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Read Ebook: La porte des rêves by Schwob Marcel Feure Georges De Illustrator

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Ebook has 518 lines and 27098 words, and 11 pages

Illustrator: Georges de Feure

La Porte des R?ves

Par

MARCEL SCHWOB

PARIS

IMPRIM? POUR LES BIBLIOPHILES IND?PENDANTS

Chez Henry FLOURY, Libraire

? Monsieur Samuel POZZI, de l'Acad?mie de M?decine

MARCEL SCHWOB

Paris, Octobre 1898.

LA FL?TE

La temp?te nous avait pouss?s tr?s loin des c?tes o? nous avions accoutum? de faire la course. Pendant de longues journ?es sombres, le navire avait plong?, le nez en avant, ? travers les masses d'eau verte cr?tel?es d'?cume. Le ciel noir semblait se rapprocher de l'Oc?an, m?me au-dessus de nos t?tes; l'horizon seul ?tait entour? d'une marque livide, et nous errions sur le pont comme des ombres. Des fanaux pendaient ? chaque vergue, et le long de leurs verres suintaient perp?tuellement les gouttes de pluie, si bien que la lumi?re en ?tait incertaine. ? l'arri?re, les hublots de l'habitacle du timonier luisaient d'un rouge transparent et humide. Les hunes ?taient des demi-cercles d'obscurit?; de la noirceur sup?rieure, dans les sautes de vent, ?mergeaient les voiles bl?mes. Quelquefois les lanternes, en se balan?ant, faisaient se refl?ter des lueurs de cuivre dans les poches d'eau des pr?larts qui couvraient les canons.

Nous chassions ainsi sous le vent depuis notre derni?re prise. Les grappins d'abordage pendaient encore le long de la car?ne; et l'eau du ciel avait lav? et mass?, en s'?coulant, tous les d?bris du combat. Car dans des tas confus gisaient encore des cadavres v?tus d'?toffes ? boutons de m?tal, des haches, des sabres, des sifflets, des tron?ons de cha?nes et des cordages, avec des boulets rain?s; des mains p?les ?treignaient les crosses de pistolet, les pommeaux d'?p?e; des faces mitraill?es, mi-couvertes par les cabans, ballottaient dans les manoeuvres, et on glissait parmi des morts d?tremp?s.

Cet ouragan sinistre nous avait ?t? le courage de d?blayer. Nous attendions le jour pour reconna?tre nos compagnons, et les coudre dans leurs sacs; et le vaisseau de prise ?tait charg? de rhum. Plusieurs barriques avaient ?t? amarr?es, tant au pied du m?t de misaine qu'au m?t d'artimon; et beaucoup d'entre nous, cramponn?s autour, tendaient leurs gobelets ou leurs bouches aux jets bruns que chaque coup de tangage faisait jaillir, parmi les ronflements liquides.

Si la boussole ne nous trompait pas, le navire courait au sud; mais l'obscurit? et l'horizon d?sert ne nous donnaient aucun point de rep?re pour la carte marine. Une fois nous cr?mes voir des ?l?vations obscures ? l'ouest, une autre, des gr?ves p?les; mais nous ne savions si les hauteurs ?taient des montagnes ou des falaises et la p?leur des gr?ves pouvait ?tre la mer blafarde qui battait des brisants.

? de certains moments nous aper??mes ? travers la pluie fine des feux d'un rouge brumeux; et le capitaine h?la au timonier de les ?viter. Car nous nous savions signal?s et poursuivis, et les feux ?taient peut-?tre des br?lots; ou si nous longions, sans les voir, des c?tes inhospitali?res, nous pouvions craindre les signaux tra?tres des naufrageurs.

Nous pass?mes le fleuve d'eau chaude qui parcourt l'Oc?an: quelque temps, les embruns furent ti?des. Puis nous p?n?tr?mes de nouveau dans l'inconnu.

Et c'est alors que le capitaine, ignorant ce que l'avenir nous r?servait, fit siffler le rassemblement. L?, dans la nuit, quelques hommes tenant des lanternes, notre troupe se r?unit sur la dunette, et le capitaine d'armes nous divisa en groupes, et on entendit des chuchotements t?n?breux. Le tr?sorier tira des num?ros d'un sac ? poudre, et nous annon?a nos parts. Ainsi chacun re?ut ce qui lui revenait du butin de notre croisi?re, tant sur les v?tements, tant sur les provisions, tant sur l'or et l'argent, et les bijoux trouv?s aux mains, aux cous et dans les poches des hommes et femmes des vaisseaux pill?s.

Puis on nous fit rompre, et nous nous ?cart?mes silencieusement. Ce n'?tait pas ainsi que le partage se faisait d'ordinaire, mais pr?s de notre ?lot de refuge, ? la fin de l'exp?dition, le navire gonfl? de richesses, et parmi des jurons et des querelles sanglantes. Pour la premi?re fois il n'y eut pas un coup de couteau, pas un pistolet d?charg?.

Apr?s le partage le ciel s'?claircit graduellement et l'obscurit? commen?a ? s'ouvrir. D'abord des nuages roul?rent, et les brumes se d?chir?rent; puis le cercle livide de l'horizon se teignit d'un jaune plus ?clatant; l'Oc?an refl?ta les choses avec des couleurs moins sombres. Une tache illumin?e marqua le soleil; quelques rayons s'?pandirent au loin, en ?ventail. La houle fut orang?e, violette et pourpre; et des hommes cri?rent de joie, parce qu'ils voyaient flotter des algues.

Le soir tomba sous un embrasement pesant, et nous f?mes r?veill?s par la lumi?re bleue et p?le du matin dans les mers australes. Nos yeux inaccoutum?s ? la blancheur chaude nous faisaient mal; et nous nous ru?mes aux bastingages, sans rien voir, quand la vigie annon?a: <> Une heure apr?s, le ciel ?tant d'un bleu ?pais, nous aper??mes une ligne brune, ? l'extr?mit? de l'Oc?an, avec un lis?r? d'?cume.

On mit le cap dessus. Des oiseaux blancs et rouges ras?rent les cordages. Les vagues charriaient des bois multicolores. Puis un point mouvant nous apparut: sur la mer tr?s opaque, sous le soleil incandescent, il semblait rose, et, quand il s'approcha, nous v?mes que c'?tait un canot ou une pirogue. Cette embarcation n'avait pas de voile, et elle paraissait d?pourvue de rames.

Elle se dirigeait cependant par le travers de nous; mais, quoiqu'on la h?l?t, rien n'y ?tait visible. ? mesure que nous avancions, nous entendions seulement venir avec la brise un son doux et paisible, si modul? qu'il ne pouvait ?tre confondu avec la plainte de la mer ou la vibration des cordes tendues ? nos voiles. Ce son, d'une tristesse calme, attira nos compagnons aux deux flancs du vaisseau, et nous regardions curieusement la pirogue.

Comme le gaillard d'avant piquait le fond d'une grande lame, le myst?re de l'embarcation fut ?clairci. Elle ?tait en bois de couleur; les rames semblaient parties ? la d?rive, et un vieillard y ?tait couch?, un pied nu pos? sur la barre du gouvernail. Sa barbe et ses cheveux blancs encadraient tout son visage; sauf un manteau ray?, dont les pans ?taient rabattus sur lui, il n'avait aucun v?tement; et il tenait ? deux mains une fl?te dans laquelle il soufflait.

Nous amarr?mes la pirogue, sans qu'il voul?t se d?ranger; ses yeux ?taient vagues, et peut-?tre ?tait-il aveugle. Son ?ge devait ?tre tr?s grand, car les tendons de ses membres transparaissaient sous la peau. On le hissa jusque sur le pont et on retendit au pied du grand m?t, sur une toile goudronn?e.

Alors, sans cesser de tenir sa fl?te d'une main contre sa bouche, il allongea un bras et mania tout autour de lui, en t?tonnant. Et il mit la main sur la confusion d'armes, de boulets ? cha?nes et de cadavres qui ti?dissaient au soleil; il promena ses doigts sur le tranchant des haches et caressa la chair meurtrie des visages. Puis, il retira sa main, et les yeux p?les et vides, la figure tourn?e vers le ciel, il souffla dans sa fl?te.

Elle ?tait noire et blanche, et, sit?t quelle retentit parmi nous, elle parut un oiseau d'?b?ne poli, tachet? d'ivoire, et les mains transparentes voletaient autour, comme des ailes.

Le premier son fut gr?le et mince, chevrotant comme la voix que le vieillard aurait pu avoir, et nos coeurs furent p?n?tr?s du pass?, du souvenir des vieilles qui avaient ?t? nos grand'm?res, et du temps innocent o? nous ?tions enfants. Tout le pr?sent s'enfon?a autour de nous; et nous hochions la t?te en souriant; nos doigts voulaient faire mouvoir des jouets, et nos l?vres ?taient mi-closes, comme pour des baisers pu?rils.

Puis le son de la fl?te enfla, et ce fut un cri de passion tumultueuse. Devant nos yeux pass?rent des choses jaunes et des choses rouges, la couleur de la chair, la couleur de l'or, et la couleur du sang. Nos coeurs gonfl?rent, pour r?pondre ? l'unisson, et la folie des jours qui nous avaient entra?n?s au crime tourbillonna dans nos t?tes. Et le son de la fl?te s'accrut, et ce fut la voix sonore des temp?tes, et l'appel du vent au brisement de la vague, le fracas des car?nes ?ventr?es, le hurlement des hommes qu'on saigne ? la gorge. la terreur des figures noircies ? la suie, qui montent ? l'abordage, le sabre aux dents, la plainte des boulets rames et l'explosion d'air des carcasses de navires qui sombrent. Et nous ?coutions en silence, au milieu de notre propre vie.

Tout ? coup le son de la fl?te fut un vagissement; on entendit la lamentation des enfants qui viennent au monde, un cri si faible et si plaintif qu'il y eut un hurlement d'horreur. Car nous voyions d'un m?me moment, les yeux subitement ?clair?s de l'avenir, ce que nous ne pouvions plus avoir et ce que nous d?truisions ?ternellement, la mort de l'esp?rance pour les errants de la mer, et les existences futures que nous avions an?anties. Nous-m?mes, sans femmes, rouges de meurtre, ?panouis d'or, nous ne pourrions jamais entendre la voix des enfants nouveaux; car nous ?tions damn?s au balancement des flots, soit que le pont dans?t sous nos pieds, soit que notre t?te, coiff?e du bonnet noir, dans?t ? la corde d'une vergue: notre vie perdue sans espoir d'en cr?er d'autres.

Et Hubert, le capitaine d'armes, jura la mort, arracha au vieillard l'oiseau d'?b?ne tach? de blanc: le son p?rit, et Hubert jeta la fl?te dans la mer. Les yeux vagues du vieil homme tressaillirent, et ses membres anciens se raidirent, sans qu'on p?t rien entendre. Quand nous le touch?mes, il ?tait d?j? froid.

Je ne sais si cet homme ?trange appartenait ? l'Oc?an, mais sit?t qu'il l'eut atteint, quand nous l'envoy?mes rejoindre sa fl?te, il s'y enfon?a et disparut avec son manteau et sa pirogue; et jamais plus le cri d'un enfant qui na?t ne parvint ? nos oreilles sur la terre ou sur la mer.

LA CIT? DORMANTE

La c?te ?tait haute et sombre sous la lueur bleu clair de l'aube. Le Capitaine au pavillon noir ordonna d'aborder. Parce que les boussoles avaient ?t? rompues dans la derni?re temp?te, nous ne savions plus notre route ni la terre qui s'allongeait devant nous. L'Oc?an ?tait si vert que nous aurions pu croire qu'elle venait de pousser en pleine eau par un enchantement. Mais la vue de la falaise obscure nous troublait; ceux qui avaient remu? les tarots dans la nuit et ceux qui ?taient ivres de la plante de leur contr?e, et ceux qui ?taient v?tus de fa?on diverse, quoiqu'il n'y e?t pas de femmes ? bord, et ceux qui ?taient muets, ayant eu la langue clou?e, et ceux qui, apr?s avoir travers?, au-dessus de l'ab?me, la planche ?troite des flibustiers, ?taient demeur?s fous de terreur, tous nos camarades noirs ou jaunes, blancs ou sanglants, appuy?s sur les plats-bords, regardaient la terre nouvelle, tandis que leurs yeux tremblaient.

?tant de tous les pays, de toutes les couleurs, de toutes les langues, n'ayant pas m?me les gestes en commun, ils n'?taient li?s que par une passion semblable et des meurtres collectifs. Car ils avaient tant coul? de vaisseaux, rougi de bastingages ? la tranche saignante de leurs haches, ?ventr? de soutes avec les leviers de manoeuvre, ?trangl? silencieusement d'hommes dans leurs hamacs, pris d'assaut les galions avec un vaste hurlement, qu'ils s'?taient unis dans l'action; ils ?taient semblables ? une colonie d'animaux malfaisants et disparates, habitant une petite ?le flottante, habitu?s les uns aux autres, sans conscience, avec un instinct total guid? par les yeux d'un seul.

Ils agissaient toujours et ne pensaient plus. Ils ?taient dans leur propre foule tout le jour et toute la nuit. Leur navire ne contenait pas de silence, mais un prodigieux bruissement continu. Sans doute le silence leur eut ?t? funeste. Ils avaient par les gros temps la lutte de la manoeuvre contre les lames, par le calme l'ivresse sonore et les chansons discordantes, et le fracas de la bataille quand des vaisseaux les croisaient.

Le Capitaine au pavillon noir savait tout cela, et le comprenait seul; il ne vivait lui-m?me que dans l'agitation, et son horreur du silence ?tait telle que, pendant les minutes paisibles de la nuit, il tirait par sa longue robe son compagnon de hamac, afin d'entendre le son inarticul? d'une voix, humaine.

Les constellations de l'autre h?misph?re p?lissaient. Un soleil incandescent troua la grande nappe du ciel, maintenant d'un bleu profond, et les Compagnons de la Mer, ayant jet? l'ancre, pouss?rent les longs canots vers une crique taill?e dans la falaise.

L? s'ouvrait un couloir rocheux, dont les murs verticaux semblaient se rejoindre dans l'air, tant ils ?taient hauts; mais au lieu d'y sentir une fra?cheur souterraine, le Capitaine et ses compagnons ?prouvaient l'oppression d'une extraordinaire chaleur, et les ruisselets d'eau marine qui filtraient dans le sable se dess?chaient si vite que la plage enti?re cr?pitait avec le sol du couloir.

Ce boyau de roc d?bouchait dans une campagne plate et st?rile, mamelonn?e ? l'horizon. Quelques bouquets de plantes grises croissaient au versant de la falaise; des b?tes minuscules, brunes, rondes ou longues, avec de minces ailes fr?missantes de gaze, ou de hautes pattes articul?es, bourdonnaient autour des feuilles velues ou faisaient frissonner la terre en certains points.

La nature inanim?e avait perdu la vie mouvante de la mer et le cr?pitement du sable; l'air du large ?tait arr?t? par la barri?re des falaises; les plantes semblaient fixes comme le roc, et les b?tes brunes, rampantes ou ail?es, se tenaient dans une bande ?troite hors de laquelle il n'y avait plus de mouvement.

Or, si le Capitaine au pavillon noir n'avait pas song?, malgr? l'ignorance de la contr?e o? ils ?taient, que les derni?res indications des boussoles avaient port? le navire vers le Pays Dor? o? tous les Compagnons de la Mer d?sirent atterrir, il n'e?t pas pouss? plus loin l'aventure, et le silence de ces terres l'e?t ?pouvant?.

Mais il pensa que cette c?te inconnue ?tait la rive du Pays Dor?, et il dit ? ses compagnons des paroles ?mues qui leur mirent des d?sirs vari?s au coeur. Nous march?mes t?te basse, souffrant du calme; car les horreurs de la vie pass?e, tumultueuses, s'?levaient en nous.

? l'extr?mit? de la plaine nous rencontr?mes un rempart de sable d'or ?tincelant. Un cri s'?leva des l?vres d?j? s?ches des Compagnons de la Mer; un cri brusque, et qui mourut soudain, comme ?trangl? dans l'air, parce que, dans ce pays o? le silence paraissait augmenter, il n'y avait plus d'?cho.

Le Capitaine pensant que cette terre aurif?re ?tait plus riche au del? des lev?es de sable, les Compagnons mont?rent p?niblement; le sol fuyait sous nos pas.

Et, de l'autre c?t?, nous e?mes une ?trange surprise; car le rempart de sable ?tait le contrefort des murailles d'une cit?, o? de gigantesques escaliers descendaient de la route de garde.

Pas un bruit vital ne s'?levait du coeur de cette ville immense. Nos pas sonnaient tandis que nous passions sur les dalles de marbre, et le son s'?teignait. La cit? n'?tait pas morte, car les rues ?taient pleines de chars, d'hommes et d'animaux: des boulangers p?les, portant des pains ronds, des bouchers soutenant au-dessus de leurs t?tes des poitrines rouges de boeufs, des briquetiers courb?s sur les chariots plats o? les rang?es de briques scintillantes s'entrecroisaient, des marchands de poissons avec leurs ?ventaires, des crieuses de salaisons, haut retrouss?es, avec des chapeaux de paille piqu?s sur le sommet de la t?te, des porteurs esclaves agenouill?s sous des liti?res drap?es d'?toffes ? fleurs de m?tal, des coureurs arr?t?s, des femmes voil?es ?cartant encore du doigt le pli qui couvrait leurs yeux, des chevaux cabr?s, ou tirant, mornes, dans un attelage ? cha?nes lourdes, des chiens le museau lev? ou les dents au mur. Or toutes ces figures ?taient immobiles, comme dans la galerie d'un statuaire qui p?trit des statues de cire; leur mouvement ?tait le geste intense de la vie, brusquement arr?t?e; ils se distinguaient seulement des vivants par cette immobilit? et par leur couleur.

Car ceux qui avaient eu la face color?e ?taient devenus compl?tement rouges, la chair inject?e; et ceux qui avaient ?t? p?les ?taient devenus livides, le sang ayant fui vers le coeur; et ceux dont le visage autrefois ?tait sombre pr?sentaient maintenant une figure fixe d'?b?ne; et ceux qui avaient eu la peau hal?e au soleil s'?taient jaunis brusquement, et leurs joues ?taient couleur de citron; en sorte que parmi ces hommes rouges, blancs, noirs et jaunes, les Compagnons de la Mer passaient comme des ?tres vivants et actifs au milieu d'une r?union de peuples morts.

Le terrible calme de cette cit? nous faisait h?ter le pas, agiter les bras, crier des paroles confuses, rire, pleurer, hocher la t?te ? la mani?re des ali?n?s; nous pensions qu'un de ces hommes qui avaient ?t? en chair peut-?tre nous r?pondrait; nous pensions que cette agitation factice arr?terait nos r?flexions sinistres; nous pensions nous d?livrer de la mal?diction du silence. Mais les grandes portes abandonn?es b?illaient sur notre route; les fen?tres ?taient comme des yeux ferm?s; les tourelles de guetteurs sur les toits s'allongeaient indolemment vers le ciel. L'air semblait avoir un poids de chose corporelle: les oiseaux, planant sur les rues, au bord des murs, entre les pilastres, les mouches, immobiles et suspendues, paraissaient des b?tes varicolores emprisonn?es dans un bloc de cristal.

Et la somnolence de cette cit? dormante mit dans nos membres une profonde lassitude. L'horreur du silence nous enveloppa. Nous qui cherchions dans la vie active l'oubli de nos crimes, nous qui buvions l'eau du L?th?, teinte par les poisons narcotiques et le sang, nous qui poussions de vague en vague sur la mer d?ferlante une existence toujours nouvelle, nous f?mes assujettis en quelques instants par des liens invincibles.

Or, le silence qui s'emparait de nous rendit les Compagnons de la Mer d?lirants. Et parmi les peuples aux quatre couleurs qui nous regardaient fixement, immobiles, ils choisirent dans leur fuite effray?e chacun le souvenir de sa patrie lointaine: ceux d'Asie ?treignirent les hommes jaunes, et eurent leur couleur safran?e de cire impure; et ceux d'Afrique saisirent les hommes noirs, et devinrent sombres comme l'?b?ne; et ceux du pays situ? par del? l'Atlantide embrass?rent les hommes rouges et furent des statues d'acajou; et ceux de la terre d'Europe jet?rent leurs bras autour des hommes blancs et leur visage devint couleur de cire vierge.

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