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Read Ebook: Collection complète des oeuvres de l'Abbé de Mably Volume 3 (of 15) by Mably Gabriel Bonnot De Arnoux Guillaume Editor

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Ebook has 461 lines and 109191 words, and 10 pages

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TOME TROISI?ME.

COLLECTION

DES OEUVRES

L'ABB? DE MABLY.

TOME TROISI?ME, Contenant les Observations sur l'histoire de France.

A PARIS,

OBSERVATIONS SUR L'HISTOIRE DE FRANCE.

SUITE DU LIVRE VIme.

Tant que le gouvernement f?odal avoit ?t? en vigueur, et que le roi, born? ? recevoir l'hommage et les secours que lui devoient ses vassaux imm?diats, n'exer?oit aucune autorit? dans leurs terres, l'honneur de gouverner ses affaires fut peu brigu?. Il fut le ma?tre en temps de minorit? ou d'absence, de disposer ? son gr? de la r?gence du royaume, qui n'?toit en effet que la r?gence de ses domaines. Tant?t elle est confi?e ? la m?re du roi, ? sa femme, ou ? un prince de sa maison, quelquefois elle passe dans les mains de Beaudoin, comte de Flandre, du sire de Nesle, de Suger ou de Mathieu de Vend?me, abb? de Saint-Denis. Le royaume faisoit peu d'attention ? ces ?v?nemens, parce que la r?gence ne procuroit qu'un avantage m?diocre ? ceux qui en ?toient charg?s; mais ? mesure que l'autorit? royale s'agrandit, il devint plus utile d'obtenir la confiance du roi et d'entrer dans l'administration de ses affaires. Cependant l'ambition des grands d?daigna encore d'aspirer ? une place du conseil, soit parce qu'ils avoient eux-m?mes de grandes terres ? gouverner, soit parce qu'ils craignoient le cr?dit des ?tats, qui s'opposoient aux vexations des ministres; de-l?, tous ces hommes obscurs qui gouvernoient sous le roi Jean, et dont les ?tats de 1356 demand?rent la disgrace au Dauphin.

Les int?r?ts des grands chang?rent apr?s que Charles V, ayant abaiss? tout ce qui pouvoit lui r?sister, fut parvenu ? gouverner arbitrairement, et ? se rendre en quelque sorte, le ma?tre de la fortune de ses sujets. Ses premiers officiers, qui avoient ?tendu leurs pr?rogatives, ? mesure que le roi avoit ?tendu les siennes, trouv?rent un avantage immense, ? se regarder comme les ministres de son autorit?. Les fr?res de Charles V jug?rent qu'il ?toit plus avantageux pour eux de manier la puissance royale, que de gouverner leurs terres dans l'?tat d'humiliation o? les fiefs ?toient r?duits; et il auroit ?t? de la derni?re imprudence ? ce prince de ne les pas placer ? la t?te du gouvernement pendant la minorit? de son fils. Les ducs d'Anjou, de Bourgogne et de Berry n'auroient pas manqu? de se soulever contre des arrangemens contraires ? leur avarice et ? leur ambition.

On sait en effet quelle fut la fortune de ceux qui eurent part ? l'administration: le duc d'Anjou transporta des richesses immenses en Italie. L'avare et prodigue duc de Berry fut un monarque absolu dans son gouvernement de Languedoc, qu'il appauvrit sans pouvoir s'enrichir. Le duc de Bourgogne avoit trouv? si doux d'administrer le royaume sous le nom du roi, que se voyant r?duit ? se retirer dans ses ?tats, il s'y crut exil?. Tous les grands qui avoient particip? ? la fortune du prince, s'?toient fait une habitude de tenir dans leurs mains quelque branche de la souverainet?. Quand Charles VI les ?carta de son conseil, pour donner sa confiance ? des hommes dont il seroit le ma?tre, ils song?rent moins ? se venger, ? soulever la nation, et ? demander la tenue des ?tats, qu'? cabaler sourdement pour se saisir une seconde fois d'un pouvoir qu'ils regardoient comme l'instrument de leur fortune.

La d?mence de Charles VI pr?vint les d?sordres que leur ambition inqui?te et lasse d'attendre, auroit vraisemblablement excit?s. Si ce prince e?t ?t? en ?tat de pers?v?rer dans le dessein de gouverner par lui-m?me, et par les conseils de quelques hommes peu importans, ne paro?t-il pas certain que pour se venger et pr?venir leur avilissement, les grands se seroient r?volt?s contre Charles, comme les barons d'Angleterre s'?toient autrefois soulev?s contre Jean-sans-Terre? Peut-?tre auroient-ils substitu? un gouvernement aristocratique ? la monarchie, ou fait revivre l'ind?pendance des coutumes f?odales; peut-?tre qu'?prouvant de trop grandes difficult?s ? s'emparer d'une partie des pr?rogatives du roi, ils auroient senti, ? l'exemple des seigneurs Anglais, la n?cessit? de r?veiller dans la nation les sentimens de libert? que le r?gne de Charles V avoit presque enti?rement ?teints; d'unir ? leur cause tous les ordres du royaume, en prot?geant leurs int?r?ts; et de forcer Charles VI ? donner une ordonnance, qui, ?tant ?galement avantageuse ? tous les citoyens, leur auroit enfin donn? ? tous le m?me esprit. Quoiqu'il en soit, la d?mence de Charles, qui devoit naturellement affoiblir l'autorit? royale, ne servit au contraire qu'? l'affermir plus solidement.

D?s que les grands virent que la maladie du roi le rendoit incapable de gouverner, ou plut?t de prot?ger ses ministres, ils se h?t?rent de reparo?tre ? la cour et de les chasser. Le duc de Bourgogne, le duc de Berry, la reine, le duc d'Orl?ans, les grands officiers de la couronne, en un mot, toutes les personnes puissantes par elles-m?mes ou par leurs emplois, ne mirent aucun terme ? leur ambition, ni ? leurs esp?rances, et t?ch?rent de se rendre les arbitres du gouvernement. Toutes ces cabales, occup?es ? se nuire les unes aux autres, et pr?tes ? sacrifier l'?tat ? leurs int?r?ts, n'agissoient en apparence qu'au nom et pour l'avantage du roi; elles sembloient se r?unir, et travailloient de concert ? ?tendre, multiplier, ou du moins conserver les pr?rogatives de la couronne. Celle qui ?toit parvenue ? dominer, d?fendoit l'autorit? comme son propre bien; les autres, ne d?sesp?rant pas de se revoir encore ? la t?te des affaires, se gardoient bien de vouloir porter quelque atteinte ? un pouvoir dont elles se flattoient d'abuser ? leur tour.

Il se forma ainsi un nouvel int?r?t chez les grands, et leur puissance, autrefois si redoutable ? celle du roi, en devint l'appui. Si ? la faveur des troubles du conseil et de la d?mence du roi, la nation avoit, par hasard, tent? de r?tablir ses immunit?s, au lieu de se livrer ? l'esprit de parti et de faction; si elle avoit voulu faire revivre ces chartes qui la rendoient l'arbitre des subsides qu'elle accordoit; enfin, si elle avoit demand? la convocation des ?tats-g?n?raux, les grands du royaume s'y seroient oppos?s. Ils n'auroient pas souffert que l'autorit? royale, dont ils s'?toient faits les instrumens, ou plut?t les d?positaires, f?t encore soumise ? l'examen et aux caprices des diff?rens ordres de l'?tat.

Ils ?tablirent une milice toujours subsistante, connue sous les noms de gendarmerie et de francs archers; et une taille perp?tuelle destin?e ? son entretien et lev?e par les ordres seuls du gouvernement, sans qu'il f?t besoin du concours, ni du consentement des ?tats. Ces deux nouveaut?s, avantageuses ? la noblesse, en lui donnant toujours de l'emploi, indiff?rentes au clerg?, depuis qu'il avoit des assembl?es particuli?res qui traitoient avec le roi, et agr?ables m?me au peuple, qui crut qu'on ne leveroit sur lui que des sommes m?diocres, et qu'on lui accorderoit une protection puissante, mirent entre les mains du prince, deux choses, les finances et les troupes, dont une seule auroit suffi pour pr?venir toute r?sistance ? ses volont?s. C'est, si je puis parler ainsi, ? la faveur de ces deux autres, que l'autorit? royale ne craindra plus les temp?tes qu'elle avoit essuy?es, ou du moins devoit les conjurer, sans avoir besoin de beaucoup d'art. Les peuples libres ont partag? la puissance entre diff?rens magistrats, pour qu'ils fussent forc?s de se respecter r?ciproquement, et ne pussent opprimer la nation: ce balancement d'int?r?ts se trouvoit actuellement en France entre les diff?rens ordres de l'?tat; et le prince sera toujours soutenu des forces de l'un contre les plaintes de l'autre. On ne verra plus, comme sous les r?gnes pr?c?dens, des combats entre la puissance du roi et les immunit?s de la nation; s'il s'?l?ve encore des troubles domestiques, l'autorit? royale sera respect?e par ceux m?mes qui se souleveront; on ne combattra pas pour lui prescrire des bornes, mais pour d?cider ? quelle cabale d'intrigans ambitieux l'exercice en sera confi?.

D?s que cette taille perp?tuelle, dont Comines pr?voyoit les suites pernicieuses, eut ?t? ?tablie, le prince ne sentit plus la n?cessit? de convoquer les ?tats, parce qu'en augmentant les tailles, il pouvoit se passer de tout autre subside; et qu'un premier abus servant toujours de titre pour en ?tablir un second, il seroit ais? de supposer de nouveaux besoins, et d'?tablir de nouvelles impositions, sous pr?texte de servir de suppl?ment ? la taille et de soulager les campagnes. D?s lors l'id?e des anciens ?tats devoit en quelque sorte se perdre; car les hommes, naturellement timides, nonchalans et paresseux, ont besoin, pour ne pas perdre la libert? qu'ils aiment, qu'on les avertisse continuellement de son prix, et qu'on leur donne des moyens faciles de la conserver. Les ?tats n'?tant plus regard?s comme un ressort ordinaire et n?cessaire du gouvernement, il ?toit impossible qu'on en tir?t quelque avantage. Si on convoquoit encore de ces grandes assembl?es, elles devoient ignorer elles-m?mes leur origine, leur destination, leur objet, et ne pouvoient servir au progr?s des lumi?res; il ?toit ais? de les rendre dociles, en choisissant pour leur convocation, le temps et les lieux les plus favorables aux vues du prince ou des ministres qui ?toient les d?positaires de son pouvoir.

En gouvernant la nation de l'univers la plus inconsid?r?e et la plus ais?e ? tromper, parce qu'elle est la moins attentive ? consulter le pass? et la plus prompte ? bien esp?rer de l'avenir, Louis employa la politique la plus raffin?e et la plus tortueuse. N?gociant toujours par go?t, et ne recourant ? la force que quand il d?sesp?roit de r?ussir par la ruse et la s?duction, il r?pandoit de tous c?t?s les bienfaits, les menaces, les promesses, les craintes, les soup?ons et les esp?rances. Tout ?toit divis? autour de lui, et ? la faveur de cette division, il ?carta les grands qui vouloient s'emparer de son autorit?, et cependant gouverna sans danger le peuple avec un sceptre de fer. Les communaut?s qui n'avoient ?t? impos?es par son p?re qu'? quarante ou cinquante livres de taille, lui en pay?rent mille. Il se fit un droit du silence auquel ses sujets s'?toient condamn?s depuis l'exp?dition de Charles VI contre les Parisiens; et parce qu'ils s'?toient accoutum?s ? une taille arbitraire, il les soumit ? d'autres imp?ts.

Je ne puis m'emp?cher de copier ici un morceau de Comines, relatif ? ces ?tats. <>

Jamais l'exemple des grands n'a ?t? aussi contagieux ailleurs qu'en France; on diroit qu'ils ont le malheureux privil?ge de tout justifier; et nos p?res ont depuis long-temps les d?fauts et les ridicules qu'on nous reproche aujourd'hui. Comines en est un s?r garant, et il se plaignoit d?j? que le plus petit gentilhomme e?t la manie de copier les mani?res et les discours des plus grands seigneurs. Les principaux d?put?s de la noblesse, voyant l'esprit qui animoit les personnes dont ils envioient la fortune, crurent sans doute qu'il ?toit de leur dignit? de penser comme eux; qu'on me permette cette expression; pour prendre le bon air, ils trahirent le roi ? qui ils devoient la v?rit?, et sacrifi?rent ? l'avarice des grands, leurs provinces dont ils devoient d?fendre les int?r?ts. J'aurois quelque honte de faire une pareille remarque, mais je n'examine pas l'histoire d'un peuple qui ait eu des moeurs et des principes, et qui fut attach? ? des lois certaines. Dans un ?tat qui se conduit au hasard en ob?issant aux ?v?nemens, les plus petites causes doivent produire les plus grands effets.

Les d?put?s de la noblesse les moins consid?rables imit?rent leurs chefs pour ne se point d?grader et se flatt?rent que leur complaisance seroit r?compens?e. Tandis que le clerg? ne songeoit qu'? faire sa cour de la mani?re la plus basse, quel bien pouvoit-on attendre du tiers-?tat? Quand les grands d'une nation aspirent ? ?tablir le pouvoir arbitraire, il est impossible que les ordres inf?rieurs ne contractent pas enfin malgr? eux l'esprit de servitude.

Tandis que tous les ordres de l'?tat changeoient en quelque sorte de nature, le parlement, agit? par tant de r?volutions, ?prouva aussi divers changemens. C'est sous le r?gne de Charles VI qu'il devint perp?tuel, que ses magistrats, autrefois ?lus tous les ans, jouirent de leurs offices ? vie, ou du moins pendant tout le r?gne du prince qui leur en avoit donn? les provisions, et qu'il acquit le droit de pr?senter lui-m?me au roi les personnes qu'il d?siroit poss?der. Cette compagnie, born?e jusqu'alors ? la simple administration de la justice, avoit beaucoup contribu? ? ?tendre la pr?rogative royale, et cependant n'avoit encore pris aucune part ? l'administration de l'?tat. Quoiqu'on lui e?t fait quelquefois des reproches assez graves, elle ?toit cependant consid?r?e par ses lumi?res; et depuis long-temps nos rois ?toient dans l'usage d'appeler ? leur conseil quelques-uns de ses principaux membres. Le parlement avoit acquis un nouveau lustre depuis que Charles V, suivi des personnages les plus importans du royaume et des bourgeois les plus notables de Paris, y avoit tenu des assembl?es solennelles pour y r?gler les affaires les plus importantes; et de jurisconsultes, les magistrats devinrent hommes d'?tat.

Quand le royaume en proie aux funestes divisions dont j'ai parl?, ?toit d?chir? par les grands qui s'en disputoient l'administration, et que les ?tats d?cri?s et presque oubli?s ne laissoient aucune esp?rance de r?forme, et la faisoient cependant d?sirer avec plus d'ardeur que jamais, tous ceux qui ?toient les victimes de cette anarchie tyrannique, tourn?rent leurs regards sur le parlement, le seul corps dont ils pouvoient attendre quelques secours, et l'invit?rent ? se rendre l'arbitre des grands et le protecteur du peuple. On vit en effet des provinces, pour emp?cher la ruine des immunit?s, y porter leurs protestations et leur appel des ordonnances par lesquelles le gouvernement ?tablissoit des imp?ts arbitraires. C'?toit attribuer au parlement une autorit? sup?rieure ? celle du conseil, et son ambition dut en ?tre agr?ablement flatt?e. L'universit? de Paris l'invita ? faire des remontrances sur la mauvaise administration des finances; en un mot, la confiance dont le public honoroit le parlement, fit comprendre aux diff?rentes factions qui s'emparoient successivement de l'autorit? du roi, combien il leur seroit avantageux de s'attacher cette compagnie. Les ministres all?rent la consulter sur les op?rations qu'ils m?ditoient; et chaque parti, pour affermir son empire sur ses ennemis, et donner plus d'autorit? ? ses ordonnances, prit l'habitude de les faire publier au parlement, afin de paro?tre avoir son approbation, et elles furent couch?es sur les registres de cette cour. Quelle id?e se fit-elle de cette nouvelle formalit?? Je l'ignore. Mais si le parlement n'imagina pas alors qu'en publiant les ordonnances de Charles VI, il lui donnoit force de loi, et que son enregistrement ?toit le compl?ment ou la partie int?grante de la l?gislation, il eut du moins l'ambition de se regarder comme l'approbateur et le gardien des lois.

Telle est l'origine de l'enregistrement; car pour croire avec quelques ?crivains que la publication des lois du parlement et leur enregistrement sont des coutumes aussi anciennes que la monarchie, il faudroit n'avoir aucun ?gard ? nos monumens historiques, et supposer des faits qui n'ont jamais exist?. Pourroit-on se r?soudre ? penser que les capitulaires, port?s pendant les deux premi?res races dans le champ de Mars ou de Mai, aient ?t? publi?s et enregistr?s dans le tribunal sup?rieur de la justice de nos rois, dont le parlement tire son origine? Pouvoit-il manquer quelque chose ? des lois faites par le corps entier de la nation, et auxquelles le roi avoit donn? son consentement? ?toit-il possible d'y ajouter quelque autorit?? Elles ?toient sans doute envoy?es ? la justice du roi, mais de la m?me mani?re qu'? celle des comtes et des ?v?ques, parce que ces tribunaux devoient les conno?tre pour s'y conformer et les faire ex?cuter, et qu'une de leurs principales fonctions ?toit de les publier dans leurs assises pour instruire le peuple.

On a imagin? que le champ de Mars ou de Mai, apr?s avoir ?prouv? diff?rentes m?tamorphoses, subsiste encore dans notre parlement; et on ajoute que si ce corps repr?sentatif de la nation a perdu le droit de faire des lois, il a constamment conserv? celui de les publier et de les enregistrer. Je ne sais si ce roman historique vaut la peine d'?tre r?fut?. Qu'on nous montre par quelle cha?ne notre parlement tient aux premi?res assembl?es de la nation. Quelles sont ces r?volutions du champ de Mai dont on ne trouve aucune trace dans nos monumens? Ne voit-on pas qu'il s'?tablit, sous les derniers Carlovingiens, un nouvel ordre de choses? Le gouvernement se dissout par la foiblesse de ses ressorts; toutes les parties de l'?tat sont s?par?es, l'anarchie ?tablit par-tout l'ind?pendance. Quand la cour du roi, dans son origine, n'auroit point ?t? distingu?e du champ de Mars ou de Mai; par quel prodige, en vertu de quel droit, quelques seigneurs, qui relevoient imm?diatement des premiers Cap?tiens et qui formoient leur cour f?odale, auroient-ils pr?tendu repr?senter la nation? Tous nos monumens historiques ne nous apprennent-ils pas que ces vassaux du roi se bornoient ? juger les diff?rens ?lev?s entre les vassaux de la couronne ou entre eux et le roi, et profitoient seulement de l'occasion qui les rassembloit pour faire quelquefois des trait?s qui ne lioient que ceux qui les avoient sign?s. Quand le parlement seroit la m?me chose que l'ancien champ de Mai, comment auroit-il conserv? le privil?ge de v?rifier les lois du royaume, puisqu'il n'existoit plus de lois g?n?rales? Qu'on fasse attention qu'il ne pouvoit pas m?me y en avoir; car le suzerain n'avoit aucune esp?ce d'autorit? sur ses arri?re-vassaux.

Les successeurs de Hugues-Capet, jusqu'? S. Louis, ne furent l?gislateurs que dans leurs domaines; et pourquoi se seroient-ils soumis ? porter leurs ordonnances au parlement, puisque les seigneurs qui y si?geoient, convaincus de la pl?nitude de leur pouvoir, n'y portoient eux-m?mes ni les lois qu'ils faisoient pour leurs sujets, ni les trait?s qu'ils passoient avec leurs vassaux? Quand ces seigneurs donn?rent des chartes de commune ? leurs villes, on demanda quelquefois la garantie du roi; mais on ne trouve aucun exemple que ces pi?ces aient ?t? envoy?es ? sa cour, pour que l'enregistrement leur donn?t force de lois. Il est d?montr?, par la prodigieuse vari?t? des coutumes qui ?toient r?pandues dans le royaume, qu'on n'y connoissoit point une puissance l?gislative qui s'?tend?t sur tout le corps de la nation; il auroit donc ?t? absurde qu'il y e?t une compagnie charg?e d'enregistrer les lois chim?riques d'une puissance qui n'existoit pas. S. Louis, il est vrai, publia quelques-unes de ses ordonnances au parlement, et son fils, qui n'?toit pas encore reconnu incontestablement pour l?gislateur, suivit cet exemple. Mais, par-l?, ces deux princes ne remplissoient point un devoir qui leur f?t prescrit par la coutume; ils ne cherchoient qu'? pr?parer les esprits ? l'ob?issance, et accr?diter l'opinion naissante de leur l?gislation. Ce n'est pas m?me cette conduite que tinrent quelquefois S. Louis et son fils, qu'on doit regarder comme l'origine de l'enregistrement, puisque cette coutume tomba dans l'oubli ? mesure que le parlement et l'administration de la justice prirent une forme nouvelle par l'?tablissement des appels et la qualit? des personnes qui compos?rent le parlement, quand les seigneurs eurent renonc? au droit de juger.

Les progr?s rapides que fit alors l'autorit? royale, contribu?rent surtout ? faire enti?rement disparo?tre cette nouveaut?. Philippe-le-Bel, plus puissant qu'aucun de ses pr?d?cesseurs, sentit combien l'autorit? de son parlement, compos? de praticiens qu'il choisissoit ? son gr? pour remplir les fonctions d'une magistrature annuelle, ?toit peu propre ? donner du cr?dit ? ses lois, et ? les faire respecter par des seigneurs fiers de leur pouvoir et de leur grandeur. Il n'y fit point enregistrer l'ordonnance importante par laquelle il ?tablissoit la reine r?gente, dans le cas que son fils f?t mineur en montant sur le tr?ne: il eut recours ? un moyen plus efficace; il demanda la garantie aux seigneurs les plus puissans. Tout le monde sait que ce prince gouvernoit par des ordres secrets qu'il se contentoit d'adresser directement ? ses baillis. Mais quand il seroit vrai que le parlement e?t jusqu'alors repr?sent? la nation, n'est-il pas ?vident qu'il perdoit n?cessairement cet avantage, d?s que, par l'?tablissement des ?tats-g?n?raux, Philippe-le-Bel la rassembloit r?ellement?

Comment, avant le r?gne de Charles VI, auroit-il ?t? d'usage de publier les ordonnances du roi au parlement, pour qu'elles fussent regard?es comme des lois, puisque ce tribunal ne se tenoit que deux fois l'an et pendant un temps tr?s-court? Pour rem?dier ? un abus, il auroit donc fallu attendre que cette compagnie f?t assembl?e, et le gouvernement auroit ?t? souvent arr?t? dans ses op?rations. On me r?pondra sans doute que les Cap?tiens pouvoient faire des r?glemens provisoires, comme les Carlovingiens en avoient fait; mais ne voit-on pas que les pr?d?cesseurs de Philippe-le-Bel n'auroient pas moins abus? de ce droit que les successeurs de Charlemagne, et qu'ils n'auroient pas ?t? long-temps sans secouer un joug incommode?

Sans doute que sur la fin du m?me r?gne de Charles VI on n'avoit point encore, de la publication des ordonnances au parlement, ou de l'enregistrement, la m?me id?e que nous en avons eue depuis, puisqu'il n'est pas fait mention de cette formalit? dans le trait? de Troyes, qui devenoit une loi fondamentale de la monarchie, et d'autant plus importante qu'elle changeoit l'ordre ?tabli et reconnu de la succession. Si l'opinion publique eut regard? l'enregistrement comme l'ame et le compl?ment de la loi, est-il vraisemblable qu'on e?t n?glig? d'en faire mention et de l'exiger? Peut-on raisonnablement soup?onner les Anglais de distraction ou d'oubli dans cette occasion? En signant un trait? par lequel Henri V s'engageoit ? conserver au parlement ses privil?ges, pouvoit-il oublier d'en requ?rir l'enregistrement, s'il eut cru cette formalit? n?cessaire ? la validit? de l'acte qu'il passoit?

Le parlement, compos? de magistrats nomm?s par le roi, et qui n'avoient qu'une existence pr?caire, avoit toujours ?t? attentif ? flatter la cour, ? se rendre digne de ses faveurs, et ? ?tendre l'autorit? royale, pour que, sous le r?gne de Charles VI, il abus?t d?j? de l'envoi qu'on lui faisoit des ordonnances, jusqu'au point de former le projet de partager avec le roi la puissance l?gislative, dont la nation elle-m?me assembl?e en ?tats-g?n?raux, n'avoit os? s'attribuer aucune partie: soyons s?rs qu'il ne s'est point fait subitement des pr?tentions si extraordinaires: les hommes, et surtout les compagnies, dont les mouvemens sont toujours plus lents, ne franchissent que pas ? pas de si grands intervalles. Si le parlement avoit cru entrer en part de la l?gislation, ou du moins s'il avoit pens? avoir le droit de rejeter ou de modifier les lois qu'on lui pr?sentoit, il auroit fait sans doute les remontrances les plus graves, quand chaque faction ? son tour lui envoyoit des ordonnances contraires les unes aux autres. Il auroit oppos? les refus les plus constans aux injustices du gouvernement; et l'histoire, qui n'en parle point, n'auroit pas manqu? de faire l'?loge de son courage et de sa g?n?rosit?. Enfin, comment auroit-il eu la bassesse de ne point protester contre une loi qui proscrivoit la maison de Hugues-Capet pour donner son tr?ne ? Henri V?

Selon les apparences, l'enregistrement, semblable par son origine et dans ses progr?s ? tous les autres usages de notre nation, s'est ?tabli par hasard, s'est accr?dit? peu ? peu, a souffert mille r?volutions; et par une suite de circonstances extraordinaires, on lui a enfin attribu? tout le pouvoir qu'il a aujourd'hui. Il seroit plus ais? de dire ce que ce pouvoir doit ?tre pour ?tre utile, que de le d?finir d'apr?s les id?es du conseil et du parlement. A travers l'obscurit? dont ils s'enveloppent, on entrevoit seulement que l'un pense que l'enregistrement n'est rien, et que l'autre est persuad? qu'il est tout.

L'ambition des gens de robe devoit r?ussir d'autant plus ais?ment, qu'ils parloient ? une nation qui n'avoit aucune connoissance de ses antiquit?s, aucune loi fixe, ni aucun principe sur la nature du gouvernement. Comines leur reproche d'avoir toujours dans la bouche quelque trait d'histoire ou quelque maxime dont ils abusoient, ou qu'ils pr?sentoient sous la face qui leur ?toit la plus avantageuse. La d?cadence, et m?me la ruine des ?tats-g?n?raux, la foiblesse et la duret? du gouvernement de Charles VI, les factions des grands, tout favorisoit les pr?tentions du parlement. Et sans doute que le public, inspir? par cette crainte que donne toujours le pouvoir arbitraire, voyoit avec plaisir qu'il s'?lev?t une barri?re entre lui et le despotisme du conseil.

L'usage des ?lections fut interrompu, et des magistrats pr?sent?s par des courtisans et nomm?s par le roi, furent moins z?l?s pour les int?r?ts de leur compagnie, que ceux qu'elle avoit elle-m?me choisis; si le parlement n'oublia pas ses nouvelles pr?tentions, il fut moins empress? ? les faire valoir. Mais ce qui contribua plus que tout le reste ? retarder la marche de son ambition, c'est la puissance m?me que les grands avoient acquise, et qui s'?toit affermie. Puisqu'ils avoient r?ussi ? se d?livrer de la censure incommode des ?tats-g?n?raux, ils ne devoient pas permettre ? un corps toujours existant et toujours pr?sent de l'exercer. Si le conseil n'e?t encore ?t? compos? que de personnes peu recommandables par leur naissance et leurs dignit?s, les magistrats auroient ?t? vraisemblablement plus hardis. Mais ils se sentoient opprim?s par la grandeur des personnages qui manioient l'autorit? du roi. Plus l'opinion publique attachoit de consid?ration ? l'antiquit? des races, aux charges de la cour et ? la profession des armes, dans un temps sur-tout o? le courage de la noblesse venoit de prodiguer son sang pour chasser les Anglais et placer le l?gitime h?ritier sur le tr?ne, moins le parlement osoit se livrer aux esp?rances que peut avoir un corps ma?tre de faire parler des lois et de les interpr?ter en sa faveur.

Il faut sur-tout remarquer que cette compagnie, souvent nomm?e dans les ordonnances la principale cour de justice et le chef des tribunaux, n'?toit cependant qu'une cour secondaire dont la juridiction ne s'?tendoit pas sur tous les ordres de l'?tat. Quoique les pairs et les grands officiers de la couronne y eussent pr?t? serment sous le r?gne de Charles VI, elle n'?toit point encore la cour des pairs, c'est-?-dire, qu'elle n'avoit point encore le droit de juger les anciens pairs, ni les nouveaux qui affectoient les m?mes pr?rogatives, ni m?mes les princes du sang qui pr?tendoient pr?c?der les pairs, depuis que l'ordre ?tabli dans la succession les appeloit tous au tr?ne dans leur rang d'a?nesse, et qu'ils avoient pris part au gouvernement. Si le parlement ?toit nomm? la principale ou la premi?re cour de justice, ce n'?toit qu'improprement, et relativement aux tribunaux subalternes dont il recevoit les appels, ou ? la chambre des comptes et ? la cour des aides, qui formoient des justices souveraines dans l'ordre des choses dont la connoissance leur ?toit attribu?e. Peut-?tre que les rois ne se servoient de cette expression que parce qu'ils avoient int?r?t de faire oublier les privil?ges de la pairie; et que la cour des pairs, qui s'assembloit tr?s-rarement, formoit une juridiction ? part, et, pour ainsi dire, inconnue dans l'ordre de la justice.

Il est vrai que Philippe-le-Bel avoit voulu soumettre les pairs ? la juridiction de son parlement, et il avoit raison de bien plus compter sur des hommes qui tenoient de lui leur dignit?, et qui travailloient avec z?le ? augmenter la pr?rogative royale, que sur des seigneurs puissans, jaloux de leur souverainet?, choqu?s d'avoir un suzerain, et qui formant eux-m?mes une cour pour se juger, devoient favoriser par leurs arr?ts les privil?ges de la pairie. Mais il est certain que les pairs, ?clair?s sur leurs int?r?ts, ou plut?t incapables par hauteur de reconno?tre la juridiction du parlement, depuis qu'il avoit chang? de nature, s'oppos?rent opini?trement ? l'entreprise de Philippe-le-Bel. Je dois, lui ?crivit Guy, comte de Flandre, ?tre jug? par mes pairs, et non par des avocats. Le trait? que les fils de ce seigneur pass?rent en 1305 avec le m?me prince, est encore une preuve ?vidente qu'un pair ne devoit ?tre jug? que par le roi, les pairs et deux pr?lats ou barons du conseil. En 1324 les pairs pr?tendirent que les diff?rends n?s au sujet de la pairie entre le roi et eux ne pouvoient ?tre port?s au parlement, si les pairs n'assistoient pas au jugement. Comment auroient-ils os? former cette pr?tention, si le parlement avoit ?t? en droit de juger la personne m?me des pairs?

Il falloit que cette coutume se f?t constamment soutenue, puisque dans le proc?s du roi de Navarre en 1386, le duc de Bourgogne, qui portoit la parole pour les pairs, dont il ?toit doyen, avan?a qu'eux seuls ?toient juges de cette affaire, et que le roi m?me n'avoit pas le droit d'en conno?tre. Cette pr?tention, contraire aux anciennes r?gles des cours f?odales que le suzerain pr?sidoit toujours, ?toit sans doute outr?e; cependant, Charles VI donna des lettres-patentes, par lesquelles il reconnoissoit, qu'en assistant au proc?s du roi de Navarre, il ne pr?tendoit acqu?rir aucun droit de juger les pairs, ni diminuer leurs pr?rogatives. On peut bl?mer ce prince d'avoir consenti ? la demande injuste des pairs, ou le plaindre de s'?tre trouv? dans des circonstances qui le for?oient ? ne rien refuser; mais il n'en r?sulte pas moins de ces faits, que la juridiction du parlement ne s'?tendoit point alors sur les pairs. Est-il convenable qu'on e?t refus? au prince un droit qu'on auroit reconnu dans ses officiers? Tout concourt ? prouver la v?rit? de l'opinion que j'avance. On a vu que depuis la fin de la seconde race, les Fran?ais n'?toient gouvern?s que par des coutumes; et le propre des coutumes n'est-il pas de s'alt?rer insensiblement, de changer de proche en proche, et non par des r?volutions subites qui ?tablissent des nouveaut?s qui ne tiennent en rien aux anciens usages? Il falloit que par une longue suite d'?v?nemens, les pairs perdissent leur puissance, et que le parlement acqu?t de la dignit?, pour que ces deux corps peu ? peu rapproch?s se confondissent pour n'en former qu'un.

Je demande pardon ? mes lecteurs de m'arr?ter si long-temps sur ce point de notre droit public; ils doivent m'excuser. Peut-on ?tre court quand on pr?sente des v?rit?s qui, vraisemblablement, ne plairont pas, et contre lesquelles on a publi? une foule d'?crits qui ont usurp? dans le monde une r?putation qu'ils ne m?ritent pas?

Cette compagnie ajoute que c'est ainsi qu'avoient ?t? faits les proc?s de Robert d'Artois, de Jean de Montfort et du roi de Navarre; elle d?cide sans h?siter, et de la mani?re la plus pr?cise, qu'il est n?cessaire que le roi assiste au jugement du duc d'Alen?on, que cet usage avoit ?t? constant jusqu'alors, et m?me, que dans le cas o? le roi seroit occup? par quelque affaire plus importante, il vaudroit mieux diff?rer le proc?s et le jugement, que si le roi donnoit commission ? quelqu'un de le repr?senter. Ce seroit abuser de la patience de mes lecteurs, que de vouloir faire des r?flexions sur des r?ponses qui sont si claires, et qui distinguent de la fa?on la plus marqu?e la cour des pairs de tous les autres tribunaux. Mais ce qu'on ne peut trop louer, c'est que, dans un temps o? plusieurs magistrats du parlement pensoient comme le procureur du roi, et form?rent les plus hautes pr?tentions, cette compagnie ait pr?f?r? les int?r?ts de la v?rit? ? ceux de son ambition. Non-seulement elle n'abusa point de l'ignorance du roi et de son conseil sur nos anciens usages, pour s'arroger une pr?rogative si importante pour elle; mais elle ne voulut pas m?me insinuer par ses r?ponses qu'il seroit ? propos d'appeler quelques-uns de ses magistrats pour instruire le proc?s du duc d'Alen?on, et servir dans la cour des pairs de conseillers-rapporteurs.

Il suffit d'avoir quelque id?e de la mani?re ?trange dont les grands ont abus? de leur pouvoir dans tous les pays, pour juger des malheurs que devoit produire en France leur association au gouvernement. Par-tout ils ont bris? les foibles obstacles qui s'opposoient ? leur volont?; par-tout ils ont fait taire les lois, et cru qu'eux seuls formoient la soci?t?. Il est vraisemblable que la troisi?me race de nos rois auroit ?prouv? les m?mes disgraces que les deux premi?res, si les grands avoient ?t? les seuls ministres et les seuls d?positaires de l'autorit? royale sous les successeurs de Charles VI; ? force d'en abuser, ils n'auroient bient?t pu en tirer aucun avantage. Las de servir ou de gouverner un ma?tre inutile, ils devoient alors songer ? se faire une puissance propre et personnelle, et on auroit vu rena?tre le gouvernement f?odal, dont le souvenir leur ?toit toujours cher.

C'est l'autorit? que le parlement avoit acquise qui d?termina le cours des ?v?nemens qu'on devoit craindre. En opposant ses modifications, ses remontrances et le nom des lois aux injustices des grands, il les emp?cha de se livrer ? leurs passions avec la m?me facilit? qu'ils l'auroient fait. Cette compagnie connut la n?cessit? d'avoir des lois, puisqu'elle en ?toit le gardien, et que ce n'?toit que par leur secours qu'elle pouvoit se rendre puissante. Elle recueillit dans ces chartes et ces ordonnances informes, qu'on avoit publi?es jusques-l?, tout ce qu'elle crut qui lui seroit utile, et commen?a ? donner du cr?dit ? ces articles ?pars qui formoient la l?gislation la plus grossi?re et la plus barbare.

Le parlement auroit ?t? en ?tat de diriger la puissance l?gislative, de lui demander les lois les plus salutaires, et de lui fournir les moyens les plus efficaces pour les affermir, que ?'auroit ?t? sans succ?s. Il ?toit facile aux grands, qui manioient l'autorit? du roi, de lui rendre suspect un corps qui pensoit qu'il ?toit quelquefois de son devoir de d?sob?ir; et qui, en feignant de faire observer les lois, pouvoit ravir au l?gislateur le droit d'en faire. Sous pr?texte de servir le prince, les magistrats n'auroient pas souffert qu'on e?t ?tabli une r?gle qui auroit ?t? contraire ? leurs int?r?ts particuliers. Avant que nos rois eussent acquis le droit de lever arbitrairement des imp?ts, et quand ils ?toient oblig?s de traiter avec leurs sujets, pour en obtenir des subsides, ils conserv?rent pr?cis?ment tous les vices de leur administration, pour en faire une esp?ce de commerce. Ils vendoient les lois, et la suppression de quelques abus, ? condition qu'on leur donneroit un subside; mais pour que la source des subsides ne tar?t pas, il falloit laisser subsister les abus et faire m?priser les lois qui les proscrivoient. Quand nos rois n'eurent plus aucun motif pour conserver cette malheureuse politique, qui a perp?tu? pendant si long-temps nos d?sordres et nos malheurs, les grands crurent qu'il ?toit de leur int?r?t de l'adopter, et sous les successeurs de Charles VI, ? qui on ne contestoit aucune pr?rogative, on vit encore les m?mes abus, qui n'auroient d? subsister que dans le temps o? la puissance royale ?toit an?antie. De ces abus, qui rendoient le cr?dit des grands odieux et incertain, et de l'impuissance des lois, qui emp?choit les magistrats d'agrandir leur autorit?, il r?sulte des int?r?ts bizarres et une conduite extraordinaire.

Ces deux factions, qui se balan?oient et se tenoient mutuellement en ?chec, sentirent que pour se rendre plus puissantes, elles devoient se couvrir du nom du roi, et ne se proposer que son avantage. Peut-?tre ne se rendoient-elles point compte ? elles-m?mes de l'ambition secr?te qui les faisoit agir; mais n'est-il pas ?vident que si l'une f?t parvenue ? humilier l'autre, elle n'auroit pas tard? ? montrer ses vrais sentimens, et s'emparer de la puissance publique? On vit les grands porter des lois au nom du roi, et les magistrats les rejeter ou les modifier au nom du roi; c'?toit une esp?ce de combat entre la puissance active des uns, et la puissance d'inertie ou de r?sistance des autres. Les grands vouloient dominer la nation par le prince; et sans se soucier de la nation, le parlement d?siroit que le prince e?t besoin de lui. Si le roi ?toit habile, et jaloux de commander par lui-m?me, il lui ?toit ais? de se servir de leur rivalit? pour les contenir et les forcer tous deux ? ob?ir.

Tandis que les grands et le parlement se conduisoient par des vues si capables de les perdre, et se flattoient en quelque sorte de trouver toujours un prince qui leur abandonneroit son pouvoir, quel moyen restoit-il ? la nation pour recouvrer ses anciens privil?ges, et voir rena?tre des ?tats-g?n?raux, qui, en perfectionnant leur police, pussent faire fleurir le royaume? C'?toit en vain qu'un grand nombre de citoyens g?missoient sous une administration qui n'?toit soumise ? aucune r?gle. On avoit beau murmurer contre les imp?ts dont l'?tat ?toit accabl?, et penser avec Comines que les impositions qui n'avoient pas ?t? consenties par les ?tats-g?n?raux, ?toient autant d'exactions injustes; comment les citoyens auroient-ils encore pu faire entendre leurs plaintes, et contraindre le gouvernement ? consulter la nation? La noblesse, attach?e aux grands qui gouvernoient et qui favorisoient ses injustices, craignoit presque autant qu'eux ces grandes assembl?es, qui, apr?s lui avoir reproch? sa tyrannie, auroient vraisemblablement demand? qu'on la r?prim?t. Le parlement qui se trouvoit ? la t?te du tiers-?tat, comme les grands ? celle de la noblesse, n'avoit pas oubli? les affronts que lui avoient faits autrefois les ?tats-g?n?raux; il emp?choit par ses remontrances que les plaintes du peuple ne devinssent assez s?ditieuses pour intimider le gouvernement, et il ?toit ainsi le garant de la docilit? de cet ordre. Avec de pareils secours, il ne falloit pas beaucoup d'art pour faire perdre ? la nation le souvenir de ses privil?ges, et l'accoutumer peu ? peu ? souffrir sans se plaindre.

La France paroissoit destin?e ? ob?ir ? un pouvoir arbitraire, et elle y auroit ?t? conduite sans ?prouver d'agitation violente, si le prince e?t toujours eu une conduite assez adroite pour contenir les grands par les magistrats, et les magistrats par les grands; mais ? quelles infortunes nos p?res n'?toient-ils pas encore condamn?s, s'il montoit sur le tr?ne des rois foibles, et qui, ne connoissant pas le danger qui les mena?oit, abandonneroient le soin de leur autorit?? D?s-lors toutes les passions devoient acqu?rir un nouveau degr? d'activit?. Toutes les arri?res-vues des grands et du parlement devoient se montrer ? d?couvert, et produire des d?sordres d'autant plus grands, que chacune de ces factions ?tant incapable de se conduire et d'?tre unie par un int?r?t g?n?ral, devoit produire des cabales et des partis diff?rens, dont le choc pouvoit renverser les fondemens de l'?tat.

OBSERVATIONS SUR L'HISTOIRE DE FRANCE.

LIVRE SEPTI?ME.

CHAPITRE PREMIER.

Depuis que le gouvernement des fiefs s'?toit ?tabli dans toute l'Europe, et qu'? quelques l?g?res modifications pr?s, la foi donn?e et re?ue y f?t devenue, comme en France, la r?gle incertaine et ?quivoque de l'ordre et de la subordination, tous les peuples ?prouv?rent la m?me fortune que les Fran?ais. Les ?tats, continuellement occup?s de leurs dissentions domestiques, et par cons?quent incapables de r?unir leurs forces et de les diriger par un m?me esprit, furent voisins sans se causer ni inqui?tude, ni jalousie, ni haine. Il n'y eut que le z?le fanatique dont les chr?tiens d'Occident furent anim?s pour la d?livrance de la Terre-Sainte, qui, en suspendant par intervalles les troubles et les querelles que l'anarchie f?odale devoit sans cesse reproduire, p?t rapprocher les ordres divis?s de chaque nation, les r?unir par un m?me int?r?t, et leur permettre de porter leur attention au-dessous. Ces si?cles malheureux, o? l'on ne voit que des suzerains et des vassaux arm?s les uns contre les autres, offrent ? peine quelques guerres de nation ? nation; et elles furent ordinairement termin?es dans une campagne, parce qu'elles avoient ?t? entreprises par des princes qui eurent trop d'ennemis domestiques dans leurs propres ?tats, pour former un plan suivi d'agrandissement aux d?pens des ?trangers.

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