le steppe ou le d?sert des Tatares-Barabins, et ? l'occident celui des Cosaques. Ainsi, nous f?mes faire bonne garde. Nous n'avions rien ? craindre des premiers, qui sont soumis ? l'empire russe; mais le d?part des Cosaques est tr?s-dangereux; car des bords de l'Irtisch on peut arriver en trois jours jusqu'? la Kasakiahorda , ainsi nomm?e par les Russes, qui court de temps en temps ce d?sert, et qui s'est rendue redoutable. Ces Cosaques tuent ordinairement tous les hommes qu'ils rencontrent, et emm?nent les femmes. Ils traitent les Tatares un peu plus doucement que les Russes; ils les font marcher avec eux quelques pas, puis les d?pouillent, les battent fort, et les laissent aller. Autrefois ils se contentaient d'emmener les Russes en captivit?; j'en ai vu plusieurs qui en ?taient sortis, et qui ne se lassent point de parler des cruaut?s qu'on leur avait fait souffrir.

Jusque-l? notre navigation sur l'Irtisch, ? la lenteur pr?s et malgr? les inconv?nients dont je viens de parler, ne pouvait ?tre plus heureuse. Nous n'avions qu'? nous louer des travailleurs que nous avions pris ? Tobolsk; c'?taient tous gens tranquilles, officieux, pleins de bonne volont?. Nous ?tions touch?s de voir ces pauvres gens travailler sans un moment de rel?che, sans aucun repos la nuit, et pourtant sans le moindre murmure. L'accident qui arriva ? notre b?timent nous fit encore mieux conna?tre toute la bont? de ces Tatares. Nous avions dans ce bateau une provision consid?rable de cochon fum?; on sait que cette viande est en horreur aux Tatares, et qu'ils n'osent seulement pas la toucher; cependant notre navire ayant fait eau, comme il fallait que le b?timent f?t promptement d?charg?, nous les v?mes avec des mains tremblantes aider ? porter cette viande ? terre. Une autre fois, un cochon de lait ?tant tomb? dans l'eau, un de nos Tatares s'y jeta sur-le-champ, nagea apr?s l'animal et le rapporta.

Nous avons aussi vu des marques de l'amiti? qu'ils ont les uns pour les autres. Il ?tait souvent arriv? que trois ou quatre Tatares ?taient oblig?s, soit en nageant, soit en marchant dans l'eau, de prendre les devants pour sonder la profondeur et emp?cher nos b?timents d'?chouer sur les bancs de sable. Un jour un de ces travailleurs qui, contre l'ordinaire des Tatares, ne savait pas bien nager, fut embarrass? dans un endroit profond, et pr?s de se noyer. Ses camarades le voyant en danger, trois ou quatre d'entre eux se jet?rent ? l'eau et le sauv?rent. Nous ne nous sommes jamais aper?us qu'ils nous aient vol? la moindre chose. Leur probit? est connue partout; aussi n'exige-t-on d'eux aucun serment; ils n'en connaissent pas m?me l'usage; mais lorsqu'ils ont frapp? dans la main en promettant quelque chose, on peut ?tre s?r de leur foi. Ils sont de plus tr?s-religieux; je ne les ai jamais vus manger sans avoir fait leur pri?re ? Dieu avant et apr?s le repas. Ils ne levaient jamais la voile sans demander ? Dieu, par des invocations en leur langue, sa b?n?diction pour notre voyage.

Nous n'e?mes, dans tout ce voyage par eau, qu'une seule incommodit? ? laquelle il ne fut pas possible de trouver le moindre rem?de: c'?taient les cousins, dont il y a des quantit?s prodigieuses dans tous les endroits o? nous pass?mes. Ils s'attachent ? toutes les parties du corps qui sont d?couvertes; ils plongent leur trompe ? travers la peau, sucent le sang jusqu'? ce qu'ils en soient rassasi?s, et s'envolent ensuite. Si on les laisse faire, ils couvrent enti?rement la peau, et causent des douleurs insupportables. On m'a m?me assur? qu'ils tourmentent quelquefois si cruellement les vaches, qu'elles en tombent mortes. Le cousin des bords de l'Irtisch est d'une esp?ce tr?s-d?licate; on ne peut gu?re le toucher sans l'?craser, et si on l'?crase sur la peau, il y laisse son aiguillon, ce qui rend la douleur encore plus sensible. Sa piq?re fait enfler la peau aux uns, et ? d'autres ne fait que des taches rouges telles qu'en font na?tre les orties. Le moyen usit? dans le pays pour s'en garantir est de porter une sorte de bonnet fait en forme de tamis, qui couvre toute la t?te et qui n'?te pas enti?rement la libert? de la vue. On met autour des lits des rideaux d'une toile claire de Russie. Nous employ?mes ces deux moyens; mais nous trouv?mes de l'inconv?nient ? l'un comme ? l'autre. Le premier causait une chaleur incommode qui se faisait sentir ? la t?te, et devenait bient?t insupportable. L'autre moyen nous parut d'abord sans effet: nos lits ?taient assi?g?s par les cousins, et nous ne pouvions fermer l'oeil de la nuit. Lorsqu'il pleuvait un peu ou que le temps ?tait couvert, les cousins redoublaient de fureur; on ne se garantissait les mains et les jambes qu'en mettant des bas et des gants de peau. Les cousins sont en bien plus grande quantit? sur les bords de l'eau que sur les b?timents, et quelque chose qu'on fasse, on en est toujours couvert. Je risquai un jour d'aller sur le rivage; je ne puis exprimer tout ce que je souffris; mes mains et mon visage furent aussit?t remplis de petites pustules qui me causaient une d?mangeaison continuelle; je regagnai vite le b?timent, et je me soulageai en me lavant avec du vinaigre.

Nous nous aper??mes ? la fin que les cousins qui nous tourmentaient la nuit ne venaient pas ? travers les rideaux, mais qu'ils montaient d'en bas entre les rideaux et le lit. Il ?tait ais? de leur fermer ce passage: nous arr?t?mes les rideaux dans le lit, et nous n'?tions plus interrompus dans notre sommeil. Pour pouvoir tenir pendant le jour dans nos cabanes, il fallait y faire une fum?e continuelle. Le mal ?tait moindre quand il faisait du vent; il ne fallait alors qu'ouvrir les fen?tres. Les cousins ne supportent pas le vent, et comme il y en avait toujours un peu sur le pont, ils ?taient dispers?s.

Quand il faisait froid, il n'y avait plus de cousins; ils restaient dans les b?timents attach?s aux murs et comme morts; mais la moindre chaleur les faisait revivre.

A deux journ?es de Iamuschewa nous cess?mes notre navigation, et nous mont?mes ? cheval avec une petite suite; notre chemin traversait directement le steppe, qui est partout fort uni. Nous e?mes beaucoup ? souffrir jusqu'? Iamuschewa; la chaleur ?tait devenue si forte, que nous pens?mes p?rir; il faisait ? la v?rit? du vent, mais il ?tait aussi chaud que s'il f?t sorti d'une fournaise ardente. Nous n'avions pas dormi depuis pr?s de trente-six heures; le sable et la poussi?re nous ?taient la vue, et nous arriv?mes tr?s-fatigu?s, ? une heure apr?s midi, ? Iamuschewa. L?, nous sent?mes encore ? notre arriv?e la chaleur si vivement, que nous d?sesp?rions de pouvoir la supporter davantage. Tout ce qu'on nous servait ? table, quand nous prenions nos repas, ?tait plein de sable que le vent y portait. La chambre n'avait pas de fen?tres; il n'y avait que des ouvertures pratiqu?es dans la muraille, et c'?tait par l? que le vent nous charriait ce sable incommode. Il me prit envie de me baigner, et je m'en trouvai bien; je me sentis tout ? la fois rafra?chi et d?lass?. En rentrant ? notre logis, j'entendis le tambour de la forteresse qui donnait le signal du feu. Nous appr?mes qu'il ?tait dans le steppe, et qu'il y faisait du ravage. Le vent chassait la flamme avec violence vers la forteresse. Nous mont?mes aux ouvrages des fortifications, et nous v?mes en plusieurs endroits du d?sert des feux qui r?pandaient une grande lumi?re. L'officier qui commandait dans la forteresse n'?tait pas fort ? son aise; car le feu le plus proche n'?tait pas ?loign? de lui de plus de cinq werstes. Toutes les femmes du lieu furent command?es pour porter chacune, en cas d'accident, une mesure d'eau dans la maison, et quelques hommes furent occup?s ? creuser des foss?s pour emp?cher la communication du feu de ce c?t?-l?. Ces pr?cautions furent inutiles: le feu s'?teignit en quelque fa?on de lui-m?me.

Le steppe ressemble ? une terre labour?e o? il n'y a que du chaume; l'herbe aride y br?le tr?s-vite. Tout ce qui est combustible s'enflamme tout de suite et de proche en proche; mais dans ces steppes, outre les routes fort battues et les lacs, il y a au printemps quantit? d'endroits mar?cageux, et en ?t? beaucoup d'endroits secs, o? il ne cro?t point du tout d'herbe. Ainsi, dans tous ces endroits, le feu s'arr?te de lui-m?me, sans pouvoir aller plus loin, et s'?teint faute d'aliment. Les incendies des steppes ne sont pas rares: nous en avons vu plusieurs, et les habitants des environs assurent qu'on en voit presque tous les ans. On assigne deux causes ? ces incendies: la premi?re vient des voyageurs, qui font du feu dans les endroits o? ils s'arr?tent pour faire manger leurs chevaux, et qui, en s'en allant, n'ont pas soin de l'?teindre; l'autre cause vient des fr?quents orages, et on l'attribue au feu du ciel; mais elle se produit bien plus rarement.

Nos voyageurs continu?rent ensuite leur route sur les bords de l'Irtisch, tandis que leurs b?timents, charg?s de provisions, les suivaient sur la rivi?re.

Le 23 ao?t, dit l'auteur, nous all?mes ? Kolywans-Kagora. C'est au pied de cette montagne qu'on a construit, en 1728, la premi?re fonderie avec un ostrog : on n'en voit plus que les ruines, parce qu'elle a ?t? abandonn?e pour ?tre transport?e l'ann?e suivante dans un lieu plus convenable, o? elle est aujourd'hui.

En 1725, quelques paysans fugitifs ?tant venus s'?tablir sur l'Obi, apport?rent ? un particulier russe, nomm? Demidow, plusieurs ?chantillons de mines de cuivre, qu'ils avaient trouv?s dans ces cantons en chassant. Demidow ayant obtenu du coll?ge des mines la permission de faire fouiller et de b?tir des fonderies, fit de nouvelles recherches, et construisit la Sawode, ou fonderie de Kolywans-Kagora; elle est situ?e dans les montagnes, et a pour d?fense un fortin de quatre bastions, entour? d'un rempart de terre et d'un foss?. C'est la r?sidence des officiers et travailleurs des mines. La plupart de ces travailleurs sont des paysans de diff?rents cantons, qui viennent ici pour gagner la capitation qu'ils sont tenus de payer ? la couronne. Apr?s avoir gagn? cet argent, ils s'en retournent presque tous chez eux, ce qui ralentit beaucoup le travail des mines. L'entrepreneur, pour y rem?dier, a ?tabli quelques villages; mais ils fournissent ? peine quarante ? cinquante hommes, lorsqu'il en faudrait au moins huit cents. Il y a pour la s?ret? du lieu cent hommes ? cheval.

Le 11 du m?me mois, apr?s avoir pass? le Tom sur des radeaux, nous arriv?mes le soir ? Kusnetzk, o? nous employ?mes notre s?jour ? satisfaire notre curiosit? sur les Tatares du pays.

Nous avions appris que plusieurs Tatares, ?tablis sur les rivi?res de Kondoma et de Mrasa, savaient extraire le fer de la mine par la fonte, et m?me on n'avait dans ce lieu d'autre fer que celui qui venait de ces Tatares. Cela nous donna l'envie de voir leurs fonderies, qui n'?taient pas fort ?loign?es. Nous chois?mes la plus prochaine qu'on nous avait indiqu?e dans le village de Gadoewa, et nous envoy?mes quelqu'un les avertir de notre arriv?e, afin qu'ils tinssent tout pr?t.

Add to tbrJar First Page Next Page

 

Back to top