Read Ebook: Collection complète des oeuvres de l'Abbé de Mably Volume 3 (of 15) by Mably Gabriel Bonnot De Arnoux Guillaume Editor
Font size:
Background color:
Text color:
Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page
Ebook has 461 lines and 109191 words, and 10 pages
Depuis que le gouvernement des fiefs s'?toit ?tabli dans toute l'Europe, et qu'? quelques l?g?res modifications pr?s, la foi donn?e et re?ue y f?t devenue, comme en France, la r?gle incertaine et ?quivoque de l'ordre et de la subordination, tous les peuples ?prouv?rent la m?me fortune que les Fran?ais. Les ?tats, continuellement occup?s de leurs dissentions domestiques, et par cons?quent incapables de r?unir leurs forces et de les diriger par un m?me esprit, furent voisins sans se causer ni inqui?tude, ni jalousie, ni haine. Il n'y eut que le z?le fanatique dont les chr?tiens d'Occident furent anim?s pour la d?livrance de la Terre-Sainte, qui, en suspendant par intervalles les troubles et les querelles que l'anarchie f?odale devoit sans cesse reproduire, p?t rapprocher les ordres divis?s de chaque nation, les r?unir par un m?me int?r?t, et leur permettre de porter leur attention au-dessous. Ces si?cles malheureux, o? l'on ne voit que des suzerains et des vassaux arm?s les uns contre les autres, offrent ? peine quelques guerres de nation ? nation; et elles furent ordinairement termin?es dans une campagne, parce qu'elles avoient ?t? entreprises par des princes qui eurent trop d'ennemis domestiques dans leurs propres ?tats, pour former un plan suivi d'agrandissement aux d?pens des ?trangers.
D?s que la France et l'Espagne se virent tranquilles au-dedans, il n'?toit pas possible que leurs rois jouissent en paix, et sans inqui?ter leurs voisins, d'une fortune qu'ils avoient acquise par des guerres continuelles. L'influence consid?rable que les empereurs commen?oient ? avoir dans les d?lib?rations du corps germanique, leur donna aussi de l'ambition; et s'ils ne se flatt?rent pas de ruiner leurs vassaux ? l'exemple des rois de France, et d'asservir l'empire, ils esp?r?rent d'employer une partie de ses forces ? faire des conqu?tes au-dehors, sous pr?texte de faire valoir des droits n?glig?s ou perdus. L'int?r?t v?ritable de tous ces ?tats ?toit sans doute de cultiver la paix; mais ?toient-ils assez ?clair?s pour profiter du calme int?rieur dont ils commen?oient ? jouir, pour s'occuper plus de leurs affaires domestiques que de leurs voisins, et substituer des lois justes et certaines aux coutumes que l'ignorance et le gouvernement des fiefs avoient r?pandues dans toute la chr?tient?? Les passions des princes d?cident malheureusement de la politique, des moeurs, du g?nie et des int?r?ts des peuples; et leurs pr?jug?s dans le quinzi?me si?cle n'?toient propres qu'? donner naissance ? de nouvelles divisions.
L'entreprise propos?e par le duc de Milan fut ? peine r?solue qu'on en fit les pr?paratifs avec une extr?me c?l?rit?, ou plut?t on n'eut pas la patience qu'ils fussent faits pour entrer en Italie. Personne n'ignore les succ?s prodigieux que les Fran?ais eurent dans les commencemens de cette exp?dition. La terreur les avoit pr?c?d?s; tout se soumit sur leur passage et rechercha leur alliance ou leur protection. Tant de succ?s obtenus sans peine devoient augmenter la confiance aveugle des Fran?ais, et il n'auroit fallu que lasser leur patience, ou les battre une fois pour perdre sans retour un ennemi que le repos fatigue, qui ne pouvoit r?parer ses forces qu'avec beaucoup de peine; et qui, ne pr?voyant que des succ?s, n'avoit pris aucune pr?caution contre un revers. Le roi de Naples ne sut ni temporiser ni hasarder une bataille, et, ne consultant que sa consternation, il abandonna l?chement sa capitale, quand il auroit d? s'avancer sur sa fronti?re pour la d?fendre. Charles entra sans r?sistance dans les ?tats d'un prince qui fuyoit; les peuples s'empress?rent de lui pr?senter leur hommage; et on auroit dit qu'il visitoit une province depuis long-temps soumise ? son autorit?.
Tandis que les Napolitains, naturellement inconstans et toujours las du gouvernement auquel ils ob?issent, ne songeoient qu'? secouer le joug d'un ma?tre qui ne savoit ni les asservir ni s'en faire aimer, la r?publique de Venise, occup?e ? former une ligue en faveur de la libert? d'Italie, mena?a les Fran?ais d'un revers aussi prompt que leurs succ?s avoient ?t? rapides. Soit que Charles f?t incapable de se conduire avec plus de prudence qu'il n'avoit fait jusqu'alors, soit qu'il conn?t enfin combien son entreprise ?toit au-dessus de ses forces, il vit l'orage pr?t ? fondre sur lui, et ne tenta pas m?me de le conjurer. Il abandonna Naples avec pr?cipitation, traversa avec peine l'Italie, o? il se croyoit en quelque sorte prisonnier, et ne gagne enfin la c?l?bre bataille de Fornoue que pour fuir en libert? dans ses ?tats, et laisser ? la discr?tion de ses ennemis une poign?e de Fran?ais qu'il avoit inutilement charg?s de conserver sa conqu?te.
Une entreprise commenc?e et termin?e sous de si malheureux auspices, auroit d? d?go?ter pour toujours les Fran?ais de la conqu?te du royaume de Naples, et plut?t inspirer ? leurs ennemis des sentimens de m?pris que de crainte, d'indignation et de vengeance. Si les uns, par leur disgrace, et les autres par leurs succ?s, avoient ?t? capables de s'?clairer sur leurs vrais int?r?ts et de conno?tre leurs forces et leurs ressources, peut-?tre que la fuite pr?cipit?e de Charles auroit calm? l'inqui?tude que son entr?e en Italie avoit produite dans une partie de l'Europe. Son incursion, semblable ? celle des anciens barbares, ne seroit peut-?tre point devenue le germe d'une r?volution g?n?rale dans la politique.
Malheureusement les Fran?ais furent aussi pr?somptueux apr?s leur fuite, qu'ils l'avoient ?t? en entrant dans le royaume de Naples; et ils n'attribu?rent leurs malheurs qu'aux fautes particuli?res de Charles. On crut que si ce prince ne s'?toit pas livr? ? cette sorte de lassitude qu'une grande entreprise donne toujours ? un homme m?diocre, rien n'auroit ?t? capable de le chasser de sa conqu?te. On lui reprocha de n'avoir ?t? occup? que de ses plaisirs, et d'avoir n?glig? de r?duire quelques places qui tenoient toujours pour leur ancien ma?tre. Charles avoit r?pandu ses bienfaits avec une prodigalit? qui ?toit devenue une calamit? publique; bient?t il fallut vexer le peuple, et les grands furent peu affectionn?s ? un prince qui ne pouvoit plus acheter leur amiti?. Pour r?tablir des finances ?puis?es par de vaines profusions, on eut recours ? une avarice inf?me, que le public ne pardonne jamais; les emplois furent vendus, les favoris de Charles firent un trafic honteux de leur cr?dit, et sa cour mit toutes les gr?ces ? l'encan. Tandis que le gouvernement n'inspiroit que de la haine et du m?pris aux Italiens, la discipline m?diocre ? laquelle les troupes avoient ?t? form?es, fut enti?rement n?glig?e. Le conseil, enfin, intimid? par la d?cadence des affaires, n'osa pas employer la force pour r?tablir sa r?putation; et en montrant de la foiblesse, donna de l'audace ? ses ennemis. Que devoit-on attendre des n?gociations auxquelles on eut alors recours? Elles seront toujours inutiles ? une puissance qui a cess? de se faire craindre; et les Fran?ais ne n?goci?rent en effet que pour ?tre les dupes des artifices et de la mauvaise foi des Italiens.
En ne voyant que ces fautes qui avoient h?t? et non pas caus? la fin malheureuse de l'entreprise de Charles, les Fran?ais imagin?rent qu'il seroit facile de les ?viter dans une seconde exp?dition; et apr?s ?tre rentr?s en France, ils eurent une impatience extr?me de repasser en Italie. On murmuroit hautement contre la nonchalance du roi; et personne ne se doutoit que quand il auroit autant de sagesse qu'il avoit eu d'imprudence, il ?prouveroit encore les m?mes disgraces.
Qu'il auroit ?t? avantageux pour la France et pour l'Europe enti?re, que dans chacune de ses op?rations, ce prince e?t montr? tout ce qu'on pouvoit attendre de l'exp?rience la plus consomm?e, de la fermet? la plus h?ro?que et des talens les plus ?tendus. Les Fran?ais, alors ?tonn?s d'?chouer, en admirant le g?nie de leur ma?tre, auroient sans doute appris qu'il y a des entreprises malheureuses par leur nature, et dont on ne r?pare pas les vices par les d?tails d'une bonne conduite. En connoissant les v?ritables causes de leurs revers, ils auroient compris qu'un ?tat dont la politique n'est pas born?e ? sa seule conservation, s'expose t?m?rairement ? tous les caprices de la fortune; et qu'il doit ? la fin p?rir, parce que la fortune a plus de caprices que les hommes n'ont de sagesse. Si les Fran?ais avoient tir? cette instruction de l'entreprise de Charles sur l'Italie, ce r?gne auroit peut-?tre ?t? aussi heureux pour la monarchie qu'il lui devint funeste, en lui donnant une ambition qu'elle ne pouvoit satisfaire et qui devoit l'?puiser. Les Fran?ais retenus chez eux, auroient pu s'occuper de leurs affaires domestiques, r?parer les torts de leurs p?res, chercher les moyens d'avoir des lois et de les fixer, corriger, en un mot, leur gouvernement avant que le sentiment de la libert? f?t tout-?-fait ?teint: du moins ils ne se seroient pas pr?cipit?s dans les vices o? le cours des passions et les ?v?nemens survenus depuis le r?gne du roi Jean sembloient les pousser.
En effet, la cour de Rome, revenue de sa premi?re terreur, auroit tout tent? pour emp?cher qu'une puissance plus redoutable pour elle que ne l'avoient ?t? les empereurs, ne s'?tabl?t en Italie, et ne lui rav?t l'esp?rance d'y dominer. Elle devoit opposer aux Fran?ais les armes de la religion, bien plus effrayantes avant que Luther et Calvin eussent publi? leur doctrine, qu'elle ne l'ont ?t? depuis: et quel n'?toit pas alors le pouvoir de ses anath?mes et de ses indulgences? Ses relations s'?tendoient dans toute l'Europe; ses ?missaires ?toient r?pandus par-tout; elle n'avoit pas oubli? l'art d'intriguer et d'affoiblir ses ennemis, en semant la division parmi eux. La r?publique de Venise, ? qui Comines pr?dit de hautes destin?es, et qui avoit du moins sur tous les autres ?tats de la chr?tient? l'avantage d'avoir un caract?re d?cid? et des principes constans de conduite, ?toit pour l'Italie un rempart puissant contre lequel le courage inconsid?r? des Fran?ais devoit se briser. Malgr? quelques vices qui g?noient ou retardoient les ressorts de son gouvernement, quoiqu'elle ne s?t pas assez l'art de rendre sa domination agr?able ? ses voisins, et qu'elle e?t le tort d'?tre ? la fois ambitieuse et commer?ante, cette r?publique ?toit cependant constante dans ses projets, et capable de la patience la plus courageuse dans les revers. Sa capacit? dans les affaires lui avoit acquis le plus grand cr?dit, et ne pouvant jamais consentir ? voir entre les mains des Fran?ais une conqu?te d'o? ils auroient continuellement menac? ses domaines, et troubl? la paix de l'Italie, elle auroit bient?t ?touff? cette antipathie qu'elle avoit pour quelques-uns de ses voisins, et qui la portoit habilement ? pr?f?rer des secours ?trangers.
La haine de la r?publique de Venise et de la cour de Rome contre les Fran?ais seroit devenue, en peu de temps, la passion g?n?rale de l'Italie. Les princes les moins puissans sentoient qu'ils ne devoient leur existence et leur libert? qu'? la jalousie qui divisoit les puissances les plus consid?rables; et ils en auroient conclu que, d?s qu'elles seroient opprim?es par la France, il n'y auroit plus de souverainet? pour eux. La juste d?fiance des Italiens, les uns ? l'?gard des autres, le souvenir de leurs trahisons pass?es et des injures qu'ils s'?toient faites, tout auroit ?t? sacrifi? ? la crainte qu'un danger ?minent leur inspireroit: on ne songe plus ? faire des conqu?tes ni ? dominer ses voisins, quand on est occup? du soin de sa conservation ou menac? de sa ruine. Les m?mes motifs d'int?r?t qui avoient autrefois port? les Italiens ? mettre tant de ruse et d'artifice dans leurs n?gociations, et de se jouer de leurs sermens, les auroient actuellement invit?s, ou plut?t forc?s ? traiter entre eux avec quelque candeur et de bonne foi.
D?s que l'Italie se vit inond?e d'arm?es ?trang?res qui vouloient l'asservir, ou qui avoient ?t? appel?es ? sa d?fense, elle servit de th??tre ? une guerre dont il fut, pour ainsi dire, impossible d'?teindre le feu. Chacune des puissances qui avoient pris les armes, ne tarda pas ? se faire des int?r?ts ? part. Tandis que la France se flattoit de d?baucher quelqu'un des princes qui prot?geoient la libert? de l'Italie, ces alli?s infidelles avoient d?j? con?u l'esp?rance d'asservir les Italiens qu'ils m?prisoient; et ceux-ci voyant ? leur tour qu'ils ?toient ?galement menac?s de leur ruine par leurs protecteurs et leurs ennemis, song?rent s?par?ment ? leur salut, et y travaill?rent inutilement par des moyens oppos?s. Les uns se firent une loi de c?der ? la n?cessit? et d'?viter tout danger pr?sent, sans examiner quelles en seroient les suites. Les autres, plus courageux, form?rent le projet insens? de chasser de chez eux les ?trangers, en se servant tour ? tour de leurs armes pour les perdre les uns par les autres. Substituer ainsi aux int?r?ts d'une politique raisonnable, les int?r?ts chim?riques des passions, c'?toit jeter les affaires dans un chaos qu'il seroit impossible de d?brouiller. On n'eut plus de r?gle certaine pour discerner ses ennemis et ses alli?s; on craignit et on pla?a sa confiance au hasard; et sans s'en apercevoir, on s'?loigna du but auquel on tendoit. Tous les jours il fallut ?viter un danger nouveau, vaincre une difficult? nouvelle, et se tracer un nouveau plan de conduite; de l? les ruses, les trahisons, les perfidies, les fausses d?marches qui d?shonorent ce si?cle, et les r?volutions inopin?es et bizarres qui ?toient un triste pr?sage que la guerre ne finiroit que par l'?puisement de toutes les puissances bellig?rantes, et que le vainqueur, c'est-?-dire, le prince qui seroit le dernier ? poser les armes, ne se trouveroit pas dans un ?tat moins f?cheux que les vaincus. En effet, la maison d'Autriche n'acquit pas des ?tablissemens consid?rables en Italie, parce qu'elle ?toit en ?tat d'y dominer; mais parce que ses ennemis, moins riches qu'elle et plut?t ?puis?s, ne furent plus assez forts pour lui disputer sa proie. Sa conqu?te ne lui fut d'aucun secours pour ex?cuter les vastes projets qu'elle m?ditoit, et l'affoiblit au contraire en multipliant ses ennemis.
Quoiqu'il en soit des alliances, des guerres, des paix et des tr?ves de ce prince, dont il seroit trop long d'examiner ici les d?tails, pour en faire l'apologie ou la censure, il est certain que le r?gne d'un roi, dont toutes les intentions ?toient droites, qui vouloit le bonheur de son peuple, qui avoit des vertus et m?me quelques talens pour gouverner, ne servit qu'? pr?parer ? la France et ? l'Europe enti?re une longue suite de calamit?s. Il ne tenoit qu'? lui de dissiper enti?rement les soup?ons, les craintes, les esp?rances et les rivalit?s que l'entreprise t?m?raire de Charles sur l'Italie avoit fait na?tre. Les esprits alloient se calmer, et sa pers?v?rance ? poursuivre des pr?tentions qu'il e?t ?t? sage et heureux de n?gliger, fixa en quelque sorte les int?r?ts et la politique de ses successeurs. L'habitude de vouloir faire des conqu?tes fut contract?e avant que d'avoir eu le temps d'y r?fl?chir. L'Europe se trouva malgr? elle dans un nouvel ordre de choses, et Fran?ois I, qui aimoit la guerre en aventurier ou en h?ros, n'?toit que trop propre ? confirmer ses sujets, ses voisins et ses ennemis dans leur erreur.
Tandis que les princes s'accoutumoient ? penser que tout l'art de r?gner est l'art d'agrandir ses ?tats, leurs sujets sortirent de l'ignorance o? jusques-l? ils avoient ?t? plong?s. On diroit que les esprits ?tonn?s par cette esp?ce de grandeur et d'audace que pr?sentoit la politique nouvelle, s'agit?rent et sentirent de nouveaux besoins. L'occident ?toit pr?par? ? prendre de nouvelles moeurs, lorsque les Grecs, qui fuyoient apr?s la prise de Constantinople, la domination des Turcs, transport?rent en Italie les connoissances qui s'?toient conserv?es dans l'empire d'Orient. Les lumi?res commenc?rent ? se r?pandre, mais elles ne se port?rent malheureusement que sur des objets ?trangers au bonheur des hommes. Les Grecs depuis long-temps n'avoient plus rien de cette ?l?vation d'ame qui avoit rendu leurs p?res si illustres. Vaincus par les ?trangers, avilis sous un gouvernement tyrannique et fastueux, ils ne connoissoient que des arts inutiles, et cultivoient moins les lettres en philosophes qu'en sophistes ou en beaux esprits. Des hommes accoutum?s ? l'esclavage ?toient incapables de voir dans l'antiquit? ces grands mod?les qu'elle offre ? l'admiration de tous les si?cles, et d'y puiser la connoissance des droits et des devoirs des citoyens, et des ressorts secrets qui font le bonheur ou le malheur des nations. Sous de tels ma?tres, les Italiens ne firent que des ?tudes frivoles, et s'ils eurent plus de talens, ils n'en furent gu?re plus estimables.
Une ?mulation g?n?rale excita le g?nie, et dans tous les genres l'esprit humain fit un effort pour franchir ses limites et rompre les entraves qui le captivoient. Le commerce, autrefois inconnu, ou du moins extr?mement born? dans ses relations, fit subitement des progr?s consid?rables. Une certaine ?l?gance qui s'?tablit dans quelques manufactures de l'Europe, fit malheureusement d?daigner les arts grossiers, qui jusqu'alors avoient suffi. Le faste des rois et le luxe des riches aiguillonn?rent l'industrie des pauvres, et on crut augmenter son bonheur en multipliant les besoins de la mollesse et de la vanit?. Qui reconno?troit sous le r?gne de Fran?ois I les petits fils des Fran?ais, dont les moeurs encore rustiques se contentoient de peu, et n'avoient qu'un faste sauvage? Le go?t funeste des choses rares et recherch?es se r?pandit de proche en proche dans la plupart des nations. Que nous sommes insens?s de ne pas voir que plus de bras travaillent ? la composition de nos plaisirs et de nos commodit?s, moins nous serons heureux! d?j? l'Europe n'a plus assez de richesses et de superfluit?s pour suffire ? la volupt? impatiente de ses habitans. La navigation se perfectionne; les hommes, dirai-je, enrichis ou appauvris par les productions des pays ?trangers, m?prisent les biens que la nature avoit r?pandus dans leur pays. On avoit doubl? le cap de Bonne-Esp?rance et d?couvert un nouveau monde sous un ciel inconnu; et tandis que le midi de l'Asie nous prodiguoit des richesses superflues, qui peut-?tre ont contribu? plus que tout le reste ? rendre les Asiatiques esclaves sous le gouvernement le plus dur et le plus injuste, l'Am?rique, prodigue de son or et de son argent, aiguisa, augmenta et trompa l'avarice et le luxe de l'Europe.
L'impulsion ?toit donn?e aux esprits, et on eut l'audace d'examiner des objets qu'on avoit respect?s jusques-l? avec la soumission la plus aveugle; en s'?clairant, les hommes furent moins dociles ? la voix du clerg?, et d?s ce moment il fut ais? de pr?voir que son autorit? ?prouveroit bient?t quelque revers. Je ne r?p?terai point ici ce que j'ai dit ailleurs, de la mani?re dont les papes profit?rent de l'ignorance et de l'anarchie qui d?figuroient la chr?tient? pour ?tendre leur puissance, et parvinrent ? se faire redouter des rois et r?gner imp?rieusement sur le clerg?. Qu'il me suffise de dire que dans le haut degr? d'?l?vation o? la cour de Rome ?toit parvenue, elle ne voulut s'exposer ? aucune contradiction; et craignit autant de convoquer des conciles, que les rois craignoient d'assembler les di?tes ou les ?tats-g?n?raux de leur nation. On ne tarda donc pas de reprocher au gouvernement des papes les m?mes vices et les m?mes abus qu'on reprochoit ? l'administration des princes qui s'?toient empar?s dans leurs ?tats de toute la puissance publique. La cour de Rome eut des ministres et des flatteurs qui ne furent ni moins avides ni moins corrompus que ceux des rois: tout s'y vendit, jusqu'au privil?ge de violer les lois les plus saintes de la nature.
Il faudroit bien peu conno?tre le coeur humain, pour croire qu'en ob?issant ? un chef si vicieux, le clerg? n'e?t pas les moeurs corrompues: l'ignorance, la simonie, le concubinage et mille autres vices d?shonoroient l'?piscopat. Certainement l'?glise avoit besoin de la r?forme la plus ?clatante dans son chef et dans ses membres; mais personne ne songeoit ? la d?sirer. Apr?s avoir souffert patiemment les exc?s d'un monstre, tel qu'Alexandre VI, sans le d?poser, ses successeurs, qui n'eurent aucune vertu chr?tienne, pass?rent pour de grands papes. L'effronterie avec laquelle le clerg? se montroit tel qu'il ?toit, lui avoit, pour ainsi dire, acquis le droit funeste de ne plus scandaliser et de ne se point corriger. On auroit vraisemblablement permis ? L?on X de faire un trafic honteux de ses indulgences, et d'ouvrir et de fermer ? prix d'argent les portes du paradis et de l'enfer, s'il avoit confi? cette ferme scandaleuse aux m?mes personnes qui jusqu'alors en avoient eu la r?gie; il ne le fit pas, et cette faute devint le principe d'une grande r?volution. Les facteurs ordinaires de la cour de Rome, se voyant priv?s des profits qu'ils faisoient sur la superstition, d?cri?rent, pour se venger, les indulgences, les bulles et les pardons que d'autres avoient mis en vente.
A peine Luther eut-il lev? l'?tendard de la r?volte contre le pape, qu'on fut ?tonn? d'avoir aper?u si tard les abus intol?rables dont il se plaignoit avec amertume. Sa doctrine eut les plus grands succ?s, et la cour de Rome, qui auroit d? se corriger, ne fut qu'indign?e de l'insolence d'un moine qui avoit l'audace de la censurer et de braver son autorit?. Elle le d?clara h?r?tique, et en s?parant ses sectateurs de la communion romaine, Luther lui jura une haine ?ternelle. Calvin qui le fuyoit, porta une main encore plus hardie sur la religion. Le premier, qui se d?fioit du succ?s de ses raisons, eut des m?nagemens que le second n'eut point, en voyant le clerg? constern? de ses d?faites et ? moiti? vaincu. Plus il t?cha de se rapprocher de la simplicit? des premiers si?cles de l'?glise, plus il ?leva, si je puis parler ainsi, un mur de s?paration entre sa doctrine et celle de l'?glise romaine.
On ne sauroit trop louer le z?le de ces deux novateurs, si, respectant le dogme, ils s'?toient content?s de montrer les plaies profondes que l'ignorance, l'ambition, l'avarice et la superstition avoient faites ? la morale de l'?vangile. En attaquant les vices des eccl?siastiques, il auroit fallu respecter leur caract?re; et au lieu de les irriter par des injures et des reproches amers, les inviter avec douceur ? se corriger. Si on vouloit substituer ? la monarchie absolue du pape l'ancien gouvernement des ap?tres, il falloit instruire les ?v?ques de leurs droits, leur apprendre par quels artifices leur dignit? avoit ?t? avilie, et par quels moyens ils pouvoient la r?tablir. Si Luther et Calvin avoient d?fendu leurs opinions avec moins de hauteur et d'emportement, la cour de Rome auroit, selon les apparences, prot?g? avec moins d'opini?tret? les abus qu'elle avoit fait na?tre: la v?rit? auroit peut-?tre triomph? et r?uni tous les esprits.
Au milieu des disputes th?ologiques qui commen?oient ? occuper et troubler toute l'Europe, il n'y a eu que quelques hommes mod?r?s, justes et ?clair?s, qui furent capables de tenir la balance ?gale entre les deux religions; et les efforts qu'ils firent pour les concilier, ne servirent qu'? les rendre ?galement odieux aux catholiques et aux r?formateurs. On n'?couta que son z?le; et quand il n'est pas ?clair?, il d?g?n?re bient?t en fanatisme. La France, ainsi que plusieurs autres ?tats, se trouva partag?e en deux partis ennemis; r?volution qui, jointe ? celles que sa politique et ses moeurs avoient d?j? souffertes, devoit influer dans son gouvernement et donner de nouveaux int?r?ts et de nouvelles passions ? tous les ordres de l'?tat.
En effet, tous les ordres de l'?tat se laiss?rent enivrer par ces id?es de gloire et de conqu?te que la noblesse leur avoit communiqu?es. Le peuple lui-m?me, toujours victime de la guerre, dont il ne retire dans une monarchie aucun avantage, ne parloit ridiculement que de conqu?rir des provinces et d'humilier ses voisins, et croyoit son honneur int?ress? ? voir r?gner son ma?tre sur Naples et sur Milan. Un pareil pr?jug? ?toit une preuve des progr?s que la monarchie avoit d?j? faits, et un pr?sage encore plus certain de ceux qu'elle alloit faire.
Quand la nation avoit lieu de faire les plaintes les plus vives et de redemander son ancien gouvernement, elle se contenta de murmurer; et m?me quelque ?v?nement impr?vu ne manquoit pas d'?touffer bient?t les murmures. Les Fran?ais sans tenue retomboient dans leur l?thargie, parce que le prince, lass? de ses plaisirs, paroissoit sortir de la sienne; on reprenoit ses esp?rances et son enjouement, et les abus recommen?oient ? rena?tre. Se plaint-on de la d?pr?dation des finances? On fait p?rir Semblan?ay, qui ?toit innocent, et on croit que tout le mal est r?par?. Si, par son imprudence, Fran?ois r?ussit assez mal dans quelques entreprises pour devoir perdre l'affection de ses sujets, on admirera encore en lui quelque qualit? estimable. La bataille de Pavie devoit rel?cher les ressorts du gouvernement; mais il supporta son infortune avec tant de noblesse et de fermet?, qu'on ne lui montra que de l'attachement et du z?le; et pour le consoler de ses malheurs, on permit ? sa m?re d'abuser comme elle voudroit de son autorit?.
Qu'on ne soit pas surpris de cette conduite. Les ames avoient contract? une mollesse qui annonce et h?te les plus grands abus. Lorsqu'une nation acquiert des lumi?res et se police sous la main d'un l?gislateur habile, elle prosp?re, parce qu'elle conno?t mieux ses devoirs, aime ? les remplir et a la force de surmonter les obstacles qui s'y opposent. Mais quand les lumi?res, n?es au hasard, ne se r?pandent que sur des objets indiff?rens au bien de la soci?t?; qu'on n'encourage l'industrie que pour faire na?tre de nouveaux vices avec des besoins inutiles; que la politesse et la douceur des moeurs n'est que le fruit d'une fausse d?licatesse et d'un raffinement pu?ril dans les plaisirs: les lumi?res, les gr?ces et la politesse d'une nation ne servent qu'? l'avilir. Le citoyen occup? de petits objets, et concentr?, pour ainsi dire, dans les int?r?ts personnels et domestiques de sa paresse, de son luxe, de son avarice, de sa prodigalit?, de ses commodit?s ou de son ?l?gance, est enti?rement distrait de l'attention qu'il doit ? la chose publique, et bient?t devient incapable d'y penser, sans une sorte de travail qui le fatigue et le rebute. Le r?gne de Fran?ois I forme une ?poque remarquable dans le caract?re de sa nation. J'en appelle aux personnes qui connoissent le coeur humain. Croira-t-on qu'en prenant des affections frivoles et contractant le go?t de l'or, de l'argent et des superfluit?s, les hommes conserveront quelque estime pour les choses estimables? Les id?es du bien sont ? la cime de l'esprit, et ne descendent point jusques dans le fond du coeur. Toutes ces mis?res que les nations corrompues appellent politesse, gr?ces, agr?ment, ?l?gance, sont autant de cha?nes qui doivent servir ? lier et garrotter des esclaves. Et perdant leur ignorance et leur rudesse, les Fran?ais polic?s par un prince qui n'aimoit et ne prot?geoit que les choses inutiles au bonheur de sa nation, ne firent que changer de vices. Ceux que nos p?res perdirent, avoient du moins l'avantage de donner ? leur caract?re une force qu'ils n'eurent plus quand ils acquirent des qualit?s agr?ables; et comme l'inconsid?ration des Fran?ais avoit agrandi l'autorit? royale, leur frivolit? devoit d?sormais l'affermir.
Les grands n'ayant point eu l'art de former un corps dont tous les membres eussent un int?r?t commun, ils se trouv?rent tous ennemis les uns des autres. Ceux qui jouissoient de la confiance du prince, et ceux qui aspiroient ? la m?me faveur, furent jaloux, se craignirent, et le roi se servit sans peine de leur rivalit? et de leur crainte pour les dominer les uns par les autres. Tous furent ?galement soumis, et leur ambition, qui pouvoit autrefois causer des troubles dans le royaume et changer la forme du gouvernement, fut r?duite ? faire des r?volutions ? la cour, c'est-?-dire, ? employer les voies basses de l'intrigue pour ?lever un courtisan sur les ruines de l'autre, disgracier un ministre en faveur, et cr?er un nouveau favori; tandis que le prince qui, par un mot, d?cidoit de leur sort, paroissoit de jour en jour plus absolu au milieu des grands humili?s.
Je ne dois pas oublier ici que ce fut pour s'attacher plus ?troitement le clerg?, que Fran?ois I fit avec L?on X le concordat, et soutint avec tant d'opini?tret? un trait? qui le rendit le distributeur des dignit?s et de la plus grande partie des domaines de l'?glise. Des biens destin?s au soulagement des pauvres et ? l'entretien des ministres de la religion, devinrent le prix de la corruption, et la firent na?tre. Le roi tint, pour ainsi dire, dans sa main, tous les pr?lats, dont l'ambition et la cupidit? ?toient insatiables; et par leur secours disposa de tous les eccl?siastiques dont le pouvoir est toujours si consid?rable dans une nation.
C'est dans ces temps-l? qu'on substitua aux ?tats-g?n?raux des assembl?es de notables; ?tablissement d'autant plus pernicieux, que paroissant favoriser la libert? nationale, il ruinoit en effet ses fondemens. On esp?ra que ces assembl?es produiroient quelque bien, et on en fut plus dispos? ? oublier ou du moins ? ne pas regretter les ?tats-g?n?raux. Les notables furent convoqu?s; et bien loin que la nation tir?t quelque avantage de leurs assembl?es, elles ne servirent qu'? avilir de plus en plus les grands. C'?toit une faveur que d'y ?tre appel?, mais il avoit fallu s'en rendre digne par des complaisances, et on ne s'y rendit que dans le dessein de trahir l'?tat. Ces assembl?es n'eurent aucune autorit?, et n'en purent prendre aucune, parce qu'elles n'avoient aucun temps fixe pour leur convocation, et qu'elles d?pendoient de la volont? seule du roi. Cependant, soit qu'on craign?t que les grands ne se crussent trop consid?rables si on les consultoit seuls, soit qu'on ne cherch?t qu'? les humilier, on appela ? ces assembl?es des magistrats, et m?me quelquefois des bourgeois d'un ordre moins distingu?.
Tandis que tous les ordres de l'?tat oublioient ou n?gligeoient leurs anciennes pr?rogatives, et se soumettoient sans r?sistance au pouvoir arbitraire, le parlement, qui avoit consid?rablement augment? ses droits et ses pr?tentions sous le r?gne de Charles VI, n'?toit point satisfait de sa fortune, et r?sistoit ? l'impulsion g?n?rale qui entra?noit le reste de la nation. Formant un corps toujours subsistant, toujours assembl?, et par cons?quent moins distrait de ses int?r?ts que les trois ordres de l'?tat, il devoit avoir plus de suite et plus de tenue dans sa conduite; du droit qu'il avoit acquis d'enregistrer les lois, de les d?sapprouver ou de les modifier, il pouvoit tirer les cons?quences les plus avantageuses ? son ambition; mais il ne les vit pas d'abord, ou n'osa se livrer trop pr?cipitamment ? ses esp?rances.
La duchesse d'Angoul?me ne pardonna pas au parlement les modifications qu'il mit ? la r?gence que son fils lui avoit confi?e pendant qu'il feroit la guerre en Italie. Pour commencer ? se venger de cette pr?tendue injure, elle n'appela aucun magistrat ? l'assembl?e des notables qu'elle tint apr?s la malheureuse journ?e de Pavie. Mais son ressentiment ne fut pas satisfait, et quand Fran?ois revint de Madrid, elle l'engagea ? ne pas laisser impunie la t?m?rit? insultante du parlement. Ce prince le manda, et dans la salle du conseil o? cette compagnie fut re?ue, on publia un ?dit qui lui enjoignit de se borner ? la seule administration de la justice. En annullant toutes les limitations mises ? la r?gence de la m?re du roi, on lui d?fendit de modifier ? l'avenir les ?dits qui lui seroient adress?s.
On ne se contenta pas de r?primer l'ambition qui portoit le parlement ? se regarder comme l?gislateur: pour l'humilier davantage, on voulut borner sa comp?tence. On lui d?fendit de prendre connoissance des contestations relatives au concordat, et on lui d?clara qu'il n'avoit aucune juridiction sur le chancelier. Ce dernier article d?truisoit tout ce que cette compagnie avoit fait pour devenir la cour des pairs. En effet, il ne faut pas douter que si le chancelier n'e?t pas ?t? justiciable du parlement, les pairs et les princes, alors bien sup?rieurs ? ce magistrat, n'eussent bient?t d?clin? la juridiction du parlement. On auroit vu se r?tablir des usages pratiqu?s avant le proc?s du duc d'Alen?on. Le parlement, si fier de son titre de cour des pairs, n'auroit encore ?t? que la seconde cour de justice du royaume; il se seroit form? pour la seconde fois un tribunal compos? du roi, des pairs, des princes et des grands officiers de la couronne. Peut-?tre y auroit-on bient?t port? les affaires de la plus haute noblesse; et l'on juge combien le parlement, condamn? ? ne juger que les citoyens les moins consid?rables, auroit perdu de sa consid?ration.
On ne lui ?pargna dans cette journ?e aucune mortification. Fran?ois I se plaignoit dans son ?dit des abus ?normes qui s'?toient introduits dans l'administration de la justice. Il vouloit sans doute parler des ?pices, usage vil et injuste, qui change les magistrats en mercenaires, et avec lequel nous ne nous serions jamais familiaris?s, si nous ne savions que la justice est due au citoyen, et que c'est un crime de la lui faire acheter. On accusoit le parlement de former des intrigues et d'entrer dans les cabales. Pour lui ?ter toute esp?rance de se relever, on ordonna aux magistrats de prendre tous les ans de nouvelles provisions, et c'?toit en effet ne leur laisser qu'une existence pr?caire, telle qu'ils l'avoient eue avant le r?gne de Charles VI, et les r?duire ? la f?cheuse alternative ou d'ob?ir aveugl?ment ? tous les ordres de la cour, ou de perdre leur ?tat. Fran?ois terminoit son ?dit en les mena?ant de se faire instruire en d?tail de tous les abus dont il n'avoit parl? que d'une mani?re vague, et se r?servoit d'y apporter un rem?de efficace; c'est-?-dire, pour entrer dans l'esprit de cette loi, que si le parlement, intimid? et docile sous la main qui le ch?tioit, se soumettoit aux ordres de la cour, le prince fermeroit les yeux sur les abus qui n'int?ressoient que le public.
Le parlement ?toit d?j? trop puissant pour qu'un pareil ?dit ruin?t ses esp?rances et son ambition. D?s qu'on lui laissoit le droit de faire des remontrances, on lui laissoit la libert? de se conduire ? peu pr?s de la m?me mani?re qu'il avoit fait jusqu'alors, et les moyens de reprendre peu ? peu la m?me autorit? dont on avoit cru le d?pouiller. Qui a le droit de faire des remontrances, a le droit de reprendre des erreurs, et de paro?tre avec toutes les forces de la justice et de la raison; et ce droit n'est pas vain dans une soci?t? qui conserve encore quelque pudeur. Qui a le droit d'indiquer ce qu'il faut faire, acquiert n?cessairement un cr?dit qui doit faire trembler tout gouvernement qui se conduit sans r?gle.
Le droit de remontrance ?toit une arme d'autant plus redoutable dans les mains du parlement, que la menace de corriger les abus et l'ordre de prendre tous les ans de nouvelles provisions, ne pouvoient lui donner aucune inqui?tude. Tout le monde savoit le besoin extr?me que le roi avoit d'argent pour la guerre et ses plaisirs; et que d?truire les profits des officiers de justice et leur ?tat, ce seroit diminuer dans le tr?sor royal le produit des fonds qu'il t?choit d'y attirer, en vendant les magistratures. C'est peut-?tre ? l'occasion de cet ?dit que le parlement ?tablit dans son corps la doctrine long-temps secr?te de ne point regarder comme lois, les ordonnances, les lettres-patentes ou les ?dits enregistr?s sans d?lib?ration pr?c?dente, et par l'autorit? du roi s?ant en son lit de justice: doctrine qu'il ?toit n?cessaire d'?tablir, si l'enregistrement n'est pas une vaine formalit?; mais doctrine qui n'a acquis aucun cr?dit, parce que le parlement n'est pas assez fort pour la faire regarder comme une v?rit?, et que le public se voit tous les jours contraint d'ob?ir ? des lois que cette compagnie n'a enregistr?es que malgr? elle.
Quoi qu'il en soit, Fran?ois I, pour ne pas irriter ses sujets par un acte trop despotique, ayant laiss? au parlement le droit de faire des remontrances, se vit encore contraint de le m?nager. Les besoins de l'?tat, ou plut?t de la cour, obligeoient de publier souvent des ?dits bursaux; si on faisoit des remontrances vives et fortes sur un objet si int?ressant, il ?toit ? craindre que le public n'ouvr?t les yeux sur sa situation: et un rien auroit suffi encore pour faire regretter et r?tablir les ?tats-g?n?raux. La politique de la cour fut donc de permettre au parlement une sorte de r?sistance molle, qui laissoit croire au peuple qu'il y avoit un corps occup? de ses besoins et qui veilloit ? ses int?r?ts. De sorte que le parlement, humili?, et non pas vaincu, fut oblig? de changer un peu de conduite, mais non pas de principes: et il continua ? se regarder comme le d?positaire et le protecteur des lois, et peut-?tre m?me comme le tuteur de la royaut?.
En effet, dans les temps encore peu ?loign?s de la naissance de l'enregistrement, on put pardonner au parlement d'enregistrer une loi qui lui paroissoit injuste et dangereuse, en ajoutant que c'?toit <
Malgr? les traverses que le parlement avoit ?prouv?es, et son attention ? ne pas user imprudemment de l'autorit? qu'il croyoit avoir, il continua ? se rendre plus puissant et plus importun. Soit qu'on ne f?t que choqu?, comme la plupart des courtisans, de la r?sistance ou plut?t des chicanes que cette compagnie faisoit aux volont?s de la cour; soit qu'avec l'H?pital, l'homme de notre nation qui, par ses lumi?res, ses moeurs et ses talens, a le plus honor? la magistrature, on f?t touch? des abus qui r?gnoient dans l'administration de la justice; il se forma un orage consid?rable contre un corps qui abusoit de son cr?dit pour partager l'autorit? des ministres, et dont les mains ne paroissoient pas pures. Il ?toit cependant difficile d'accabler le parlement, car la multitude croyoit avoir besoin de sa protection; et pour r?ussir dans cette entreprise, il fallut la pr?senter comme une r?forme avantageuse ? l'?tat.
Sous pr?texte d'accorder quelque repos ? des magistrats qui avoient si bien m?rit? de la patrie, et qui, malgr? leur z?le, ?toient accabl?s sous le poids de leurs fonctions p?nibles et perp?tuelles, on r?solut donc de partager le parlement en deux semestres qui se succ?deroient l'un l'autre. Par le moyen de ce nouvel ?tablissement, la justice, disoit-on, devoit ?tre administr?e avec d'autant plus de dignit?, de vigilance et d'exactitude, que les magistrats, apr?s avoir vaqu? pendant six mois ? leurs affaires domestiques, ou m?dit? dans leur cabinet sur les lois, loin de porter encore au palais la lassitude de leurs fonctions, y reparo?troient toujours plus ?clair?s, plus assidus, et plus attach?s ? leurs devoirs. Le parlement voyoit sans doute le pi?ge qu'on lui tendoit, et qu'on ne cherchoit qu'? le diviser pour l'affoiblir; mais ce fut inutilement. Le conseil pr?vint ses plaintes, ou du moins emp?cha qu'elles ne fussent appuy?es par celles du public en diminuant les ?pices; il d?dommagea les juges par une augmentation de leurs gages, le roi se chargea de payer les contributions auxquelles la justice avoit condamn? les plaideurs.
La cour triomphoit. On ne doutoit point que le parlement, pour ainsi dire, divis? en deux corps, qui n'auroient presque aucun commerce entre eux, ne perd?t son ancien esprit. En r?pandant ? propos quelques bienfaits, en semant des soup?ons, des rivalit?s et des haines, art funeste dans lequel les courtisans les moins adroits ne sont toujours que trop habiles, il paroissoit ais? de s'assurer de la docilit? de l'un des deux semestres, et on devoit lui porter les ?dits qui pouvoient occasionner de longues et fastidieuses remontrances. On se flatta d'un succ?s d'autant plus prochain, qu'?tant n?cessaire d'augmenter consid?rablement le nombre des magistrats, on ne vendroit les nouveaux offices qu'? des personnes dont le gouvernement seroit s?r et qui d?plairoient ? leur compagnie. Un historien, plus ? port?e que tout autre de rendre compte des suites qu'eut cette r?volution, nous apprend que le parlement devint en quelque sorte un nouveau corps. Les conseillers des enqu?tes qu'on avoit coutume, dit-il, de n'admettre ? la grand'chambre qu'apr?s qu'ils avoient acquis une grande exp?rience, y mont?rent avant le temps convenable. Comme la plupart, faute de capacit?, n'?toient pas en ?tat d'occuper ces places, il arriva qu'au lieu de r?tablir la discipline et la dignit? du parlement, ainsi qu'on avoit feint de le d?sirer, on d?truisit presque enti?rement l'une et l'autre.
Le parlement auroit ?t? perdu sans retour, si les ministres du roi avoient pu prendre les mesures n?cessaires pour maintenir leur ouvrage; mais au bout de trois ans, le mauvais ?tat des finances ne permettant pas de payer les gages consid?rables qu'on avoit promis, il fallut supprimer les offices de nouvelle cr?ation, et permettre aux anciens juges de recevoir encore des ?pices des plaideurs. Fut-ce un bonheur, fut-ce un malheur que cette seconde r?volution qui r?tablit le parlement dans son premier ?tat? Je n'ose le d?cider; qu'on en juge par le bien qu'il produisit dans la suite, et par les maux qu'il ne put emp?cher. Peut-?tre que si la nation n'avoit pas compt? sur ce secours impuissant, elle auroit ?t? assez inqui?te pour r?primer l'autorit? arbitraire du gouvernement, et donner un appui utile ? sa libert?; au lieu que, tromp?e par les esp?rances qu'elle avoit con?ues du cr?dit et des vues du parlement, elle s'en reposa sur lui de son bonheur, et contracta une s?curit? nonchalante qui est le signe certain de la d?cadence et de l'avilissement d'un peuple. Quoi qu'il en soit, le parlement, qui n'avoit pas eu le temps de perdre son ancien esprit, continua ? faire des entreprises et ? ?tre repouss? par une puissance sup?rieure ? la sienne.
Le parlement ?toit accoutum? depuis trop long-temps ? recevoir de pareilles r?ponses, pour que celle-ci n'e?t pas le sort des pr?c?dentes. Il devoit m?me ?tre d'autant moins dispos? ? ob?ir, qu'il voyoit la cour agit?e par des factions puissantes, et avoit appris avec tout le royaume ? m?priser un gouvernement qui flottoit dans une perp?tuelle irr?solution. Les voix furent partag?es, quand on opina sur l'enregistrement de l'?dit de majorit?; et le conseil rendit un arr?t, par lequel il cassoit et annulloit tout ce qui avoit ?t? fait ? cet ?gard par le parlement, comme incomp?tent, de la part d'une compagnie ? qui il n'appartient pas de conno?tre des affaires publiques du royaume. Il lui ?toit ordonn? d'enregistrer l'?dit de majorit? sans y ajouter aucune restriction, modification ni condition. On lui d?fendit d'avoir jamais la pr?somption d'examiner, statuer ou m?me d?lib?rer sur les ordonnances qui concernent l'?tat, surtout lorsqu'apr?s avoir fait des remontrances, ils auroient appris la volont? absolue du roi.
Le parlement ob?it, dans la crainte qu'une plus forte r?sistance ne serv?t qu'? constater sa d?faite d'une mani?re plus certaine; mais il conserva, suivant sa m?thode ordinaire, l'esp?rance d'?tre plus heureux dans une autre conjoncture. En effet, il avoit et a encore le talent de ne se rappeler de son histoire que les ?v?nemens qui lui sont avantageux, et de remettre toujours en avant les m?mes pr?tentions qu'il paro?t avoir abandonn?es plusieurs fois. Cette ressource ou ce man?ge de la vanit? et de la foiblesse finit toujours par ?tre pernicieux ? l'ambition. Malgr? l'inconsid?ration et la frivolit? des Fran?ais, il ?toit impossible que, s'accoutumant ? faire des d?marches qui devoient paro?tre fausses au public et t?m?raires au conseil, le parlement ne f?t pas enfin accabl? par une puissance qui lui ?toit sup?rieure.
Sans doute que les oppositions et les remontrances de cette compagnie, toutes inutiles qu'elles ?toient ? l'agrandissement de sa fortune, ont d'abord oppos? quelques obstacles aux abus du pouvoir arbitraire; mais elles ?toient incapables de fixer les principes du gouvernement, et d'emp?cher que la libert? publique ne f?t enfin opprim?e. Le conseil ne trouvant qu'une r?sistance in?gale ? ses forces, ne sentit point la n?cessit? de se tenir dans les limites que la justice, les lois et les coutumes lui prescrivoient. Retard?, mais non pas arr?t? dans sa marche, il s'accoutuma ? aller toujours en avant. Le succ?s ?toit certain; il ne s'agissoit que de marcher avec quelque lenteur, et de ne pas vouloir commencer en un jour des entreprises qui devoient ?tre l'ouvrage de la patience et du temps.
Tandis que le roi d?clare ?ternellement aux magistrats du parlement qu'ils n'ont ?t? cr??s que pour rendre en son nom la justice aux particuliers, ils pers?v?r?rent constamment ? se regarder comme les gardiens et les protecteurs de la libert? publique, mais sans oser le dire nettement. Cette conduite n'?toit-elle pas la preuve d'une foiblesse ?gale ? leur ambition, et si elle ?toit incapable d'intimider et de contenir les ministres, pouvoit-elle rassurer une nation sens?e? Rien n'est plus extraordinaire que la politique des gens de robe. Le roi r?p?te continuellement qu'il est le supr?me l?gislateur, la source et le principe de tout droit public et particulier; qu'il ne tient son autorit? que de Dieu seul, qu'il ne doit compte qu'? lui de ses actions; et le parlement convient de cette doctrine. D'o? lui vient donc ce droit qu'il s'arroge de prot?ger la nation? Et si le roi veut l'en priver, pourquoi refuse-t-il d'y consentir? En ne donnant aucune borne ? la puissance royale, par quelle raison peut-il cependant s'attribuer le privil?ge d'examiner, de rejeter ou de modifier les lois? S'il ne voyoit pas que ce droit n?gatif et modificatif le rendroit lui-m?me supr?me l?gislateur, ses lumi?res devoient ?tre extr?mement born?es, et par cons?quent bien incapables de servir le public. S'il sentoit au contraire l'importance de ses pr?tentions, pourquoi ne pr?voit-il pas que le conseil tentera tout, pour ne pas laisser ?chapper de ses mains la puissance l?gislative dont il est en possession, et qu'il n'en souffrira pas m?me le partage. Le parlement ne pr?vit rien, ou s'il pr?vit quelque chose, il faut convenir qu'il prit pour ?lever et affermir sa fortune, les moyens les plus propres ? la renverser.
Son premier tort fut de ne pas conno?tre sa situation, et d'avoir esp?r? ou craint sans se rendre compte de ses esp?rances ou de ses craintes. Quand on supposeroit qu'il ne vouloit qu'affermir l'autorit? royale dans les mains du roi, en pr?venant les abus que ses ministres en feroient, et qui la rendroient d?sagr?able ? la nation et par cons?quent peu s?re, ne devoit-il pas pr?voir les difficult?s sans nombre qui s'opposeroient au succ?s d'un pareil projet? Il ?toit facile aux grands, qui s'?toient faits ministres de l'autorit? royale, pour en faire l'instrument de leur fortune, de lui rendre le parlement suspect et m?me odieux. Falloit-il esp?rer que le prince, ?lev? comme un sage au-dessus de ses passions, juge?t que c'?toit pour son avantage qu'on s'opposeroit ? ses volont?s? Des rois qui avoient refus? de concerter leurs op?rations avec les ?tats-g?n?raux, devoient n?cessairement avoir plus d'ambition que d'amour pour le bien public. Le parlement devoit donc penser que l'autorit? qu'il vouloit attribuer ? son enregistrement pour l'avantage du public, choqueroit le roi et son conseil; et que n'ayant pas des forces sup?rieures ou m?me ?gales ? leur opposer, il ne se rendroit puissant qu'autant qu'il s'appliqueroit plus ? m?riter une bonne r?putation qu'? ?tendre et multiplier ses pr?tentions.
C'est l'estime que le public avoit con?ue pour les lumi?res du parlement sous Charles VI qui avoit fait d?sirer, ? ceux qui administr?rent tour ? tour l'autorit? royale, de se concilier son approbation: et de l?, comme on l'a vu, ?toit n?e la coutume de l'enregistrement. Il auroit donc fallu que par son amour de la justice, de la v?rit? et du bien public, cette compagnie e?t fait souhaiter ? tous les ordres de l'?tat que l'enregistrement acqu?t toujours un nouveau pouvoir. Il falloit, si je puis parler ainsi, mettre des vertus et non pas des pr?tentions en avant. Il importoit au parlement de rester, pour ainsi dire, en arri?re, et de se faire avertir et presser par le public d'avoir de l'ambition. Sa modestie n'auroit servi qu'? donner plus de z?le ? ses partisans, qui, dans l'esp?rance d'opposer un plus grand obstacle au pouvoir arbitraire, auroient eux-m?mes d?velopp? et ?tendu les privil?ges qui d?coulent naturellement du droit d'enregistrer et d'examiner les lois. Le conseil, n?cessairement intimid? par la sagesse du parlement, n'auroit pu lui r?sister sans soulever contre lui tout le public.
Ces abus multipli?s donn?rent naissance ? la v?nalit? publique des offices, qui augmenta la corruption et par cons?quent l'avilissement o? la magistrature devoit tomber. Croyez, disoit le premier pr?sident Guillard ? Fran?ois I, <
On se rappelle avec douleur que dans un discours que le chancelier de l'H?pital pronon?a au parlement, il reprochoit ? la plupart des magistrats de s'ouvrir le chemin des honneurs, en trahissant leur devoir. Il se plaignoit que l'int?grit? des juges f?t devenue suspecte, et qu'on ne v?t dans leur conduite que les vues d'un int?r?t sordide et d'une ambition criminelle. Tous les jours, leur dit-il, vous augmentez vos honoraires et vous ?tes divis?s entre vous par les factions des princes et des seigneurs; ils se vantent de vous acheter ? prix d'argent, et vous leur vendez votre amiti? comme des courtisans. Vous prostituez votre dignit? et vos services, jusqu'? devenir les agens et les intendans de quelques personnes dont vous tenez la vie et les biens dans vos mains.
Sire, disoit Monluc, ?v?que de Valence, en opinant dans le conseil en pr?sence des d?put?s du parlement qui venoient faire des remontrances; les magistrats vous disent souvent qu'ils ne peuvent ni ne doivent, selon leur conscience, ent?riner les ordonnances qui leur sont envoy?es; cependant, il arrive assez souvent qu'apr?s s'?tre servis d'expressions si fermes et si vigoureuses, ils oublient bient?t le devoir de leur conscience, et accordent sur une simple lettre de jussion ce qu'ils avoient refus?. Or, je demande volontiers ? ces magistrats ce que devient alors leur conscience?
Les vices grossiers qui r?voltoient la probit? de l'H?pital, choquoient depuis long-temps tout le monde; il n'y avoit personne en France qui n'e?t fait cent fois les m?mes r?flexions que Monluc; et la r?sistance du parlement n'?tant qu'une esp?ce de routine dont on pr?voyoit toujours l'issue, ne servoit qu'? le rendre importun ? la cour, sans lui concilier l'estime de la nation. Dans cette situation critique, et apr?s avoir fait cent exp?riences de sa foiblesse et de la sup?riorit? du conseil, il devoit s'apercevoir qu'il ne feroit que des efforts inutiles pour s'emparer de la puissance publique; que les ministres ne cesseroient point de travailler ? son abaissement; et que pour conserver un reste de consid?ration et de cr?dit, il falloit retirer la nation de l'assoupissement auquel elle s'abandonnoit, et l'inviter ? conserver ou plut?t ? recouvrer sa libert?.
Quelque peu ?clair? qu'on f?t en politique avant le r?gne de Fran?ois I, la r?flexion la plus simple suffisoit pour faire conno?tre qu'une nation est seule capable de prot?ger les lois; et que souvent m?me, quoiqu'elle se trouve en quelque sorte toute rassembl?e par ses repr?sentans dans des ?tats-g?n?raux, elle a bien de la peine ? le faire avec succ?s. On voyoit alors, comme aujourd'hui, que peu de peuples avoient eu le bonheur de conserver leur libert?, et que ce n'?toit qu'en accumulant pr?cautions sur pr?cautions que les Fran?ais pouvoient r?sister au despotisme de la cour. Le parlement n'entrevit aucune de ces v?rit?s; il ne connut ni sa situation ni celle de l'?tat.
Il n'en faut point douter; quand, apr?s avoir ali?n? les coeurs de la nation, cette compagnie fut enfin persuad?e qu'elle manquoit des forces n?cessaires pour ?lever une puissance sup?rieure, ou du moins ?gale ? celle du roi, elle prit la politique des grands pour le mod?le de la sienne. Dans le d?clin de leur grandeur, ils s'?toient rendus ministres de l'autorit? royale pour ?tre encore puissans. De m?me les magistrats du parlement, las de lutter sans succ?s contre le conseil, servirent son ambition dans l'esp?rance du m?me avantage. Ils crurent se rendre n?cessaires en travaillant ? faire oublier la nation, et form?rent le projet de partager avec les grands le droit de gouverner sous le nom du roi.
Mais cette esp?ce d'aristocratie ne devoit-elle pas lui paro?tre contraire ? tous les pr?jug?s de la nation, et par cons?quent impraticable? L'ancien gouvernement des fiefs, dont le souvenir ?toit toujours pr?cieux aux grands, leur rappeloit leur ancien ?tat; ils conservoient encore dans leurs terres des restes de leur ind?pendance et de leur despotisme. Avec tant d'orgueil et de vanit?, pouvoient-ils consentir ? partager l'administration de l'autorit? royale, avec des familles du tiers-?tat, qu'ils regardoient comme leurs affranchis? Quand la magistrature auroit ?t? d?s-lors un moyen de se glisser dans l'ordre de la noblesse, le parlement y auroit peu gagn?: on sait le m?pris que la grande noblesse a toujours eu pour les anoblis. L'autorit? dont les grands ?toient d?j? en possession, la partie brillante d'administration dont ils ?toient charg?s, l'orgueil des titres, les charges de la couronne, les gouvernemens des provinces, le commandement des arm?es, la familiarit? du prince, tout concouroit ? la fois ? ?blouir et tromper l'imagination du peuple; qui ne voyant rien de cet ?clat dans les magistrats, auroit lui-m?me ?t? assez stupide pour trouver mauvais qu'ils eussent voulu marcher d'un pas ?gal avec les grands et partager le droit de gouverner.
Tant que les grands furent assez puissans pour se faire regarder comme les ministres n?cessaires de l'autorit? royale, l'ambition du parlement ne put avoir aucun succ?s. La pompe des lits de justice qui flattoit sa vanit?, et lui persuadoit qu'il avoit part au gouvernement, n'auroit d? que lui faire sentir sa foiblesse; mais quand, sous le r?gne de Fran?ois I, les grands furent enfin ?cras?s par la puissance m?me qu'ils avoient donn?e au roi, et l'avilissement o? ils avoient jet? la nation, le parlement n'auroit-il pas d? ouvrir les yeux? Il devoit voir manifestement que toutes ses esp?rances ?toient renvers?es; qu'on ne l'?crasoit pas, parce qu'on le craignoit peu; et que quand, par le secours de quelque ?v?nement favorable, il parviendroit ? partager avec le roi la puissance publique, il auroit bient?t le m?me sort que les grands. Le roi s'?toit servi des jalousies qui r?gnoient entre les grands pour les asservir tous ? sa volont? et en faire des courtisans; et il n'?toit pas moins ais? de se servir des m?mes jalousies qui divisoient tous les ordres de l'?tat, pour opprimer un corps qui refuseroit d'ob?ir. Par quel prestige peut-on se flatter d'?tre puissant dans une nation o? il n'y a plus de libert?? Cependant, en voyant l'extr?me d?pendance o? Fran?ois I tenoit les grands, le parlement regarda leur d?cadence comme un obstacle de moins ? son ambition.
Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page