Read Ebook: Mémoires de Céleste Mogador Volume 2 by Chabrillan C Leste V Nard De Comtesse
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Ebook has 2189 lines and 62228 words, and 44 pages
M?MOIRES DE C?LESTE MOGADOR
Paris.--IMP. DE LA LIBRAIRIE NOUVELLE.--Bourdilliat, 15, rue Breda.
M?MOIRES DE C?LESTE MOGADOR
PARIS LIBRAIRIE NOUVELLE BOULEVARD DES ITALIENS, 15
La traduction et la reproduction sont r?serv?es.
M?MOIRES DE C?LESTE MOGADOR
LA REINE POMAR?.
On me conduisit ? Beaumarchais, o? l'on me re?ut d'une fa?on charmante, quand j'eus dit que je m'appelais Mogador.
Je fus engag?e; je r?p?tai le lendemain dans une revue, o? je me jouais moi-m?me et o? je dansais ? la fin la mazourka. Mon costume ?tait d?licieux. Je d?butai le m?me soir que Pomar?; j'eus beaucoup de succ?s dans la danse.
J'appris le lendemain que Pomar? avait ?t? siffl?e ? outrance. Je lus quelques journaux o? on l'accablait de mauvais compliments et de railleries. Les journalistes traitent les femmes comme les gouvernements: ils les inventent; apr?s les avoir invent?es, ils les pr?nent; apr?s les avoir pr?n?es, ils veulent les d?faire. Si ces r?putations, qui sont leur ouvrage, r?sistent, ils se d?cha?nent, insultent, m?prisent; ils crient ? la d?pravation.
Mais, messieurs, si cette d?pravation, dont on commence ? s'effrayer, a fait tant de progr?s, c'est un peu votre faute.
Autrefois, il n'y avait qu'un ou deux bals publics; pourquoi y en a-t-il dix aujourd'hui? A cause des c?l?brit?s que vous vous ?tes amus?s ? cr?er ? temps perdu, et quand vous ne saviez que faire. Cette gloire de clinquant a trouv? des envieuses; des milliers de jeunes filles sont entra?n?es dans les bals publics par l'app?t de cet ?clat menteur! Elles font tout au monde pour qu'on les regarde et pour que vous disiez leurs noms.
Les jeunes gens de famille vont voir ces combats, ces assauts de jambes; comment voulez-vous qu'ils gardent leur raison au milieu de ces jeunes femmes, dont quelques-unes sont charmantes? Ils s'enivrent ensemble de la m?me folie.
Pomar? avait une voiture; toutes veulent en avoir, beaucoup en ont. Les Champs-?lys?es comptent tous les jours dix promeneuses nouvelles, ?l?gantes, hardies.
Ce luxe fait mal ? voir, je le confesse, quand on songe que beaucoup de femmes, qui n'ont pas une faute ? se reprocher, v?g?tent dans la mis?re ou dans la g?ne avec leurs familles.
Les vaudevillistes et les dramaturges, toujours ? l'aff?t des passions qu'on peut exploiter avec succ?s, ont mis la prostitution sur la sc?ne.
Tout Paris s'est attendri pendant deux cents repr?sentations sur le d?sint?ressement de coeur et sur l'agonie d'une courtisane; puis, un beau jour, on a ?t? effray? du chemin qu'on avait fait.
Le monde galant a eu sa r?action, tout comme la soci?t? vertueuse. D'autres vaudevillistes et d'autres dramaturges, saisissant la nouvelle veine, nous ont attach?es au pilori de l'opinion.
Les journalistes ont fait ces choses sans se rappeler qu'? une autre ?poque ils avaient battu la grosse caisse ? la porte du Ranelagh, ? la porte du bal Mabille, ? la porte du bal d'Asni?res.
Dans les grandes, comme dans les petites choses, dans les choses honn?tes comme dans les choses honteuses, l'esprit humain est toujours le m?me: il ressemble ? la girouette qui est sur ma maison.
Si l'on veut r?ellement d?truire cette puissance des femmes galantes, qui touche ? tout, qui commence dans les plus hautes sph?res pour finir dans les derniers rangs de la soci?t?, le meilleur moyen c'est d'?tudier les faits. L'histoire vraie des femmes qui ont v?cu de cette vie infernale serait plus ?loquente, pour en d?tourner les jeunes filles, que les idylles attendrissantes ou les contrastes forc?s, dont le public parisien s'amuse tour-?-tour ? pleurer et ? rire.
Pomar? devait ?tre triste; je fus la voir. Elle demeurait alors, 25, rue de la Michodi?re, ? l'entre-sol. La maison, c'?tait un h?tel garni, ?tait meubl?e tr?s-proprement. Lise ?tait tr?s-?l?gante. J'attendais qu'elle me parl?t de ses d?buts; elle ne jugea pas convenable de le faire et me demanda les suites des miens.
--Je suis contente, lui dis-je; c'est un commencement.
--Ah bien! moi, dit-elle en riant, mon commencement ressemble joliment ? une fin; j'ai eu au Palais-Royal le succ?s de Lola-Mont?s. On avait fait forger des cl?s ? trous, et on s'en est donn? ? souffler dedans; le bruit a couvert l'orchestre. J'ai dans? ? contre mesure; il ?tait temps pour moi de me sauver, car on se disposait ? me jeter les bancs ? la t?te. J'en suis encore malade; je ne sors plus de six mois.
--A part cela, lui dis-je, tu es heureuse?
--Oui, me dit-elle; vois.
Elle ouvrit une armoire et me montra un tas de chiffons, que je ne regardai pas, je l'avoue, sans une certaine envie.
--Je suis tranquille, me dit-elle. Je vis avec un jeune homme de Toulouse, qui m'adore et me comble. Il est employ? au bureau des postes pour plaire ? ses parents, qui veulent qu'il s'occupe, ce dont il n'a pas besoin, car il est fort riche.
--Tant mieux! cela me fait plaisir. Je t'aime beaucoup; je voudrais te voir m?nager un peu plus ta sant? et ta bourse.
--Oh! je n'ai pas longtemps ? vivre; je veux bien m'amuser pour ne rien regretter.
--Joues-tu ce soir? me dit-elle en ouvrant la crois?e.
--Oui, tous les soirs.
Je la quittai. Je la vis le soir, dans une avant-sc?ne du rez-de-chauss?e, avec un petit homme blond mat, les cheveux fris?s, portant lunettes. Il paraissait rempli d'attentions pour elle.
Elle me fit prier d'aller d?ner le lendemain avec eux. Elle me dit, avant qu'il arriv?t, qu'elle ne pouvait pas le souffrir, mais qu'il l'aimait tant qu'elle avait piti? de lui; que c'?tait la bont? m?me.
En effet, il m'int?ressa; il avait l'air si honn?te, si tendre; il faisait montre de si beaux sentiments, que je fus enchant?e de lui, et que je fis promettre ? Lise de mieux le traiter.
--Voyez-vous, mademoiselle, me dit-il le soir en me reconduisant, en ce moment, je ne puis pas faire tout ce que je veux pour elle; mais je vais avoir beaucoup d'argent d'une propri?t? que je fais vendre: je lui donnerai tout.
A quelques jours de l?, j'entendis conter, au foyer du th??tre, que la reine Pomar? ?tait arr?t?e comme complice d'un vol tr?s-important dont on recherchait les auteurs.
Je ne pouvais pas croire cela, et, d'ailleurs, je n'ai jamais pu supporter entendre dire du mal de mes amies. Je donnai des d?mentis ? toutes ces vip?res qui, ne m'aimant pas, ?taient enchant?es de me faire de la peine.
Une vieille du?gne, qui, du reste, avait ?t? tr?s-belle, disait:
--Parbleu! des sauteuses comme cela, ?a fait tous les m?tiers.
--Ah! reprenait une ing?nue de trente ans, si j'?tais juge, je la condamnerais ? la prison pour toute sa vie.
Rien n'est m?chant comme les vertueuses par force. Celle-l? ?tait si s?che, si laide, que je ne pus m'emp?cher de lui dire:
--Il faudrait mettre en prison toutes les femmes un peu jolies; la disette en viendrait et vous trouveriez peut-?tre votre placement.
--Taisez-vous, me dit une de mes camarades; ne vous querellez pas ainsi sans savoir ce qui en est: vous pourriez vous compromettre.
D?s que le spectacle fut fini, je courus rue de la Michodi?re. La ma?tresse de la maison me dit qu'on lui avait recommand? le plus grand secret: mais qu'? moi, elle allait tout me conter... Je devais ?tre au moins la centi?me confidente.
--Hier, me dit-elle, il s'est pr?sent? un homme, fort bien mis, qui m'a demand? quelle chambre habitait Mlle Lise et comment elle vivait. Je crus que c'?tait son p?re, dont elle a si peur, et je r?pondis ? ce monsieur que j'ignorais sa mani?re de vivre.
--Oh! elle se cache: preuve qu'elle est coupable. Il fit signe ? deux autres messieurs, qui entr?rent ?galement, et ils mont?rent tous trois ? sa porte, en me faisant signe de les suivre. Je vis bien que c'?taient des agents de la police.
--Frappez vous-m?me, me dirent-ils. Il faut qu'elle ouvre sans avoir peur; un papier est vite br?l?.
Je fis ce qu'on me disait.
--Lise m'ouvrit en chemise. En voyant tout ce monde, elle voulut repousser la porte, mais elle n'en eut pas le temps; les trois hommes ?taient entr?s: deux s'?taient plac?s ? c?t? d'elle, de mani?re ? l'emp?cher de faire un mouvement.
La pauvre fille ?tait si p?le que ?a me fendit le coeur.
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