Read Ebook: Bouquiniana: notes et notules d'un bibliologue by Gausseron Bernard Henri
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Ebook has 275 lines and 21247 words, and 6 pages
L'amant peut raffoler de sa belle aux joues vermeilles, le marin peut chanter la mer et les buveurs parler des charmes de la bouteille: les livres ont plus de beaut? pour moi.
Un livre est un tr?sor plus pr?cieux que l'or, un h?ritage l?gu? au genre humain, une cassette de sagesse o? se voient les plus princiers joyaux de l'esprit.
Bien qu'humble soit mon sort, je d?fie les soucis moroses, ayant les livres pour doux alli?s, folie et vice fuiront ma pr?sence, si ma pens?e va aux bons et aux sages. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Quand je m'assieds, ? l'aise, au coin de mon feu, un vieux livre fameux sur les genoux, l'amant en t?te ? t?te avec sa belle fianc?e ne m'inspirerait qu'une mince envie.
Je m'?gare dans le monde des livres et mon coeur se sent en paix; les beaux royaumes de la fantaisie sont ? moi; l'esprit sacr? de l'amour se repose alors ? mon foyer, et le livre que je lis est vraiment le Livre Divin!
Si les livres ont un tel attrait, comment s'?tonner qu'on soit si port? ? les emprunter et ? les garder?
<
Qui a dit cela? Je ne sais plus, mais quel que soit son nom, c'?tait un sage.
Charles Lamb ?tablit des classes et des cat?gories parmi les emprunteurs de livres. D'apr?s lui, <
En effet, peu nombreux sont les possesseurs de livres qui partagent enti?rement l'avis de l'Encyclop?diste D'Alembert, l'ami de Mlle de Lespinasse, d?clare que <
Communiquer des livres! Rien de plus g?n?reux et rien de plus utile assur?ment. Mais les bibliophiles y sont g?n?ralement peu enclins. Je me dispenserai de r?p?ter ? ce sujet des citations qui sont dans toutes les m?moires; je m'en tiendrai ? quelques autres moins connues parce qu'elles viennent de l'?tranger.
Je trouve, dans une petite revue litt?raire allemande, la description enthousiaste des saintes blessures et des nobles laideurs du livre dont la destination est d'?tre pr?t?. Le morceau est assez curieux pour que je me hasarde ? le citer tout au long.
Litterarische Korrespondenz und Kritische Rundschau.
LE LIVRE DE LA BIBLIOTH?QUE DE PR?TS
Celui-l? que je tiens ici dans mes mains, ce livre tout cass?, ce bouquin atrocement barbouill? de crayon et d'encre, richement orn? de coins en oreilles d'?ne, tach? de caf?, de th?, de bi?re, souill? par les mouches, la graisse et l'huile, auquel, comme vestiges de ses vagabondages, milles mauvaises odeurs s'attachent,-- ce livre en lambeaux, tout d?form?, l'univers entier le lit! La cuisini?re le lit pr?s de l'?tre avec un air de plaisir ?mu, et le sang bout dans son sein gonfl? o? se joue mollement le souffle des Muses. Quand la cuisini?re en a fini tout ? fait, le jouvenceau de seconde le lit en le froissant ? moiti? sous la table; puis c'est le soldat au corps de garde, le commis pr?s de son aune, et le condamn? dans sa cellule, et le vieux gar?on dans son lit, et l'h?pital tout entier... Enfin, la plus belle de toutes les dames, portant le nom le plus ?clatant, prend cette chose tellement fan?e et empuantie de toutes les puanteurs dans sa tendre et blanche main. Arrach?e par le talent du po?te, dans un doux accord avec le beau, une larme lentement s'?coule et tendrement fait sa part dans l'oeuvre commune: nul lecteur qui n'y laisse une tache! O pens?e grandiose et puissante! O r?sultat merveilleux! Qu'il est b?ni des dieux le po?te qui poss?de un si noble talent! Grands et Petits, Pauvres et Riches, cette crasse est l'oeuvre de tous! Ah! celui qui vit encore dans l'osbcurit?, qui lutte pour se hausser jusqu'au laurier, assur?ment sent, dans sa br?lante ardeur, un d?sir lui tirailler le sein. Dieu bon, implore-t-il chaque jour, Accorde-moi ce bonheur indicible: fais que mes pauvres livres de vers soient aussi gras et crasseux!
Mais si les po?tes aspirent aux embrassements < Qui tient dans ses bras l'univers, s'ils sont tellement avides du bruit qu'ils ouvrent leur escarcelle toute grande ? la popularit?, cette < Ecoutez la tirade mise par un po?te anglais dans la bouche d'un bibliophile qui a pr?t? ? un infid?le ami une reliure de Trautz-Bauzonnet et qui ne l'a jamais revue: Une fois pr?t?, un livre est perdu... Pr?ter des livres! Parbleu, je n'y consentirai plus. Vos pr?teurs faciles ne sont que des fous que je redoute. Si les gens veulent des livres, par le grand Grolier, qu'ils les ach?tent! Qui est-ce qui pr?te sa femme lorsqu'il peut se dispenser du pr?t? Nos femmes seront-elles donc tenues pour plus que nos livres ch?res? Nous en pr?serve de Thou! Jamais plus de livres ne pr?terai. Qui ce livre volera, Pro suis criminibus Au gibet il dansera, Pedibus penditibus. Ce ch?timent n'e?t pas d?pass? les m?rites de celui contre lequel Lebrun fit son ?pigramme < un Abb? qui aimait les lettres et un peu trop mes livres>>: Non, tu n'es point de ces abb?s ignares, Qui n'ont jamais rien lu que le Missel: Des bons ?crits tu savoures le sel, Et te connais en livres beaux et rares. Trop bien le sais! car, lorsqu'? pas de loup Tu viens chez moi feuilleter coup sur coup Mes Elz?virs, ils craignent ton approche. Dans ta m?moire il en reste beaucoup; Beaucoup aussi te restent dans la poche. Un amateur de livres de nuance lib?rale pourrait adopter pour devise cette inscription mise ? l'entr?e d'une biblioth?que populaire anglaise: ce qui, traduit librement, signifie: < C'est qu'ils sont pr?cieux, non pas tant par leur valeur intrins?que,--bien que certains d'entre eux repr?sentent plus que leur poids d'or,--que parce qu'on les aime, d'amour complexe peut-?tre, mais ? coup s?r d'amour vrai. Si le malheureux vend ses livres parce qu'il y est contraint, non pas par un caprice, une toquade de sp?culation, une saute de go?t, passant de la bibliophilie ? l'iconophilie ou ? la fa?en?omanie ou ? tout autre dada frais ?clos dans sa cervelle, ou encore sous le coup d'une passionnette irr?sistible dont quelques mois auront bient?t us? l'?ternit?, comme il advint ? Asselineau qui se d?fit de sa biblioth?que pour suivre une femme et qui peu apr?s se d?fit de la femme pour se refaire une biblioth?que, si c'est, dis-je, par mis?re pure, il faut qu'il soit bien marqu? par le destin et qu'il ait de triples galons dans l'arm?e des Pas-de-Chance, car les livres aiment ceux qui les aiment et, le plus souvent leur portent bonheur. T?moin, pour n'en citer qu'un, Grotius, qui s'?chappa de prison en se mettant dans un coffre ? livres, lequel faisait la navette entre sa maison et sa ge?le, apportant et remportant les volumes qu'il avait obtenu de faire venir de la fameuse biblioth?que form?e ? grands frais et avec tant de soins, pour lui < Nul main que le fer a touch?e n'est propre ? manier les livres, ni celui dont le coeur regarde l'or avec trop de joie; les m?mes hommes n'aiment pas ? la fois les livres et l'argent, et ton troupeau, ? Epicure, a pour les livres du d?go?t; les avares et les amis des livre ne vont gu?re de compagnie, et ne demeurent point, tu peux m'en croire, en paix sous le m?me toit. < Il reprend ailleurs: < Les temps sont quelque peu chang?s; il est en notre vingti?me si?cle des amateurs dont on ne saurait dire s'ils estiment des livres pr?cieux pour en faire un jour une vente profitable, ou s'ils d?pensent de l'argent ? accro?tre leur biblioth?que pour la seule satisfaction de leurs go?ts de collectionneur et de lettr?. < Voil? une pens?e qui a ?t? exprim?e bien des fois et que nous retrouverons encore; mais n'a-t-elle pas un tour original qui lui donne je ne sais quel air impr?vu de nouveaut?? < Apr?s ce d?but, qui s'?tonnera que Richard de Bury fasse un devoir ? tous les honn?tes gens d'acheter des livres et de les aimer. < On ne s'attendait gu?re, j'imagine, ? voir Salomon dans cette affaire. Et pourtant quoi de plus naturel que d'en appeler ? l'auteur de la Sagesse en une question qui int?resse tous les sages? < En effet, ajoute-t-il, en un ?lan croissant d'enthousiasme, < C'est pourquoi < Tel ?tait l'avis du grand homme d'Etat Gladstone, qui acheta plus de trente cinq mille volumes au cours de sa longue vie. < Cependant les livres, jusque dans la maison du bibliophile, ont un implacable ennemi: c'est la femme. Je les entends se plaindre du traitement que la ma?tresse du logis, d?s qu'elle en a l'occasion, leur fait subir: Amours de femme et de bouquin, Ne se chantent pas au m?me lutrin. Et il ajoute fort ? propos: < < >>Que les livres soient ton harem, et toi leur Grand Turc. De rayon en rayon, ils attendent tes faveurs, silencieux et soumis! Jamais la jalousie ne les agite. Je n'ai nulle part rencontr? V?nus, et j'accorde qu'elle est belle; toujours est-il qu'elle n'est pas de beaucoup si accommodante qu'eux.>> Armand Gouff? ?tait d'un autre avis lorsqu'il fredonnait: Un sot avec cent mille francs Peut se passer de livres. Mais les sots tr?s riches ont g?n?ralement juste assez d'esprit pour retrancher et masquer leur sottise derri?re l'apparat imposant d'une grande biblioth?que, o? les bons livres consacr?s par le temps et le jugement universel se partagent les rayons avec les ouvrages ? la mode. Car si, comme le dit le proverbe allemand, < C'est en pensant aux amateurs de cet acabit que Chamfort a formul? cette maxime: < L'historien Gibbon allait plus loin lorsqu'il d?clarait qu'il n'?changerait pas le go?t de la lecture contre tous les tr?sors de l'Inde. De m?me Macaulay, qui aurait mieux aim? ?tre un pauvre homme avec des livres qu'un grand roi sans livres.
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