Read Ebook: Voyages en Sibérie by Kubalski N A Nicolas A
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Ebook has 268 lines and 31337 words, and 6 pages
Nous avions appris que plusieurs Tatares, ?tablis sur les rivi?res de Kondoma et de Mrasa, savaient extraire le fer de la mine par la fonte, et m?me on n'avait dans ce lieu d'autre fer que celui qui venait de ces Tatares. Cela nous donna l'envie de voir leurs fonderies, qui n'?taient pas fort ?loign?es. Nous chois?mes la plus prochaine qu'on nous avait indiqu?e dans le village de Gadoewa, et nous envoy?mes quelqu'un les avertir de notre arriv?e, afin qu'ils tinssent tout pr?t.
Nous part?mes d?s le matin, et apr?s avoir travers? plusieurs villages russes et tatares, et pass? deux fois la Kondoma, nous trouv?mes sur le bord de cette rivi?re le village de Gadoewa. Notre premier soin fut de chercher des yeux quelques signes qui indiquassent une fonderie de fer; mais nous ne remarquions aucun b?timent d'une apparence diff?rente des autres. On nous conduisit enfin dans une maison, et d?s l'entr?e nous v?mes le fourneau de fonte. Nous compr?mes m?me ? sa structure que, pour un pareil fourneau, on n'avait pas eu besoin de construire un b?timent particulier, et qu'ils pouvaient tous ?galement ?tre propres ? cet usage. Les travaux de la fonte n'emp?chaient pas les ouvriers d'habiter la maison. Le four ?tait ? l'endroit o? l'on fait ordinairement la cuisine, et la terre ?tait un peu creus?e. Le creux qui, dans toutes les maisons tatares, sert pour la cuisine, faisait une des principales parties du fourneau. Un chapiteau d'argile ou de terre glaise, de forme conique, d'environ un pied de diam?tre, qui allait en se r?tr?cissant par en haut, composait, avec un trou creus? dans la terre, le fourneau de fonte. Deux Tatares font ici toute la besogne: l'un apporte alternativement du charbon et du minerai pil?, dont il remplit le fourneau; l'autre a soin du feu, et fait agir deux soufflets. A mesure que les charbons s'affaissent, on fournit de nouvelle mati?re et de nouveaux charbons; ce qui continue jusqu'? ce qu'il y ait dans le fourneau environ trois livres de minerai; ils n'en peuvent pas fondre davantage ? la fois. Des trois livres de minerai ils en tirent deux de fer qui para?t encore fort impur, mais qui cependant est assez bon. En une heure et demie nous avions tout vu.
Les instruments du labour dont ils se servent, ils les fabriquent eux-m?mes du fer dont on vient de parler. Ces instruments consistent en un seul outil qui a la forme d'un demi-cercle fort tranchant, et dont le manche fait avec le fer un angle droit. Ils travaillent avec cet outil dans les champs comme on travaille dans nos jardins avec la houe, et n'entament la terre, en labourant, qu'? la profondeur de quelques pouces. Pour faire leur farine, ils broient le grain entre deux pierres.
Notre compagnon Muller fit tout ce qu'il put pour obtenir d'eux le tambour magique. Le kan en marqua beaucoup de tristesse; et comme on r?pondait ? toutes les d?faites qu'il cherchait pour ne s'en pas dessaisir, tout le village nous pria de ne pas insister davantage, parce qu'?tant priv?s de ce tambour, ils seraient tous perdus, ainsi que leur kan. Ces belles raisons ne servirent qu'? nous faire insister encore davantage, et le tambour nous fut remis. Le kan, par une ruse tatare, pour fasciner les yeux de ses gens et leur diminuer le regret de cette perte, avait ?t? quelques ferrements de l'int?rieur du tambour.
Kusnetzk est dans un pays autrefois habit? par les Tatares, qui, se trouvant trop resserr?s du c?t? de la Russie, se sont retir?s peu ? peu vers la fronti?re des Kalmouks. Cette ville est situ?e sur le rivage oriental du Tom; elle se divise en trois parties: la haute, la moyenne et la basse ville. Les deux premi?res sont situ?es sur la plus grande ?l?vation du rivage; la ville basse est dans une plaine qui s'?tend de l'autre c?t?: c'est la plus peupl?e des trois.
Dans la ville haute, il y a une citadelle de bois qui a une chapelle. La ville moyenne est d?cor?e d'un ostrog, qui contient la maison du gouverneur et la chancellerie. Le nombre des maisons, dans les trois villes, se monte ? environ cinq cents.
Les habitants sont paresseux et adonn?s ? l'oisivet?: on a de la peine ? avoir des ouvriers pour de l'argent. Le Tom est assez poissonneux; cependant on ne trouve point de poissons dans les march?s; on n'y conna?t pas non plus les fruits: on n'y trouve que de la viande et du pain. Chacun cultive ici le bl? dont il a besoin pour son pain, et l'on peut dire que c'est la seule occupation qu'aient les habitants. Leurs terres ? bl? sont toutes sur les montagnes, non dans les vall?es; et la raison qu'ils en donnent, c'est qu'il fait beaucoup plus froid dans les vall?es que sur les montagnes. On n'y conna?t plus aucune esp?ce de gibier; les habitants nous assur?rent que, quand on b?tit cette ville, le canton fourmillait de zibelines, d'?cureuils, de martres, de cerfs, de biches, d'?lans et d'autres animaux; mais qu'ils l'ont abandonn? depuis, et qu'ils se sont retir?s dans un pays inhabit?, comme l'?tait celui-ci avant la fondation de Kusnetz. La plupart des villes de Sib?rie sont assez commer?antes; mais celle-ci n'a aucun commerce.
Le jour de notre d?part fix?, un de nos compagnons, Muller, prit la route par terre avec notre interpr?te et un Tatare, moi je partis par eau sur le Tom avec le reste de la troupe et un interpr?te de cette nation. Malgr? les obstacles de la navigation, le froid qui augmentait nous fit redoubler d'activit? pour arriver ? Tomsk le lendemain.
La situation de cette ville la rend plus propre au commerce qu'aucune autre du pays. On y arrive commod?ment pendant l'?t? par l'Irtisch, l'Obi et le Tom. Par terre, la route de Ieniseisk et de toutes les villes de Sib?rie situ?es plus ? l'est et au nord, passe par Tomsk. Non-seulement il arrive tous les ans une ou deux caravanes de la Kalmoukie, mais encore toutes celles qui vont de la Chine en Russie et de la Russie en Chine, prennent leur route par cette ville; elle a de plus son commerce int?rieur, dont les affaires sont sous la direction d'un magistrat particulier.
Les vieux croyants ou non-conformistes, sont en grand nombre dans cette ville, et l'on pr?tend que toute la Sib?rie en est remplie. Ils sont tellement attach?s aux anciens usages, que, depuis la publication de la d?fense de porter des barbes, ils aiment mieux payer ? la chancellerie cinquante roubles chaque ann?e que de se faire raser. Un homme de notre troupe alla un jour se baigner chez un de ces stara-wiertsy ou roskolniks; aussit?t qu'il fut sorti, le vieux croyant cassa tous les vases dont il s'?tait servi ou qu'il avait seulement touch?.
Leur indolence est telle, que les bestiaux ayant ?t? attaqu?s l'ann?e pr?c?dente d'une maladie ?pid?mique consid?rable, qui ne laissa que dix vaches et ? peine le tiers des chevaux, aucun habitant ne chercha ? y apporter du rem?de; tous se fondaient sur ce que leurs anc?tres n'en avaient point employ? en pareil cas.
Pendant notre s?jour ? Tomsk, nous f?mes connaissance avec un Cosaque assez intelligent qui avait du go?t pour les sciences. Nous f?mes d'autant plus charm?s de cette d?couverte, que nous avions ordre d'?tablir des correspondances partout o? nous le pourrions. Ainsi nous demand?mes ? la chancellerie qu'on laiss?t ? cet homme la libert? de faire des observations m?t?orologiques. Nous l'instruis?mes, et nous lui laiss?mes les instruments n?cessaires, comme nous avions d?j? fait ? Kasan, ? Tobolsk et ? Jamischewa.
Lorsque l'archev?que de Tomsk arriva dans ces cantons, il fit chercher tous les habitants qu'on pouvait trouver: quelques-uns venaient de bonne volont?, mais le plus grand nombre fut amen? par les dragons qu'il avait avec lui.
Comme tous ces Tatares demeurent le long du Tschulum, rien n'?tait plus commode pour le bapt?me; car ceux qui ne voulaient pas se faire baptiser ?taient pouss?s de force dans la rivi?re; lorsqu'ils en sortaient, on leur pendait une croix au cou, et d?s lors ils ?taient cens?s baptis?s. Pour que ces gens pussent pers?v?rer dans la nouvelle religion, on construisit d?s l'ann?e suivante une ?glise ? laquelle on attacha un pope russe; mais ces Tatares n'ont pas la moindre connaissance de la religion chr?tienne. Ils croient que l'essentiel consiste ? faire le signe de la croix, ? aller ? l'?glise, ? faire baptiser leurs enfants, ? ne prendre qu'une femme, ? faire abstinence de ce qu'ils mangeaient autrefois, comme du cheval, de l'?cureuil, et ? observer le car?me des Russes. Au reste, on ne peut exiger d'eux davantage, parce que les popes russes qui devraient les instruire ignorent leur langue, et ne peuvent s'en faire entendre.
La petite v?role faisait alors beaucoup de ravages dans le pays. Cette maladie n'y est point habituelle: dix ann?es se passent quelquefois sans qu'on en soit incommod?; mais quand elle commence, elle dure deux ? trois ans sans interruption.
La ville de Ieniseisk est situ?e sur le rivage gauche ou occidental du I?nis?e, qui, en cet endroit, a un werste et demi de largeur. Ce fleuve a sa source dans le pays des Mongols, et apr?s un cours d'environ trois mille werstes il se d?charge dans la mer Glaciale. La ville est plus moderne que Kusnetz: on n'y b?tit d'abord qu'un ostrog, comme dans la plupart des villes de Sib?rie; mais l'avantage de sa situation a contribu? ? son agrandissement: elle est beaucoup plus longue que large, et a environ six werstes de circonf?rence. Les b?timents publics sont la cath?drale, la maison du gouverneur, la vieille et la nouvelle chancellerie, un arsenal et quelques petites cabanes; le tout est enferm? dans un ostrog qui reste encore du premier ?tablissement, mais qui est presque tomb? en ruine. La ville contient sept cents maisons de particuliers, trois paroisses, deux couvents, dont un de moines et l'autre de religieuses, un magasin ? poudre et un autre de munitions de bouche; ces deux magasins sont entour?s d'un ostrog particulier. Dans le couvent des moines r?side l'archimandrite du lieu. Les habitants sont pour la plupart des marchands qui pourraient faire un bon commerce; mais l'ivrognerie, la fain?antise et la d?bauche corrompent tout.
Il y a dans le territoire de Ieniseisk deux sortes d'Ostiakes: ceux de Narim et de I?nis?e; ensuite les Tunguses, qui demeurent sur le Tanguska et sur la rivi?re de Tschun; et enfin les Tatares d'Assan, qui habitent les bords de l'Ussolka et de la rivi?re d'Ona. Les Ostiakes et les Tatares d'Assan vivent dans la plus grande mis?re; les premiers sont tous baptis?s. Il ne restait plus qu'environ une douzaine de ces Tatares, dont ? peine deux ou trois savaient leur langue. C'?tait autrefois une tribu tr?s-consid?rable. Jusqu'? pr?sent on n'a pu parvenir d'aucune fa?on ? convertir les Tunguses ? la religion chr?tienne.
Krasnojarsk est plus moderne que Ieniseisk, et c'est de Moscou qu'on est venu la b?tir. Elle est sur la rive gauche du I?nis?e; ? son extr?mit? est la rivi?re de Kastcha, dont une embouchure est au-dessous de la ville.
Les habitants sont pour la plupart des Sluschiwies, qu'on y avait ?tablis par la n?cessit? de garantir ces cantons des incursions des Tatares Kirgis, qui venaient ravager les environs; mais depuis quelques ann?es ils se sont retir?s vers le pays des Kalmouks. Depuis ce temps les Sluschiwies ont fait des courses sans aucun risque dans les environs du pays. Ils ont trouv? ? travers les steppes un chemin assez droit depuis Krasnojarsk jusqu'? Jakusk et Tomsk, qui est tr?s-commode pour voyager, surtout en ?t?, puisque les eaux et les fourrages s'y trouvent en abondance.
Les Sluschiwies m?nent ici une vie fort agr?able; ils sont riches en chevaux et en bestiaux, qui ne leur co?tent pas beaucoup ? nourrir. Ils les laissent pa?tre sur les steppes; car en hiver m?me on y voit peu de neige, et quand il y en a les bestiaux fouillent dans la terre, et en tirent toujours assez de racines et de plantes pourries pour ne pas mourir de faim. Il est vrai qu'en Russie un cheval tire plus que trois des leurs, et qu'une vache y donne vingt fois plus de lait que celles de ces cantons. On cultive ici du bl?, et la terre est si fertile qu'il suffit de la remuer l?g?rement pour y semer pendant cinq ? six ann?es cons?cutives sans le moindre engrais. Quand elle est ?puis?e, on en choisit une autre qui n'exige pas plus de soins; ce qui convient fort ? la paresse des habitants.
Les antiquit?s qu'on trouve ici ont ?t? tir?es des anciens tombeaux, qui sont en grand nombre pr?s d'Abakansk et de Sajansk. On y a autrefois d?terr? beaucoup d'or, preuve de la richesse des Tatares dans le temps de leur ancienne puissance. J'ai vu chez le gouverneur actuel une grande soucoupe et un petit pot, l'un et l'autre d'argent dor?. Il y avait sur la soucoupe des figures cisel?es qui ressemblaient ? des griffons. On trouve encore assez souvent des couteaux en cuivre, de petits marteaux de diff?rentes formes, des garnitures de harnais de chevaux, du bronze ou du m?tal de cloches, et de l'argent faux de la Chine.
A Kansko?-Ostrog, nous f?mes chercher quelques Tatares du canton. Ils sont en g?n?ral assez pauvres: les hommes aussi bien que les femmes sont tout nus sous leur robe et n'ont jamais port? de chemise. Ceux d'entre eux qui sont baptis?s se distinguent des autres ? cet ?gard, mais ils sont en tr?s-petit nombre; ils ont tous l'air fort malpropre, parce qu'ils ne se lavent jamais; et quand on leur demande la raison de cette n?gligence, ils r?pondent que leurs p?res ne se sont jamais lav?s non plus qu'eux, et qu'ils n'ont pas laiss? que de bien vivre. Ces m?mes Tatares, au lieu de pain, mangent aussi des oignons ou d'autres esp?ces de plantes, et d?daignent l'agriculture. Leur exercice continuel est la chasse des zibelines; ils la font de diff?rentes fa?ons.
Quand l'animal ne sait plus de quel c?t? tourner, il monte sur un arbre fort haut, et les Tatares y mettent aussit?t le feu. L'animal, que la fum?e incommode, saute en bas de l'arbre, se prend dans un filet tendu ? l'entour, et est tu?.
Aux environs de l'ostrog de Balachansko? habitent un grand nombre de Buraetes, qui n?gligent la culture des terres, et ne vivent que du commerce de leurs bestiaux. Leurs boeufs sont fort estim?s. Contre l'usage g?n?ral, les Bratskis de ce canton exercent un art dans lequel ils ne r?ussissent pas mal: ils savent si bien incruster dans le fer l'argent et l'?tain, qu'on prendrait ce travail pour de l'ouvrage damasquin?. La plupart des harnais des chevaux, des ceinturons et des autres ustensiles qui en sont susceptibles, sont orn?s de ces incrustations.
PROVINCE D'IRKOUTSK
Nikolskaia-Sastawa--Ba?kal .--Selinginsk .--Fronti?re de la Chine .--Irkoutsk .--Ilimsk .--Tunguses .--Yakoutsk .--Monts d'aimant.--Retour.
Arriv?s ? cette station, nous nous trouv?mes sur le lac Ba?kal, dont les glaces ?taient encore tr?s-fortes et pouvaient porter nos tra?neaux sans danger. Nous le travers?mes obliquement jusqu'? son bord m?ridional.
Le lac Ba?kal s'?tend fort loin en longueur de l'ouest ? l'est. Sur toutes les cartes que nous avions vues jusque alors, ses limites ? l'orient n'?taient pas marqu?es, parce que vraisemblablement personne n'avait ?t? jusque-l?. On estime commun?ment que sa longueur est de cinq cents werstes. Sa largeur, du nord au sud, en ligne droite, n'est gu?re que de vingt-cinq ? trente werstes, et dans quelques endroits elle n'en exc?de pas quinze. Il est environn? de hautes montagnes, sur lesquelles cependant, lorsque nous y pass?mes, il y avait tr?s-peu de neige. Une autre particularit? de ce lac, c'est qu'il ne se prend que vers No?l, et qu'il ne d?g?le qu'au commencement de mai. De l?, nous march?mes quelque temps sur un bras de la rivi?re de Selenga, o? nous avions pour perspective une cha?ne de montagnes, et nous v?nmes le m?me jour au soir ? Kansko?-Ostrog, situ? sur le ruisseau de Kabana.
Ici nous commen??mes ? nous apercevoir de la disette et de la chert? des vivres, qu'on a plus de peine ? se procurer que dans tout ce que nous avions d?j? parcouru de la Sib?rie.
Quoiqu'il y ait des terres labour?es et de bons p?turages, les gens du pays sont dans l'habitude de ne vouloir rien vendre qu'? un prix exorbitant. On nous demanda cinquante kopeks pour un poulet. Nous voulions acheter un veau, il n'y eut pas moyen d'en avoir; on nous dit que, si l'on se d?faisait du veau, la vache ne donnerait plus de lait; c'est le langage que les paysans tiennent dans toute la Sib?rie. Si le veau vient ? mourir ou ? ?tre vendu, voici ce qu'on fait pour tromper la vache: on empaille la peau d'un veau, et quand on veut avoir du lait de la m?re, on lui montre cette effigie; elle en donne alors, et non autrement.
Partis de l?, nous v?mes deux cha?nes de montagnes entre lesquelles il fallut passer, et que le Selenga traverse. Nous f?mes encore pendant deux ? trois jours une marche assez p?nible, partie ? travers des montagnes, partie sur le Selenga, partie dans des steppes arides; la difficult? d'avoir des chevaux renaissait ? chaque station, par la mauvaise volont? des gens du pays.
Entre les deux slobodes, dans les montagnes, il y a des gardes pos?es pour emp?cher de part et d'autre que personne ne viole les fronti?res.
Voil? les marchandises qui forment le commerce de cette fronti?re; et l'on voit que les marchandises chinoises exc?dent de beaucoup celles des Russes.
L'intelligence de ceux-ci c?de encore ? la sagacit? des Chinois; car les derniers, sachant que les marchands russes qui font le voyage de la fronti?re ne cherchent qu'? se d?barrasser de leurs marchandises pour pouvoir s'en retourner promptement, attendent qu'ils commencent ? s'ennuyer, et les am?nent par leur lenteur ? se d?faire de leurs marchandises aux prix qu'ils ont r?solu d'y mettre. Je voulus obtenir des Chinois quelques-uns de leurs m?dicaments, et je n'ai jamais pu m'en procurer. On ne peut pas non plus, quelques observations qu'on leur fasse, tirer d'eux les moindres lumi?res sur leur pays. Les Chinois qui viennent ? Kiachta sont de la plus vile condition; ils ne connaissent que leur commerce; et du reste, ce sont des paysans grossiers. Ils ont ? leur t?te une esp?ce de facteur envoy? du coll?ge des affaires ?trang?res ? P?kin; il est chang? tous les deux ans. Il discute non-seulement toutes les contestations des Chinois, mais encore celles qui surviennent entre eux et les marchands russes; et dans le dernier cas il agit de concert avec le commissaire de Russie.
La ville de Selinginsk, b?tie en 1666, est situ?e sur la rive orientale du Selenga; ce ne fut d'abord qu'un simple ostrog , selon l'usage du pays. Environ vingt ans apr?s, on construisit la forteresse qui subsiste encore, et ce lieu lui doit son accroissement. La ville s'?tend le long de la rivi?re, et a environ deux werstes de longueur, mais elle est ?troite. La mani?re de vivre des habitants diff?re peu de celle des Bratskis. Ils mangent tranquillement ce qu'ils trouvent, et prennent surtout beaucoup de th?. Trop paresseux pour ramasser un peu de fourrage et en nourrir leurs bestiaux, ils les laissent courir l'hiver et l'?t? pour chercher ? pa?tre o? ils peuvent. Il y a dans la ville quelques boutiques, mais o? l'on ne trouve presque rien; ils aiment mieux rester couch?s derri?re leurs po?les pendant cinquante-une semaines, que de se donner la moindre peine pour gagner quelque chose. Enfin, la cinquante-deuxi?me, ils vont ? Kiachta, et ce qu'ils y gagnent leur suffit pour vivre pendant l'ann?e enti?re.
La ville d'Irkoutsk, b?tie vers l'an 1661, est, apr?s Tobolsk et Tomsk, une des plus grandes villes de la Sib?rie. Elle est situ?e sur la rive orientale de l'Angara, dans une belle plaine, vis-?-vis de l'embouchure de l'Irkoutsk, d'o? elle tire son nom. Il y a plus de neuf cents maisons assez bien construites, et dont le plus grand nombre contient, outre la chambre du po?le et celle du bain, une chambre sans fum?e o? se tient la famille; mais toutes ces maisons sont en bois. Le comte Sawa Wladislawitz a fait entourer cette ville, comme les autres de ce district, de palissades en carr?, except? du c?t? de la rivi?re, qui est fortifi?e par la nature.
La ville d'Irkoutsk a un gouverneur g?n?ral auquel toute la province est soumise. De lui d?pendent les gouverneurs de Selinginsk, de Nertschinsk, d'Ilimsk, d'Yakoutsk, et les commandants d'Okhotsk et de Kamtchatka. Ses revenus sont beaucoup plus consid?rables que ceux du gouverneur g?n?ral de Tobolsk, dont il est d?pendant; et les ?moluments annuels qu'il se procure, ind?pendamment des gages ordinaires de son office, ne vont gu?re ? moins de trente mille roubles. Il se fait craindre des gouverneurs subalternes qui lui sont soumis; mais il ne craint pas ais?ment qu'on lui fasse des affaires, attendu le grand ?loignement de Tobolsk.
Irkoutsk a un ?v?que qui ne si?ge pas, mais dont la r?sidence est dans un couvent b?ti ? cinq werstes de distance, au c?t? occidental de l'Angara. On devait lui b?tir prochainement une maison dans la ville. C'est de cet ?v?que que d?pendent toutes les fondations eccl?siastiques qui sont dans la province d'Irkoutsk, tout le clerg? s?culier et r?gulier.
La police est assez bien faite dans cette ville. Toutes les grandes rues ont des chevaux de frise et des gardes de nuit. Les officiers de la police font la patrouille pendant la nuit; ils arr?tent tous ceux qui commettent quelque d?sordre dans les rues, et visitent de temps en temps les maisons suspectes. Cependant il arrive souvent que les cabarets sont, pendant la nuit, pleins de monde, contre les ordonnances expresses publi?es par toute la Russie.
Les environs d'Irkoutsk sont agr?ables, quoique montagneux. Il y a surtout de belles prairies du c?t? occidental de l'Angara. On ne cultive point de bl? dans le district de cette ville: tout ce qui s'y en consomme est amen? des plaines de l'Angara, des slobodes situ?es sur la rivi?re d'Irkoutsk et sur la Komda, et du territoire d'Ilimsk. Le gibier n'y manque pas; on y trouve des ?lans, des cerfs, des sangliers et autres b?tes fauves. En volaille et volatile, il y a des poules et des coqs, des poules de bruy?re, des perdrix, des francolins, des gelinottes, etc.
L'Angara n'est pas fort poissonneux; mais le lac Ba?kal y suppl?e abondamment. A l'?gard des marchandises ?trang?res, celles de la Chine n'y sont pas beaucoup plus ch?res qu'? Kiachta, et toutes en g?n?ral y sont parfois ? presque aussi bon compte qu'? Moscou et ? Saint-P?tersbourg. Le commerce de la Chine attire ici des marchands de toutes les villes de Russie; ils y viennent du commencement au milieu de l'hiver, et commercent pendant toute cette saison avec les Chinois. Si, dans cet espace de temps, ils n'ont pu tout vendre, comme ils sont oblig?s de s'en retourner aussit?t que les rivi?res sont navigables, ils se d?font promptement de leurs marchandises, et les donnent quelquefois ? meilleur compte qu'on ne les trouve ? Moscou et ? Saint-P?tersbourg. Ce qui les presse encore de vendre, c'est qu'? leur retour en Russie ils ont besoin d'argent pour payer les p?ages et les mariniers qui conduisent leurs bateaux. Ainsi, dans la n?cessit? de faire de l'argent ? quelque prix que ce soit, les marchandises qu'ils n'ont pas vendues aux Chinois, ils les laissent ordinairement ? des commissionnaires de cette ville, qui les d?bitent comme ils peuvent en boutique. Quelques-uns d'entre eux cependant vont jusqu'? Yakoutsk avec les marchandises qu'ils ont prises en ?change des Chinois, et cherchent ? les y placer. De cette fa?on, un marchand russe fait quelquefois un tr?s-long voyage avant de retourner chez lui; il part au printemps de Moscou, arrive dans l'?t? ? la foire de Makari, et au commencement de l'ann?e suivante ? celle d'Yrbit. Dans la premi?re, il cherche ? troquer quelques-unes de ses marchandises contre d'autres dont il puisse tirer un meilleur parti ? Yrbit. L?, au contraire, il porte ses vues sur le commerce de la Chine. Quand il lui reste une esp?ce de marchandise qu'il ne peut pas d?biter avantageusement ? Yrbit, il cherche ? s'en d?barrasser pendant l'hiver ? Tobolsk. Il part de cette ville dans le printemps, parcourt toute la Sib?rie, et arrive en automne ? Irkoutsk; ou, si les glaces ne lui permettent pas d'aller si loin, il ne manque pas de s'y rendre au commencement de l'hiver. Il va alors ? Kiachta, et au printemps ? Yakoutsk; de l? il t?che, en s'en retournant, de s'avancer de six ? sept cents werstes pendant que les eaux sont encore ouvertes, et il pousse un tra?neau droit ? Kiachta, o? il travaille ? se d?faire de ses marchandises de Yakoutsk; il revient au printemps ? Irkoutsk, et arrive en automne ? Tobolsk. L'hiver et l'?t? suivants, il visite les foires d'Yrbit et de Makari. Enfin, apr?s quatre ans et demi de courses, il reprend la route de Moscou: or, pour peu qu'il entende le commerce, ou qu'il ait la chance favorable, il doit dans cet espace de temps gagner pour le moins trois cents pour cent.
La ville d'Ilimsk est situ?e sur le rivage septentrional de l'Ilim, large en cet endroit de quarante ? cinquante brasses, dans une vall?e form?e par de hautes montagnes qui s'?tendent de l'orient ? l'occident, et si ?troite, qu'en y comprenant la rivi?re, elle n'a pas cent brasses de largeur: sa longueur est ? peu pr?s d'un werste.
Toutes les maisons des habitants sont tr?s-mis?rables; il ne faut pas s'en ?tonner, c'est le pays de la paresse: on n'y fait presque autre chose que boire et dormir. Toute l'occupation des habitants se borne ? tendre des pi?ges aux petits animaux, ? creuser des fosses pour attraper les gros, et ? jeter du sublim? aux renards; ils sont trop paresseux pour aller eux-m?mes ? la chasse. Quelques-uns vivent d'un petit troupeau que leurs p?res leur ont laiss?, et se gardent bien de cultiver eux-m?mes la terre: ils louent pour cela des Russes qui sont exil?s dans ce canton et quelquefois des Tunguses, qu'ils frustrent ordinairement de leur salaire.
Les Tunguses, pendant l'hiver, ne vivent que de leur chasse, et c'est pour cela qu'ils changent si souvent d'habitation. Les rennes leur servent alors de b?tes de charge ou d'attelage pour tirer un l?ger tra?neau. Ils leur mettent sur le dos une esp?ce de selle form?e avec deux petites planches ?troites, longues d'un pied et demi; ils y attachent leurs ustensiles, ou font monter dessus les enfants et les femmes malades. On ne peut pas beaucoup charger les rennes, mais ils vont fort vite. Leur bride consiste en une sangle qui passe sur le cou de l'animal; et quelque profonde que soit la neige, il passe par-dessus sans jamais enfoncer: ce qui provient en partie de ce que le renne en marchant ?largit consid?rablement la sole de ses pieds, en partie de ce qu'il tient cette sole ?lev?e par-devant, et ne touche point la neige ? plat. Si les rennes ne suffisent pas pour porter tous les ustensiles, le Tunguse s'attelle lui-m?me au tra?neau. D?s qu'ils sont arriv?s ? l'endroit o? ils sont r?solus de se fixer pour quelque temps, apr?s avoir dress? la jurte, ils chassent aussit?t dans les environs, en courant sur leurs larges patins. Lorsqu'ils ne trouvent plus de gibier, ils passent avec leurs familles dans un autre canton, et ils continuent cette fa?on de vivre pendant tout l'hiver. Le meilleur temps pour la chasse est depuis le commencement de l'ann?e jusque vers le mois de mars, parce qu'alors il tombe peu de neige et que les traces des animaux y restent plus longtemps. En ?t? et en automne, ils se nourrissent presque uniquement de poisson, et dressent, pour cet effet, leurs jurtes sur le bord des rivi?res.
Les Tunguses se construisent eux-m?mes des barques fort ?troites ? proportion de leur longueur, et dont les deux bouts finissent en pointe; leurs plus grosses barques ont ? peine trois brasses et demie de longueur, et un arschine dans leur plus grande largeur, qui est le milieu; les petites barques sont longues d'environ une brasse et ont six werschoks de largeur. Elles sont faites d'?corce de bouleau cousue; et pour qu'elles ne prennent point l'eau, les coutures et tous les endroits o? se trouvent des fentes et des ouvertures sont enduits d'une sorte de goudron; elles sont de plus bord?es par en haut avec le bois dont on fait des cercles de tonneaux; d'autres cercles sont encore appliqu?s dans toute la largeur de la barque, et coup?s par de semblables cercles qui la traversent en longueur, en sorte que par leur position ils renforcent la barque. Leurs plus grands b?timents tiennent quatre hommes assis, et les plus petites barques n'en tiennent qu'un. Les Tunguses remontent et descendent les rivi?res dans ces barques avec une rapidit? ?tonnante: quand une rivi?re fait un grand d?tour, ou qu'ils ont envie de passer dans une rivi?re voisine, ils mettent la barque sur leurs ?paules, et la portent par terre jusqu'? ce que la fantaisie leur prenne de se rembarquer. Autant la barque porte d'hommes, autant elle a de rames. Ces rames sont larges aux deux bouts; car on rame et on gouverne en m?me temps, et par cons?quent on est oblig? de les faire aller continuellement tant?t d'un c?t?, tant?t de l'autre.
Les Tunguses d'Ilimsk sont presque tous pauvres; le plus grand nombre n'a pas plus de six rennes, et ceux qui en ont cinquante sont regard?s comme tr?s-riches, parce que ces animaux forment toute leur richesse. Leur habillement est simple; ils portent en tout temps sur leur peau une pelisse de peau de renne, dont le poil est tourn? en dehors, et qui descend un peu plus bas que les genoux: cette pelisse se ferme par-devant avec des courroies. Les femmes en ont de semblables, mais la fourrure est tourn?e en dedans. Quand elles veulent se parer, elles portent de plus une soubreveste de peau de daim, le poil tourn? en dehors, qui ne descend que jusqu'aux hanches, et est ouverte sur la poitrine.
Leur religion permet la polygamie. Ils ont des idoles de bois, et leur adressent soir et matin des pri?res pour en obtenir une chasse ou une p?che abondante; c'est ? quoi se bornent presque tous leurs voeux. Ils sacrifient au diable le premier animal qu'ils ont tu? ? la chasse, et sur le lieu m?me; ce qu'ils font de cette mani?re: ils d?vorent la viande, gardent la peau pour leur usage, et n'exposent que les os tout secs sur un poteau, pour la part du diable: c'est du moins n'?tre pas trop dupe, et traiter le d?mon comme il le m?rite. Si la chasse est heureuse, les chasseurs, de retour ? la jurte, en font des remerciements ? l'idole, la caressent beaucoup et lui font go?ter du sang des animaux qu'ils ont tu?s. Si la chasse, au contraire, n'a pas bien r?ussi, ils s'en prennent ? l'idole et la jettent de d?pit d'un coin de la jurte ? l'autre. Quelquefois on la met en p?nitence, et l'on est un certain temps sans lui rendre aucune sorte de culte, sans lui marquer aucun respect; ou quand on est bien piqu? contre elle, on la porte ? l'eau pour la noyer.
Les Tunguses ont une fa?on de prendre les muscs et les daims. Quand les petits de ces animaux sont ?gar?s, ils ont un cri particulier pour appeler leurs m?res: cette d?couverte faite par les Tunguses leur donne la facilit? de prendre ces animaux, ce qu'ils font toujours dans l'?t?. Ils n'ont qu'? plier un morceau d'?corce de bouleau, avec lequel ils imitent le cri des jeunes muscs et des petits daims, et leurs m?res accourant ? ces cris, ils les tuent sans peine ? coups de fl?ches.
D?s qu'on a pris une zibeline, il faut la serrer sur-le-champ sans la regarder; car ils s'imaginent que de parler bien ou mal de la zibeline qu'on a prise, c'est la g?ter. Un ancien chasseur poussait si loin cette superstition, qu'il disait qu'une des principales causes qui faisaient manquer la chasse des zibelines, c'?tait d'avoir envoy? quelques-uns de ces animaux vivants ? Moscou, parce que tout le monde les avait admir?s comme des animaux rares, ce qui n'?tait point du go?t des zibelines. Une autre raison de leur disette, c'?tait, selon lui, que le monde ?tait devenu beaucoup plus mauvais, et qu'il y avait souvent dans leurs soci?t?s des chasseurs qui cachaient leurs prises, ce que les zibelines ne pouvaient encore souffrir.
Les habitants du district de Kirenga et des bords du L?na, hommes et animaux, comme les boeufs, les vaches, sont sujets aux go?tres. On croit ici commun?ment que les go?tres sont h?r?ditaires, et que les enfants naissent avec ces sortes d'excroissances, ou du moins en apportent le germe; mais ce sentiment n'est pas g?n?ral: il n'est pas adopt? surtout par ceux qui ont des go?tres et qui cherchent ? se marier.
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