Read Ebook: Les Peintres Cubistes: [Méditations Esthétiques] by Apollinaire Guillaume
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Ebook has 382 lines and 16602 words, and 8 pages
Les Peintres Cubistes
Par
GUILLAUME APOLLINAIRE
PREMI?RE S?RIE
OUVRAGE ACCOMPAGN? DE 46 PORTRAITS ET REPRODUCTIONS HORS TEXTE
TOUS LES ARTS
COLLECTION PUBLI?E SOUS LA DIRECTION DE M. Guillaume APOLLINAIRE
PARIS
EUG?NE FIGUI?RE ET Cie, ?DITEURS
M?DITATIONS ESTH?TIQUES
Sur la peinture
Les vertus plastiques: la puret?, l'unit? et la v?rit? maintiennent sous leurs pieds la nature terrass?e.
En vain, on bande l'arc-en-ciel, les saisons fr?missent, les foules se ruent vers la mort, la science d?fait et refait ce qui existe, les mondes s'?loignent ? jamais de notre conception, nos images mobiles se r?p?tent ou ressuscitent leur inconscience et les couleurs, les odeurs, les bruits qu'on m?ne nous ?tonnent, puis disparaissent de la nature.
Ce monstre de la beaut? n'est pas ?ternel.
Nous savons que notre souffle n'a pas eu de commencement et ne cessera point, mais nous concevons avant tout la cr?ation et la fin du monde.
Cependant, trop d'artistes-peintres adorent encore les plantes, les pierres, l'onde ou les hommes.
On s'accoutume vite ? l'esclavage du myst?re. Et, la servitude finit par cr?er de doux loisirs.
On laisse les ouvriers ma?triser l'univers et les jardiniers ont moins de respect pour la nature que n'en ont les artistes.
Il est temps d'?tre les ma?tres. La bonne volont? ne garantit point la victoire.
En de?? de l'?ternit? dansent les mortelles formes de l'amour et le nom de la nature r?sume leur maudite discipline.
La flamme est le symbole de la peinture et les trois vertus plastiques flambent en rayonnant.
La flamme a la puret? qui ne souffre rien d'?tranger et transforme cruellement en elle-m?me ce qu'elle atteint.
Elle a cette unit? magique qui fait que si on la divise, chaque flamm?che est semblable ? la flamme unique.
Elle a enfin la v?rit? sublime de sa lumi?re que nul ne peut nier.
Les artistes-peintres vertueux de cette ?poque occidentale consid?rent leur puret? en d?pit des forces naturelles.
Elle est l'oubli apr?s l'?tude. Et, pour qu'un artiste pur mour?t, il faudrait que tous ceux des si?cles ?coul?s n'eussent pas exist?.
La peinture se purifie, en Occident, avec cette logique id?ale que les peintres anciens ont transmise aux nouveaux comme s'ils leur donnaient la vie.
Et c'est tout.
L'un vit dans les d?lices, l'autre dans la douleur, les uns mangent leur h?ritage, d'autres deviennent riches et d'autres encore n'ont que la vie.
Et c'est tout.
On ne peut pas transporter partout avec soi le cadavre de son p?re. On l'abandonne en compagnie des autres morts. Et, l'on s'en souvient, on le regrette, on en parle avec admiration. Et, si l'on devient p?re, il ne faut pas s'attendre ? ce qu'un de nos enfants veuille se doubler pour la vie de notre cadavre.
Mais, nos pieds ne se d?tachent qu'en vain du sol qui contient les morts.
Consid?rer la puret?, c'est baptiser l'instinct, c'est humaniser l'art et diviniser la personnalit?.
La racine, la tige et la fleur de lys montrent la progression de la puret? jusqu'? sa floraison symbolique.
Tous les corps sont ?gaux devant la lumi?re et leurs modifications r?sultent de ce pouvoir, lumineux qui construit ? son gr?.
Nous ne connaissons pas toutes les couleurs et chaque homme en invente de nouvelles.
Mais, le peintre doit avant tout se donner le spectacle de sa propre divinit? et les tableaux qu'il offre ? l'admiration des hommes leur conf?reront la gloire d'exercer aussi et momentan?ment leur propre divinit?.
Il faut pour cela embrasser d'un coup d'oeil: le pass?, le pr?sent et l'avenir.
La toile doit pr?senter cette unit? essentielle qui seule provoque l'extase.
Alors, rien de fugitif n'entra?nera au hasard. Nous ne reviendrons pas brusquement en arri?re. Spectateurs libres nous n'abandonnerons point notre vie ? cause de notre curiosit?. Les faux sauniers des apparences ne passeront point en fraude nos statues de sel devant l'octroi de la raison.
Nous n'errerons point dans l'avenir inconnu, qui s?par? de l'?ternit? n'est qu'un mot destin? ? tenter l'homme.
Nous ne nous ?puiserons pas ? saisir le pr?sent trop fugace et qui ne peut ?tre pour l'artiste que le masque de la mort: la mode.
Le tableau existera in?luctablement. La vision sera enti?re, compl?te et son infini au lieu de marquer une imperfection, fera seulement ressortir le rapport d'une nouvelle cr?ature ? un nouveau cr?ateur et rien d'autre. Sans quoi, il n'y aura point d'unit?, et les rapports qu'auront les divers points de la toile avec diff?rents g?nies, avec diff?rents objets, avec diff?rentes lumi?res ne montreront qu'une multiplicit? de disparates sans harmonie.
Car, s'il peut y avoir un nombre infini de cr?atures attestant chacune leur cr?ateur, sans qu'aucune cr?ation n'encombre l'?tendue de celles qui coexistent, il est impossible de les concevoir en m?me temps et la mort provient de leur juxtaposition, de leur m?l?e, de leur amour.
Chaque divinit? cr?e ? son image; ainsi des peintres. Et les photographes seuls fabriquent la reproduction de la nature.
La puret? et l'unit? ne comptent pas sans la v?rit? qu'on ne peut comparer ? la r?alit? puisqu'elle est la m?me, hors de toutes les natures qui s'efforcent de nous retenir dans l'ordre fatal o? nous ne sommes que des animaux.
Avant tout, les artistes sont des hommes qui veulent devenir inhumains.
Ils cherchent p?niblement les traces de l'inhumanit?, traces que l'on ne rencontre nulle part dans la nature.
Elles sont la v?rit? et en dehors d'elles nous ne connaissons aucune r?alit?.
Mais, on ne d?couvrira jamais la r?alit? une fois pour toutes. La v?rit? sera toujours nouvelle.
Autrement, elle n'est qu'un syst?me plus mis?rable que la nature.
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