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Read Ebook: P'tit-bonhomme by Verne Jules Benett L On Illustrator

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Ebook has 3155 lines and 121459 words, and 64 pages

On sait combien l'observation du dimanche est s?v?re chez la race anglo-saxonne. Les protestants y apportent toute l'intransigeance de leur puritanisme, et, en Irlande, les catholiques luttent de rigorisme avec eux dans la pratique du culte. Et pourtant, ils sont deux millions et demi contre cinq cent mille adeptes des divers rites de la religion anglicane.

Du reste, on ne voyait ? Westport aucun navire appartenant aux autres pays. Des bricks-go?lettes, des schooners ou des cutters, quelques barques de p?che, de celles qui travaillent ? l'ouvert de la baie, se trouvaient ? sec, la mar?e ?tant basse. Ces navires, venus de la c?te occidentale de l'?cosse avec des chargements de c?r?ales,--ce qui manque le plus au Connaught,--repartiraient sur lest, apr?s avoir livr? leur cargaison. Pour rencontrer les b?timents de grande navigation, il faut aller ? Dublin, ? Londonderry, ? Belfast, ? Cork, o? font escale les paquebots transatlantiques des lignes de Liverpool et de Londres.

?videmment, ce ne serait pas au fond du gousset de ces marins inoccup?s que Thornpipe pourrait puiser quelques shillings, et son cri devait rester sans ?cho m?me sur les quais du port.

Il laissa donc s'arr?ter sa charrette. Le chien affam?, rompu de fatigue, s'?tendit sur le sable. Thornpipe tira de son bissac un morceau de pain, quelques pommes de terre et un hareng sal?; puis, il se mit ? manger, en homme qui en est ? son premier repas apr?s une longue ?tape.

L'?pagneul le regardait, faisant claquer ses m?choires d'o? pendait une langue br?lante. Mais, para?t-il, ce n'?tait pas l'heure de sa r?fection, car il finit par allonger sa t?te entre ses pattes, en fermant les yeux.

Un l?ger mouvement, qui se produisit dans la caisse de la charrette, tira Thornpipe de son apathie. Il se leva, observa si personne ne l'apercevait. Et alors, soulevant le tapis qui recouvrait la bo?te aux marionnettes, il y introduisit un morceau de pain, en disant d'un ton farouche:

<>

Un bruit de mastication gloutonne lui r?pondit, comme si un animal, mourant de faim, e?t ?t? blotti ? l'int?rieur de cette caisse, et il revint ? son d?jeuner.

Thornpipe eut bient?t achev? le hareng et les pommes de terre, cuites dans la m?me eau afin de leur donner plus de go?t. Il porta alors ? ses l?vres une gourde grossi?re, pleine de ce petit lait aigre, qui est une boisson assez commune dans le pays.

Sur ces entrefaites, la cloche de l'?glise de Westport retentit ? toute vol?e, sonnant la fin de l'office.

Il ?tait onze heures et demie.

Thornpipe releva le chien d'un coup de fouet, et ramena vivement sa charrette vers le mail, avec l'espoir d'accaparer quelques spectateurs ? leur sortie de la messe. Pendant la bonne demi-heure qui pr?c?dait le d?ner, peut-?tre l'occasion s'offrirait-elle de faire une recette. Thornpipe recommencerait apr?s v?pres, et ne se remettrait en route que le lendemain, afin d'exhiber ses marionnettes en quelque autre bourgade du comt?.

En somme, l'id?e n'?tait pas mauvaise. A d?faut de shillings, il saurait se contenter de coppers, et du moins ses marionnettes ne travailleraient pas pour ce fameux roi de Prusse, dont l'avarice fut telle que personne ne vit jamais la couleur de son argent.

Le cri retentit de nouveau:

<>

En deux ou trois minutes, une vingtaine de personnes se rassembl?rent autour de Thornpipe. Dire que ce f?t l'?lite de la population westportienne, ce serait d?passer la mesure. Il y avait l? des enfants en majorit?, une dizaine de femmes, quelques hommes, la plupart tenant leurs chaussures ? la main, non seulement par d?sir de ne point les user, mais aussi parce qu'ils ?taient plus ? l'aise, ayant l'habitude de marcher pieds nus.

Il y avait donc un public autour de la charrette, un public un peu plus productif--si l'on veut nous permettre ce mot--que n'aurait pu l'esp?rer Thornpipe. Vraisemblablement son exhibition avait quelques chances de succ?s, Westport n'ayant en aucun temps ?t? honor? d'un spectacle de ce genre.

Aussi le montreur de cabotins fit-il retentir une derni?re fois son cri de <>:

<>

MARIONNETTES ROYALES!

La charrette de Thornpipe est ?tablie d'une fa?on tr?s rudimentaire: un brancard auquel le farouche ?pagneul est attel?; une caisse quadrangulaire, plac?e sur deux roues--ce qui rendait le tirage plus facile au long des chemins cahoteux du comt?; deux poign?es en arri?re permettant de la pousser comme les baladeuses des marchands ambulants; au-dessus de la caisse, un tendelet de toile, dispos? sur quatre tiges de fer, et qui l'abrite sinon contre le soleil peu ardent d'ordinaire, du moins contre les pluies interminables de la haute Irlande. Cela ressemble ? l'un de ces appareils roulants qui portent des orgues de Barbarie ? travers les villes et les campagnes, et dont les stridentes fl?tes se m?lent ? l'?clat des trompettes; mais ce n'est point un orgue que Thornpipe prom?ne d'une bourgade ? l'autre, ou plut?t, en cette machine plus compliqu?e, l'orgue est r?duit ? l'?tat de simple serinette, ainsi qu'on en pourra juger tout ? l'heure.

Le dessus de la caisse est ferm? d'un couvercle qui l'embo?te sur un quart de sa hauteur. Ce couvercle une fois relev? et rabattu lat?ralement, voici ce que les spectateurs aper?oivent, non sans quelque admiration, ? la surface de la tablette.

Toutefois, afin d'?viter des redites, nous conseillons d'?couter Thornpipe, d?bitant son boniment habituel. A n'en pas douter, le forain en e?t remontr?, avec son intarissable faconde, au c?l?bre Brioch?, le cr?ateur du premier th??tre des marionnettes sur les champs de foire de la France.

<>

C'est le d?but invariablement destin? ? provoquer les sympathies des spectateurs, m?me quand il s'adresse aux plus piteux d?guenill?s d'un village.

<>

En effet, la tablette figure un salon en miniature, contenu entre quatre planchettes pos?es de champ, et sur lesquelles sont peintes des portes et des fen?tres drap?es; ?? et l? des meubles en carton du plus haut go?t, ?pingl?s sur un tapis colori?, des tables, des fauteuils, des chaises, plac?s de mani?re ? ne point g?ner la circulation des personnages, princes, princesses, ducs, marquis, comtes, baronnets, qui se pavanent avec leurs nobles ?pouses au milieu de cette r?ception officielle.

<>

Le tr?ne en question mesure de trois ? quatre pouces en hauteur, et bien que le velours soit en papier pelucheux, et les cr?pines faites d'une simple virgule couleur jaune, cela ne laisse pas de donner illusion aux braves gens qui n'ont jamais vu ce meuble essentiellement monarchique.

<>

Nous qui n'avons jamais eu l'honneur d'entrevoir la souveraine du Royaume-Uni, Imp?ratrice des Indes, dans ses salons d'apparat, nous ne saurions dire si la figurine repr?sente Sa Majest? avec une fid?lit? scrupuleuse. Toutefois, en admettant qu'elle ceigne la couronne pendant ces grandes solennit?s, il est douteux que sa main brandisse un sceptre qui ressemble au trident de Neptune. Le plus simple, d'ailleurs, est d'en croire Thornpipe sur parole, et c'est ce que fit sagement l'assistance.

<>

Il n'y a pas ? s'y tromper, voil? le prince de Galles en costume de feld-mar?chal de l'arm?e britannique, et la fille du roi de Danemark, drap?e d'une splendide robe de dentelle d?coup?e dans un morceau de ce papier d'argent qui recouvre les bo?tes de pralines.

De l'autre c?t?, c'est le duc d'Edimbourg, c'est le duc de Connaught, c'est le duc de Fife, c'est le prince de Battemberg, ce sont les princesses leurs femmes, enfin la famille royale au complet, arrang?e de mani?re ? d?crire un demi-cercle devant le tr?ne. Il est certain que ces poup?es,--ressemblance garantie toujours,--avec leurs habits de c?r?monie, leurs figures enlumin?es, leurs attitudes prises sur le vif, donnent une id?e tr?s exacte de la cour d'Angleterre.

Puis, voici les grands officiers de la couronne, entre autres, le grand amiral sir Georges Hamilton. Thornpipe prend soin de les d?signer du bout de sa baguette ? l'admiration du public, en ajoutant que chacun d'eux occupe la place due ? son rang, suivant l'?tiquette c?r?moniale.

L?, respectueusement immobile devant le tr?ne, se tient un monsieur de haute taille, d'une distinction tr?s anglo-saxonne, et qui ne peut ?tre qu'un des ministres de la Reine.

C'en est un, en effet, c'est le chef du cabinet de Saint-James, tr?s reconnaissable ? son dos qui est l?g?rement courb? sous le poids des affaires.

Puis, Thornpipe d'ajouter:

<>

Et, ma foi, il e?t ?t? difficile de ne pas reconna?tre l'illustre <>, ce beau vieillard, toujours droit, lui, toujours pr?t ? d?fendre les id?es lib?rales contre les id?es autoritaires. Peut-?tre y a-t-il lieu de s'?tonner qu'il regarde le premier ministre d'un air sympathique; mais, entre marionnettes,--m?me entre marionnettes politiques,--on se passe bien des choses, et ce qui r?pugnerait ? des ?tres de chair et d'os, des cabotins en carton et en bois n'en ont point vergogne.

D'ailleurs, voici un autre rapprochement inattendu, engendr? par un extraordinaire anachronisme, car Thornpipe s'?crie en gonflant sa voix:

<>

Oui! O'Connell ?tait l?, ? la cour d'Angleterre, en 1875, bien qu'il f?t mort depuis vingt-cinq ans. Et, si on en e?t fait l'observation ? Thornpipe, le forain aurait r?pondu ? cela que, pour un fils de l'Irlande, le grand agitateur est toujours vivant. A ce compte-l?, il aurait tout aussi bien pu exhiber M. Parnell, bien que cet homme politique ne f?t gu?re connu ? cette ?poque.

Puis, par places, sont diss?min?s d'autres courtisans, dont le nom nous ?chappe, tous constell?s de crachats et enrubann?s de cordons, des c?l?brit?s politiques et guerri?res, entre autres Sa Gr?ce le duc de Cambridge aupr?s de feu lord Wellington, et feu lord Palmerston aupr?s de feu M. Pitt; enfin des membres de la Chambre haute, fraternisant avec des membres de la Chambre basse; derri?re eux, une rang?e de horse-guards, en tenue de parade, ? cheval au milieu de ce salon,--ce qui indique bien qu'il s'agit d'une f?te comme il est rare d'en voir au ch?teau d'Osborne. Cet ensemble comprend environ une cinquantaine de petits bonshommes, violemment peinturlur?s, qui repr?sentent avec aplomb et raideur tout ce qu'il y a de plus aristocratique, de plus distingu?, de plus officiel, dans le monde militaire et politique du Royaume-Uni.

<>

C'est l? le moment critique pour les montreurs de curiosit?s et autres, lorsque la s?bile commence ? circuler entre les rangs de l'assistance. R?gle g?n?rale, les spectateurs de ces exhibitions foraines se classent en deux cat?gories: ceux qui s'en vont pour ne point mettre la main ? la poche, et ceux qui restent avec l'intention de s'amuser gratuitement,--ces derniers, qu'on ne s'en ?tonne pas, de beaucoup plus nombreux. Il existe une troisi?me cat?gorie, celle des payants, mais elle est si infime qu'il vaut mieux n'en point parler. Et cela ne fut que trop ?vident, lorsque Thornpipe <>, avec un sourire qu'il essayait de rendre aimable et qui n'?tait que farouche. En e?t-il pu ?tre autrement de cette face de boule-dogue, aux yeux m?chants, ? la bouche plus pr?te ? mordre les gens qu'? les embrasser?...

Il va de soi que chez toute cette marmaille en guenilles qui ne bougea pas, on n'e?t pas m?me trouv? deux coppers ? r?colter. Quant ? ceux des spectateurs qui, all?ch?s par le boniment du montreur de marionnettes, voulaient voir sans payer, ils se born?rent ? d?tourner la t?te. Cinq ou six seulement tir?rent quelques pi?cettes de leur gousset, ce qui produisit une recette d'un shilling et trois pence que Thornpipe accueillit d'une m?prisante grimace... Que voulez-vous? Il fallait s'en contenter, en attendant la repr?sentation de l'apr?s-midi, qui serait peut-?tre meilleure, et se conformer au programme annonc? plut?t que de rendre l'argent.

Et, alors, ? l'admiration muette succ?da l'admiration d?monstrative et criarde. Les mains se mirent ? battre, les pieds ? tr?pigner, les bouches ? s'emplir, puis ? se vider de aohs! qui devaient s'entendre du port.

En effet, Thornpipe vient de donner sous la caisse un coup de baguette, qui a provoqu? un g?missement auquel personne n'a pris garde. Soudain toute la sc?ne s'est anim?e, on peut dire d'une fa?on miraculeuse.

Les marionnettes, mues par un m?canisme int?rieur, semblent ?tre dou?es d'une vie r?elle. Sa Majest? la reine Victoria n'a pas quitt? son tr?ne,--ce qui e?t ?t? contraire ? l'?tiquette,--elle ne s'est pas m?me lev?e, mais elle meut la t?te, agitant son bonnet couronn? et abaissant son sceptre ? la fa?on du b?ton d'un chef de musique qui bat une mesure ? deux temps. Quant aux membres de la famille royale, ils se tournent et se retournent tout d'une pi?ce, rendant salut pour salut, tandis que ducs, marquis, baronnets, d?filent avec grandes d?monstrations de respect. De son c?t?, le premier ministre s'incline devant M. Gladstone, qui s'incline ? son tour. Apr?s eux, O'Connell s'avance gravement sur sa rainure invisible, suivi du duc de Cambridge, lequel semble ex?cuter un pas de caract?re. Les autres personnages d?ambulent ensuite, et les chevaux des horse-guards, comme s'ils ?taient non dans un salon mais au milieu de la cour du ch?teau d'Osborne, piaffent en secouant leur queue.

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