bell notificationshomepageloginedit profileclubsdmBox

Read Ebook: Les aventures de Télémaque by Aragon

More about this book

Font size:

Background color:

Text color:

Add to tbrJar First Page Next Page

Ebook has 300 lines and 19502 words, and 6 pages

LES AVENTURES

T?L?MAQUE

par

LOUIS ARAGON

Avec un portrait de l'auteur

par

R. DELAUNAY

?DITIONS

de la Nouvelle Revue Fran?aise

PARIS 3, rue de Grenelle

PAUL ?LUARD

LES AVENTURES DE T?L?MAQUE

AMENDE HONORABLE

Le probl?me de l'?criture, celui de l'originalit? peuvent un instant tourmenter un jeune homme: ils sont impuissants ? le retenir. L'ann?e 1920 pour quelques esprits hasardeux aura ?t? l'ann?e des proc?s formels. Voil? qui va bien. Le sens propre des mots ne saurait pour personne constituer ce que l'on est convenu d'appeler un id?al. Aussi bien m'?chappe-t-il le plus souvent, et l'on reconna?tra que tout le long d'un livre j'ai r?uni sous les esp?ces du mot amour mille ?l?ments qui ne sont point essentiels ? l'amour m?me. Je confesse ici ce tourment, que, par la faute des mots, je cherche encore aujourd'hui ? m'expliquer au moyen de mes souvenirs de plaisir les v?ritables mouvements de mon coeur. De l? ces erreurs, ces ?quivoques, ces confusions.

La pu?rilit? de cet ouvrage, si elle ?clate aux yeux de tous, c'est que ces aventures ne d?passent pas le cycle de l'enfance; elles posent l'?quation ? deux inconnus, l'homme et la femme, qui ne se r?soudra que plus tard. Qu'on ne s'y trompe pas: la critique de la vie, nous ne la poursuivons qu'en l'absence de l'amour. D?s qu'il d?bute, les donn?es changent: nous nous faisons acquiescement universel. L'indiff?rence aux id?es, voil? ce que nous ne soup?onnions pas. Satisfaction de s'?prouver ? la merci de l'ouragan sentimental. Je me casse entre les mains d'une tendresse infinie, accept?e et finalement r?voltante. Ici commence l'?clipse du moi. La nuit en plein midi. Si vous savez ce que c'est que l'amour, ne tenez pas compte de ce qui va suivre.

L. A.

LIVRE I

LIVRE I

Calypso comme un coquillage au bord de la mer r?p?tait inconsolablement le nom d'Ulysse ? l'?cume qui emporte les navires. Dans sa douleur elle s'oubliait immortelle. Les mouettes qui la servaient s'envolaient ? son approche de peur d'?tre consum?es par le feu de ses lamentations. Le rire des pr?s, le cri des graviers fins, toutes les caresses du paysage rendaient plus cruelles ? la d?esse l'absence de celui qui les lui avait enseign?es. ? quoi bon porter ses regards ? l'infini, si l'on n'y doit rencontrer que les plaines am?res du d?sespoir? En vain les rivages de l'?le fleurissaient-ils au passage de leur souveraine, elle ne pr?tait attention qu'au cours stupide des mar?es.

Un bateau vint opportun?ment se briser aux pieds de Calypso. Il en sortit deux abstractions. La premi?re n'avait pas vingt ans et ressemblait si parfaitement ? Ulysse que les branches m?mes des arbustes, ? la mani?re dont il les plia, reconnurent T?l?maque, son fils, qui n'avait encore courb? aucune femme dans ses bras. La seconde entit? n'?tait compr?hensible ni pour le sable des all?es, ni pour la d?esse d?sol?e, ni pour le printemps ?ternel qui r?gnait sur ces contr?es fabuleuses: on ne pouvait reconna?tre Minerve sous les traits du vieillard Mentor, f?t-on nymphe ou divinit? plus haute.

Cependant Calypso retrouvait avec joie son amant fugitif en ce jeune naufrag? qui s'avan?ait vers elle. Conna?tre d?j? ce corps qu'elle apercevait pour la premi?re fois la troubla plus que ne faisaient ces taches brillantes, les varechs coll?s par l'eau vive aux membres polis de T?l?maque. Elle se sentit femme et feignit la col?re.

<>

La rougeur de son front d?mentait ses paroles. Le jeune voyageur s'inclina avec la gr?ce d'un souvenir:

<

--On l'appelle Ulysse, et que lui sert que ce nom soit fameux dans toute la Gr?ce et dans toute l'Asie? Sa patrie lui est interdite, les flots ne lui ?pargneront pas une erreur. La sagesse de ce h?ros, loin de lui ?viter les ?cueils, l'entra?ne toujours ? de nouveaux dangers. J'ai quitt? sans espoir ma m?re P?n?lope; je cours l'Univers pour lui r?clamer Ulysse, ab?m? peut-?tre dans ses mers, et, parfois, je trouve dans les esprits la trace de celui qui m'?chappe et duquel, d?esse, si le bizarre jeu des passions l'a jamais jet? dans votre ?le, vous ne cacherez pas le sort ? son fils T?l?maque.>>

Calypso, mieux attentive aux mouvements de son coeur qu'? ceux de ces discours, n'osait rompre par la parole ou le mouvement le charme qui retenait ses regards sur cette forme trop humaine. Le vertige qui brouilla ses yeux l'engagea par la crainte de soi-m?me ? casser tout ? coup le silence.

<>

La grotte de la d?esse s'ouvrait au penchant d'un coteau. Du seuil, on dominait la mer, plus d?concertante que les sautes du temps multicolore entre les rochers taill?s ? pic, ruisselants d'?cume, sonores comme des t?les et, sur le dos des vagues, les grandes claques de l'aile des engoulevents. Du c?t? de l'?le s'?tendaient des r?gions surprenantes: une rivi?re descendait du ciel et s'accrochait en passant ? des arbres fleuris d'oiseaux; des chalets et des temples, des constructions inconnues, ?chafaudages de m?tal, tours de briques, palais de carton, bordaient, soutache lourde et tordue, des lacs de miel, des mers int?rieures, des voies triomphales; des for?ts p?n?traient en coin dans des villes impossibles, tandis que leurs chevelures se perdaient parmi les nuages; le sol se fendait par-ci par-l? au niveau de mines pr?cieuses d'o? jaillissait la lumi?re du paysage; le grand air disloquait les montagnes et des nappes de feu dansaient sur les hauteurs; les lampes-pigeons chantaient dans les voli?res et, parmi les tombeaux, les b?timents, les vignobles, des animaux plus ?tranges que le r?ve se promenaient avec lenteur. Le d?cor se continuait ? l'horizon avec des cartes de g?ographie et les portants peu d'aplomb d'une chambre Louis-Philippe o? dormaient des anges blonds et chastes comme le jour.

Lorsqu'elle lui eut montr? toutes ces beaut?s naturelles, Calypso dit ? T?l?maque: <>

En m?me temps, elle l'introduisait avec Mentor dans un retrait voisin de la grotte o? elle demeurait. Il y r?gnait un climat merveilleux: les objets y d?gageaient de la lumi?re. Des habits de neige, tuniques subtiles de sentiments, robes de sensualit?s, ceintures captieuses, attendaient les nouveaux h?tes dans ce lieu. Comme T?l?maque s'attardait ? toucher les tissus, ? constater leur l?g?ret? incomparable, Mentor se mit ? rire avec un bruit de cr?celle:

<

--L'entra?nement qui porte un jeune homme, r?pondit T?l?maque avec un soupir, ? se r?jouir ou ? se plaindre, votre ricanement le limite. Abolir la facult? de r?flexe, j'y songe tout de m?me un peu. Mais les mannequins ne se contr?lent pas: le m?canisme ou la ma?trise de soi, je me perds entre ces deux p?les. D?s qu'on ob?it, s'ob?it-on? Le refus de soumission, l'ordre le d?termine. Vous me tendez la main, mon poing se serre et se retire: c'est encore une politesse. Le geste dont je parle me rappelle la mort: nous vivons par civilit?. Mais que cette dame est aimable, Mentor, qu'elle a de bont?s envers nous!

--Si vous l'aimez, Ulysse vous fait faux-bond, pensez-y. S'attacher ou se fuir, je n'en vois pas la diff?rence. Nous admirons ? proportion de notre stupidit?, nous ch?rissons dans la mesure de notre ignorance. Les pavots des paroles endorment les coeurs neufs. Prenez garde aux contes du d?sir. Du d?sir de l'autre ou du sien, comment d?cider quel est le plus dangereux?>>

Calypso les re?ut au milieu de ses nymphes qui servirent d'abord un repas id?al: elles apport?rent les raisonnements des M?des, le corail des chansons de l'Inde, le parfum p?n?trant des vocables ?gyptiens, la sagesse sade d'Ath?nes. Toute chair pr?par?e parut aux convives exquise comme une douleur. Le vin plus insinuant que l'air, plus d?licieux que la m?moire, ne leur sembla point si frais que les fruits, pareils ? des bonheurs. Les nymphes commenc?rent alors de chanter. Elles dirent les combats des morts et des ?l?ments; la lutte de l'homme avec les mots; l'ardeur commune aux dieux et aux b?tes, ce phlogiston du monde, l'amour aux l?vres violettes. Enfin elles cont?rent les travaux de ces h?ros qui assi?g?rent Troie, la cit? des apparences. Le nom du sage Ulysse mourut comme un sanglot dans le d?lire v?h?ment des lyres. En l'entendant, T?l?maque s'?gara dans une r?verie qui rev?tit ses traits d'une beaut? singuli?re. Calypso aper?ut qu'il ne pouvait plus manger et fit signe ? ses nymphes qui se mirent ? danser et ramen?rent ainsi les esprits ? l'image plaisante de la volupt?. ? l'issue du repas, la d?esse s'inclina vers T?l?maque et lui dit:

<>

A ces mois le jeune homme rougit et attacha si bien ses regards au corps de la d?esse qu'il n'entendit que distraitement le r?cit des aventures d'Ulysse. Dans la crainte de para?tre na?f, il prit pr?texte de l'affliction dans laquelle la mort de ce roi le plongeait pour dissimuler son trouble et se d?rober ? l'offre d'un bonheur trop soudain. Calypso, confiante en la musique pour ramener le calme au coeur des humains, pria la nymphe Eucharis de chanter un air apaisant. Cette beaut? accorda son luth et sa voix s'?leva comme un flambeau:

<> Pour mieux conna?tre son h?te et apprendre le mot de son coeur, Calypso demanda au jeune homme par quels tours du sort il ?tait venu ?chouer sur ces c?tes. Il se r?cusa longtemps, mais elle le pressa si bien qu'il ne put lui r?sister davantage et entreprit le r?cit de ses malheurs:

<> Je n'en fis qu'? ma t?te, et cependant Mentor ne m'abandonna point.>>

Pendant que T?l?maque parlait, Mentor, fatigu? du voyage, avait cess? de se surveiller et des rayons lumineux s'?chappaient de son front. Calypso le regardait avec un ?tonnement m?l? de m?fiance: le vieillard s'en aper?ut, ?teignit aussit?t la clart? de son cr?ne, et prit un air modeste.

<>

<> En effet nous f?mes ?pargn?s l'un et l'autre pour ?tre men?s au roi et interrog?s par lui sur nos desseins. Les mains li?es derri?re le dos, couverts de la poussi?re du chemin, nous f?mes jet?s aux pieds de ce monarque qui nous demanda s?v?rement notre naissance et le sujet de notre voyage. Nos mensonges n'eurent pour effet que l'ordre de nous envoyer en esclavage garder les troupeaux de la maison royale. Assur? que rien, ? ?couter Mentor, ne pouvait nous perdre, je tentai de v?rifier l'axiome de mon compagnon, et, arr?tant les gardes qui d?j? m'entra?naient, je m'?criai: <> Tout le peuple pr?sent ?clata en mal?dictions, quelqu'un me reconnut et je fus condamn? ? p?rir avec Mentor sur le tombeau d'Anchise. Je reprochai am?rement ? mon second d'infortunes la fausse sagesse qu'il m'avait enseign?e: <>

<>

LIVRE II

LIVRE II

De toutes les nymphes de Calypso, la plus troublante ?tait Eucharis, pareille aux fleurs de lait que T?l?maque voyait parfois en r?ve. Pendant le r?cit de ce jeune prince, Eucharis ne cessa de rouler sur ses mains transparentes une longue boucle noire qui tombait de son front. Une seule soir?e ne suffit pas ? ?puiser les aventures du fils de P?n?lope. Pendant plusieurs veill?es T?l?maque charma la d?esse et ses compagnes de la voix du seul homme qui v?cut alors dans leur ?le. Feuillages perc?s de lumi?re, repos travers?s de lentes apparitions f?minines aux pieds silencieux, les jours se partageaient entre des siestes, sous le tamis des tonnelles, et des chasses aussi ?mouvantes que l'orage, avec l'?clair des longs l?vriers blancs, les ?garements de la raison au milieu de la for?t, sur le bord des lacs tranquilles ou dans les clairi?res, regards soudains du ciel au coeur des arbres de bitume. Une nuit, semblable ? toutes les nuits, mais plus sombre, Eucharis visita T?l?maque tandis qu'il dormait. Il ne sut d'abord quel nom lui donner. Puis il trouva tout un lot d'injures douces comme ce tendre r?veil dans les t?n?bres. La d?couverte d'un corps, quelle insinuante volupt?. Le contact de deux chairs c?te ? c?te, du talon ? l'aisselle, am?ne des frissons qui secouent la nature comme des passages d'oiseaux nocturnes. Le jeune homme se retourna sur son flanc effleur?, sentit la bouche de l'inconnue et sa poitrine, puis d'un large mouvement du bras libre saisit le bras le plus lointain de la femme, le parcourut et atteignit sa limite. Des cheveux se d?firent contre les ?paules, comme une vague sous un navire. Un soleil punctiforme naquit sous quatre paupi?res, s'?largit, s'?largit et embrasa le monde:

<> dit-elle.

Elle se leva rapidement, et courut ? la grotte voisine. T?l?maque se sentait plus lourd que la montagne. Eucharis revint avec une veilleuse d'huile ? la lueur philosophale: elle parut dor?e comme le d?sir, et son amant reconnut avec h?te la puissance de sa beaut?. Les nymphes inspirent aux mortels un amour sans cesse renouvel?. Eucharis ?tait nymphe et T?l?maque ?tait mortel. La fatigue d?j? faisait depuis longtemps tourner les cr?nes dans l'ombre quand la t?te d'Eucharis retomba sur la couche comme une noix vid?e. T?l?maque alors caressa distraitement le front de sa premi?re ma?tresse et se mit ? penser.

<

<

<

Add to tbrJar First Page Next Page

 

Back to top