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Read Ebook: Collection complète des oeuvres de l'Abbé de Mably Volume 2 (of 15) by Mably Gabriel Bonnot De Arnoux Guillaume Editor

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Ebook has 589 lines and 115194 words, and 12 pages

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Cependant la ponctuation, les erreurs u/n et les erreurs ae/oe en latin ont ?t? tacitement corrig?es ? certains endroits.

TOME SECOND.

COLLECTION

DES OEUVRES

L'ABB? DE MABLY.

TOME SECOND,

Contenant les Observations sur l'histoire de France.

A PARIS,

OBSERVATIONS SUR L'HISTOIRE DE FRANCE.

A la mani?re dont les suzerains ?toient parvenus ? faire reconno?tre leurs droits, il ne devoit y avoir aucune uniformit? dans les devoirs auxquels les vassaux se soumirent. Les uns ne faisoient point difficult? de servir ? la guerre pendant 60 jours, et les autres vouloient que leur service fut born? ? 40, tandis que d'autres les restreignoient ? 24 jours et m?me ? 15. Ceux-ci exigeoient une esp?ce de solde, et ceux-l? pr?tendoient qu'il leur ?toit permis de se racheter de leur service, en payant quelque l?g?re subvention. Tant?t on ne vouloit marcher que jusqu'? une certaine distance, ou quand le suzerain commandoit en personne ses forces. Plusieurs vassaux ne devoient que le service de leur personne, d'autres ?toient oblig?s de se faire suivre de quelques cavaliers, mais on ne convenoit presque jamais de leur nombre, et en g?n?ral les vassaux les plus puissans devoient proportionnellement leur contingent le moins consid?rable.

Les moeurs dans ces temps barbares ?toient respect?es. Ce que nous ne nommons aujourd'hui que galanterie, fut regard? alors comme une f?lonie. Un commerce avec la femme ou la fille de son seigneur, et m?me avec une autre personne qu'il auroit confi?e ? la garde de son vassal, entra?noit la perte de son fief. Sans doute que si l'on n'?toit pas alors discret par honneur, on le devenoit par int?r?t; aussi fut-il toujours envelopp? de myst?re, et la discr?tion pouss?e au-del? des bornes que prescrit la raison. De-l? cette galanterie raffin?e et romanesque de nos anciens chevaliers, qui ?toit sans doute bizarre, et qui nous paro?troit cependant moins ridicule, si des hommes agr?ables, mais sans moeurs, ne nous avoient presque persuad? qu'il y a quelque gloire ? d?shonorer des femmes.

Le suzerain, de son c?t?, pour conserver sa suzerainet?, ?toit ?galement oblig? ? respecter la vertu de la femme et des filles de son vassal. Il perdoit encore tous ses droits sur lui, si, au lieu de le prot?ger contre ses ennemis, il lui faisoit quelque injure grave, le vexoit dans ses possessions, ou lui refusoit le jugement de sa cour. Le vassal cessoit alors de relever de son seigneur direct, et portoit imm?diatement son hommage au suzerain, dont il n'avoit ?t? jusques-l? que l'arri?re-vassal ou le vavasseur.

Comme il arrivoit tous les jours qu'on poss?d?t deux fiefs, en vertu desquels on devoit l'hommage-lige ? deux seigneurs diff?rens qui pouvoient se faire la guerre, et requ?rir ? la fois du m?me vassal le service militaire, il s'?tablit ? cet ?gard diff?rentes maximes dans le royaume. Tant?t le vassal n'?toit tenu qu'? servir le seigneur auquel il avoit pr?t? le premier son hommage, et tant?t il n'?toit oblig? ? aucun service, et restoit neutre. Par certaines coutumes, car elles varioient presque dans chaque province, on n'avoit aucun ?gard ? l'anciennet? de l'hommage; et le vassal fournissoit son contingent au seigneur qui ?toit attaqu?, contre celui qui avoit commenc? les hostilit?s. Quelquefois aussi le vassal donnoit des secours aux deux parties bellig?rantes.

C'?toit l'usage, quand on d?claroit la guerre ? un seigneur, qu'elle f?t en m?me-temps cens?e d?clar?e ? ses parens et ? ses alli?s; et cette coutume ?toit aussi ancienne que la monarchie; les Fran?ois l'avoient apport?e de Germanie; mais on distingua utilement pour les vassaux, les guerres que les suzerains soutenoient en leur nom et pour l'int?r?t de leur seigneurie, de celles o?, n'?tant pas parties principales, ils ne se trouvoient engag?s que sous le titre d'alli?s ou d'auxiliaires. Dans les premi?res, un seigneur fut en droit d'exiger de ses vassaux, non-seulement qu'ils le d?fendissent dans sa terre, mais qu'ils le suivissent encore sur les domaines de son ennemi, s'il jugeoit ? propos d'y entrer pour le punir et se venger. Dans les secondes, il ne pouvoit demander autre chose ? ses vassaux, que de d?fendre ses possessions, et d'en fermer l'entr?e ? ses ennemis.

Un seigneur, dit Beaumanoir, n'est pas le ma?tre de conduire ses vassaux hors de sa seigneurie pour attaquer ses voisins; parce que des vassaux, ajoute-t-il, sont simplement oblig?s ? servir leur suzerain quand il est attaqu?, et non pas ? l'aider de leurs forces, lorsqu'il entreprend une guerre ?trang?re et offensive. Mais ce que dit Beaumanoir n'est applicable qu'? la seconde esp?ce de guerre dont je viens de parler; ou si cette coutume ?toit g?n?rale de son temps, c'?toit sans doute une nouveaut?, et le fruit des soins que S. Louis avoit pris de mettre des entraves au droit de guerre, et de le restreindre dans des bornes plus ?troites. Henri I, roi d'Angleterre, convenoit lui-m?me en 1101, que le comte de Flandre ?toit tenu, sous peine de perdre son fief, de suivre le roi de France en Angleterre, s'il y faisoit une descente.

Un seigneur n'avoit d'autorit? que sur ses vassaux imm?diats. Ses arri?re-vassaux ne lui pr?tant ni la foi ni l'hommage, ne lui devoient rien, et ne reconnoissoient en aucune mani?re sa sup?riorit?, parce que la foi donn?e et re?ue ?toit le seul lien de la subordination, et l'hommage, le seul principe du droit politique. Lorsqu'on poss?doit plusieurs seigneuries, on ne pouvoit exiger le service que des vassaux qui relevoient de la terre m?me pour laquelle on faisoit la guerre. Si les Cap?tiens, par exemple, avoient eu le droit, en qualit? de rois, de convoquer et d'armer les vassaux de la couronne pour les querelles particuli?res qu'ils avoient, comme ducs de France, comtes de Paris et d'Orl?ans, ou seigneurs de quelque autre fief moins consid?rable, ils n'auroient jamais eu de guerre qu'ils n'eussent conduit contre leurs ennemis les plus foibles, les seigneurs les plus puissans du royaume. Les fiefs d'un ordre inf?rieur auroient ?t? bient?t d?truits, l'?conomie du gouvernement f?odal auroit ?t? renvers?e; et toutes les forces du royaume se trouvant entre les mains des possesseurs des plus grands fiefs, il se seroit ?lev? une ou plusieurs monarchies ind?pendantes.

Ce ne fut pas vraisemblablement cette consid?ration qui d?cida le droit des Fran?ais dans cette conjoncture. Ils connoissoient peu l'art de pr?voir les dangers et de lire dans l'avenir. Il est plus naturel de penser que les seigneurs suivirent, ? l'?gard du service militaire, la m?me r?gle qu'ils s'?toient faite par rapport ? l'administration de la justice. Comme les vassaux n'?toient convoqu?s ? la cour du suzerain que pour juger leurs pairs, ils imagin?rent qu'il y avoit de la dignit? ? ne remplir le service militaire des fiefs que contre eux. Tout ?toit bon pour s'exempter d'un devoir qui paroissoit on?reux, et par point d'honneur on ne voulut point se battre contre un seigneur inf?rieur en dignit?, de m?me qu'on ne le voulut point reconno?tre pour son juge.

Quoi qu'il en soit, on distingua dans les Cap?tiens leur qualit? de roi ou de seigneur suzerain du royaume, de celle de seigneur particulier de tel ou de tel domaine. Pour faire une semonce aux vassaux imm?diats de la couronne, il falloit qu'il s'ag?t d'une affaire g?n?rale contre quelque puissance ?trang?re, et qui int?ress?t le corps entier de la conf?d?ration f?odale, ou que la guerre f?t d?clar?e ? un de ces m?mes vassaux qui se seroit rendu coupable de la f?lonie. Quand Hugues-Capet et ses premiers successeurs agissoient en qualit? de ducs de France, ils faisoient marcher sous leurs ordres les barons de leur duch?, qui auroient pu refuser de les suivre, si le prince n'e?t voulu ch?tier que quelque seigneur qui relevoit des comt?s de Paris ou d'Orl?ans; et cette coutume sert ? expliquer comment des seigneurs aussi peu puissans que ceux du Puiset et de Montlhery donn?rent tant de peine ? Louis-le-Gros.

Les devoirs respectifs des suzerains et des vassaux, et les peines diff?rentes de perte de suzerainet?, de confiscation de fief, ou de simple amende, qu'ils encouroient en les violant, supposent un tribunal o? les opprim?s pussent porter leurs plaintes, et fussent sens?s trouver la force qui leur manquoit pour repousser la violence ou punir l'injustice. Ind?pendamment des assises, dans lesquelles chaque seigneur jugeoit par lui-m?me, ou par le minist?re de son bailli ou de son pr?v?t, les sujets de sa terre, il y eut donc des justices f?odales, qui connoissoient de toutes les mati?res concernant les fiefs et la personne des suzerains et de leurs vassaux.

Les seigneurs ? qui un grand nombre de fiefs devoit l'hommage, tenoient leur cour de justice ? des temps marqu?s. Ils y pr?sidoient en personne, et leurs vassaux, seuls conseillers de ce tribunal, ?toient oblig?s de s'y rendre, sous peine de perdre leur fief, ? moins qu'ils n'eussent quelque raison l?gitime de s'absenter. Le droit de juger ?toit tellement inh?rent ? la possession d'une seigneurie, que les femmes, qui jusques-l? n'avoient exerc? aucune fonction publique, et qui ?toient m?me exemptes d'acquitter en personne le service militaire de leurs fiefs, devinrent magistrats en poss?dant des seigneuries. Elles tinrent leurs assises ou leurs plaids, y pr?sid?rent, et jug?rent dans la cour de leurs suzerains. Tout le monde sait qu'en 1315, Mahaut, comtesse d'Artois, assista comme pair de France, au jugement rendu contre Robert, comte de Flandre. C'est ? ces assises que se portoient les affaires qu'avoient entre eux les vassaux d'une m?me seigneurie, quand ils pr?f?roient la voie de la justice ? celle de la guerre, pour terminer leurs diff?rends, et les proc?s que leur intentoit quelque seigneur ?tranger; car c'?toit alors une r?gle invariable que tout d?fendeur f?t jug? dans la cour de son propre seigneur.

Le roi et les autres seigneurs les plus puissans du royaume tenoient leur cour avec beaucoup de pompe et d'?clat; ils convoquoient tous leurs vassaux, pour y jouir du spectacle de leur grandeur. Les simples barons n'assembloient pour la plupart leur cour, que quand ils en ?toient requis par quelqu'un de leurs vassaux. Le nombre des juges n?cessaires pour porter un jugement, varioit suivant les diff?rentes coutumes. Pierre de Fontaine dit qu'il suffit d'en assembler quatre, et Beaumanoir vouloit qu'il y en e?t au moins deux ou trois, sans compter le suzerain ou le pr?sident du tribunal. Si un seigneur n'avoit pas assez de vassaux pour tenir ses assises, il en empruntoit de quelque seigneur voisin; ou bien, ayant recours ? la justice de son propre suzerain, quand elle ?toit assembl?e, il y traduisoit son vassal pour y recevoir son jugement. On pouvoit donc quelquefois ?tre jug? par des seigneurs d'un rang sup?rieur au sien, c'est-?-dire, par les pairs du suzerain dont on relevoit, et la vanit? des vassaux ?toit flatt?e de cet ordre; mais il falloit toujours ?tre ajourn? par deux de ses pairs.

Lorsqu'un seigneur croyoit avoir re?u une injure ou quelque tort de la part d'un de ses vassaux, il ne lui ?toit pas permis de confisquer ses possessions, sans y ?tre autoris? par une sentence. Il devoit porter sa plainte ? sa propre cour, qui ajournoit et jugeoit l'accus?; et la guerre n'?toit regard?e comme l?gitime, qu'autant qu'elle ?toit n?cessaire pour contraindre la partie condamn?e ? se soumettre au jugement qu'elle avoit re?u. Un vassal, de son c?t?, qui avoit ? se plaindre de quelque entreprise injuste de son seigneur, ou ? r?clamer quelque privil?ge f?odal, requ?roit qu'il t?nt sa cour pour juger leur diff?rend; et le suzerain ne pouvoit le refuser, sans se rendre coupable du d?ni de justice, s'exposer ? perdre sa suzerainet?, et mettre son vassal dans le droit de lui d?clarer la guerre. S'il s'agissoit entre eux de quelque mati?re personnelle et non f?odale, le seigneur ?toit ajourn? par ses vassaux ? la cour de son suzerain; parce que les vassaux, juges comp?tens de leur seigneur dans les affaires relatives ? la dignit?, aux droits et aux devoirs des fiefs, n'avoient point la facult? de le juger dans les autres cas.

Telles ?toient en g?n?ral les coutumes qui formoient le droit public des Fran?ais ? l'av?nement de Louis-le-Gros au tr?ne. Elles ?toient avou?es et reconnues par les suzerains et les vassaux dans les temps de calme, o? aucun int?r?t personnel ni aucune passion ne les emp?choient de sentir le besoin qu'ils avoient de se soumettre ? une sorte de police et de r?gle. Mais au moindre sujet de querelle qui s'?levoit entre eux, un droit plus puissant, le droit de la force, faisoit disparo?tre toute esp?ce de subordination. Les passions, qui n'?toient point g?n?es, se portoient ? des exc?s d'autant plus grands, que le vassal ?toit souvent aussi puissant, plus habile, plus courageux et plus entreprenant que son suzerain. On ne consultoit alors que son courage, son ressentiment et ses esp?rances. La victoire ne rend jamais compte de ses entreprises; et elle ?toit d'autant plus propre ? tout justifier en France, qu'on s'y faisoit un point d'honneur de se conduire arbitrairement, et que la justice n'y fut jamais plus mal administr?e, et n'y eut jamais moins de pouvoir, que quand chaque seigneur ?toit magistrat, et que chaque seigneurie avoit un tribunal souverain.

Nos p?res, stupidement persuad?s que Dieu est trop juste et trop puissant pour ne pas d?ranger tout l'ordre de la nature, plut?t que de souffrir qu'un coupable triomph?t d'un innocent, ?toient parvenus sur la fin de la seconde race, ? regarder le duel judiciaire en usage chez les Bourguignons, comme l'invention la plus heureuse de l'esprit humain. D?j? familiaris?s avec les absurdit?s les plus monstrueuses, par l'usage des ?preuves du fer chaud, de l'eau bouillante ou de l'eau froide, la proc?dure de Gomdebaud parut pr?f?rable ? des soldats continuellement exerc?s au maniement des armes. ?toit-on accus?? on offroit de se justifier par le duel. Faisoit-on une demande? on proposoit d'en prouver la justice en se battant. Le juge ordonnoit le combat; et apr?s un certain nombre de jours, les plaideurs comparoissoient en champ clos. On prenoit les plus grandes, c'est-?-dire, les plus pu?riles pr?cautions pour emp?cher que leurs armes ne fussent enchant?es, ou qu'ils n'eussent sur eux quelque caract?re magique capable de d?ranger les d?crets de la Providence, et ils combattoient sous les yeux d'une foule de spectateurs qui attendoient en silence un miracle.

Les mineurs, les hommes qui avoient 60 ans accomplis, les infirmes, les estropi?s et les femmes ne se battoient pas; mais ils choisissoient des champions pour d?fendre leurs causes, et ces avocats athl?tes avoient le poing coup?, lorsqu'ils succomboient. Produisoit-on des t?moins? la partie contre laquelle ils alloient d?poser, arr?toit le premier d'entre eux qui ne lui ?toit pas favorable, l'accusoit d'?tre suborn? et vendu ? son adversaire, et le combat de ce t?moin, en d?cidant de sa probit?, d?cidoit aussi du fond du proc?s. Les juges eux-m?mes ne furent pas en s?ret? dans leur tribunal, quand l'un d'eux pronon?oit son avis, le plaideur qu'il condamnoit, lui disoit que son jugement ?toit faux et d?loyal, offroit de prouver, les armes ? la main, qu'il s'?toit laiss? corrompre par des pr?sens ou des promesses, et on se battoit.

Quelque grande que f?t la loi des Fran?ais, ils entrevoyoient, malgr? eux, que le courage, la force et l'adresse ?toient plus utiles dans un combat que la justice, l'innocence et le bon droit. Quand ils en ?toient r?duits ? ne pouvoir se d?guiser que le coupable ne f?t quelquefois vainqueur, ils imaginoient, pour sauver l'honneur de la Providence, qu'elle avoit d?rog? par une loi particuli?re ? sa sagesse g?n?rale, dans la vue de punir un champion qui avoit l'impi?t? de plus compter sur lui-m?me que sur la protection et le secours de la Vierge et St. George. Ils pensoient que Dieu se servoit de cette occasion pour punir quelque p?ch? ancien et cach? du vaincu.

Malgr? ces absurdes subtilit?s, dont nos p?res se contentoient, la mani?re dont la justice ?toit administr?e, exposoit ? trop d'inconv?niens et de p?rils, pour qu'elle p?t leur inspirer une certaine confiance. Quelque brave qu'on f?t, ce ne devoit ?tre qu'? la derni?re extr?mit?, et quand on n'?toit pas en ?tat de vider ses diff?rends par la voie de la guerre, qu'on avoit recours ? des tribunaux o? il ?toit impossible de plaider, de juger ou de t?moigner, sans s'exposer au danger d'un combat singulier. Plus l'administration de la justice ?toit insens?e et cruelle, plus elle devoit nuire au maintien et ? l'?tablissement de la police et de l'ordre. Moins les Fran?ais ?toient dispos?s ? terminer leurs querelles par les formes judiciaires, plus l'esprit de violence devoit s'accr?diter dans l'anarchie: aussi ne voit-on jamais ? la fois tant de guerres particuli?res, et tant de tribunaux pour les pr?venir. Aucune proc?dure ne pr?c?doit ordinairement les hostilit?s des seigneurs les plus puissans; ou bien, ne r?pondant que d'une mani?re vague aux sommations de leurs pairs, ils se pr?paroient ? la guerre, au lieu de comparo?tre devant la cour qui devoit les juger. Les rois de France et les ducs de Normandie, par exemple, ne cherchoient qu'? se surprendre; toutes nos histoires en font foi; et souvent l'un de ces princes n'?toit instruit que l'autre lui avoit d?clar? la guerre, qu'en apprenant qu'un canton de ses domaines avoit ?t? pill?, ou qu'un de ses ch?teaux ?toit br?l?.

Chaque seigneur la?c avoit gagn? personnellement ? la r?volution qui forma le gouvernement f?odal; mais les ?v?ques et les abb?s en devenant souverains dans leurs terres, perdirent au contraire beaucoup de leur pouvoir et de leur dignit?. Ils ne rendirent point hommage pour leurs fiefs; ils auroient cru, par cette c?r?monie, d?grader Dieu ou le patron de leur ?glise, au nom de qui ils les poss?doient; ils ne pr?t?rent que le serment de fid?lit?. Malgr? cette distinction, qui sembloit devoir ?tre suivie des plus grandes pr?rogatives, ils furent soumis ? tous les devoirs du vasselage. Ils se rendirent ? la cour de leurs suzerains, quand ils y furent convoqu?s pour tenir des assises. Ils furent tous oblig?s de fournir leur contingent pour la guerre, et quelques-uns de servir en personne. Si leurs possessions ne pouvoient jamais ?tre confisqu?es, pour cause de f?lonie, c'?toit un avantage pour l'?glise, et non pour les eccl?siastiques, qu'on punissoit de leur forfaiture, par des demandes, et la saisie de leur temporel.

Quoique quelques ?v?ques, plus guerriers et plus entreprenans que les autres, eussent repris les armes sous le r?gne des derniers Carlovingiens, fait la guerre et augment? leur fortune, le corps entier du clerg? se trouvoit d?grad? et appauvri. A l'exception des pr?lats qui ayant pris, ou obtenu du roi, le titre de comtes ou de ducs de leur ville, relev?rent imm?diatement de la couronne, tous les autres ?toient devenus vassaux de ces m?mes comtes ou ducs, qu'ils avoient jusques-l? pr?c?d?s, et sur lesquels les lois leur donnoient autrefois le pouvoir le plus ?tendu. R?duits ? la dignit? de leurs fiefs, dont les forces ?toient peu consid?rables, depuis les d?pr?dations que les biens eccl?siastiques avoient souffertes, pendant les troubles de l'?tat, ils ne furent plus que des seigneurs du second ordre, et se virent contraints, pour conserver le reste de leur fortune, de mendier la protection de leurs suzerains. L'hospitalit?, qui n'avoit ?t? qu'un devoir de politesse et de biens?ance, fut convertie en droit de g?te; presque toutes les ?glises se soumirent ? la r?gale envers le seigneur dont leurs terres relevoient; et plusieurs pr?lats ali?n?rent encore quelques parties en faveur d'un des seigneurs les plus puissans de leur dioc?se, pour s'en faire un protecteur particulier, sous le nom de leur Vidame ou de leur Avou?.

Plus le clerg? avoit fait de pertes, plus il ?toit occup? du soin de les r?parer. Le cr?dit que la religion donne ? ses ministres, leur fournissoit des ressources; et profitant, avec adresse, du peu d'attention que les seigneurs toujours arm?s donnoient ? leurs justices, auxquelles on recouroit rarement, ils ?tendirent leur juridiction beaucoup au-del? des anciennes bornes qu'elle avoit eue sous le r?gne de Charlemagne.

Les progr?s des eccl?siastiques furent rapides. Leurs tribunaux s'attribu?rent la connoissance de toutes les accusations touchant la foi, les mariages et les crimes de sacril?ge, de simonie, de sortil?ge, de concubinage et d'usure. Tous les proc?s des clercs, des veuves et des orphelins, leur ?toient d?volus; et sous le nom de clercs, on ne comprenoit pas seulement les ministres les plus subalternes de l'?glise, mais m?me tous ceux qui ayant ?t? admis ? la cl?ricature, se marioient dans la suite, et remplissoient les emplois les plus profanes. Les ?v?ques mirent les p?lerins sous leur sauve-garde, et les crois?s eurent bient?t le m?me avantage. A l'occasion du sacrement de mariage, le juge eccl?siastique prit connoissance des conventions matrimoniales, de la dot de la femme, de son douaire, de l'adult?re et de l'?tat des enfans. Il d?cida que toutes les contestations n?es au sujet des testamens lui appartenoient; parce que les derni?res volont?s d'une personne qui avoit d?j? subi le jugement de Dieu, ne pouvoient raisonnablement ?tre jug?es que par l'?glise.

Avec quelque docilit? que les seigneurs se contentassent des plus mauvaises raisons pour laisser d?grader leurs justices, dont la ruine devoit avoir pour eux, les suites les plus f?cheuses, il parut incommode aux eccl?siastiques d'avoir ? chercher un nouvel argument, toutes les fois qu'ils vouloient attirer ? eux la connoissance d'une nouvelle affaire. Ils imagin?rent donc un principe g?n?ral qui devoit les rendre les ma?tres de tout. L'?glise, dirent-ils, en vertu du pouvoir des clefs que Dieu lui a donn?, doit prendre connoissance de tout ce qui est p?ch?, afin de savoir si elle doit remettre ou retenir, lier ou d?lier. Or, en toute contestation juridique, une des parties soutient n?cessairement une cause injuste, et cette injustice est un p?ch?; l'?glise, conclurent-ils, a donc le droit de conno?tre de tous les proc?s, et de les juger; ce droit, elle le tient de Dieu m?me, et les hommes ne peuvent y attenter, sans impi?t?.

Des soldats qui ne savoient que se battre, n'avoient rien ? r?pondre ? cet argument. Les seigneurs n'?toient d?j? plus les juges de leurs sujets, et il ?toit d'autant plus facile au clerg? de porter atteinte aux justices f?odales, et de se rendre l'arbitre des querelles des suzerains et des vassaux, qu'ils ?toient li?s les uns aux autres, par un serment, dont l'infraction ?toit un parjure. Cette entreprise ?toit de la plus grande importance, son succ?s devoit donner aux ?v?ques un empire absolu, tandis que les seigneurs se ruineroient par des guerres continuelles, pour conserver les droits souverains de leurs terres. Autant que l'ame, disoient les eccl?siastiques, est au-dessus du corps, et que la vie ?ternelle est pr?f?rable ? ce mis?rable exil que nous souffrons sur la terre; autant la juridiction spirituelle est-elle au-dessus de la temporelle. L'une est compar?e ? l'or, et l'autre au plomb; et de ce que l'or est incontestablement plus pr?cieux que le plomb, le clerg? ?tendoit tous les jours ? un tel point, la comp?tence de ses tribunaux, que les justices seigneuriales devinrent enfin, ? charge ? leurs possesseurs; et que les ?v?ques, qui s'?toient fait une sorte de seigneurie dans leur dioc?se entier, furent, au contraire, forc?s d'avouer que les ?molumens de leur officialit? faisoient leurs plus grandes richesses, et qu'ils seroient ruin?s, si on les en privoit.

Les usurpations des eccl?siastiques produisirent un ?v?nement bien extraordinaire; elles rendirent le pape, le premier et le plus puissant magistrat du royaume. Pour comprendre les causes d'une r?volution que tous les autres ?tats de la chr?tient? ?prouv?rent ?galement, et qui devint une source de divisions entre le sacerdoce et l'Empire, il faut se rappeler que la cour de Rome avoit abandonn? depuis long-temps, la sage discipline que l'?glise tenoit des ap?tres; et que le clerg? de France, c?dant ? la n?cessit? des conjonctures, avoit oubli? les maximes par lesquelles il se gouvernoit encore, quand les Fran?ais firent leur conqu?te.

Les anciens canons ?toient alors respect?s dans les Gaules, et les ?v?ques continu?rent, sous la premi?re race, ? tenir souvent des conciles nationaux et provinciaux, dont les canons concernant la discipline, n'avoient besoin que d'?tre rev?tus de l'autorit? du prince et de la nation, pour acqu?rir force de lois. Quoique l'?glise gallicane, en reconnoissant la primatie du saint-si?ge, s'y t?nt attach?e, comme au centre de l'union, elle n'avoit point pouss? la complaisance jusqu'? adopter les canons du concile de Sardique, qui, d?s le quatri?me si?cle, autorisoient les appels au pape, et soumettoient les ?v?ques ? sa juridiction. Le pape Vigile, en 545, honora Auxanius, ?v?que d'Arles, de la dignit? de son l?gat dans les Gaules; et par le bref qu'il ?crivit dans cette occasion au clerg?, il paroissoit s'?tablir son juge souverain; mais cette entreprise n'eut aucun succ?s. On lit, au contraire, dans Gr?goire de Tours, que Salonne et Sagittaire, ces deux pr?lats, dont j'ai d?j? eu occasion de parler, ayant ?t? d?pos?s par un concile tenu ? Lyon, n'os?rent se pourvoir devant le pape, et lui demander ? ?tre r?tablis dans leurs si?ges, qu'apr?s en avoir obtenu la permission de Gontran.

C'est par z?le pour la maison de Dieu, que les papes ?tendirent, en quelque sorte, leur sollicitude pastorale, sur tout le monde chr?tien. On les vit d'abord occup?s des besoins des ?glises particuli?res. Ils donn?rent aux princes et aux ?v?ques, des conseils qu'on ne leur demandoit pas; et ces pontifes dignes, s'il est possible, de la saintet? de leur place, par leurs moeurs et leurs lumi?res, tandis que l'ignorance et la barbarie se r?pandoient sur toute la chr?tient?, en devinrent les oracles, et obtinrent, je ne sais comment, la r?putation d'?tre infaillibles.

Il n'en fallut pas davantage, pour les rendre moins attentifs sur eux-m?mes: l'?cueil le plus dangereux pour le m?rite, c'est la consid?ration qui l'accompagne. Parce qu'on avoit suivi les conseils des papes, dans quelques affaires importantes, on prit l'habitude de les consulter sur tout, et il fallut bient?t ob?ir ? leurs ordres. Leur fortune naissante leur fit des flatteurs, qui, pour devenir eux-m?mes plus puissans, travaill?rent ? augmenter le pouvoir du saint-si?ge. Ils fabriqu?rent les fausses d?cr?tales, dont personne alors n'?toit en ?tat de conno?tre la supposition; et ces pi?ces, qu'on publia sous le nom des papes des trois premiers si?cles, n'?toient faites que pour justifier tous les abus que leurs successeurs voudroient faire de leur autorit?. Plusieurs papes furent eux-m?mes les dupes de la doctrine que contenoient les fausses d?cr?tales, et crurent encore marcher sur les traces d'une foule de saints r?v?r?s dans l'?glise, quand ils sapoient les fondemens de tout ordre et de toute discipline.

Apr?s tant de succ?s, les papes accoutum?s ? humilier les rois, se regard?rent comme les d?positaires de tout le pouvoir de l'?glise, et ne dout?rent point que les anciens canons, faits pour d'autres temps et d'autres circonstances, ne dussent ?tre abrog?s par leurs bulles et leurs brefs. Plus les d?sordres des nations exigeoient qu'on se t?nt rigidement attach? aux anciennes r?gles, plus la cour de Rome avoit de moyens pour r?ussir dans ses entreprises. Sous pr?texte de rem?dier aux maux publics et de r?tablir l'ordre, elle se livroit ? des nouveaut?s dangereuses, auxquelles la situation pr?sente des affaires, ne permettoit d'opposer que de foibles obstacles. Quand Hugues-Capet monta sur le tr?ne, les souverains pontifes ne traitoient plus les ?v?ques comme leurs fr?res et leurs coop?rateurs dans l'oeuvre de Dieu; mais comme des d?l?gu?s ou de simples vicaires de leur si?ge. Ils s'?toient attribu? la pr?rogative de les transf?rer d'une ?glise ? l'autre, de les juger, de les d?poser ou de les r?tablir dans leurs fonctions; de conno?tre par appel, des sentences de leurs tribunaux et de les r?former.

Tout ce que les ?v?ques de France avoient usurp? sur la justice des seigneurs, tourna donc au profit de la cour de Rome. Les papes ne connurent pas seulement des appels interjet?s des sentences des m?tropolitains, ils autoris?rent m?me les fidelles ? s'adresser directement ? eux en premi?re instance, ou du moins apr?s avoir subi un jugement dans le tribunal eccl?siastique le plus subalterne. L'autorit? que les ?v?ques avoient acquise, auroit pu ?tre utile aux Fran?ais, en contribuant ? ?tablir une police et un ordre, auxquels la jurisprudence des justices f?odales s'opposoit; mais l'usurpation de la cour de Rome sur la juridiction des ?v?ques, ne servit qu'? augmenter la confusion dans le royaume. On ne vit plus la fin des proc?s, et les officiers du pape n'eurent ?gard, dans leurs jugemens, qu'? ses int?r?ts particuliers, ou aux passions d'une puissance qui s'essayoit ? dominer imp?rieusement sur toute la chr?tient?.

Par le tableau que je viens de faire de la situation de la France, sous les premiers successeurs de Hugues-Capet, il est ais? aux personnes m?mes les moins instruites des devoirs de la soci?t? et de la fin qu'elle se propose, de juger quelle foule de vices attaquoit notre constitution politique. Toutes les parties de l'?tat, ennemies les unes des autres, tendoient non-seulement ? se s?parer, mais ? se ruiner r?ciproquement. Tout seigneur et tout particulier se trouvoit mal ? son aise avec un gouvernement qui r?unissoit ? la fois tous les inconv?niens de l'anarchie et du despotisme. Le peuple, avili et vex?, n'?toit pas moins int?ress? ? le voir an?antir, que toute la petite noblesse qui, plac?e entre les seigneurs et les bourgeois, ?toit m?pris?e des uns, ha?e des autres, et les d?testoient ?galement. Les seigneurs eux-m?mes, partag?s en diff?rentes classes, avoient les uns contre les autres la jalousie la plus envenim?e. Les plus foibles vouloient ?tre ?gaux aux plus puissans, qui, ? leur tour, t?choient de les d?truire. Tout changement, quel qu'il f?t, devoit paro?tre avantageux; et les Fran?ais, toujours avides de nouveaut?s, parce qu'ils ?toient toujours las de leur situation, s'accoutumoient ? n'?tre que l?gers, inconstans et inconsid?r?s.

Il ?toit impossible que le gouvernement e?t quelque consistance, tant que les coutumes ne pourroient acqu?rir aucune autorit?, et que des ?v?nemens contraires augmenteroient ou diminueroient tour ? tour les droits et les devoirs respectifs des suzerains et des vassaux, de m?me que leurs craintes, leurs esp?rances et leurs pr?tentions. Sans r?gle, sans principes, sans ordre, ils ?toient oblig?s d'avoir une conduite diff?rente, selon la diff?rence des conjonctures. Apr?s s'?tre soumis ? l'hommage-lige, un vassal qui avoit obtenu quelque succ?s, ne vouloit plus pr?ter que le simple. Les m?mes seigneurs qui reconnoissent aujourd'hui la sup?riorit? du roi, et s'engagent ? remplir ? son ?gard, les devoirs les plus ?troits de vasselage, voudront demain se rendre ind?pendans; ils feront entre eux, des ligues et des alliances perp?tuelles ? son pr?judice, et n'ins?reront m?me dans leurs trait?s, aucune clause qui indique ou suppose la subordination des fiefs.

Philippe-Auguste, qui parle en ma?tre ? Jean-sans-Terre, n'avoit paru que le vassal de Richard, en traitant avec lui. On diroit qu'il ne jouit, ou du moins n'ose jouir, sans sa permission, du droit qu'avoit tout seigneur de fortifier ? son gr? des places dans ses domaines. Il se soumet ? la condition humiliante de ne donner aucun secours au comte de Toulouse, que Richard vouloit opprimer; et Philippe, qui, en violant ainsi ses devoirs de suzerain, affranchit ses vassaux des leurs, affectera dans une autre occasion, le pouvoir le plus ?tendu.

Rien ne conserve la m?me forme; rien ne subsiste dans la m?me situation. J'en citerai un exemple remarquable. Les vassaux imm?diats de la couronne, tous pairs et ?gaux en dignit?, ne furent pas long-temps sans se faire des pr?rogatives diff?rentes. Les plus puissans prirent sur les autres une telle sup?riorit?, que du grand nombre de seigneurs la?cs qui relevoient imm?diatement de la couronne sous Hugues-Capet, il n'y en avoit plus que six qui prissent la qualit? de pairs du royaume de France, quand Philippe-Auguste parvint au tr?ne. Nos historiens, jusqu'? pr?sent, n'ont pu fixer l'?poque de ce changement, et on s'en prend au temps, qui nous a fait perdre la plupart des monumens les plus pr?cieux de notre histoire. On a tort. Comment n'a-t-on pas senti que, dans une nation qui n'avoit ni lois ni puissance l?gislative, et o? l'inconstance des esprits et l'incertitude des coutumes pr?paroient et produisoient sans cesse de nouvelles r?volutions, l'?tablissement des douze pairs doit ressembler aux autres ?tablissemens de ce temps-l?, qui se formoient, par hasard, d'une mani?re lente et presqu'insensible, et se trouvoient enfin tout ?tablis ? une certaine occasion, sans qu'il f?t possible de fixer l'?poque pr?cise de leur naissance.

Le gouvernement des fiefs auroit bient?t fait place ? un gouvernement plus r?gulier, si quelques-uns de ses vices m?mes n'eussent concouru ? conserver, dans le royaume, l'anarchie g?n?rale qui en ?toit l'ame, tandis que les d?sordres, dont il ?toit sans cesse agit?, mena?oient en particulier, chacune de ses parties, d'une ruine prochaine. Quatre causes contribuoient ? la fois ? maintenir le gouvernement f?odal, au milieu des r?volutions qu'il ?prouvoit; et, si j'ose parler ainsi, ces quatre appuis des fiefs, c'?toient l'asservissement dans lequel le despotisme des seigneurs tenoit le peuple, et qui les rendoit les ma?tres absolus de sa fortune et de ses forces; la souverainet? de leurs justices, ? laquelle ?toit attach?e l'esp?ce de puissance l?gislative qu'ils exer?oient sur leurs sujets, et qui ne permettoit pas qu'un juge sup?rieur, en ?clairant leur conduite et r?formant leurs sentences, les d?pouill?t de leurs privil?ges; le droit de guerre, toujours ennemi de l'ordre et de la d?pendance; et enfin, une sorte d'?galit? dans les forces des principaux seigneurs qui auroient pu former le projet de tout envahir: et cette ?galit? les contenant les uns par les autres, emp?choit qu'aucun ne voul?t s'?riger en ma?tre, et donner des lois ? la nation.

Il semble d'abord, que le droit de guerre, au lieu de prot?ger, auroit d? d?truire la puissance des seigneurs; mais comme chaque bourg et, pour ainsi dire, chaque village ?toit fortifi? et d?fendu par un ch?teau; qu'on ne connoissoit dans tout le royaume, qu'une mani?re de faire la guerre, les m?mes armes et la m?me discipline; qu'? l'exception de quelques seigneurs, les autres n'avoient pas assez de troupes pour faire des si?ges, et qu'aucun ne pouvoit retenir assez long-temps ses vassaux sous ses ordres, pour former quelqu'entreprise importante, et ruiner son ennemi, en profitant d'un premier avantage; la guerre, r?duite ? n'?tre qu'une sorte de piraterie, ne devoit naturellement produire aucun de ces ?v?nemens d?cisifs qui changent quelquefois en un jour, toute la constitution d'un ?tat. Si, dans une province, elle portoit quelqu'atteinte au gouvernement f?odal, elle contribuoit ? le fortifier dans une autre; et le corps entier de la nation, malgr? quelques changemens survenus aux droits et aux devoirs r?ciproques de quelques suzerains et de quelques vassaux, se conduisoit toujours par les m?mes principes.

J'ai parl? d'une coutume qui ordonnoit la confiscation d'un fief, au profit du suzerain, dans le cas de f?lonie de la part de son vassal, et qui autorisoit un vassal vex? par son seigneur ? n'en plus relever, et ? porter son hommage au suzerain, dont il n'avoit ?t? jusques-l? que l'arri?re-vassal. Le roi, qui ?toit le dernier terme de tous les hommages, seroit enfin devenu l'unique seigneur de tout le royaume; ou bien les fiefs devoient enfin s'affranchir de toute esp?ce de vassalit?, et si cet usage e?t ?t? fidellement observ?, il n'auroit fallu que trois ou quatre injustices, dans un temps o? elles ?toient tr?s-communes, pour qu'un seigneur qui voyoit entre le roi et lui, trois ou quatre seigneurs interm?diaires, relev?t imm?diatement de la couronne; et alors, une injustice de la part du prince, ou une f?lonie de celle de son vassal, auroit donn? au fief une enti?re ind?pendance, ou englouti sa seigneurie dans celle du roi.

Le droit de guerre emp?cha que cette coutume destructive du gouvernement f?odal ne f?t suivie ? la rigueur, du moins ? l'?gard des seigneurs qui ?toient en ?tat de se d?fendre, et dont les forces ?toient les vrais soutiens de l'ind?pendance des fiefs. Les querelles vid?es par la voie des armes, se terminoient par des trait?s, dans lesquels, alors, comme aujourd'hui, on consultoit moins le droit, les coutumes et la justice, que les succ?s et les forces des parties bellig?rantes. Elles se faisoient quelques sacrifices r?ciproques, et en se r?conciliant, rentroient dans l'ordre des coutumes f?odales.

Il faut avouer cependant que cet appui des fiefs devoit ne conserver aucune force, d?s qu'il ne seroit plus lui-m?me aid? et soutenu par les trois autres soutiens du gouvernement f?odal dont j'ai parl?; et les seigneurs fran?ais se comportoient de la mani?re la plus propre ? les d?truire.

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