Read Ebook: Journal de Eugène Delacroix Tome 3 (de 3) 1855-1863 by Delacroix Eug Ne Flat Paul Editor Piot Ren Editor
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Ebook has 889 lines and 105992 words, and 18 pages
JOURNAL
TOME TROISI?ME
SUIVI D'UNE TABLE ALPHAB?TIQUE
DES NOMS ET DES OEUVRES CIT?S
NOTES ET ?CLAIRCISSEMENTS PAR MM. PAUL FLAT ET REN? PIOT
PARIS
LIBRAIRIE PLON
PLON-NOURRIT ET Cie IMPRIMEURS-?DITEURS
RUE GARANCI?RE 10e
JOURNAL
Cousin, en sortant, m'assure que, toutes informations prises, elle est fort honn?te, sauf les petits loisirs que lui laisse l'absence de son mari, avec qui elle vit mal, mais qui ne fait que des apparitions.
Je m'accroche ? lui pour retourner chez Thiers; il n'y ?tait pas, ni sa femme. Mme Dosne m'invite pour le vendredi de la semaine suivante.
Berryer y est venu, ainsi que les dames de Vaufreland. Il m'a men? chez Mme de Lagrange, ? qui je devais une visite depuis le d?ner que j'y avais fait il y a longtemps d?j?, le jour o? j'avais caus? longuement avec la princesse.
Le philosophe Chenavard ne disait plus que la musique est le dernier des arts! Je lui disais que les paroles de ces op?ras ?taient admirables. Il faut des grandes divisions tranch?es; ces vers arrang?s sur ceux de Racine et par cons?quent d?figur?s, font un effet bien plus puissant avec la musique.
Il ne faut point partager l'attention: les beaux vers sont ? leur place dans la trag?die parl?e; dans l'op?ra, la musique seule doit m'occuper.
--D?n? chez Thiers: Cousin, Mme de R?musat que j'ai revue avec plaisir, etc.
Chez Tattet ensuite, o? j'ai entendu Membr?e.
Ce qui met la musique au-dessus des autres arts , c'est qu'elle est compl?tement de convention, et pourtant c'est un langage complet; il suffit d'entrer dans son domaine.
Je remarque encore l'?tonnante perfection des Flamands ? c?t? de quoi que ce soit: il y avait l? un joli Watteau, qui devenait compl?tement factice, comme je l'avais d?j? remarqu? ant?rieurement.
Thiers, Cousin, la duchesse d'Istrie, une Mme de L?otaud, et un M. de Beaumont qui fait partie du jury de l'Exposition; fort aimable et convenable de tous points, et bon appr?ciateur de toutes choses.
En sortant, chez Fould. Bal. Figures de coquins de toute esp?ce.
J'ai trouv? l? le vieux Rambuteau qui est aveugle et qui me dit, quand on lui dit qui j'?tais, qu'il ?tait tr?s f?ch? de n'avoir pas ?t? ainsi pr?venu de ma pr?sence chez Mme de Blocqueville, la premi?re fois que j'y d?nai; qu'il m'aurait dit ? quel point il avait toujours admir? mes peintures. Or le vieux sc?l?rat ne m'a jamais adress? la parole, dans le temps qu'il ?tait pr?fet, que pour me recommander de ne pas g?ter son ?glise de Saint-Denis du Saint-Sacrement. Ce tableau de treize pieds, pay? 6,000 francs, avait ?t? donn? ? Robert Fleury, qui, ne s'y sentant pas port?, m'avait propos? de le faire ? sa place, avec l'agr?ment, cela va sans dire, de l'administration. Varcollier, moins apprivois? dans ce temps avec moi et avec ma peinture, consentit d?daigneusement ? ce changement de personne, le pr?fet plus difficilement encore, ? ce que je crois, dans la profonde d?fiance o? il ?tait de mes minces talents.
L'adversit? rend aux hommes toutes les vertus que la prosp?rit? leur enl?ve.
Cela me rappelle que, quand je fus revoir Thiers, au retour de son petit exil, il d?plora la mesquinerie des commandes qu'on me faisait; ? l'entendre, j'aurais d? avoir tout ? faire et ?tre magnifiquement r?compens?.
Je suis rest? au coin de mon feu ? cause du d?gel. Puis, repris ? dix heures d'un beau courage, j'ai ?t? prendre l'air.
Delacroix, habitant ? cette ?poque rue Notre-Dame de Lorette, ?tait par cons?quent tout ? fait voisin de M. Thiers.
Ce sujet de tableau n'a pas ?t? trait? par Delacroix.
Beaucoup caus? avec Eug?ne, que j'aime beaucoup.
Chez Cerfbeer ensuite, o? l'on ?touffait; j'ai caus? avec Pont?coulant et avec sa femme. Il me disait assez justement que la prise de S?bastopol serait l'emp?chement irr?m?diable ? la paix; que l'Empereur, en 1812, n'avait pas r?tabli le royaume de Pologne pour ne pas fermer tout retour ? la paix, bien persuad? que la Russie n'abandonnerait jamais ses pr?tentions sur la Pologne et en ferait toujours un objet d'amour-propre au premier chef, comme elle en fait un de sa possession de la Crim?e, le talisman v?ritable qui lui ouvre le chemin ? la domination de l'Orient.
En sortant, je me suis promen? sur le boulevard avec d?lices: j'aspirais la fra?cheur du soir, comme si c'?tait chose rare. Je me demandais, avec raison, pourquoi les hommes s'entassent dans des chambres malsaines, au lieu de circuler ? l'air pur, qui ne co?te rien. Ils ne causent que de choses insipides qui ne leur apprennent rien et ne les corrigent de rien; ils font avec application des parties de cartes ou b?illent solitairement au milieu de la cohue, quand ils ne trouvent personne ? ennuyer.
En sortant et tr?s tard, chez Hal?vy: calorif?res ?touffants. Sa pauvre femme emplit sa maison de vieux pots et de vieux meubles; cette nouvelle folie le m?nera ? l'h?pital. Il est chang? et vieilli: il a l'air d'un homme entra?n? malgr? lui. Comment peut-il travailler s?rieusement au milieu de ce tumulte? Son nouveau poste ? l'Acad?mie doit prendre beaucoup sur son temps et l'?carter de plus en plus de la s?r?nit? et de la tranquillit? que demande le travail.
Sorti de ce gouffre le plus t?t que j'ai pu. L'air de la rue m'a sembl? d?licieux.
Apr?s d?ner, j'ai ?t? un moment chez Fould et suis revenu pour l'entendre avec Franchomme; mais le plaisir de la soir?e avait ?t? deux ou trois morceaux de Chopin qu'elle m'avait jou?s avant mon d?part pour aller chez le ministre.
Grzymala, ? d?ner, nous a soutenu que Mme Sand avait accept? de Meyerbeer de l'argent pour les articles qu'elle a faits ? sa louange. Je ne puis le croire et j'ai protest?. La pauvre femme a bien besoin d'argent: elle ?crit trop et pour de l'argent; mais descendre jusqu'au m?tier des feuilletonistes ? gages, c'est ce que je ne puis croire!
Berryer venu chez la princesse.
<
En r?ponse ? cette lettre, Berryer n'a pu m'envoyer qu'un billet dans les amphith??tres haut perch?s de l'Institut. En arrivant ? midi et demi par la neige et le froid, j'ai trouv? que la queue remplissait jusqu'? la porte de la rue, c'est-?-dire tous les escaliers et passages qui conduisent audit amphith??tre, lequel ?tait plein, de sorte que ces bonnes gens, parmi lesquelles il y en avait qui pr?tendaient que ce c?t? ?tait excellent, attendaient, ou l'?vanouissement de quelque dame, ou je ne sais quel prodige pour se glisser dans l'int?rieur; et ils ?taient l? deux cents!
Je boude un peu Berryer. En pareille situation, j'aurais voulu placer mon cousin. Tous ses amis de Frohsdorf et autres ?taient, j'en suis s?r, bien install?s, et avaient apport? leurs grandes oreilles pour l'?couter... Je me trompe: ils ?taient l? pour dire qu'ils y avaient ?t?.
Ces courts fragments de symphonie d'Haydn entendus hier m'ont ravi autant que le reste m'a rebut?. Je ne puis plus consentir ? pr?ter mes oreilles ou mon attention qu'? ce qui est excellent.
En revenant, chez Riesener.
Je suis depuis quelque temps dans un mauvais ?tat de sant?: l'estomac est capricieux, et c'est lui pourtant qui conduit tout le reste. ? pr?sent, mon malaise me prend au milieu de la journ?e, et je peux quelquefois faire une s?ance ? la fin du jour. Je me l?ve tr?s matin.
Le stupide public abandonne aujourd'hui Rossini pour Gluck, comme il a abandonn? autrefois Gluck pour Rossini; une chansonnette de l'an 1500 est mise au-dessus de tout ce que Cimarosa a produit. Passe pour ce stupide troupeau ? qui il faut absolument changer d'engouement, par la raison qu'il n'a de go?t et de discernement sur rien! mais des hommes de m?tier, artistes ou ? peu pr?s, qu'on qualifie d'hommes sup?rieurs, sont inexplicables de se pr?ter l?chement ? toutes ces sottises...
C'est par amour de la perfection que ces figures sont imparfaites. Il y a un peu du reflet de cette exactitude outr?e dans toute l'?cole qui commence au Poussin et aux Carrache. La sagesse est sans doute une qualit?, mais elle n'ajoute pas de charme. Je compare la gr?ce des figures d'un Corr?ge, d'un Rapha?l, d'un Michel-Ange, d'un Bonasone, d'un Primatice, ? celle d'une ravissante femme, qui vous enchante sans qu'on sache pourquoi. Je compare, au contraire, la froide correction des figures du style fran?ais ? ces grandes femmes bien b?ties, mais d?pourvues de charme.
Ce m?lange du comique et du path?tique est d?cid?ment de mauvais go?t. Il faut que l'esprit sache o? il est, et m?me il faut qu'il sache o? on le men?. Nous autres Fran?ais, familiaris?s depuis longtemps avec cette mani?re d'envisager les arts, nous aurions de la peine, ? moins d'une tr?s grande habitude de l'anglais, par exemple, ? nous faire une id?e de l'effet contraire dans les pi?ces de Shakespeare. Nous ne pouvons imaginer ce que serait une bouffonnerie sortant de la bouche du grand pr?tre, d'une Athalie, ou seulement la plus petite atteinte vers le style familier. La Com?die ne pr?sente le plus souvent que des passions tr?s s?rieuses dans celui qui les ?prouve, mais dont l'effet est de provoquer le rire, plut?t que l'?motion tragique.
Je crois que Chasles avait raison quand il me disait dans une conversation sur Shakespeare, dont j'ai parl? dans un de ces calepins: <
Je remarque ici m?me, ? ma fen?tre, la grande similitude que Shakespeare a en cela avec la nature ext?rieure, celle par exemple que j'ai sous les yeux, j'entends sous le rapport de cet entassement de d?tails dont il semble cependant que l'ensemble fasse un tout pour l'esprit. Les montagnes que j'ai parcourues pour venir ici, vues ? distance, forment les lignes les plus simples et les plus majestueuses; vues de pr?s, elles ne sont m?me plus des montagnes, ce sont des parties de rochers, des prairies, des arbres en groupes ou s?par?s, des ouvrages des hommes, des maisons, des chemins, occupant l'attention tour ? tour.
Cette unit?, que le g?nie de Shakespeare ?tablit pour l'esprit ? travers ses irr?gularit?s, est encore une qualit? qui est propre ? lui.
Mon pauvre Dumas, que j'aime beaucoup et qui se croit sans doute un Shakespeare, ne pr?sente ? l'esprit ni des d?tails aussi puissants, ni un ensemble qui constitue dans le souvenir une unit? bien marqu?e. Les parties ne sont point pond?r?es; son comique, qui est sa meilleure partie, semble parqu? dans de certains endroits de ses ouvrages; puis, tout ? coup, il vous fait entrer dans le drame sentimental, et ces m?mes personnages qui vous faisaient rire deviennent des pleureurs et des d?clamateurs. Qui reconna?trait, dans ces joyeux mousquetaires du commencement de l'ouvrage, ces ?tres de m?lodrame engag?s ? la fin dans cette histoire d'une certaine milady, que l'on juge en forme et qu'on ex?cute au milieu de la temp?te et de la nuit? C'est le d?faut habituel de Mme Sand. Quand vous avez fini de lire son roman, vos id?es sur ses personnages sont enti?rement brouill?es; celui qui vous divertissait par ses saillies ne sait plus que vous faire verser des larmes sur sa vertu, sur son d?vouement ? ses semblables, ou parle le langage d'un thaumaturge inspir?; je citerais cent exemples de cette d?ception du lecteur.
--Le jeune Armstrong venu; il m'a parl? de Tuilier, qui a laiss? cent mille livres sterling pour fonder une retraite pour les artistes pauvres ou infirmes; il vivait avaricieusement avec une vieille servante. Je me rappelle l'avoir re?u chez moi une seule fois, quand je demeurais au quai Voltaire; il me fit une m?diocre impression; il avait l'air d'un fermier anglais: habit noir assez grossier, gros souliers et mine dure et froide.
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