Read Ebook: Viimeinen tuomio by Sinclair Upton
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Nos meilleurs archivistes ne pardonnent pas aux ministres et aux capitaines de 1428 de n'avoir pas aveugl?ment ob?i ? la Pucelle. Ce n'est point tout ? fait le conseil que l'archev?que d'Embrun donnait, sur le moment, au roi Charles; il lui recommandait au contraire de ne point se d?partir des moyens inspir?s par la prudence humaine.
On a beaucoup r?p?t? que les seigneurs et capitaines, particuli?rement le vieux Gaucourt, ?taient jaloux d'elle. Il faut, pour le croire, ignorer profond?ment la nature humaine. Ils ?taient envieux les uns des autres, et c'est cette envie, au contraire, qui, mieux que tout autre sentiment, leur fit souffrir que la Pucelle se d?t chef de guerre.
J'avoue qu'il m'a ?t? impossible de d?couvrir les sourdes intrigues des conseillers du roi et des capitaines conjur?s pour perdre la sainte. Elles ?clatent aux yeux de plusieurs historiens; pour moi, j'ai beau faire: je ne les discerne pas. Le chambellan, sire de la Tr?mouille, n'?tait pas une belle ?me et le chancelier Regnault de Chartres avait le coeur tr?s sec; mais ce qui m'appara?t, c'est que le sire de la Tr?mouille refusa de c?der cette pr?cieuse fille au duc d'Alen?on qui la lui demandait et que le chancelier la garda pour s'en servir. Je ne crois pas du tout que Jeanne fut prisonni?re ? Sully; je crois qu'elle en sortit avec banni?re et trompettes quand elle alla rejoindre le chancelier qui l'employa jusqu'au moment o? elle fut prise par les Bourguignons. Apr?s la petite sainte, il mit en oeuvre un petit saint, un berger, qui avait re?u les stigmates. C'est donc qu'il ne regrettait pas de s'?tre servi d'une personne de d?votion pour combattre les ennemis du roi et recouvrer son archev?ch?.
Il reste toutefois ceci, que le Conseil royal, apr?s avoir tant us? d'elle, ne fit rien pour la sauver.
Mais on eut peur de l'Universit? de Paris. On craignit que vraiment Jeanne, comme tant de savants docteurs le soutenaient, ne f?t h?r?tique, mal croyante, s?duite par le prince des t?n?bres. Satan se transforme en ange de lumi?re et il est difficile de discerner les faux proph?tes des vrais. La malheureuse Pucelle fut abandonn?e par le clerg? dont les croix nagu?re marchaient devant elle; entre tous les ma?tres de Poitiers il ne s'en trouva pas un seul pour s'offrir ? t?moigner dans le ch?teau de Rouen de cette innocence qu'ils avaient reconnue doctoralement dix-huit mois auparavant.
Regardez Chapelain, dont le po?me fut publi? pour la premi?re fois en 1656. Chapelain est burlesque avec gravit?; c'est un Scarron sans le savoir. Nous n'en avons pas moins profit ? apprendre de lui qu'il n'a vu dans son sujet qu'une occasion de c?l?brer le B?tard d'Orl?ans. Il dit expressivement en sa pr?face: <
Les figures de la po?sie et de l'histoire ne vivent dans la pens?e des peuples qu'? la condition de se transformer sans cesse. La foule humaine ne saurait s'int?resser ? un personnage des vieux ?ges si elle ne lui pr?tait pas ses propres sentiments et ses propres passions. Apr?s avoir ?t? associ?e ? la monarchie de droit divin, la m?moire de Jeanne d'Arc fut rattach?e ? l'unit? nationale que cette monarchie avait pr?par?e; elle devint, dans la France imp?riale et r?publicaine, le symbole de la patrie. Certes, la fille d'Isabelle Rom?e n'avait pas plus l'id?e de la patrie telle qu'on la con?oit aujourd'hui, qu'elle n'avait l'id?e de la propri?t? fonci?re qui en est la base; elle ne se figurait rien de semblable ? ce que nous appelons la nation; c'est une chose toute moderne; mais elle se figurait l'h?ritage des rois et le domaine de la Maison de France. Et c'est bien l? tout de m?me, dans ce domaine et dans cet h?ritage, que les Fran?ais se r?unirent avant de se r?unir dans la patrie.
Sous des influences qu'il nous est impossible d'indiquer pr?cis?ment, la pens?e lui vint de r?tablir le dauphin dans son h?ritage, et cette pens?e lui parut si grande et si belle, que, dans la simplicit? de son na?f et candide orgueil, elle crut que c'?tait des anges et des saintes du Paradis qui la lui avaient apport?e. Pour cette pens?e elle donna sa vie. C'est par l? qu'elle survit ? sa cause. Les plus hautes entreprises p?rissent dans leur d?faite et, plus s?rement encore, dans leur victoire. Le d?vouement qui les inspira demeure en immortel exemple. Et, si l'illusion qui enveloppait ses sens la soutint, l'aida ? s'offrir tout enti?re, cette illusion ne fut-elle pas ? son insu l'ouvrage de son coeur? Sa folie fut plus sage que la sagesse, car ce fut la folie du martyre, sans laquelle les hommes n'ont encore rien fond? de grand et d'utile dans le monde. Cit?s, empires, r?publiques, reposent sur le sacrifice. Ce n'est donc ni sans raison ni sans justice que, transform?e par les imaginations enthousiastes, elle devint le symbole de la patrie arm?e.
Apr?s la guerre de 1871, sous la double influence de l'esprit patriotique, exalt? par la d?faite, et du sentiment catholique renaissant dans la bourgeoisie, le culte de la Pucelle redoubla de ferveur. Les lettres et les arts achev?rent la transfiguration de Jeanne.
Les catholiques, comme le docte chanoine Dunand, rivalisent de z?le et d'enthousiasme avec les spiritualistes ind?pendants comme M. Joseph Fabre. Celui-ci, en donnant sous une forme tr?s artiste les deux proc?s en fran?ais et en discours direct, a vulgaris? l'image la plus ancienne et la plus touchante de la Pucelle.
De cette p?riode datent des travaux d'?rudition presque innombrables parmi lesquels il faut signaler ceux de Sim?on Luce de qui d?sormais quiconque traite des commencements de Jeanne doit se reconna?tre tributaire.
Nous sommes tenus ? une ?gale reconnaissance envers M. Germain Lef?vre-Pontalis pour ses belles ?ditions et ses p?n?trantes ?tudes, d'une ?rudition ?l?gante et s?re.
Dans cette p?riode d'exaltation romantique et n?o-catholique, la peinture et la sculpture multipli?rent les images de Jeanne, si rares jusque-l?; on vit en merveilleuse abondance Jeanne priant, Jeanne arm?e et chevauchant, Jeanne captive, Jeanne martyre; de toutes ces images exprimant de diverses mani?res et avec des m?rites in?gaux le go?t et le sentiment d'une ?poque, une seule oeuvre appara?t grande et vraie, d'une beaut? puissante: la Jeanne d'Arc hallucin?e de Rude.
Chacun songeait d'abord ? soi. Quiconque avait terre se devait ? sa terre; son ennemi, c'?tait son voisin. Le bourgeois ne connaissait que sa ville. Le paysan changeait de ma?tre sans le savoir. Les trois ?tats du royaume n'?taient pas assez unis pour former, au sens moderne du mot, un ?tat.
On ne peut nier que le sentiment de la patrie exist?t sous l'ancien r?gime. Ce que la R?volution y ajouta n'en fut pas moins immense. Elle y ajouta l'id?e de l'unit? nationale et de l'int?grit? du territoire. Elle ?tendit ? tous le droit de propri?t? r?serv? jusque-l? ? un petit nombre, et de la sorte partagea, pour ainsi dire, la patrie entre les citoyens. En donnant aux paysans la facult? de poss?der, le nouveau r?gime leur imposa du m?me coup l'obligation de d?fendre leur bien effectif ou ?ventuel. Prendre les armes est une n?cessit? commune ? quiconque acquiert ou veut acqu?rir des terres. ? peine le Fran?ais jouissait-il des droits de l'homme et du citoyen, avait-il ou pensait-il avoir pignon sur rue et champs au soleil, que les arm?es de l'Europe coalis?e vinrent pour le <
Depuis lors, les progr?s industriels ont suscit? d'un pays ? l'autre des rivalit?s qui s'exercent chaque jour plus ?prement. Les modes actuels de la production, en multipliant entre les peuples les antagonismes, ont cr?? l'imp?rialisme, l'expansion coloniale et la paix arm?e.
Mais que de forces contraires s'exercent dans cette cr?ation formidable d'un nouvel ordre de choses! La grande industrie a donn? naissance, dans tous les pays, ? une classe nouvelle, qui, ne poss?dant rien, n'ayant nul espoir de rien poss?der, ne jouissant d'aucun des biens de la vie, pas m?me de la lumi?re du jour, ne craint point, comme le paysan et le bourgeois issu de la R?volution, que l'ennemi du dehors ne la vienne d?pouiller, et, faute de richesses ? d?fendre, regarde les peuples ?trangers sans effroi ni haine. En m?me temps, se sont ?lev?es sur tous les march?s du monde des puissances financi?res qui, bien qu'elles affectent souvent le respect des vieilles traditions, sont, par leur fonction m?me, essentiellement destructives de l'esprit patriotique et national. Le r?gime universel du capital a cr?? en France, comme partout ailleurs, l'internationale des travailleurs et le cosmopolitisme des financiers.
Aujourd'hui, comme il y a deux mille ans, pour discerner l'avenir, il faut regarder non pas aux entreprises des puissants de la terre, mais aux mouvements confus des masses laborieuses. Cette paix arm?e, si lourde pour elles, les nations ne la supporteront pas ind?finiment. Nous voyons s'organiser chaque jour la communaut? du travail universel.
Je crois ? l'union future des peuples et je l'appelle avec cette ardente charit? du genre humain qui, form?e dans la conscience latine au temps d'Epict?te et de S?n?que, et pour tant de si?cles ?teinte par la barbarie europ?enne, s'est rallum?e dans les coeurs les plus hauts des ?ges modernes. Et l'on m'opposerait en vain que ce sont l? les illusions du r?ve et du d?sir: c'est le d?sir qui cr?e la vie et l'avenir prend soin de r?aliser les r?ves des philosophes. Mais que nous soyons assur?s d?s ? pr?sent d'une paix que rien ne troublera, il faudrait ?tre insens? pour le pr?tendre. Les terribles rivalit?s industrielles et commerciales qui grandissent autour de nous font pressentir au contraire, de futurs conflits et rien ne nous assure que la France ne se verra pas un jour envelopp?e dans une conflagration europ?enne ou mondiale. Et l'obligation o? elle se trouve de pourvoir ? sa d?fense n'accro?t pas peu les difficult?s que lui cause un ordre social profond?ment troubl? par la concurrence de la production et l'antagonisme des classes.
Un empire absolu se fait des d?fenseurs par la crainte; une d?mocratie ne s'en assure qu'? force de bienfaits. On trouve la peur ou l'int?r?t ? la racine de tous les d?vouements. Pour que, au jour du p?ril, le prol?taire fran?ais d?fende h?ro?quement la R?publique, il faut qu'il s'y trouve heureux ou esp?re le devenir. Et que sert de se flatter? Aujourd'hui le sort de l'ouvrier n'est pas meilleur en France qu'en Allemagne, et il est moins bon qu'en Angleterre et en Am?rique.
Je n'ai pu me d?fendre d'exprimer sur ces importants sujets la v?rit? telle qu'elle m'appara?t; c'est une grande satisfaction que de dire ce qu'on croit utile et juste.
Il ne me reste plus qu'? soumettre au public quelques r?flexions sur l'art malais? d'?crire l'histoire, et ? m'expliquer sur certaines particularit?s de forme et de langage qu'on trouvera dans cet ouvrage.
J'ai accoutum? mes yeux aux formes qu'affectaient alors les ?tres et les choses. J'ai interrog? ce qui reste de pierre, de fer ou de bois travaill? par la main de ces vieux artisans, plus libres et par cela m?me plus ing?nieux que les n?tres, et qui t?moignent du besoin de tout animer et de tout orner. J'ai ?tudi? le mieux que j'ai pu les images peintes et taill?es, non pr?cis?ment en France, car on n'y ouvrait gu?re en ces jours de mis?re et de mort, mais en Flandre, en Bourgogne, en Provence, oeuvres d'un style ? la fois affect? et na?f, souvent exquis. Les miniatures se sont anim?es sous mes yeux et j'y ai vu revivre les seigneurs, dans la magnificence absurde des <>, les dames et les demoiselles un peu diablesses avec leurs bonnets cornus et leurs pieds pointus; les clercs assis ? leur pupitre, les gens d'armes chevauchant leur coursier et les marchands leur mule, les laboureurs accomplissant d'avril ? mars les travaux du calendrier rustique, les paysannes dont la grande coiffe est conserv?e aujourd'hui par les religieuses. Je me suis rapproch? de ces gens qui furent nos semblables et qui pourtant diff?raient de nous par mille nuances du sentiment et de la pens?e; j'ai v?cu de leur vie; j'ai lu dans leurs ?mes.
J'ai cru qu'un r?cit continu vaudrait mieux que toutes les controverses et que toutes les discussions pour faire sentir la vie et conna?tre la v?rit?. Il est certain que les textes relatifs ? la Pucelle ne se pr?tent pas tr?s bien ? ce genre d'histoire: comme je viens de le montrer, ils sont presque tous suspects ? divers ?gards et soul?vent ? chaque instant des objections; mais je pense qu'en faisant de ces textes un usage prudent et judicieux, on en peut tirer encore des donn?es suffisantes pour constituer une histoire positive de quelque ?tendue. D'ailleurs, j'ai toujours indiqu? mes sources; chacun sera juge de l'autorit? des garants que j'invoque.
Dans mon r?cit, j'ai rapport? un assez grand nombre de circonstances qui, sans avoir directement trait ? Jeanne, r?v?lent l'esprit, les moeurs et les croyances du temps; ces circonstances sont pour la plupart d'ordre religieux. C'est que l'histoire de Jeanne, je ne puis assez le dire, est une histoire religieuse, une histoire de sainte, tout comme celle de Colette de Corbie ou de Catherine de Sienne.
J'ai nourri mon texte de la forme et de la substance des textes anciens, mais je n'y ai, autant dire, jamais introduit de citations litt?rales: je crois que, sans une certaine unit? de langage, un livre est illisible, et j'ai voulu ?tre lu.
Ce n'est pas par affectation de style ni par go?t artiste que j'ai gard? le plus que j'ai pu le ton de l'?poque et pr?f?r? les formes archa?ques de la langue toutes les fois que j'ai cru qu'elles seraient intelligibles; c'est parce qu'on change les id?es en changeant les mots et qu'on ne peut substituer aux termes anciens des termes modernes sans alt?rer les sentiments ou les caract?res.
J'ai t?ch? de garder un ton simple et familier. On ?crit trop souvent l'histoire d'un ton noble qui la rend ennuyeuse et fausse. S'imagine-t-on que les faits historiques sortent du train ordinaire des choses et de la mesure commune de l'humanit??
Une tentation terrible pour l'historien d'une telle histoire, c'est de se jeter dans la bataille. Il n'y a gu?re de moderne r?cit de ces vieux assauts o? l'on ne voie l'auteur, eccl?siastique ou professeur, s'?lancer, la plume ? l'oreille, sous les fl?ches anglaises, au c?t? de la Pucelle. Je crois qu'au risque de ne point montrer toute la beaut? de son coeur, il vaut mieux ne pas para?tre dans les affaires qu'on raconte.
J'ai ?crit cette histoire avec un z?le ardent et tranquille; j'ai cherch? la v?rit? sans mollesse, je l'ai rencontr?e sans peur. Alors m?me qu'elle prenait un visage ?trange, je ne me suis pas d?tourn? d'elle. On me reprochera mon audace jusqu'? ce qu'on me reproche ma timidit?.
Je suis heureux d'exprimer ma gratitude ? mes illustres confr?res, MM. Paul Meyer et Ernest Lavisse, dont les conseils m'ont ?t? pr?cieux. Je dois beaucoup ? M. Petit-Dutaillis, qui a bien voulu me pr?senter des observations dont j'ai tenu compte. J'ai grandement ? me louer de l'aide que m'ont pr?t? M. Henri Jadart, secr?taire de l'Acad?mie de Reims, M. E. Langlois, professeur ? la Facult? des lettres de Lille, M. Camille Bloch, l'ancien archiviste du Loiret, M. No?l Charavay, expert en autographes, et M. Raoul Bonnet.
M. Pierre Champion, qui, tr?s jeune encore, s'est fait conna?tre par de beaux travaux historiques, a mis ? ma disposition le r?sultat de ses recherches avec un d?sint?ressement que je ne saurais assez reconna?tre et il a bien voulu relire attentivement tout mon travail. M. Jean Brousson m'a fait profiter des ressources de sa perspicacit? qui passent de beaucoup ce qu'on est en droit d'attendre d'un secr?taire.
Au si?cle que j'ai essay? de faire revivre en cet ouvrage, un d?mon nomm? Titivillus mettait chaque soir dans son sac toutes les lettres omises ou chang?es par les copistes durant la journ?e et les portait en enfer, pour que Saint-Michel, alors qu'il p?serait les ?mes de ces scribes n?gligents, m?t la part de chacun dans le plateau des iniquit?s. Je crois que ce diable, justement v?tilleux, s'il a surv?cu ? la d?couverte de l'imprimerie, assume aujourd'hui la lourde t?che de relever les coquilles sem?es dans les livres qui pr?tendent ? l'exactitude; car il serait bien na?f de s'occuper des autres. Je pense qu'il met ces coquilles, selon le cas, ? la charge du prote ou de l'auteur. J'ai une infinie reconnaissance ? mes ?diteurs et amis MM. Calmann-L?vy et ? leurs excellents collaborateurs d'avoir, par leurs soins et leur exp?rience, all?g? de beaucoup le sac dont Titivillus me chargera au jour du jugement.
VIE DE JEANNE D'ARC
CHAPITRE PREMIER
L'ENFANCE.
De Neufch?teau ? Vaucouleurs la Meuse coule libre et pure entre les troch?es de saules et d'aulnes et les peupliers qu'elle arrose, se joue tant?t en brusques d?tours, tant?t en longs circuits, et divise et r?unit sans cesse les glauques filets de ses eaux, qui parfois se perdent tout ? coup sous terre. L'?t?, ce n'est qu'un ruisseau paresseux qui courbe en passant les roseaux du lit qu'il n'a presque pas creus?; et, si l'on approche du bord, on voit la rivi?re, ralentie par des ?lots de joncs, couvrir ? peine de ses moires un peu de sable et de mousse. Mais dans la saison des pluies, grossie de torrents soudains, plus lourde et plus rapide, elle laisse, en fuyant, une ros?e souterraine qui remonte ?? et l?, en flaques claires, ? fleur d'herbe, dans la vall?e.
Cette vall?e s'?tend, toute unie, large d'une lieue ? une lieue et demie, entre des collines arrondies et basses, couronn?es de ch?nes, d'?rables et de bouleaux. Bien que fleurie au printemps, elle est d'un aspect aust?re et grave et prend parfois un caract?re de tristesse. L'herbe la rev?t avec une monotonie ?gale ? celle des eaux dormantes. On y sent, m?me dans les beaux jours, la menace d'un climat rude et froid. Le ciel y semble plus doux que la terre. Il l'enveloppe de son sourire humide; il est le mouvement, la gr?ce et la volupt? de ce paysage tranquille et chaste. Puis, quand vient l'hiver, il se m?le ? la terre dans une apparence de chaos. Les brouillards y deviennent ?pais et tenaces. Aux vapeurs blanches et l?g?res qui flottaient, par les matins ti?des, sur le fond de la vall?e, succ?dent des nuages opaques et de sombres montagnes mouvantes, qu'un soleil rouge et froid dissipe lentement. Et, le long des sentiers du haut pays, le passant matinal a cru, comme les mystiques dans leurs ravissements, marcher sur les nu?es.
C'est ainsi qu'apr?s avoir laiss? ? sa gauche le plateau bois? du haut duquel le ch?teau de Bourl?mont domine le val de la Sa?nelle et ? sa droite Coussey avec sa vieille ?glise, la rivi?re flexible passe entre le Bois Chesnu au couchant et la c?te de Julien au levant, rencontre, sur sa rive occidentale, les villages de Domremy et de Greux, qui se touchent, s?pare Greux de Maxey-sur-Meuse, atteint, entre autres hameaux blottis au creux des collines ou dress?s sur les hautes terres, Burey-la-C?te, Maxey-sur-Vaise et Burey-en-Vaux, et va baigner les belles prairies de Vaucouleurs.
Dans ce petit village de Domremy, situ? ? moins de trois lieues en aval de Neufch?teau et ? cinq lieues en amont de Vaucouleurs, une fille naquit vers l'an 1410 ou 1412, destin?e ? l'existence la plus singuli?re. Elle naissait pauvre. Jacques ou Jacquot d'Arc, son p?re, originaire du village de Ceffonds en Champagne, vivait d'un gagnage ou petite ferme, et menait les chevaux au labour. Ses voisins et voisines le tenaient pour bon chr?tien et vaillant ? l'ouvrage. Sa femme ?tait originaire de Vouthon, village situ? ? une lieue et demie au nord-ouest de Domremy, par del? les bois de Greux. Ayant nom Isabelle ou Zabillet, elle re?ut, ? une ?poque qu'on ne saurait indiquer, le surnom de Rom?e. On appelait ainsi ceux qui ?taient all?s ? Rome ou avaient fait quelque grand p?lerinage, et l'on peut croire qu'Isabelle gagna son nom de Rom?e en prenant les coquilles et le bourdon. Un de ses fr?res ?tait cur?, un autre, couvreur; un de ses neveux charpentier. Elle avait d?j? donn? ? son mari trois enfants: Jacques ou Jacquemin, Catherine et Jean.
La maison de Jacques d'Arc touchait au pourpris de l'?glise paroissiale, d?di?e ? saint Remi, ap?tre des Gaules. On n'eut que le cimeti?re ? traverser pour porter l'enfant sur les fonts. Les formules d'exorcismes, que le pr?tre r?cite ? la c?r?monie du bapt?me, ?taient, ? cette ?poque, dans ces contr?es, beaucoup plus longues, dit-on, pour les filles que pour les gar?ons. Sans savoir si messire Jean Minet, cur? de la paroisse, les pronon?a dans leur teneur exacte sur la t?te de l'enfant, nous rappelons cet usage comme un des nombreux indices de l'invincible d?fiance qu'inspira toujours ? l'?glise la nature f?minine.
Selon la coutume d'alors, cette enfant eut plusieurs parrains et marraines. Les comp?res furent Jean Morel, de Greux, laboureur; Jean Barrey, de Neufch?teau; Jean Le Langart ou Lingui et Jean Rainguesson; les comm?res, Jeannette, femme de Thevenin le Royer, dit Roze, de Domremy; B?atrix, femme d'Estellin, laboureur au m?me lieu; Edite, femme de Jean Barrey, Jeanne, femme d'Aubrit, dit Jannet, qu'on appela le maire Aubrit, quand il fut nomm? officier de plume au service des seigneurs de Bourl?mont; Jeannette, femme de Thiesselin de Vittel, clerc ? Neufch?teau, de toutes la plus savante, car elle avait entendu lire des histoires dans des livres. On d?signe encore, parmi les comm?res, la femme de Nicolas d'Arc fr?re de Jacques, ainsi que deux obscures chr?tiennes nomm?es l'une Agn?s, l'autre Sibylle. Il se rencontrait l? nombre de Jean, de Jeanne et de Jeannette, comme en toute assembl?e de bons catholiques. Saint Jean-Baptiste jouissait d'une tr?s haute renomm?e; sa f?te, c?l?br?e le 24 juin, ?tait une grande date de l'ann?e religieuse et civile; elle servait de terme usuel pour baux, locations et contrats de toutes sortes. Saint Jean l'?vang?liste, qui avait repos? la t?te contre la poitrine du Seigneur et qui devait revenir sur la terre ? la consommation des si?cles, passait aux yeux de certains religieux, aux yeux surtout des mendiants, pour le plus grand des saints du Paradis. C'est pourquoi, en l'honneur du Pr?curseur ou de l'ap?tre bien-aim?, on imposait tr?s souvent, de pr?f?rence ? tout autre nom, les noms de Jean et de Jeanne aux nouveau-n?s. Et, pour mieux approprier ces saints noms ? la petitesse de l'enfance et ? l'infimit? promise ? la plupart des destin?es humaines, on les diminuait en Jeannot et Jeannette. Les paysans des bords de la Meuse avaient un go?t particulier pour ces petits noms ? la fois humbles et caressants, Jacquot, Pierrollot, Zabillet, Mengette, Guillemette. L'enfant re?ut, de la femme du clerc Thiesselin, le nom de Jeannette. Au village, elle ne porta que celui-l?. Plus tard, en France, on l'appela Jeanne.
Elle fut nourrie dans la maison paternelle. Pauvre demeure de Jacques! La fa?ade ?tait perc?e d'une ou deux fen?tres chiches de lumi?re. Le toit de pierres plates, inclin? sur un demi-pignon, descendait presque ? terre du c?t? du jardin. Sur le seuil, ? la coutume du pays, s'amassaient le fumier, les souches et les instruments de labour, recouverts de rouille et de boue. Mais l'humble jardin, ? la fois verger et potager, ?tait, au printemps, tout fleuri de blanc et de rose.
Ces bons chr?tiens eurent encore un enfant, le dernier, Pierre qu'on nommait Pierrelot.
Jeanne grandit sur une terre avare, parmi des gens rudes et sobres, nourris de vin rose et de pain bis, endurcis par une dure vie. Elle grandit libre. Les enfants, chez les paysans laborieux, vivent le plus souvent entre eux, hors du regard des parents. La fille d'Isabelle semble s'?tre tr?s bien accord?e avec les enfants du village. Une petite voisine, Hauviette, de trois ou quatre ans plus jeune qu'elle, ?tait sa compagne de tous les jours. Elles avaient plaisir ? coucher dans le m?me lit. Mengette, dont les parents habitaient tout contre, venait filer dans la maison de Jacques d'Arc. Elle s'y acquittait avec Jeanne des soins du m?nage. Souvent aussi Jeanne, emportant sa quenouille, allait faire la veill?e chez un laboureur, Jacquier, de Saint-Amance, qui avait une fille toute jeune. Les gar?ons, comme de raison, croissaient avec les filles. Jeanne et le fils de Simonin Musnier, ?tant voisine et voisin, furent ?lev?s ensemble. En son enfance, le fils Musnier tomba malade; Jeanne l'alla soigner.
Il n'?tait pas sans exemple en ce temps-l? que des villageoises connussent leurs lettres. Ma?tre Jean Gerson, peu d'ann?es auparavant, conseillait ? ses soeurs, paysannes champenoises, d'apprendre ? lire, promettant, si elles y r?ussissaient, de leur donner des livres d'?dification. Bien que ni?ce de cur?, Jeanne n'?tudia pas sa Croix-de-Dieu, semblable en cela ? plusieurs enfants de son village, non pourtant ? tous, car il y avait ? Maxey une ?cole o? allaient les gar?ons de Domremy.
D?s qu'elle en eut l'?ge, elle travailla aux champs, sarclant, b?chant et, comme font encore aujourd'hui les filles du pays lorrain, accomplissant des t?ches d'homme.
Les prairies, don du fleuve, ?taient la principale richesse des riverains de la Meuse. Quand la r?colte des foins ?tait faite, tous les habitants de Domremy avaient droit de p?ture dans les prairies du village, et ils y pouvaient mettre des t?tes de b?tail en nombre proportionnel ? celui des fauch?es de pr? qu'ils poss?daient en propre. Chaque famille prenait ? son tour la garde des troupeaux ainsi rassembl?s. Jacques d'Arc, qui avait un peu d'herbage, mettait ses boeufs et ses chevaux avec les autres. Lorsque venait son tour de garde, il s'en d?chargeait sur sa fille Jeanne, qui allait au pr?, sa quenouille ? la main.
? une demi-lieue ? l'est de Domremy, s'?levait une colline couverte d'un bois ?pais o? l'on ne s'aventurait gu?re de peur des sangliers et des loups. Les loups ?taient la terreur du pays. Les maires des villages payaient des primes pour chaque t?te de loup ou de louveteau qu'on leur apportait. Ce bois, que Jeanne voyait du seuil de sa porte, c'?tait le Bois Chesnu, le bois de ch?nes, ce qu'on pouvait entendre au sens de bois chenu, vieille for?t. Nous verrons plus tard comment ? ce Bois Chesnu fut appliqu?e, en France, une proph?tie de Merlin l'Enchanteur.
Au pied de la colline, du c?t? du village, ?tait une fontaine que les groseilliers ?pineux, en recourbant leurs branches, bordaient de leurs buissons gris?tres. On la nommait la Fontaine-aux-Groseilliers, la Fontaine-aux-Nerpruns. Si, comme le croyait un ma?tre de l'Universit? de Paris, Jeanne appelait cette fontaine la Fontaine-aux-Bonnes-F?es-Notre-Seigneur, c'?tait assur?ment parce que les gens du village la d?signaient de m?me mani?re. Et il semblerait que ces ?mes rustiques eussent voulu, par ce nom, rendre chr?tiennes ces dames des bois et des eaux qui ne l'?taient gu?re, et en qui certains docteurs reconnaissaient des d?mons autrefois ador?s des pa?ens comme d?esses.
Tout proche, ? l'or?e du bois, au-dessus du grand chemin de Neufch?teau, s'?levait un h?tre tr?s vieux qui r?pandait une belle et grande ombre. Il ?tait v?n?r? presque ? l'?gal de ces arbres tenus pour sacr?s avant que les hommes apostoliques eussent ?vang?lis? les Gaules. Ses branches, qu'aucune main n'osait toucher, descendaient jusqu'? terre. <
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