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Read Ebook: Collection complète des oeuvres de l'Abbé de Mably Volume 1 (of 15) by Mably Gabriel Bonnot De Brizard Gabriel Contributor Arnoux Guillaume Editor

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Ebook has 509 lines and 106963 words, and 11 pages

Au lecteur.

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TOME PREMIER.

COLLECTION

DES OEUVRES

L'ABB? DE MABLY.

TOME PREMIER,

Contenant les Observations sur l'histoire de France.

A PARIS,

AVIS SUR CETTE ?DITION.

Les lumi?res r?pandues dans ces ouvrages sur les gouvernemens, sur les lois, sur la morale, en rendent la lecture n?cessaire ? tous ceux qui sont appel?s ? l'administration des affaires publiques.

Pour gouverner les hommes, et les conduire au bonheur que leur nature comporte, il faut les conno?tre, il faut avoir port? le flambeau dans les profondeurs du coeur humain; il faut des talens, des connoissances et des vertus. Mably nous pr?sente cette heureuse r?union; il a m?dit? pour nous, il a ?crit pour nous; ses ?crits sont l'h?ritage qu'il nous a l?gu?, c'est ? nous ? le faire valoir. Notre f?licit? a ?t? l'objet de ses longs travaux; il nous a trac? la marche qui y conduit, c'est ? nous ? la suivre; pour parvenir ? ce but, garantissons-nous de l'erreur et du vice qui nous en ?loigneroient. Quand les destin?es d'une nation sont entre les mains de l'ignorance et de la corruption, le peuple est en proie ? tous les maux; il n'a alors d'autre ressource que d'appeler ? son secours, la sagesse du philosophe, les lumi?res du l?gislateur, la prudence et la vertu de l'administrateur. Les maladies politiques ne sont pas l'ouvrage de la nature ni du peuple, elles sont celui des l?gislateurs et des administrateurs; leur gu?rison demande des rem?des efficaces; des palliatifs ne feroient qu'empirer le mal. Les ouvrages de Mably contiennent ces rem?des. Heureux les peuples, dont les gouverneurs auront la prudence, la sagesse et le courage de les employer!

Les peuples aiment autant la v?rit?, que les gouverneurs la craignent; la cacher, est une trahison, la crainte de la dire, une l?chet?. Les r?volutions qui entra?nent tant de maux apr?s elles, ne sont que l'effet d'une injuste et odieuse administration. Quand les peuples sont gouvern?s avec justice, ils sont tranquilles et heureux; ils aiment le gouvernement, ils aiment les lois, ils respectent les magistrats, ils leur ob?issent, et les magistrats ob?issent aux lois.

Si les magistrats flattent le peuple, c'est qu'ils veulent le corrompre et l'asservir. Un peuple tromp?, peut tout bouleverser, et du sein de la libert?, il passe aux horreurs du despotisme. Toutes ces tristes v?rit?s se trouvent consign?es, avec une effrayante ?vidence, dans les ouvrages de Mably. Que les magistrats en fassent le sujet de leurs s?rieuses m?ditations; le bonheur ou le malheur des peuples sont dans leurs mains, ils r?pondent au temps pr?sent et ? la post?rit?, de tous les maux qu'ils auroient pu ?viter.

La nature a donn? ? l'homme, des besoins, le sentiment du juste et de l'injuste, le d?sir du bonheur; ces premiers ?l?mens de la soci?t?, mis en oeuvre par les lumi?res et la sagesse, feront la gloire des magistrats et la f?licit? publique, qui est le but de toute bonne politique.

Je devois ? la m?moire de Mably, je devois ? l'amiti? qu'il avoit pour moi, et comme un de ses ex?cuteurs testamentaires, je devois ? toutes les soci?t?s politiques, la publication de tous ses ouvrages; en remplissant ce devoir, j'ai encore vers? des larmes sur la perte de ce grand homme.

?LOGE HISTORIQUE DE L'ABB? DE MABLY,

PAR L'ABB? BRIZARD.

Les anciens croyoient que la politique n'?toit que l'art de rendre les peuples heureux, et qu'un peuple ne peut ?tre heureux qu'autant qu'il a des moeurs: ils n'ont jamais s?par? la morale de la politique, et leurs l?gislateurs croyoient assez faire pour le bonheur des hommes, que de les former libres et vertueux. Voil? ce qui a rendu la Gr?ce si florissante, et Rome ma?tresse du monde. Platon, Cic?ron, tous ceux qui se sont occup?s des lois et de la f?licit? publique, ont tenu le m?me langage: cette doctrine respire dans tous leurs ?crits; la Gr?ce et Rome ne sont tomb?es que pour s'en ?tre ?cart?es: avec les moeurs a p?ri la libert?. Le d?bordement et les ravages des barbares nous avoient fait perdre jusqu'? la trace de cette grande v?rit?. Pendant quinze si?cles une ?paisse nuit ?tendit son voile sur la nature enti?re; toutes les lumi?res furent ?teintes: on corrompit les sources de la morale; on honora du nom de politique l'art d'asservir et de tromper les hommes; on r?duisit en maximes cet art funeste, et des ?crivains pervers enseign?rent aux ambitieux ? ?tre injustes par principe, et perfides avec m?thode. Si quelques hommes, par la force de leur g?nie, s'?lev?rent au-dessus de la corruption g?n?rale, ils ne purent r?former leur si?cle, et tous leurs projets p?rirent avec eux. L'ambition continua de nous ?garer. La d?couverte d'un nouveau monde, le commerce, les arts nous donn?rent, avec de nouvelles richesses, de plus grands besoins et des vices nouveaux. Les peuples, apr?s avoir plac? leur gloire dans l'ambition et dans les conqu?tes, mirent leur f?licit? dans l'avarice et dans les jouissances du luxe: on ne connut plus de frein; l'or devint le dieu de l'Europe; la vertu ne fut plus qu'un vain nom, et les moeurs, tomb?es dans l'oubli, parurent un sujet de m?pris et de ridicule. Un homme est venu, qui, nourri de la lecture des anciens, retrouva dans leurs ?crits les traces de ce type c?leste, de ce beau dont nous avions perdu tout sentiment: il en ?tudia les ?l?mens, et l'un des premiers parmi les modernes, nous d?voila l'alliance intime de la morale et de la politique, et d?montra que les moeurs sont la source et la base de la f?licit? publique: il rappela tous les hommes et toutes les soci?t?s ? cette id?e simple et sublime par sa simplicit? m?me. Toute sa vie, tous ses ?crits, publi?s dans l'espace de quarante ans, furent employ?s ? d?velopper cette utile et f?conde v?rit?. L'exemple de tous les ?ges et de tous les peuples vint sous sa plume ? l'appui de ses maximes: il y a dans tout ce qu'il a ?crit une unit?, je ne dirai pas de syst?me, mais de doctrine, dont il ne s'est jamais ?cart?. Ses principes ?toient s?rs; il s'y tint opini?tr?ment attach?: on ne le vit jamais ni varier ni flotter au gr? des opinions vulgaires. Il dit des v?rit?s s?v?res; il les dit avec force, avec ?nergie, et quelquefois avec une certaine brusquerie, qui n'est que l'indignation de la vertu qu'irrite l'aspect du vice et de l'injustice; et dans un si?cle essentiellement frivole et corrompu, il trouva pourtant des amis et des lecteurs.

Tel fut l'homme sage et vertueux que nous regrettons: son ?loge est le premier qui se fasse entendre dans ce Lyc?e, sans que l'?crivain y ait pris place pendant sa vie, et peut-?tre on devoit cet honorable exemple aux lettres, aux moeurs et ? la vertu. L'auteur de tant d'?crits profonds et lumineux appartenoit naturellement ? cette acad?mie, et ?toit digne d'y recevoir le premier, le prix public de ses travaux et l'hommage de la nation. Il s'y ?toit d?rob? pendant sa vie; il ?toit juste du moins qu'apr?s sa mort son nom retent?t dans ces murs, au milieu de ceux qui furent les ?mules de ses travaux et de sa gloire: recevoir un laurier de leurs mains, c'est ?tre couronn? par ses pairs.

Puisqu'on a choisi cette compagnie savante pour juge, on a voulu sans doute ?carter de cet ?loge l'exag?ration, les faux ornemens, et tout cet ?chafaudage d'?loquence qui a un peu d?cr?dit? ce genre d'?crire. Pour moi, interpr?te de la voix publique, mes paroles seront simples et modestes, comme celui qui en est le sujet; l'aust?re v?rit? formera toute mon ?loquence, comme elle formoit son caract?re; et dans cet examen que je vais faire de sa personne et de ses ?crits, je n'oublierai pas que c'est un sage que je loue, et que c'est devant des sages que je parle.

Dans ses principes aust?res, il ne regardoit point les lettres comme un simple amusement, mais comme un instrument donn? ? l'homme pour perfectionner sa raison et contribuer ? son bonheur. Aussi rechercha-t-il moins, dans la culture des lettres, ce qu'elles offrent d'agr?able et de s?duisant, que ce qu'elles ont de solide et d'utile. Il y cherchoit, non pas seulement des mod?les de style et de langage, mais des le?ons et des exemples de morale et de vertu. En se p?n?trant des beaut?s m?les des anciens et des grands mod?les, il passoit des mots aux choses, et, suivant l'expression de Montaigne, de l'?corce ? la moelle, et se nourrissoit de v?rit?s plus substantielles, et de ces sentimens sublimes qui ?chauffent leurs ?crits. Il ne croyoit pas que les rares talens, l'?loquence, les beaux vers fussent uniquement destin?s ? flatter l'oreille par des sons harmonieux, mais ? parler au coeur, ? ?clairer l'esprit, ? faire passer dans l'ame le sentiment du beau, l'amour du juste et du vrai, ? y graver les grandes v?rit?s de la morale et les le?ons de la vertu. Par ce noble emploi des lettres, il sembloit qu'il voul?t les venger du reproche qu'on leur a fait d'avoir acc?l?r? la d?cadence des moeurs, et certes, si tous les ?crivains en avoient fait un pareil usage, jamais le philosophe de Gen?ve n'e?t pens? ? les fl?trir de ce reproche, et jamais leur histoire ne seroit venue pr?ter des armes ? son ?loquence.

La plus noble des ?tudes, et la plus n?cessaire au bonheur, celle de l'homme, de sa nature, de sa destination, de ses droits et de ses devoirs; tous les grands objets qui int?ressent la f?licit? publique, la politique, la morale, la l?gislation, ont ?t? constamment le sujet de ses m?ditations, le but de ses veilles et de ses travaux: mais il ne se pressa point d'?crire. Peu jaloux d'une gloire facile et pr?coce, il ne fatiguoit point le public de productions ?ph?m?res; il laissa m?rir son talent. Long-temps renferm? dans le silence et la retraite, o? s'alimentent les ames fi?res et fortes, il interrogea les sages de tous les si?cles, les lois de tous les peuples, l'histoire de tous les pays; il recueillit ses propres id?es, et se repliant sur lui-m?me, il sonda les ab?mes du coeur humain, ?tudia la nature et la marche des passions dans chaque individu, et leur d?veloppement dans la soci?t?: de ces m?ditations combin?es, il a tir? un petit nombre de r?sultats, de principes ?ternels et constans, qui lui ont donn? les bases de la morale et la clef de toutes les associations politiques; et de ces principes, dont il ne s'est jamais ?cart?, d?coulent toutes ces v?rit?s lumineuses qu'il a jett?es dans ses ?crits.

Il a vu que la destination de l'homme et son premier besoin est d'?tre heureux; que l'?tablissement des soci?t?s n'a d'autre but que de remplir ce voeu de la nature; mais il crut que l'homme ne pouvoit ?tre heureux sans moeurs, qu'il ne pouvoit avoir de moeurs sans un bon gouvernement, ni un bon gouvernement sans lois justes et impartiales: il puisa ces principes dans la nature m?me des choses; mais il en chercha la preuve et l'application dans l'histoire, et sur-tout dans celle des anciens, dont il fit sa principale ?tude.

C'est la cons?quence et la morale qui r?sultent du droit public de l'Europe. L'auteur y d?montre la n?cessit? de garder la foi des trait?s, les dangers qu'il y a toujours ? les enfreindre; il y prouve que, pour leur propre s?ret?, les princes devroient ?tre justes et religieux observateurs de leurs sermens. Il montre, par l'exemple de tous les si?cles et de tous les peuples, qu'au bout des conqu?tes il se trouve un ab?me; que le v?ritable int?r?t des ?tats est de se conserver, et jamais de s'agrandir. C'est ? inspirer cet esprit de mod?ration et de concorde, qu'il borne tous les secrets de la politique; et ses principes des n?gociations ne sont que la d?monstration de cette v?rit?, et pour ainsi dire, l'art d'entretenir la paix et l'union parmi les hommes.

La politique, il faut l'avouer, n'a que trop souvent d?g?n?r? de cette noble et sainte origine; trop souvent elle n'a ?t? que la science de tromper les mortels, le secret d'envelopper dans ses pi?ges la bonne foi, la candeur et la vertu, l'art odieux de mettre le crime en pratique lorsqu'il est utile: telle ?toit la politique des Borgia, des Ferdinand, dont Machiavel avoit trac? les funestes le?ons, et dont Philippe II, M?dicis et les Ultramontains avoient si long-temps effray? l'Europe.

L'auteur ne se contente pas de d?conseiller les haines, la vengeance, l'ambition, les conqu?tes; il prouve combien elles sont funestes aux ?tats, et qu'il n'est pour eux de solide bonheur que dans la mod?ration; que chercher ? s'agrandir, c'est h?ter sa ruine; que le v?ritable moyen de se faire respecter de ses voisins, est de se rendre invuln?rable chez soi, d'augmenter sa force int?rieure, de travailler ? se donner un bon gouvernement, ? perfectionner ses lois; d'?tablir par-tout l'ordre et l'?conomie, de n'?tre point ?cras? de dettes et d'imp?ts, de se m?nager des ressources dans la confiance et dans l'amour des peuples, de se faire un rempart du patriotisme, et d'?tre plus jaloux d'avoir des citoyens que de commander ? des esclaves. Pl?t ? Dieu que toutes les puissances fussent convaincues de ces v?rit?s, et que, lass?es de leurs brillantes chim?res, elles connussent enfin le secret de leurs forces et leurs vrais int?r?ts!

Il avoit ouvert les portes du temple, il voulut p?n?trer jusques dans le sanctuaire. Pour mieux appr?cier les gouvernemens d'Europe, il se transporte chez les anciens; c'est l? qu'il va chercher ses objets de comparaison, et c'est ? l'?cole d'Ath?nes, de Sparte et de Rome qu'il ?tudie les causes auxquelles les ?tats doivent leur grandeur et leur d?cadence.

Dans ses observations sur les Grecs, il examine quels ont ?t? le gouvernement, les moeurs et la politique de cette patrie des h?ros et des sages; comme se sont form?es ces r?publiques; ? quelles causes elles d?rent leur gloire, leur prosp?rit?, leurs grands hommes, leurs vertus, et quelles furent les lois qui firent fleurir dans ces climats les moeurs et la libert?.

Tant que la Gr?ce fut libre, qu'elle fut enflamm?e de l'amour de la patrie et de l'enthousiasme de la vertu, tant qu'elle pr?f?ra la pauvret? au luxe, et l'?galit? aux richesses, il nous la montre heureuse, florissante, respect?e; tous ses citoyens sont des h?ros, et tout le peuple est citoyen. Mais lorsque les richesses de l'Orient, rompant les digues que lui avoient oppos?es de sages l?gislateurs, se furent d?bord?es dans la Gr?ce ? la suite des arm?es de Perses, et que le luxe asiatique eut germ? dans ces m?mes plaines de Marathon et de Plat?e qui avoient vu triompher Miltiade et la libert?; qu'avec l'avarice entr?rent l'ambition, l'orgueil, le m?pris des moeurs antiques et l'amour des volupt?s; aussi t?t qu'Ath?nes, corrompue par P?ricl?s et les arts, cessa d'estimer la pauvret? vertueuse, quitta la place publique pour des histrions, et convertit ? l'usage des f?tes, et des spectacles le tr?sor destin? ? l'entretien de la flotte et des arm?es; que Corinthe rendit plus d'honneurs ? ses bouffons et ? ses courtisanes, qu'? ses g?n?raux; que Sparte, ?blouie par l'or et le faste du grand roi, commen?a ? les priser plus que les sages institutions de Lycurgue; alors tout fut perdu. Les Grecs, irrit?s par la soif de l'or, le d?lire de l'ambition et des besoins renaissans du luxe, oublient les lois et la patrie. Leurs passions exalt?es prennent un autre cours; au lieu de l'?galit?, r?gne l'esprit d'oppression et de tyrannie: tous veulent commander, quand personne ne veut plus ob?ir; ils tournent leurs armes les uns contre les autres. Corinthe, fatigu?e de la libert?, appelle la tyrannie; la gloire de Th?bes na?t et meurt avec Epaminondas; Ath?nes brave Sparte, Sparte d?truit Ath?nes; vingt tyrans se disputent la patrie de Lycurgue et celle d'Aristide: Philippe verse de l'or et la corruption pour gagner les orateurs et les sophistes. Les Grecs avoient triomph? des armes des Perses, mais ils ne peuvent supporter leurs richesses; ils avoient brav? les dangers et la mort, ils sont vaincus par le luxe, les plaisirs et la volupt?: les ames d?grad?es s'ouvrent ? toutes les passions, et les coeurs ? tous les crimes. La libert? expirante n'a plus d'asyle: envain les derniers des Grecs tentent de la ranimer; envain la ligue Ach?enne lui rend un moment de vie: fatigu?e de ce dernier effort, la Gr?ce retombe et attend dans la mollesse, la langueur, les jouissances des arts et de la volupt?, le joug que daignent enfin lui imposer les Romains.

Ce plan ?toit beau, magnifique et neuf encore. Nous avions sur l'histoire nationale trente mille volumes, et pas une histoire. On avoit ramass? d'immenses mat?riaux, entass? des faits et des dates, racont? des si?ges et des batailles, laborieusement compil? les faits et gestes des rois, les chartes des ?glises, leurs l?gendes et leurs miracles: des chroniques de moines avoient tout appris, hors ce qu'il est essentiel de savoir; et de graves historiens, moins excusables d'ignorer les vrais principes de la soci?t? et des gouvernemens, n'avoient fait que reproduire et propager ces erreurs. Mais remonter aux causes des ?v?nemens, approfondir les principes constitutifs de la monarchie, examiner la nature du gouvernement et le caract?re de sa l?gislation, fixer l'id?e qu'on doit avoir des lois fondamentales, d?brouiller les int?r?ts de tous les ordres de l'?tat, poser les limites des pr?tentions des corps, tirer de dessous les d?bris du colosse f?odal, les chartes de la libert? et des droits des citoyens, marquer la naissance et les progr?s du pouvoir, et ? chaque p?riode, d?terminer quelle fut l'influence des lois sur les moeurs, et des moeurs sur les lois; c'est ce qu'on avoit presque totalement n?glig?, et cette partie de l'histoire de la nation restoit encore ? faire.

Il nous est impossible, dans le court espace qui nous est prescrit, de suivre le d?veloppement de ses id?es et l'encha?nement de ses preuves; mais dans cette longue succession d'hommes, de si?cles et d'?v?nemens, deux id?es neuves et brillantes ont frapp? tous les esprits.

Mais il est, en effet, des v?rit?s que la prudence force quelquefois, non point ? dissimuler, mais ? renvoyer ? d'autres temps. Nous ressemblons plus ou moins ? ces despotes d'Asie, auxquels on ne peut faire parvenir la v?rit? qu'en l'enveloppant sous l'embl?me des fables ou de l'all?gorie.

Phocion s'entretient avec ses amis des maux qui affligent la patrie; il remonte ? la cause de ces maux; il ose en chercher les rem?des, et cet excellent citoyen n'a point encore tout-?-fait d?sesp?r? de la r?publique.

Il a vu que la Perse, l'?gypte et la Gr?ce m?me n'ont ?t? libres, heureuses et florissantes, que par la sagesse de leurs lois; mais que bient?t les meilleures lois p?rissent, si elles ne sont mises sous la sauve-garde des moeurs. Dans tout pays les moeurs sont le rempart des lois; il faut donc, tandis que la politique r?gle la forme et la constitution des ?tats, que la morale r?gle la conduite et les actions des particuliers: ce sont les vertus domestiques qui pr?parent les vertus publiques. Le l?gislateur le plus habile est donc celui qui sait faire germer ces vertueux penchans inn?s au coeur de l'homme; qui, connoissant tout le pouvoir des bonnes institutions sur l'esprit et les habitudes des citoyens, a l'art d'imprimer en leurs ames les sentimens dont il a besoin pour les rendre plus heureux, en les rendant meilleurs; enfin, qui sait le mieux saisir les rapports secrets et l'alliance intime de la morale priv?e avec la politique, qui est la morale des ?tats; cette alliance est telle, que si l'un de ces liens vient ? se rel?cher, elles perdent en m?me-temps leur force et leur empire. L'oubli des moeurs entra?ne l'oubli des lois; le m?pris des lois ach?ve la perte des moeurs: il n'est plus de frein, et la porte est ouverte au luxe, ? l'in?galit?, ? la discorde, ? l'avarice, ? l'ambition, ? tous les vices qui pr?cipitent la ruine de la r?publique.

S'il est prouv? qu'un peuple ne peut ?tre heureux sans moeurs, c'est-?-dire, s'il ne fait r?gner au-dedans l'ordre et la justice entre tous les concitoyens; si la prudence ne dirige ses d?marches au-dehors; s'il ne joint au courage la mod?ration et l'amour du travail; si l'?galit? ne lui est ch?re; si l'amour de la patrie n'est l'ame de toutes les actions des citoyens, et s'il ne se fortifie chaque jour dans l'exercice de ces vertus par la surveillance d'un magistrat supr?me, je veux dire l'amour et le respect pour les Dieux; puis-je douter que toute la politique ne soit fond?e sur la morale, et que la vertu ne soit la base certaine et constante de la prosp?rit? des ?tats? Que doit donc faire un l?gislateur habile? Pourquoi n'iroit-il pas r?veiller dans le coeur de l'homme, ces affections sociales qui y sont empreintes de la main m?me de l'Auteur de toutes choses? pourquoi n'en feroit-il pas la base de ses institutions? pourquoi n'enteroit-il pas ses lois sur les lois ?ternelles de la nature? Elles seroient indestructibles comme elle. Tous les vrais plaisirs, les plaisirs purs de l'homme ne sont-ils pas dans le d?veloppement de ces qualit?s natives, dans l'exercice des vertus sociales, dans ce penchant irr?sistible qui nous porte ? ch?rir, ? soulager, ? secourir nos semblables? L'?ternelle bienfaisance nous a fait une loi des premi?res et des plus saintes affections de la nature. Elle a plac? nos plus douces jouissances dans l'accomplissement des devoirs sacr?s de p?re, de fils, d'?poux, d'ami, de citoyen: c'est ? ce prix que cette tendre m?re a mis notre bonheur; et c'est ? d?velopper ces germes heureux, ? diriger nos plus doux penchans, que doivent tendre les lois de toute soci?t? bien ordonn?e. Les principes de cette politique sont s?rs et invariables: il est vrai que cette science est trop simple pour vos sophistes, car, elle se r?duit ? rendre facile la pratique des vertus.

Mais, s'?crie Phocion, si tous les sentimens g?n?reux sont pr?ts ? s'?teindre, si la corruption a gagn? jusqu'au coeur de l'?tat, cherchez-y la derni?re ?tincelle de la vertu; pour l'exciter, servez-vous de cet amour inn? de la gloire, de toutes les passions nobles, celle qui meurt la derni?re chez un peuple corrompu. Commencez par ranimer celle-l?, pour donner de nouveaux ressorts et cr?er de nouveaux organes ? la machine enti?re, et t?chez, de vertus en vertus, de remonter jusqu'aux bonnes moeurs. Mais, Ath?niens, poursuit Phocion, est-ce l? ce que vous faites? Soyez vous-m?mes vos propres juges. Vous avez oubli? les sages institutions de vos anc?tres; les go?ts simples de la nature n'ont plus pour vous de charmes: vous vous ?tes abandonn?s ? tous les d?lires du luxe; vous avez bris? tous les liens qui unissent les citoyens; la vertu vous importune; vous avez fait mourir Socrate, et forc? Aristide ? languir dans l'exil: vous souriez avec d?dain ? ceux qui osent encore prononcer le vieux mot de patrie: la gloire ne vous enflamme plus; elle n'est plus qu'un vain nom: vos rh?teurs et vos sophistes vous ont affranchi de tout devoir; vos la?s et vos histrions ont fait le reste. L'amour des plaisirs, la mollesse et le luxe ont fondu vos ames; le m?pris des lois a suivi le m?pris des Dieux: l'argent est le seul Dieu de la Gr?ce. Qu'est-il devenu ce temps o? une branche de laurier suffisoit ? l'ambition d'un grand homme? Nos p?res ont fait de grandes choses avec de petits moyens; et nous, qu'avons-nous fait avec tous les tr?sors de la Perse? <>

O Minerve? souffriras-tu qu'Ath?nes soit livr?e aux barbares? Quel est le g?nie puissant qui pourra nous r?g?n?rer? O ma ch?re patrie! <>

Ainsi parloit Phocion; ainsi, dans ses entretiens, il d?veloppoit ? ses disciples et ? ses concitoyens les le?ons de la sagesse, les principes de la morale, et ses rapports secrets avec la politique. Son style s'animoit, quand il parloit de la patrie et de la vertu; il s'enflammoit d'une sainte indignation quand il gourmandoit les vices. On sait comment les Ath?niens reconnurent son z?le. Ils trait?rent Phocion comme ils avoient trait? Socrate; tant il ?toit dangereux de dire la v?rit? ? ce peuple aimable et l?ger! Ils s'en repentirent, mais trop tard. D?j? tout ?toit perdu: Ath?nes devint successivement l'esclave de Lac?d?mone, des trente tyrans et de Rome.

Phocion avoit fait notre histoire; le voile ?toit l?ger; on devina Nicocl?s. Personne ne crut l'ouvrage antique; mais, ? la morale qui y respire, ? l'amour du beau, du juste et de l'honn?te, ? ce go?t s?v?re qui y r?gne, on le jugea digne des anciens. Il a toute la puret? du trait et la simplicit? des formes antiques. La raison m?me y parloit par la bouche de Phocion, et l'on croyoit encore entendre le disciple de Platon, qui avoit recueilli les le?ons de la sagesse, de la bouche m?me de Socrate.

La Pologne, pr?te ? p?rir, avoit encore dans son sein des ames ?lev?es et patriotiques, de grands citoyens qui d?siroient ardemment de rem?dier aux maux de l'?tat. Ils s'?toient fortifi?s par les liens d'une conf?d?ration, unique et dernier rempart contre la servitude. Ils avoient jur? de soutenir la r?publique sur le bord de sa ruine, et l'exc?s du malheur leur avoit rendu toute leur ?nergie. Tandis que d'un c?t? ces braves Polonois, le sabre ? la main, d?fendoient les restes de leur libert?, de l'autre ils sollicitoient les lumi?res des sages et des politiques, pour chercher le rem?de ? tant de maux, et donner une nouvelle constitution ? la r?publique. Ils jet?rent en m?me temps les yeux sur deux hommes c?l?bres, avec des talens bien diff?rens, mais qui, sous un point de vue cependant, avoient un m?rite commun, celui d'avoir le mieux connu et le mieux d?velopp? les vrais principes de tout gouvernement; l'auteur du contrat social, et celui des entretiens de Phocion. Cette d?f?rence d'un peuple libre ? l'?gard de deux hommes qui n'avoient que du g?nie et de la vertu, nous transporte dans ces temps o? les sages et les philosophes ?toient choisis pour ?tre les l?gislateurs des nations; et si une pareille confiance est le plus bel hommage qu'on puisse rendre aux talens unis ? la vertu, peut-?tre la concurrence avec le citoyen de Gen?ve d?t-elle secr?tement flatter l'auteur de Phocion, autant que le suffrage de la r?publique.

En effet, si l'histoire, dont le but constant est de nous rendre meilleurs, est un cours de morale en action pour tous les hommes, elle est encore une ?cole de politique pour tous les princes destin?s ? r?gner. Quand la voix des flatteurs les adule et les trompe, la voix de l'histoire leur dit sans l?ches m?nagemens, que leur m?moire sera fl?trie s'ils vivent dans la mollesse et l'oisivet?, et qu'ils seront l'ex?cration de la post?rit?, s'ils sont les fl?aux et les tyrans de leurs peuples. Elle les avertit que rien n'?chappe ? son oeil vigilant; qu'elle immortalise leurs crimes ainsi que leurs vertus, et que chaque vice du prince est une calamit? publique. Elle leur r?p?te ? chaque page qu'ils sont institu?s pour faire le bonheur des hommes; que c'est leur devoir, qu'ils ne sont que les agens de la soci?t?, et que les rois sont faits pour les peuples, et non les peuples pour les rois.

Apr?s avoir soumis ? cet examen s?v?re, et pour ainsi dire, ? cette pierre de touche, les gouvernemens actuels de l'Europe; marqu? la p?riode o? ils se trouvent de leur splendeur ou de leur d?cadence, et assign? le rang qu'ils occupent dans l'?chelle des constitutions politiques, il ram?ne l'attention de son jeune ?l?ve sur ses propres ?tats, et l'invite ? entreprendre une r?forme n?cessaire. Il lui trace les premiers pas dans la carri?re; il le presse par toutes les consid?rations qui peuvent toucher une ame bien n?e et un souverain sensible; il pique d'?mulation un jeune coeur qui n'est point encore corrompu par la voix de la flatterie; il l'excite par l'exemple des grands hommes, et lui montre la gloire immortelle qui attend un l?gislateur, les hommages et les respects de l'univers, qui volent au-devant de lui, et la post?rit? occup?e ? b?nir sa m?moire.

Un tel livre devroit ?tre le manuel des souverains. Je ne crois pas que la v?rit? ait jamais pris un plus fier langage, un ton plus ferme et plus ?nergique, sans s'?carter de la d?cence et des ?gards qu'on doit au rang et ? la naissance. S'il a fait retentir les droits de l'homme ? l'oreille superbe des rois, ce n'est point l'auteur, ce sont les ?v?nemens qui viennent instruire et parler. Cet ouvrage est peut-?tre le premier qu'on devroit mettre entre les mains d'un jeune prince; c'est dans de tels livres que les h?ritiers du tr?ne devroient apprendre ? lire. Sans doute il ne sera point oubli? dans l'?ducation de l'auguste enfant sur qui repose l'espoir d'un grand empire. Faisons des voeux pour qu'il laisse dans cette ame neuve et tendre de longs et profonds souvenirs; ce sera le gage du bonheur des g?n?rations futures.

Ce livre n'est pas assez connu. Nous osons r?clamer contre l'indiff?rence et la frivolit? de la plupart des lecteurs; tandis qu'ils s'?garent dans cette foule de productions sans caract?re, nous osons les rappeller ? une lecture facile, propre ? les instruire des droits et de la dignit? de l'homme, ? ?lever leur ame, ? nourrir leur esprit de v?rit?s substantielles, digne enfin d'?tre m?dit?e par toutes les classes de citoyens d'une nation ?clair?e et sensible, qui cherche ? sortir de sa trop longue l?thargie.

Si, comme on n'en peut douter, le bonheur ou le malheur des hommes tient ? une bonne ou ? une mauvaise l?gislation, il n'est rien de plus important ? ?tudier que les principes qui doivent servir de bases ? un l?gislateur; c'est, en d'autres termes, examiner quels moyens sont donn?s ? l'homme pour rendre la soci?t? heureuse et florissante; c'est la premi?re des ?tudes; c'est la plus n?cessaire des connoissances.

Mais quel spectacle frappe d'abord un observateur qui s'?l?ve au-dessus des id?es vulgaires, quand il consid?re quelle est la condition de l'homme, et ? quels caprices sont livr?es les lois qui encha?nent les soci?t?s? Quel contraste entre les vues de la nature et l'ouvrage de l'homme! <> La nature nous avoit fait ?gaux, et le genre humain rampe sous les pieds de quelques individus; elle nous avoit donn? ? tous les m?mes droits au bonheur, et le malheur couvre la surface de la terre; l'homme est n? bon, et les hommes sont m?chans: d'o? vient ce renversement des choses? C'est que toutes les soci?t?s se sont plus ou moins ?loign?es des vues de la nature.

En effet, tous les maux de l'homme ne viennent que de sa n?gligence ? se conformer ? ces vues ?ternelles: l'?galit? dans la fortune, et celle des conditions, ?toit la premi?re loi peut-?tre, ? laquelle cette m?re commune avoit attach? le bonheur des individus et la prosp?rit? des ?tats, et nous avons tout fait pour d?truire cette pr?cieuse ?galit?. Les m?mes organes, la m?me intelligence, les m?mes penchans, les m?mes besoins d?celoient la m?me origine, et il nous a plu d'?lever entre les enfans de la m?re commune un mur de s?paration, qui nous rend ?trangers les uns aux autres, et qui, d'un peuple de fr?res, fait un peuple d'ennemis. Nous avions tous, aux fruits et aux productions spontan?es de la terre, le m?me droit qu'? l'air que nous respirons, qu'? la lumi?re qui nous ?claire; et voil? que nous avons partag? la terre; nous en avons donn? la propri?t? ? quelques familles privil?gi?es, et nous avons d?sh?rit? le reste du genre humain du patrimoine commun de la nature. Nous avons tout donn? aux uns et tout ?t? aux autres; puis nous avons livr? ceux-ci sans d?fense, leurs bras, leur sang, leurs vies, leur existence enti?re ? la merci des premiers; et parce que de quelques-uns il nous a plu de faire des Dieux, les autres ne sont pas m?me des hommes. Apr?s avoir ainsi perverti les intentions de la nature, avons-nous droit de nous en plaindre, et n'est-ce pas la calomnier que de lui reprocher les maux dont nous sommes seuls les auteurs?

Tous ces maux sont donc notre ouvrage. D?s qu'un homme, se jugeant d'une nature sup?rieure, s'est cru en droit d'assujettir la volont? d'un autre ? la sienne; d?s qu'il s'est arrog? une portion exclusive dans les biens communs, et que la propri?t? a ?t? ?tablie, les passions, irrit?es par la jouissance, n'ont plus connu ni frein ni bornes; toutes les id?es d'?galit? ont ?t? d?truites. L'ambition et l'avarice ont partag? le monde. Il y a eu des puissans et des foibles, des riches et des pauvres, des grands et des petits; et les lois, qui devoient garantir ? l'homme son ?galit? primitive et son ind?pendance, ont appesanti le joug, consacr? l'injustice et l?gitim? les usurpations. On en est venu au point d'imaginer, ou plut?t on a feint de croire qu'il y avoit des races privil?gi?es destin?es ? commander, et d'autres d?sh?rit?es par la nature, qui ?toient n?es pour ob?ir. Nous avons suppos? ? cette m?re commune les caprices et les pr?f?rences d'une mar?tre: de l?, nous avons accumul? sur la t?te des uns les faveurs, les dignit?s, les distinctions, le pouvoir, les richesses, comme leur apanage h?r?ditaire; et, par une cons?quence tout aussi juste, nous avons jug? que la mis?re, le d?nuement, le travail, l'opprobre et le m?pris ?toient le partage n?cessaire des autres. D'un c?t?, le temps, la force et la ruse; de l'autre, l'ignorance, l'habitude et les pr?jug?s ont tellement obscurci la raison primitive et les lumi?res naturelles, que les uns se sont crus de bonne foi n?s avec les cha?nes de la servitude, et les autres avec un sceptre ou une verge de fer; et ces id?es ?ternelles d'?galit? et de libert? se sont tellement ?teintes dans ces races d?grad?es, qu'elles ont perdu jusqu'? la trace de leur noble et c?leste origine. L'?galit? a ?t? trait?e de chim?re et de paradoxe, et a fini par devenir un probl?me qu'on donnoit ? r?soudre aux savans et aux acad?mies.

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