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Read Ebook: Œuvres complètes de Gustave Flaubert tome 4: L'éducation sentimentale v. 2 by Flaubert Gustave

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Ebook has 2709 lines and 73895 words, and 55 pages

--Bravo! nous nous comprenons!

--Et on se comprendra encore mieux, n'est-ce pas?

--Cela se pourrait!>> fit-elle en rougissant.

Les jockeys, en casaque de soie, t?chaient d'aligner leurs chevaux et les retenaient ? deux mains. Quelqu'un abaissa un drapeau rouge. Alors, tous les cinq, se penchant sur les crini?res, partirent. Ils rest?rent d'abord serr?s en une seule masse; bient?t elle s'allongea, se coupa; celui qui portait la casaque jaune, au milieu du premier tour, faillit tomber; longtemps il y eut de l'incertitude entre Filly et Tibi; puis Tom-Pouce parut en t?te; mais Clubstick, en arri?re depuis le d?part, les rejoignit et arriva premier, battant Sir Charles de deux longueurs; ce fut une surprise, on criait; les baraques de planches vibraient sous les tr?pignements.

<>

Fr?d?ric ne douta plus de son bonheur; ce dernier mot de Rosanette le confirmait.

A cent pas de lui, dans un cabriolet milord, une dame parut. Elle se penchait en dehors de la porti?re, puis se renfon?ait vivement; cela recommen?a plusieurs fois, Fr?d?ric ne pouvait distinguer sa figure. Un soup?on le saisit, il lui sembla que c'?tait Mme Arnoux. Impossible, cependant! Pourquoi serait-elle venue?

Il descendit de voiture, sous pr?texte de fl?ner au pesage.

<> dit Rosanette.

Il n'?couta rien et s'avan?a. Le milord, tournant bride, se mit au trot.

Fr?d?ric, au m?me moment, fut happ? par Cisy.

<>

Fr?d?ric t?chait de se d?gager pour rejoindre le milord. La Mar?chale lui faisait signe de retourner pr?s d'elle. Cisy l'aper?ut et voulait obstin?ment lui dire bonjour.

La cloche ayant tint?, Cisy s'en alla, au grand plaisir de Rosanette, qu'il ennuyait beaucoup, disait-elle.

La seconde ?preuve n'eut rien de particulier, la troisi?me non plus, sauf un homme qu'on emporta sur un brancard. La quatri?me, o? huit chevaux disput?rent le prix de la ville, fut plus int?ressante.

Les spectateurs des tribunes avaient grimp? sur les bancs. Les autres, debout dans les voitures, suivaient avec des lorgnettes ? la main l'?volution des jockeys; on les voyait filer comme des taches rouges, jaunes, blanches et bleues sur toute la longueur de la foule, qui bordait le tour de l'Hippodrome. De loin, leur vitesse n'avait pas l'air excessive; ? l'autre bout du Champ de Mars, ils semblaient m?me se ralentir et ne plus avancer que par une sorte de glissement, o? les ventres des chevaux touchaient la terre sans que leurs jambes ?tendues pliassent. Mais, revenant bien vite, ils grandissaient; leur passage coupait le vent, le sol tremblait, les cailloux volaient; l'air s'engouffrant dans les casaques des jockeys les faisait palpiter comme des voiles; ? grands coups de cravache, ils fouaillaient leurs b?tes pour atteindre le poteau, c'?tait le but. On enlevait les chiffres, un autre ?tait hiss?; et, au milieu des applaudissements, le cheval victorieux se tra?nait jusqu'au pesage, tout couvert de sueur, les genoux raidis, l'encolure basse, tandis que son cavalier, comme agonisant sur sa selle, se tenait les c?tes.

Une contestation retarda le dernier d?part. La foule qui s'ennuyait se r?pandit. Des groupes d'hommes causaient au bas des tribunes. Les propos ?taient libres; des femmes du monde partirent scandalis?es par le voisinage des lorettes.

Des gentlemen la reconnurent, lui envoy?rent des saluts. Elle y r?pondait en disant leurs noms ? Fr?d?ric. C'?taient tous comtes, vicomtes, ducs et marquis, et il se rengorgeait, car tous les yeux exprimaient un certain respect pour sa bonne fortune.

Cisy n'avait pas l'air moins heureux dans le cercle d'hommes m?rs qui l'entourait. Ils souriaient du haut de leurs cravates, comme se moquant de lui; enfin il tapa dans la main du plus vieux et s'avan?a vers la Mar?chale.

Elle mangeait avec une gloutonnerie affect?e une tranche de foie gras; Fr?d?ric, par ob?issance, l'imitait, en tenant une bouteille de vin sur ses genoux.

Le milord reparut, c'?tait Mme Arnoux. Elle p?lit extraordinairement.

<> dit Rosanette.

Et levant le plus haut possible son verre rempli, elle s'?cria:

<>

Des rires ?clat?rent autour d'elle, le milord disparut. Fr?d?ric la tirait par sa robe, il allait s'emporter. Mais Cisy ?tait l? dans la m?me attitude que tout ? l'heure; et, avec un surcro?t d'aplomb, il invita Rosanette ? d?ner pour le soir m?me.

<>

Fr?d?ric, comme s'il n'e?t rien entendu, demeura muet, et Cisy quitta la Mar?chale d'un air d?sappoint?.

Tandis qu'il lui parlait, debout contre la porti?re de droite, Hussonnet ?tait survenu du c?t? gauche, et, relevant ce mot de caf? Anglais:

<

--Comme vous voudrez, dit Fr?d?ric, qui, affaiss? dans le coin de la berline, regardait ? l'horizon le milord dispara?tre, sentant qu'une chose irr?parable venait de se faire et qu'il avait perdu son grand amour. Et l'autre ?tait l?, pr?s de lui, l'amour joyeux et facile! Mais, lass?, plein de d?sirs contradictoires et ne sachant m?me plus ce qu'il voulait, il ?prouvait une tristesse d?mesur?e, une envie de mourir.

Un grand bruit de pas et de voix lui fit relever la t?te; les gamins, enjambant les cordes de la piste, venaient regarder les tribunes; on s'en allait. Quelques gouttes de pluie tomb?rent. L'embarras des voitures augmenta. Hussonnet ?tait perdu.

<

--On pr?f?re ?tre seul?>> reprit la Mar?chale, en posant la main sur la sienne.

Alors passa devant eux, avec des miroitements de cuivre et d'acier, un splendide landau attel? de quatre chevaux, conduits ? la Daumont par deux jockeys en veste de velours, ? cr?pines d'or. Mme Dambreuse ?tait pr?s de son mari, Martinon sur l'autre banquette en face; tous les trois avaient des figures ?tonn?es.

<> se dit Fr?d?ric.

Rosanette voulut qu'on arr?t?t, pour mieux voir le d?fil?. Mme Arnoux pouvait repara?tre. Il cria au postillon:

<>

Et la berline se lan?a vers les Champs-?lys?es au milieu des autres voitures, cal?ches, briskas, wurts, tandems, tilburys, dog-carts, tapissi?res ? rideaux de cuir o? chantaient des ouvriers en goguette, demi-fortune que dirigeaient avec prudence des p?res de famille eux-m?mes. Dans des victorias bourr?es de monde, quelque gar?on, assis sur les pieds des autres, laissait pendre en dehors ses deux jambes. De grands coup?s ? si?ge de drap promenaient des douairi?res qui sommeillaient; ou bien un stopper magnifique passait, emportant une chaise, simple et coquette comme l'habit noir d'un dandy. L'averse cependant redoublait. On tirait les parapluies, les parasols, les mackintosh; on se criait de loin: <> et les figures se succ?daient avec une vitesse d'ombres chinoises. Fr?d?ric et Rosanette ne se parlaient pas, ?prouvant une sorte d'h?b?tude ? voir aupr?s d'eux continuellement toutes ces roues tourner.

Par moments, les files de voitures, trop press?es, s'arr?taient toutes ? la fois sur plusieurs lignes. Alors, on restait les uns pr?s des autres, et l'on s'examinait. Du bord des panneaux armori?s, des regards indiff?rents tombaient sur la foule; des yeux pleins d'envie brillaient au fond des fiacres; des sourires de d?nigrement r?pondaient aux ports de t?te orgueilleux; des bouches grandes ouvertes exprimaient des admirations imb?ciles; et, ?? et l?, quelque fl?neur, au milieu de la voie, se rejetait en arri?re d'un bond pour ?viter un cavalier qui galopait entre les voitures et parvenait ? en sortir. Puis tout se remettait en mouvement; les cochers l?chaient les r?nes, abaissaient leurs longs fouets; les chevaux, anim?s, secouant leur gourmette, jetaient de l'?cume autour d'eux; et les croupes et les harnais humides fumaient, dans la vapeur d'eau que le soleil couchant traversait. Passant sous l'Arc de triomphe, il allongeait ? hauteur d'homme une lumi?re rouss?tre, qui faisait ?tinceler les moyeux des roues, les poign?es des porti?res, le bout des timons, les anneaux des sellettes; et sur les deux c?t?s de la grande avenue,--pareille ? un fleuve o? ondulaient des crini?res, des v?tements, des t?tes humaines,--les arbres tout reluisants de pluie se dressaient, comme deux murailles vertes. Le bleu du ciel, au-dessus, reparaissant ? de certaines places, avait des douceurs de satin.

Alors, Fr?d?ric se rappela les jours d?j? loin o? il enviait l'inexprimable bonheur de se trouver dans une de ces voitures, ? c?t? d'une de ces femmes. Il le poss?dait, ce bonheur-l?, et n'en ?tait pas plus joyeux.

La pluie avait fini de tomber. Les passants, r?fugi?s entre les colonnes du Garde-Meuble, s'en allaient. Des promeneurs, dans la rue Royale, remontaient vers le boulevard. Devant l'h?tel des Affaires ?trang?res, une file de badauds stationnait sur les marches.

A la hauteur des Bains Chinois, comme il y avait des trous dans le pav?, la berline se ralentit. Un homme en paletot noisette marchait au bord du trottoir. Une ?claboussure, jaillissant de dessous les ressorts, s'?tala dans son dos. L'homme se retourna, furieux. Fr?d?ric devint p?le; il avait reconnu Deslauriers.

A la porte du caf? Anglais, il renvoya la voiture. Rosanette ?tait mont?e devant lui, pendant qu'il payait le postillon.

Il la retrouva dans l'escalier, causant avec un monsieur. Fr?d?ric prit son bras. Mais au milieu du corridor, un deuxi?me seigneur l'arr?ta.

<>

Et il entra seul dans le cabinet. Par les deux fen?tres ouvertes on apercevait du monde aux crois?es des autres maisons vis-?-vis. De larges moires frissonnaient sur l'asphalte qui s?chait, et un magnolia pos? au bord du balcon embaumait l'appartement. Ce parfum et cette fra?cheur d?tendirent ses nerfs; il s'affaissa sur le divan rouge, au-dessous de la glace.

La Mar?chale revint, et le baisant au front:

<

--Peut-?tre! r?pliqua-t-il.

--Tu n'es pas le seul, va! ce qui voulait dire: Oublions chacun les n?tres dans une f?licit? commune!>>

Puis elle posa un p?tale de fleur entre ses l?vres et le lui tendit ? becqueter. Ce mouvement, d'une gr?ce et presque d'une mansu?tude lascive, attendrit Fr?d?ric.

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