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Read Ebook: Les pastorales de Longus ou Daphnis et Chloé by Longus Jannet Pierre Contributor Amyot Jacques Translator Courier Paul Louis Translator

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Ebook has 232 lines and 38052 words, and 5 pages

Revenus ensuite ? leurs troupeaux, les ayant trouv?s qui paissoient tranquillement et en bon ordre, ch?vres et brebis, ils s'assirent au pied d'un ch?ne et regard?rent si Daphnis ?toit point quelque part bless?. Il n'y avoit en tout son corps trace de sang ni mal quelconque, mais bien de la terre et de la boue parmi ses cheveux et sur lui. Si d?lib?ra de se laver, afin que Lamon et Myrtale ne s'aper?ussent de rien. Venant donc avec Chlo? ? la caverne des Nymphes, il lui donna sa panneti?re et son sayon ? garder, et se mit au bord de la fontaine ? laver ses cheveux et son corps.

Ses cheveux ?toient noirs comme ?b?ne, tombant sur son col bruni par le h?le; on e?t dit que c'?toit leur ombre qui en obscurcissoit la teinte. Chlo? le regardoit, et lors elle s'avisa que Daphnis ?toit beau; et comme elle ne l'avoit point jusque-l? trouv? beau, elle s'imagina que le bain lui donnoit cette beaut?. Elle lui lava le dos et les ?paules, et en le lavant sa peau lui sembla si fine et si douce, que plus d'une fois, sans qu'il en v?t rien, elle se toucha elle-m?me, doutant ? part soi qui des deux avoit le corps plus d?licat. Comme il se faisoit tard pour lors, ?tant d?j? le soleil bien bas, ils ramen?rent leurs b?tes aux ?tables, et de l? en avant Chlo? n'eut plus autre chose en l'id?e que de revoir Daphnis se baigner. Quand ils furent le lendemain de retour au p?turage, Daphnis, assis sous le ch?ne ? son ordinaire, jouoit de la fl?te et regardoit ses ch?vres couch?es, qui sembloient prendre plaisir ? si douce m?lodie. Chlo? pareillement, assise aupr?s de lui, voyoit pa?tre ses brebis; mais plus souvent elle avoit les yeux sur Daphnis jouant de la fl?te, et alors aussi elle le trouvoit beau; et pensant que ce f?t la musique qui le faisoit para?tre ainsi, elle prenoit la fl?te apr?s lui, pour voir d'?tre belle comme lui. Enfin, elle voulut qu'il se baign?t encore, et pendant qu'il se baignoit elle le voyoit tout nu, et le voyant elle ne se pouvoit tenir de le toucher; puis le soir, retournant au logis, elle pensoit ? Daphnis nu, et ce penser-l? ?toit commencement d'amour. Bient?t elle n'eut plus souci ni souvenir de rien que de Daphnis, et de rien ne parloit que de lui. Ce qu'elle ?prouvoit, elle n'e?t su dire ce que c'?toit, simple fille nourrie aux champs, et n'ayant ou? en sa vie le nom seulement d'amour. Son ?me ?toit oppress?e; malgr? elle bien souvent ses yeux s'emplissoient de larmes. Elle passoit les jours sans prendre de nourriture, les nuits sans trouver de sommeil: elle rioit et puis pleurait; elle s'endormoit et aussit?t se r?veilloit en sursaut; elle p?lissoit et au m?me instant son visage se colorait de feu. La g?nisse piqu?e du taon n'est point si follement agit?e. De fois ? autre elle tomboit en une sorte de r?verie, et toute seulette discourait ainsi: <> Ainsi disoit et soupiroit la dolente jouvencelle, cherchant en soi-m?me que c'?toit d'amour, dont elle sentoit les feux, et si n'en pouvoit trouver le nom.

Mais Dorcon, ce bouvier qui avoit retir? de la fosse Daphnis et le bouc, jeune gars ? qui le premier poil commen?oit ? poindre, ?tant j? d?s cette rencontre f?ru de l'amour de Chlo?, se passionnoit de jour en jour plus vivement pour elle, et, tenant peu de compte de Daphnis, qui lui sembloit un enfant, fit dessein de tout tenter, ou par pr?sents, ou par ruse, ou ? l'aventure par force, pour avoir contentement, instruit qu'il ?toit, lui, du nom et aussi des oeuvres d'amour. Ses pr?sents furent d'abord, ? Daphnis une belle fl?te ayant ses cannes unies avec du laiton au lieu de cire, ? la fillette une peau de faon toute marquet?s de taches blanches, pour s'en couvrir les ?paules. Puis croyant par de tels dons s'?tre fait ami de l'un et de l'autre, bient?t il n?gligea Daphnis; mais ? Chlo? chaque jour il apportoit quelque chose. C'?toient tant?t fromages gras, tant?t fruits, en maturit?, tant?t chapelets de fleurs nouvelles, ou bien des oiseaux qu'il prenoit au nid; m?me une fois il lui donna un gobelet dor? sur les bords, et une autre fois un petit veau qu'il lui porta de la montagne. Elle, simple et sans d?fiance, ignorant que tous ces dons fussent amorce amoureuse, les prenoit bien volontiers, et en montroit grand plaisir; mais son plaisir ?toit moins d'avoir que donner ? Daphnis.

Et un jour Daphnis prit querelle avec Dorcon. Ils contestoient de leur beaut?, devant Chlo?, qui les jugea, et un baiser de Chlo? fut le prix destin? au vainqueur; l? o? Dorcon le premier parla: <>

Ainsi dit Dorcon; et Daphnis: <> A ce mot, Chlo? ne put le laisser achever: mais, en partie pour le plaisir qu'elle eut de s'entendre louer, et aussi que de long-temps elle avoit envie de le baiser, sautant en pieds, d'une gentille et toute na?ve fa?on, elle lui donna le prix. Ce fut bien un baiser innocent et sans art; toutefois c'?toit assez pour enflammer un coeur dans ses jeunes ann?es.

Dorcon, se voyant vaincu, s'enfuit dans le bois pour cacher sa honte et son d?plaisir, et depuis cherchoit autre voie ? pouvoir jouir de ses amours. Pour Daphnis, il ?toit comme s'il e?t re?u non pas un baiser de Chlo?, mais une piq?re envenim?e. Il devint triste: en un moment, il soupiroit, il frissonnoit, le coeur lui battoit, il p?lissoit quand il regardoit la Chlo?, puis tout ? coup une rougeur lui couvroit le visage. Pour la premi?re fois alors il admira le blond de ses cheveux, la douceur de ses yeux et la fra?cheur d'un teint plus blanc que la jonch?e du lait de ses brebis. On e?t dit que de cette heure il commen?oit ? voir et qu'il avoit ?t? aveugle jusque-l?. Il ne prenoit plus de nourriture que comme pour en go?ter, de boisson seulement que pour mouiller ses l?vres. Il ?toit pensif, muet, lui auparavant plus babillard que les cigales; il restoit assis, immobile, lui qui avoit accoutum? de sauter plus que ses chevreaux. Son troupeau ?toit oubli?, sa fl?te par terre abandonn?e; il baissoit la t?te comme une fleur qui se penche sur sa tige; il se consumoit, il s?choit comme les herbes au temps chaud, n'ayant plus de joie, plus de babil, fors qu'il parl?t ? elle ou d'elle. S'il se trouvoit seul aucune fois, il alloit devisant en lui-m?me: <> Voil? comment se passionnoit le pauvre Daphnis, et les paroles qu'il disoit, comme celui qui lors premier exp?rimentoit les ?tincelles d'amour.

Mais Dorcon, ce gars, ce bouvier amoureux aussi de Chlo?, prenant le moment que Dryas plantoit un arbre pour soutenir quelque vigne, comme il le connoissoit d?j?, d'alors que lui Dryas gardoit les b?tes aux champs, le vient trouver avec de beaux fromages gras, et d'abord il lui donna ses fromages; puis, commen?ant ? entrer en propos par leur ancienne connoissance, fit tant qu'il tomba sur les termes du mariage de Chlo?, disant qu'il la veut prendre ? femme, lui promet pour lui de beaux pr?sents, comme bouvier ayant de quoi. Il lui vouloit donner, dit-il, un couple de boeufs de labour, quatre ruches d'abeilles, cinquante pieds de pommiers, un cuir de boeuf ? semeler souliers, et par chacun an un veau tout pr?t ? sevrer; tellement que touch? de son amiti?, all?ch? par ses promesses, Dryas lui cuida presque accorder le mariage. Mais songeant puis apr?s que la fille ?toit n?e pour bien plus grand parti, et craignant qu'un jour, si elle venoit ? ?tre reconnue, et ses parents ? savoir que pour la friandise de tels dons il l'e?t mari?e en si bas lieu, on ne lui en voul?t mal de mort, il refusa toutes ses offres, et l'?conduisit en le priant de lui pardonner.

Par ainsi, Dorcon, se voyant pour la deuxi?me fois frustr? de son esp?rance, et encore qu'il avoit pour n?ant perdu ses bons fromages gras, d?lib?ra, puisqu'autrement ne pouvoit, la premi?re fois qu'il la trouverait seule ? seul, mettre la main sur Chlo?. Pour ? quoi parvenir, s'?tant avis? qu'ils menoient l'un apr?s l'autre boire leurs b?tes, Chlo? un jour, et Daphnis l'autre, il usa d'une finesse de jeune p?tre qu'il ?toit. Il prend la peau d'un grand loup qu'un sien taureau, en combattant pour la d?fense des vaches, avoit tu? avec ses cornes, et se l'?tend sur le dos, si bien que les jambes de devant lui couvraient les bras et les mains, celles de derri?re lui pendoient sur les cuisses jusqu'aux talons, et la hure le coiffoit en la forme m?me et mani?re du cabasset d'un homme de guerre. S'?tant ainsi fait loup tout au mieux qu'il pouvoit, il s'en vient droit ? la fontaine o? buvaient ch?vres et brebis apr?s qu'elles avoient p?tur?. Or ?toit cette fontaine en une vall?e assez creuse, et toute la place ? l'entour pleine de ronces et d'?pines, de chardons et bas genevriers, tellement qu'un vrai loup s'y f?t bien ais?ment cach?. Dorcon se musse l? dedans entre ces ?pines, attendant l'heure que les b?tes vinssent boire, et avoit bonne esp?rance qu'il effrayeroit Chlo? sous cette forme de loup, et la saisiroit au corps pour en faire ? son plaisir.

Tant?t apr?s elle arriva. Elle amenoit boire les deux troupeaux, ayant laiss? Daphnis coupant de la plus tendre ram?e verte pour ses chevreaux apr?s p?ture. Les chiens qui leur aidoient ? la garde des b?tes suivoient; et comme naturellement ils chassent mettant le nez par-tout, ils sentirent Dorcon se remuer voulant assaillir la fillette: si se prennent ? aboyer, se ruent sur lui comme sur un loup, et l'environnant qu'il n'osoit encore, tant il avoit de peur, se dresser tout-?-fait sur ses pieds, mordent en furie la peau de loup, et tiraient ? belles dents. Lui, d'abord honteux d'?tre reconnu, et d?fendu quelque temps de cette peau qui le couvrait, se tenoit tapi contre terre dans le hallier, sans dire mot; mais quand Chlo?, apercevant au travers de ces broussailles oreille droite et poil de b?te, appela toute ?pouvant?e Daphnis au secours, et que les chiens, lui ayant arrach? sa peau de loup, commenc?rent ? le mordre lui-m?me ? bon escient, lors il se prit ? crier si haut qu'il put, priant Chlo? et Daphnis, qui j? ?toit accouru, de lui vouloir ?tre en aide; ce qu'ils firent, et avec, leur sifflement accoutum?, eurent incontinent apais? les chiens; puis amen?rent ? la fontaine le malheureux Dorcon, qui avoit ?t? mors et aux cuisses et aux ?paules, lui lav?rent ses blessures o? les dents l'avoient atteint, et puis lui mirent dessus de l'?corce d'orme m?ch?e, ?tant tous deux si peu rus?s et si peu exp?riment? aux hardies entreprises d'amour, qu'ils estim?rent que cette emb?che de Dorcon avec sa peau de loup ne f?t que jeu seulement, au moyen de quoi ils ne se courrouc?rent point ? lui, mais le reconfort?rent et le reconvoy?rent quelque espace de chemin, en le menant par la main; et lui, qui avoit ?t? en si grand danger de sa personne, et que l'on avoit recous de la gueule, non du loup, comme il se dit commun?ment, mais des chiens, s'en alla panser les morsures qu'il avoit par tout le corps.

Daphnis et Chlo? cependant, jusques ? nuit close, travaill?rent apr?s leurs ch?vres et brebis, qui, effray?es de la peau de loup, effarouch?es d'ou?r si fort aboyer les chiens, fuyoient les unes ? la cime des plus hauts rochers, les autres au plus bas des plages de la mer, toutes au demeurant bien apprises de venir, ? la voix de leurs pasteurs, se ranger au son du flageolet, s'amasser ensemble en oyant seulement battre des mains; mais la peur leur avoit alors fait tout oublier; et apr?s les avoir suivies ? la trace comme des li?vres, et ? grand'peine retrouv?es, les ramen?rent toutes au tect; puis s'en all?rent aussi reposer; l? o? ils dormirent cette seule nuit de bon sommeil. Car le travail qu'ils avoient pris leur fut un rem?de pour l'heure au m?saise d'amour: mais revenant le jour, ils eurent m?me passion qu'auparavant, joie ? se revoir, peine ? se quitter; ils souffroient, ils vouloient quelque chose, et ne savoient ce qu'ils vouloient. Cela seulement savoient-ils bien, l'un que son mal ?toit venu d'un baiser, l'autre, d'un baigner.

Mais plus encore les enflammoit la saison de l'ann?e. Il ?toit j? environ la fin du printemps et commencement de l'?t?, toutes choses en vigueur; et d?j? montroient les arbres leurs fruits, les bl?s leurs ?pis; et aussi ?toit la voix des cigales plaisante ? ou?r, tout gracieux le b?lement des brebis, la richesse des champs admirable ? voir, l'air tout embaum? so?ve ? respirer; les fleuves paroissoient endormis, coulant lentement et sans bruit; les vents sembloient orgues ou fl?tes, tant ils soupiraient doucement ? travers les branches des pins. On e?t dit que les pommes d'elles-m?mes se laissoient tomber enamour?es, que le soleil amant de beaut? faisoit chacun d?pouiller. Daphnis, de toutes parts ?chauff?, se jetoit dans les rivi?res, et tant?t se lavoit, tant?t s'?battoit ? vouloir saisir les poissons, qui glissant dans l'onde se perdoient sous sa main; et souvent buvoit, comme si avec l'eau il e?t d? ?teindre le feu qui le br?loit. Chlo?, apr?s avoir trait toutes ses brebis, et la plupart aussi des ch?vres de Daphnis, demeuroit long-temps emp?ch?e ? faire prendre le lait et ? chasser les mouches, qui fort la molestoient, et les chassant la piquoient; cela fait, elle se lavoit le visage, et, couronn?e des plus tendres branchettes de pin, ceinte de la peau de faon, elle emplissoit une s?bile de vin m?l? avec du lait, pour boire avec Daphnis.

Puis quand ce venoit sur le midi, adonc ?toient-ils tous deux plus ardemment ?pris que jamais, pource que Chlo?, voyant en Daphnis enti?rement nu une beaut? de tout point accomplie, se fondoit et p?rissoit d'amour, consid?rant qu'il n'y avoit en toute sa personne chose quelconque ? redire; et lui, la voyant, avec cette peau de faon et cette couronne de pin, lui tendre ? boire dans sa s?bile, pensoit voir une des Nymphes m?mes qui ?toient dans la caverne; si accouroit incontinent, et lui ?tant sa couronne qu'il baisoit d'abord, se la mettoit sur la t?te, et elle, pendant qu'il se baignoit tout nu, prenoit sa robe et se la v?tissoit, la baisant aussi premi?rement. Tant?t ils s'entre-jetoient des pommes, tant?t ils aornoient leurs t?tes et tressoient leurs cheveux l'un ? l'autre, disant Chlo? que les cheveux de Daphnis ressembloient aux grains de myrte, pource qu'ils ?toient noirs, et Daphnis accomparant le visage de Chlo? ? une belle pomme, pource qu'il ?toit blanc et vermeil. Aucune fois il lui apprenoit ? jouer de la fl?te, et quand elle commen?oit ? souffler dedans, il la lui ?toit; puis il en parcouroit des l?vres tous les tuyaux d'un bout ? l'autre, faisant ainsi semblant de lui vouloir montrer o? elle avoit failli, afin de la baiser ? demi, en baisant la fl?te aux endroits que quittoit sa bouche.

Ainsi comme il ?toit apr?s ? en sonner joyeusement sur la chaleur de midi, pendant que leurs troupeaux ?toient tapis ? l'ombre, Chlo? ne se donna garde qu'elle fut endormie: ce que Daphnis apercevant, pose sa fl?te pour ? son aise la regarder et contempler, n'ayant alors nulle honte, et disoit ? part soi ces paroles tout bas: <>

Ainsi qu'il ?toit en ces termes, une cigale poursuivie par une arondelle se vint jeter d'aventure dedans le sein de Chlo?; pourquoi l'arondelle ne la put prendre, ni ne put aussi retenir son vol, qu'elle ne s'abattit jusqu'? toucher de l'aile le visage de Chlo?, dont elle s'?veilla en sursaut, et ne sachant que c'?toit, s'?cria bien haut: mais quand elle eut vu l'arondelle voletant encore autour d'elle, et Daphnis riant de sa peur, elle s'assura, et frottoit ses yeux qui avoient encore envie de dormir; et lors la cigale se prend ? chanter entre les tetins m?mes de la gente pastourelle, comme si dans cet asile elle lui e?t voulu rendre gr?ce de son salut, dont Chlo?, de nouveau surprise, s'?cria encore plus fort, et Daphnis de rire; et usant de cette occasion, il lui mit la main bien avant dans le sein, d'o? il retira la gentille cigale, qui ne se pouvoit jamais taire, quoiqu'il la t?nt dans la main. Chlo? fut bien aise de la voir, et l'ayant bais?e, la remit chantant toujours dans son sein.

Une autre fois ils entendirent du bois prochain un ramier, au roucoulement duquel Chlo? ayant pris plaisir, demanda ? Daphnis que c'?toit qu'il disoit, et Daphnis lui fit le conte qu'on en fait commun?ment. <>

Tels ?toient les plaisirs que l'?t? leur donnoit. Mais la saison d'automne venue, au temps que la grappe est pleine, certains corsaires de Tyr s'?tant mis sur une f?te du pays de Carie, afin qu'on ne pens?t que ce fussent barbares, vinrent aborder en cette c?te, et, descendant ? terre arm?s de corselets et d'?p?es, pill?rent ce qu'ils purent trouver, comme vin odorant, force grain, miel en rayons, et m?me emmen?rent quelques boeufs et vaches de Dorcon. Or en courant ?? et l?, ils rencontr?rent de male aventure Daphnis qui s'alloit ?battant le long du rivage de la mer, seul; car Chlo?, comme simple fille, crainte des autres pasteurs, qui eussent pu en fol?trant lui faire quelque d?plaisir, ne sortoit si matin du logis, et ne menoit qu'? haute heure pa?tre les brebis de Dryas. Eux voyant ce jeune gar?on grand et beau, et de plus de valeur que ce qu'ils eussent pu davantage ravir par les champs, ne s'amus?rent plus ni ? poursuivre les ch?vres, ni ? chercher ? d?rober autre chose de ces campagnes, mais l'entra?n?rent dans leur f?te, pleurant et ne sachant que faire, sinon qu'il appeloit ? haute voix Chlo? tant qu'il pouvoit crier.

Or ne faisoient-ils gu?re que remonter en leur esquif et mettre les mains aux rames, quand Chlo? vint, qui apportoit une fl?te neuve ? Daphnis. Mais voyant ?? et l? les ch?vres dispers?es, et entendant sa voix, qui l'appeloit toujours de plus fort en plus fort, elle jette la fl?te, laisse l? son troupeau, et s'en va courant vers Dorcon, pour le faire venir au secours. Elle le trouva ?tendu par terre, tout taill? de grands coups d'?p?e que lui avoient donn?s les brigands, et ? peine respirant encore, tant il avoit perdu de sang; mais lorsqu'il entrevit Chlo?, le souvenir de son amour le ranimant quelque peu: <>

Dorcon, achevant ces paroles et recevant d'elle un dernier baiser, laissa sur ses l?vres, avec le baiser, la voix et la vie en m?me temps. Chlo? prit la fl?te, la mit ? sa bouche, et sonnant si haut qu'elle pouvoit, les vaches qui l'entendent reconnoissent aussit?t le son de la fl?te et la note de la chanson, et toutes d'une secousse se jettent en meuglant dans la mer; et comme elles prirent leur ?lan toutes du m?me bord, et que par leur chute la mer s'entrouvrit, l'esquif renvers?, l'eau se refermant, tout fut submerg?. Les gens plong?s en la mer revinrent bient?t sur l'eau, mais non pas tous avec m?me esp?rance de salut. Car les brigands avoient leurs ?p?es au c?t?; leurs corselets au dos, leurs bottines ? mi-jambe, tandis que Daphnis ?toit tout d?chaux, comme celui qui ne menoit ses ch?vres que dans la plaine, et quasi nu au demeurant, car il faisoit encore chaud. Eux donc, apr?s avoir dur? quelques temps ? nager, furent tir?s ? fond et noy?s par la pesanteur de leurs armes; mais Daphnis eut bient?t quitt? si peu de v?tements qu'il portoit, et encore se lassoit-il ? force, n'ayant coutume que nager dans les rivi?res. N?cessit? toutefois lui montra ce qu'il devoit faire. Il se mit entre deux vaches, et se prenant ? leurs cornes avec les deux mains, fut par elles port? sans peine quelconque, aussi ? son aise comme s'il e?t conduit un chariot. Car le boeuf nage beaucoup mieux et plus long-temps que ne fait l'homme, et n'est animal au monde qui en cela le surpasse, si ce ne sont oiseaux aquatiques, ou bien encore poissons; tellement que jamais boeuf ni vache ne se noyeroient, si la corne de leurs pieds ne s'amollissoit dans l'eau, de quoi font foi plusieurs d?troits en la mer, qui jusques aujourd'hui sont appel?s Bosphores, c'est-?-dire trajets ou passages de boeufs.

Voil? comment, se sauva Daphnis, et contre toute esp?rance ?chappant deux grands dangers, ne fut ni pris ni noy?. Venu ? terre l? o? ?toit Chlo? sur la rive, qui pleuroit et rioit tout ensemble, il se jette dans ses bras, lui demandant pourquoi elle jouoit ainsi de la fl?te; et Chlo? lui conta tout: qu'elle avoit ?t? pour appeler Dorcon, que ses vaches ?toient apprises ? venir au son de la fl?te, qu'il lui avoit dit d'en jouer, et qu'il ?toit mort. Seulement oublia-t-elle, ou possible ne voulut dire qu'elle l'e?t bais?.

Adonc tous deux d?lib?r?rent d'honorer la m?moire de celui qui leur avoit fait tant de bien, et s'en all?rent, avec ses parents et amis, ensevelir le corps du malheureux Dorcon, sur lequel ils jet?rent force terre, plant?rent ? l'entour des arbres st?riles, y pendirent chacun quelque chose de ce qu'il recueilloit aux champs, vers?rent du lait sur sa tombe, y ?preignirent des grappes, y bris?rent des fl?tes. On ou?t ses vaches mugir et bramer piteusement; on les vit ?? et l? courir comme b?tes ?gar?es; ce que ces p?tres et bouviers d?clar?rent ?tre le deuil que les pauvres b?tes menoient du tr?pas de leur ma?tre.

Finies en cette mani?re les obs?ques de Dorcon, Chlo? conduisit Daphnis ? la caverne des Nymphes, o? elle le lava, et lors elle-m?me pour la premi?re fois en pr?sence de Daphnis lava aussi son beau corps blanc et poli, qui n'avoit que faire de bain pour paro?tre beau; puis cueillant ensemble des fleurs que portoit la saison, en firent des couronnes aux images des Nymphes, et contre la roche attach?rent la fl?te de Dorcon pour offrande. Cela fait ils retourn?rent vers leurs ch?vres et brebis, lesquelles ils trouv?rent toutes tapies contre terre, sans pa?tre ni b?ler, pour l'ennui et regret qu'elles avoient, ainsi qu'on peut croire, de ne voir plus Daphnis ni Chlo?. Mais sit?t qu'elles les aper?urent, et qu'eux se mirent ? les appeler comme de coutume et ? leur jouer du flageolet, elles se lev?rent incontinent, et se prirent les brebis ? pa?tre, et les ch?vres ? sauteler en b?lant, comme pour f?ter le retour de leur chevrier.

Mais quoi qu'il y e?t, Daphnis ne se pouvoit ?jouir ? bon escient depuis qu'il eut vu Chlo? nue, et sa beaut? ? d?couvert, qu'il n'avoit point encore vue. Il s'en sentoit le coeur malade ne plus ne moins que d'un venin qui l'e?t en secret consum?. Son souffle aucune fois ?toit fort et h?t?, comme quelque ennemi l'e?t poursuivi pr?t ? l'atteindre; d'autres fois foible et d?bile, comme d'un ? qui manquent tout ? coup la force et l'haleine, et lui sembloit le bain de Chlo? plus redoutable que la mer dont il ?toit ?chapp?. Bref, il lui ?toit avis que son ?me f?t toujours entre les brigands, tant il avoit de peine, jeune gar?on nourri aux champs, qui ne savoit encore que c'est du brigandage d'amour.

LIVRE SECOND.

?tant j? l'automne en sa force et le temps des vendanges venu, chacun aux champs ?toit en besogne ? faire ses appr?ts; les uns racoutroient les pressoirs, les autres nettoyoient les jarres; ceux-ci ?mouloient leurs serpettes, ceux-l? se tissoient des paniers; aucuns mettoient ? point la meule ? pressurer les raisins ?cras?s, d'autres appr?toient l'osier sec dont on avoit ?t? l'?corce ? force de le battre, pour en faire flambeaux ? tirer le mo?t pendant la nuit; et ? cette cause Daphnis et Chlo?, cessant pour quelques jours de mener leurs b?tes aux champs, pr?toient aussi ? tels travaux l'oeuvre et labeur de leurs mains. Il portoit, lui, la vendange dedans une hotte et la fouloit en la cuve, puis aidoit ? remplir les jarres; elle, d'autre c?t?, pr?parait ? manger aux vendangeurs, et leur versoit du vin de l'ann?e pr?c?dente; puis elle se mettoit ? vendanger aussi les plus basses branches des vignes o? elle pouvoit avenir. Car les vignes de Lesbos sont basses pour la plupart, au moins non ?lev?es sur arbres fort hauts, et les branches en pendent jusque contre terre, s'?tendant ?? et l? comme lierre, si qu'un enfant hors du maillot, par mani?re de dire, atteindrait aux grappes.

Et comme la coutume est en telle f?te de Bacchus, ? la naissance du vin, on avoit appel? des champs de l? entour bon nombre de femmes pour aider, lesquelles jetoient toutes les yeux sur Daphnis, et en le louant disoient qu'il ?toit aussi beau que Bacchus; et y en eut une d'elles, plus ?veill?e que les autres, qui le baisa, dont il fut bien aise; mais non Chlo?, qui en avoit de la jalousie. Les hommes, d'autre part, dans les cuves et pressoirs, jetoient ? Chlo? plusieurs paroles ? la traverse, et en la voyant tr?pignoient comme des Satyres ? la vue de quelque Bacchante, disant que de bon coeur ils deviendroient moutons, pour ?tre men?s et gard?s par telle berg?re; ? quoi Chlo? prenoit plaisir; mais Daphnis en avoit de l'ennui. Tellement que l'un et l'autre souhaitoient que les vendanges fussent bient?t finies, pour pouvoir retourner aux champs en la mani?re accoutum?e, et, au lieu du bruit et des cris de ces vendangeurs, entendre le son de la fl?te ou le b?lement des troupeaux.

En peu de jours tout fut achev?, le raisin cueilli, la vendange foul?e, le vin dans les jarres, si qu'il ne fut plus besoin d'en emp?cher tant de gens; au moyen de quoi ils recommenc?rent ? mener leurs b?tes aux champs comme devant, et, portant aux Nymphes des grappes pendantes encore au sarment pour pr?mices de la vendange, les vinrent en grande joie honorer, et saluer, de quoi faire ils n'avoient par le pass? jamais ?t? paresseux. Car, et le matin, d?s que leurs troupeaux commen?oient ? pa?tre, ils les venoient d'abord saluer, et le soir, retournant de p?ture, les alloient derechef adorer; et jamais n'y alloient qu'ils ne leur portassent quelque offrande, tant?t des fleurs, tant?t des fruits, une fois de la ram?e verte, et une autre fois quelque libation de lait; dont puis apr?s ils re?urent des d?esses bien ample r?compense. Mais pour lors ils fol?traient comme deux jeunes levrons, ils sautoient, ils fl?toient ensemble, ils chantoient, luttoient bras ? bras l'un contre l'autre, ? l'envi de leurs b?liers et bouquins.

Et ainsi comme ils s'?battoient, survint un vieillard portant grosse cape de poil de ch?vre, des sabots en ses pieds, paneti?re ? son col, vieille aussi la paneti?re. Se s?ant aupr?s d'eux, il se prit ? leur dire: <

Un jardin est ? moi, ouvrage de mes mains, que j'ai plant? moi-m?me, affi?, accoutr?, depuis le temps que, pour ma vieillesse, je ne m?ne plus les b?tes aux champs. Toujours y a dans ce jardin tout ce qu'on y sauroit souhaiter selon la saison; au printemps, des roses, des lis, des violettes simples et doubles; en ?t?, du pavot, des poires, des pommes de plusieurs esp?ces; maintenant qu'il est automne, du raisin, des figues, des grenades, des myrtes verts; et y viennent chaque matin ? grandes vol?es toutes sortes d'oiseaux, les uns pour y trouver ? repa?tre, les autres pour y chanter; car il est couvert d'ombrage, arros? de trois fontaines, et si ?pais plant? d'arbres, que qui en ?teroit la muraille qui le cl?t, on diroit ? le voir que ce seroit un bois.

Aujourd'hui environ midi, j'y ai vu un jeune gar?onnet sous mes myrtes et grenadiers, qui tenoit en ses mains des grenades et des grains de myrte, blanc comme lait, rouge comme feu, poli et net comme ne venant que d'?tre lav?. Il ?toit nu, il ?toit seul, et se jouoit ? cueillir de mes fruits comme si le verger e?t ?t? sien. Si m'en suis couru pour le tenir, crainte, comme il ?toit fr?tillant et remuant, qu'il ne me romp?t quelque arbuste; mais il m'est l?g?rement ?chapp? des mains, tant?t se coulant entre les rosiers, tant?t se cachant sous les pavots, comme feroit un petit perdreau. J'ai autrefois eu bien affaire ? courir apr?s quelques chevreaux de lait, et souvent ai travaill? voulant attrapper de jeunes veaux qui sautoient autour de leur m?re; mais ceci est toute autre chose, et n'est pas possible au monde de le prendre. Par quoi, me trouvant bient?t las, comme vieux et ancien que je suis, et m'appuyant sur mon b?ton, en prenant garde qu'il ne s'enfu?t, je lui ai demand? ? qui il ?toit de nos voisins, et ? quelle occasion il venoit ainsi cueillir les fruits du jardin d'autrui. Il ne m'a rien r?pondu, mais, s'approchant de moi, s'est pris ? me sourire fort d?licatement, en me jetant des grains de myrte, ce qui m'a, ne sais comment, amolli et attendri le coeur, de sorte que je n'ai plus su me courroucer ? lui. Si l'ai pri? de s'en venir ? moi sans rien craindre, jurant par mes myrtes que je le laisserois aller quand il voudrait, avec des pommes et des grenades que je lui donnerois, et lui souffrirois prendre des fruits de mes arbres, et cueillir de mes fleurs autant comme il voudrait, pourvu qu'il me donn?t un baiser seulement.

Et adonc se prenant ? rire avec une ch?re gaie, et bonne et gentille gr?ce, m'a jet? une voix si aimable et si douce, que ni l'arondelle, ni le rossignol, ni le cygne, f?t-il aussi vieux comme je suis, n'en saurait jeter de pareille, disant: Quant ? moi, Phil?tas, ce ne me seroit point de peine de te baiser; car j'aime plus ?tre bais? que tu ne desires, toi, retourner en ta jeunesse: mais garde que ce que tu me demandes ne soit un don mal s?ant et peu convenable ? ton ?ge, pource que ta vieillesse ne t'exemptera point de me vouloir poursuivre, quand tu m'auras une fois bais?; et n'y a aigle ni faucon, ni autre oiseau de proie, tant ait-il l'aile vite et l?g?re, qui me p?t atteindre. Je ne suis point enfant, combien que j'en aie l'apparence; mais suis plus ancien que Saturne, plus ancien m?me que tout le temps. Je te connois d?s-lors qu'?tant en la fleur de ton ?ge, tu gardois en ce prochain p?tis un si beau et gras troupeau de vaches, et ?tois pr?s de toi quand tu jouois de la fl?te sous ces h?tres, amoureux d'Amaryllide. Mais tu ne me voyois pas, encore que je fusse avec ton amie, laquelle je t'ai enfin donn?e, et tu en as eu de beaux enfants, qui maintenant sont bons laboureurs et bouviers; et pour le pr?sent je gouverne Daphnis et Chlo?; et apr?s que je les ai le matin mis ensemble, je m'en viens en ton verger; l? je prends plaisir aux arbres et aux fleurs, et me lave en ces fontaines; qui est la cause que toutes les plantes et les fleurs de ton jardin sont si belles ? voir, pour ce que mon bain les arrose. Regarde si tu verras pas une branche d'arbre rompue, ton fruit aucunement abattu ou g?t?, aucun pied d'herbe ou de fleur foul?e, ni jamais tes fontaines troubl?es; et te r?pute bien heureux de ce que toi seul entre les hommes, dans ta vieillesse, tu es encore bien voulu de cet enfant.>>

Cela dit, il s'est enlev? sur les myrtes ne plus ne moins que feroit un petit rossignol, et, sautelant de branche en branche par entre les feuilles, est enfin mont? jusques ? la c?me. J'ai vu ses petites ailes, son petit arc et ses fl?ches en ?charpe sur ses ?paules, puis ai ?t? tout ?bahi que je n'ai plus vu ni ses fl?ches ni lui. Or, si je n'ai pour n?ant v?cu tant d'ann?es, et diminu? de sens en avan?ant d'?ge, mes enfants, je vous assure que vous ?tes tous deux d?vou?s ? l'Amour, et qu'Amour a soin de vous.>>

Ils furent aussi aises d'ou?r ce propos comme si on leur e?t cont? quelque belle et plaisante fable. Si lui demand?rent que c'?toit d'Amour; s'il ?toit oiseau ou enfant, et quel pouvoir il avoit. Adonc Phil?tas se prit derechef ? leur dire: <>

Phil?tas, apr?s les avoir ainsi enseign?s, se d?partit d'avec eux, emportant pour son loyer quelques fromages et un chevreau daguet, qu'ils lui donn?rent. Mais quand il s'en fut all?, eux, demeur?s tout seuls et ayant alors pour la premi?re fois entendu le nom d'amour, se trouv?rent en plus grande d?tresse qu'auparavant, et, retourn?s en leurs maisons, pass?rent la nuit ? comparer ce qu'ils sentoient en eux-m?mes avec les paroles du vieillard: <> Ainsi leur ?toit la nuit une seconde ?cole en laquelle ils recordoient les enseignements de Phil?tas.

Le lendemain au point du jour ils men?rent leurs b?tes aux champs, s'entre-bais?rent l'un l'autre aussit?t qu'ils se virent, ce qu'ils n'avoient oncques fait encore, et, croisant leurs bras, s'accol?rent; mais le dernier rem?de ..., ils n'osoient, se d?pouiller et coucher nus. Aussi e?t-ce ?t? trop hardiment fait, non pas seulement ? jeune berg?re telle qu'?toit Chlo?, mais m?me ? lui chevrier. Ils ne purent donc la nuit suivante reposer non plus que l'autre, et n'eurent ailleurs la pens?e qu'? rem?morer ce qu'ils avoient fait, et regretter ce qu'ils avoient omis ? faire, disant ainsi en eux-m?mes: <>

Apr?s semblables pensers, leurs songes, ainsi qu'on peut croire, furent d'amour et de baisers, et ce qu'ils n'avoient point fait le jour, ils le faisoient lors en songeant, couch?s nue ? nu. D?s le fin matin donc ils se lev?rent plus ?pris encore que devant, et chassant avec le sifflet leurs b?tes aux champs, leur tardoit qu'ils ne se trouvoient pour r?p?ter leurs baisers, et de si loin qu'ils se virent, coururent en souriant l'un vers l'autre, puis s'entre-bais?rent, puis s'entre-accol?rent; mais le troisi?me point ne pouvoit venir; car Daphnis n'osoit en parler, ni ne vouloit Chlo? commencer, jusqu'? ce que l'aventure les conduisit ? ce faire en cette mani?re.

Ils ?toient sous le ch?ne assis l'un pr?s de l'autre, et ayant go?t? du plaisir de baiser, ne se pouvoient saouler de cette volupt?. L'embrassement suivoit quant et quant pour baiser plus serr?, et en ce point, comme Daphnis tira sa prise un peu trop fort, Chlo? sans y penser se coucha sur un c?t?, et Daphnis, en suivant la bouche de Chlo? pour ne perdre l'aise du baiser, se laissa de m?me tomber sur le c?t?; et, reconnoissant tous deux en cette contenance la forme de leur songe, long-temps demeur?rent couch?s de la sorte, se tenant bras ? bras aussi ?troitement comme s'ils eussent ?t? li?s ensemble, sans y chercher rien davantage; mais pensant que ce f?t le dernier point de jouissance amoureuse, consum?rent en ces vaines ?treintes la plus grande partie du jour, tant que le soir les y trouva; et lors, en maudissant la nuit, ils se s?par?rent et ramen?rent leurs troupeaux au tect. Et peut-?tre enfin eussent-ils fait quelque chose ? bon escient, n'e?t ?t? un tel tumulte qui survint en la contr?e.

Des jeunes gens riches de M?thymne, voulant passer joyeusement le temps des vendanges et s'aller ?battre quelque peu au loin, tir?rent un bateau en mer, mirent leurs valets ? la rame, et s'en vinrent dans les parages du territoire de Mityl?ne, pour ce qu'il y a par-tout bons abris pour se retirer, belle plage pour se baigner, et est bord?e de beaux ?difices, avec jardins, parcs et bois que les uns nature a produits, les autres la main de l'homme. En voguant ainsi au long de la c?te, et descendant ci et l?, o? d?sir leur en prenoit, ils ne faisoient mal quelconque ni d?plaisir ? personne, mais s'?battaient entre eux ? divers passetemps. Tant?t, avec des hame?ons attach?s d'un brin de fil au bout de quelque long roseau, ils p?choient, de dessus un ?cueil jet? fort avant en la mer, des poissons qui hantent autour des rochers; tant?t prenoient avec leurs chiens et leurs filets les li?vres qui fuyoient des vignes pour le bruit des vendangeurs; ou bien ils tendoient aux oiseaux, trouvant temps et lieu favorables, et avec des lacs courants, prenoient des oies sauvages, des halbrans, des outardes et autre tel gibier de plaine, dont ils avoient, outre le plaisir, de quoi fournir ? leurs repas. S'il leur falloit quelque chose plus, ils l'achetoient au prochain village, payant le prix et au-del?. Il ne leur falloit que le pain et le vin, et le logis aussi; car ils ne trouvoient pas qu'il f?t s?r, ?tant la saison de l'automne, de coucher en mer, et ? cette cause ils tiroient la nuit leur bateau ? terre, peur de la tourmente pendant qu'ils dormoient.

Mais quelque paysan de l? entour ayant affaire d'une corde dont on suspend la meule ? presser le raisin, ?tant la sienne par aventure us?e ou rompue, s'en vint de nuit au bord de la mer, et, trouvant le bateau sans garde, d?lia la corde qui le lioit, l'emporta en son logis et s'en servit ? son besoin. Le matin ces jeunes gens cherch?rent partout leur corde; mais nul ne confessoit l'avoir prise: par quoi, apr?s qu'ils eurent un peu querell? avec leurs h?tes, ils tir?rent outre, et ayant fait environ deux lieues, vinrent aborder ? ces champs o? se tenoient Daphnis et Chlo?, pour ce qu'il y avoit, ce leur sembla, belle plaine ? courir le li?vre. Or n'avoient-ils plus de corde pour attacher leur bateau, et ? cette cause prirent du franc osier vert, le plus long qu'ils purent finer, le tordirent et en firent une hart, dont ils li?rent leur bateau ? terre, puis, l?chant leurs chiens, se mirent ? chasser et tendirent leurs toiles aux passages qu'ils trouv?rent plus ? propos. Ces chiens, en courant ?? et l? et aboyant, effray?rent les ch?vres de Daphnis, lesquelles abandonn?rent incontinent les coteaux, et s'enfuirent vers la marine, l? o?, ne trouvant rien ? brouter parmi le sable, aucunes plus hardies que les autres s'approch?rent du bateau et rong?rent la hart d'osier vert dont il ?toit attach?.

La mer ?toit un peu ?mue d'un vent de terre qui se levoit; le bateau une fois d?li?, les vagues le pouss?rent, l'?loign?rent du bord et le portoient en mer; de quoi les chasseurs s'?tant apper?us, les uns accoururent au rivage, les autres rappel?rent leurs chiens, et tous ensemble menoient tel bruit que les gens de l? entour, p?tres, vignerons, laboureurs, les entendant, vinrent de toutes parts; mais ils n'y purent que faire. Car le vent, fra?chissant toujours de plus en plus, mena la barque au gr? du flot si roide et si loin, qu'elle fut tant?t hors de vue.

Par quoi ces jeunes gens, dolents outre mesure, perdant leur bateau, biens et tout, cherch?rent le chevrier qui devoit garder les ch?vres, et trouvant l? Daphnis parmi les regardants, en chaude col?re commenc?rent ? le battre et ? le vouloir d?pouiller; m?me y en eut un d'entre eux qui d?tacha la laisse dont il menoit son chien, et prit les deux mains ? Daphnis pour les lui lier derri?re le dos. Lui, comme ils le battoient, crioit, imploroit l'aide d'un chacun, mais sur tous appeloit ? son secours Lamon et Dryas, lesquels accourus, tous deux verts vieillards, ayant les mains rudes, endurcies du labeur des champs, prirent tr?s bien sa d?fense contre les jeunes M?thymniens, en leur remontrant qu'il falloit entendre du moins ce gar?on, pour voir s'il avoit tort, et que chacun d?t ses raisons. Ceux de M?thymne le voulurent, et d'un commun accord on ?lut pour arbitre le bouvier Phil?tas, ? cause que c'?toit le plus ancien qui se trouv?t l? pr?sent, et qu'entre ceux de son village il avoit le bruit d'?tre homme de grande foi et loyaut?. Adonc les jeunes gens, prenant la parole, firent en termes courts et clairs leur plainte de telle sorte, devant le chef bouvier:

<>

Voil? ce que dirent les M?thymniens. Daphnis ?toit tout moulu des coups qu'il avoit re?us; mais, voyant Chlo? pr?sente, il ne s'?tonna de rien, et leur r?pondit franchement: <>

En disant ces paroles il se prit ? pleurer, et fit grande piti? ? tous les assistants; tellement que Phil?tas, qui devoit donner sa sentence, jura le dieu Pan et les Nymphes que Daphnis n'avoit point de tort, ni ses ch?vres non plus, et que la faute, si faute y avoit, ?toit aux vents et ? la mer, desquels il n'?toit pas juge pour la leur faire r?parer. Ce n?anmoins le bon Phil?tas ne sut si bien dire que les M?thymniens s'en contentassent; mais derechef en grande fureur prirent Daphnis, et le vouloient lier pour l'emmener, n'e?t ?t? que les paysans, de ce mutin?s, se ru?rent en criant sur eux, comme une vol?e d'?tourneaux, et leur ?t?rent des mains Daphnis, qui se d?fendoit bien aussi et ? son tour les chargeoit. Si qu'? grands coups de pierres et de b?tons, ils chass?rent les M?thymniens, et ne cess?rent de les poursuivre qu'ils ne les eussent men?s battant hors de leur territoire. Daphnis et Chlo? rest?s seuls, elle eut tout loisir de le conduire en la caverne des Nymphes, o? elle lui lava le visage tout souill? du sang qui lui ?toit coul? du nez; puis, tirant de sa paneti?re un peu de fromage et du tourteau, elle lui en fit manger, et, qui plus le conforta, lui donna de sa tendre bouche un baiser plus doux que miel.

Ainsi ?chappa Daphnis de ce danger; mais la chose n'en demeura pas l?. Car ces jeunes gens de M?thymne, retourn?s chez eux ? pied, au lieu qu'ils ?toient venus en un beau bateau; bless?s et mal men?s, au lieu qu'ils ?toient partis gais et bien d?lib?r?s, firent assembler le conseil de la ville, auquel ils requirent, en habits et contenance de suppliants, ?tre veng?s de l'outrage qu'ils avoient souffert, ne disant de vrai pas un mot, de peur que, s'ils eussent cont? le fait comme il ?toit all?, on ne se f?t moqu? d'eux de s'?tre ainsi laiss? battre par des paysans, mais accusant hautement les Mityl?niens de les avoir pill?s, et pris leur bateau sans autre forme de proc?s, comme en guerre ouverte.

Ceux de M?thymne ajout?rent ais?ment foi ? leur dire, pour autant m?mement qu'ils les voyoient bless?s; et quant et quant, estimant chose juste et raisonnable de venger un tel outrage fait aux enfants des plus nobles maisons de leur ville, d?cern?rent sur-le-champ la guerre contre les Mityl?niens, sans leur envoyer ni h?raut ni d?claration, et command?rent ? leur capitaine qu'il m?t promptement en mer dix gal?res pour aller faire du pis qu'il pourroit en toute leur c?te. Ils pens?rent que ce ne seroit pas s?rement ni sagement fait de hasarder plus grosse flotte ? l'approche de l'hiver.

Le capitaine d?s le lendemain eut dress? son ?quipage, et, usant pour moins d'embarras de ses soldats m?mes au lieu de rameurs, alla fourrager toutes les terres des Mityl?niens qui ?toient voisines de la mer, l? o? il prit force b?tail, force grain, vin en quantit?, pour ce qu'il n'y avoit gu?re que vendanges ?toient faites, et grand nombre de prisonniers, gens qui travaillent ? ces champs; et aussi s'en vint d?barquer o? gardoient leurs b?tes Daphnis et Chlo?, courut le pays, ravit et pilla tout ce qu'il y trouva. Daphnis pour lors n'?toit pas avec son troupeau; il ?toit dans le bois ? cueillir de la ram?e verte pour donner l'hiver aux chevreaux, et, voyant du haut des arbres les ennemis dans la plaine, se cacha au creux d'un vieux ch?ne. Chlo?, qui ?toit demeur?e avec les troupeaux, se cuida sauver de vitesse, et se jeta comme en un asile dans l'antre des Nymphes, poursuivie jusqu'au lieu m?me, et l?, prioit au nom des Nymphes ces soldats de ne vouloir faire d?plaisir ni ? elle ni ? ses b?tes; mais en vain. Car les gens de M?thymne, apr?s avoir fait plusieurs vilenies et moqueries aux images des Nymphes, l'emmen?rent elle et ses b?tes, en la chassant devant eux ? coups de houssine comme une ch?vre ou une brebis, et, voyant qu'ils avoient d?j? plein leurs vaisseaux de toute sorte de butin, ne voulurent plus tirer outre, mais reprirent la route de leurs maisons, craignant l'hiver et les ennemis.

Ainsi s'en alloient les M?thymniens ? force de rames, faisant peu de chemin, car le temps fut si calme, qu'il ne tiroit ni vent ni haleine quelconque; et Daphnis, sorti de son creux apr?s que tout ce bruit fut pass?, s'en vint dans la plaine o? leurs b?tes avoient coutume de p?turer, et n'y voyant plus ni ses ch?vres, ni les brebis, ni Chlo?, mais seulement les champs tout seuls, et la fl?te de laquelle Chlo? se souloit ?battre jet?e l?, se prit ? crier et pleurer, et en soupirant am?rement s'en couroit tant?t sous le fouteau ? l'ombre duquel ils avoient accoutum? de se seoir, tant?t au rivage de la mer, pour voir s'il la trouveroit point, et tant?t dans l'antre des Nymphes o? il l'avoit vue fuir, et l?, se jetant par terre devant leurs images, se complaignit ? elles, disant qu'elles lui avoient bien failli au besoin <>

Comme il achevoit ces paroles, le coeur gros de chagrin, de pleurs, le voil? pris d'un profond somme, et lui apparoissent les trois Nymphes, en guise de belles et grandes femmes, demi-nues, les pieds sans chaussure, les cheveux ?pars, en tout semblables aux images. Si lui fut avis, d?s l'abord, qu'elles avoient piti? de lui; puis d'elles trois la plus ?g?e lui dit en le r?confortant: <>

Daphnis, ayant ou? et vu telles choses, s'?veilla soudain en sursaut, et, pleurant autant de joie que de tristesse, adora les Nymphes, prostern? devant leurs images, et leur promit, si Chlo? retournoit ? sauvet?, de leur sacrifier la plus grasse de ses ch?vres; et courant au pin sous lequel ?toit le dieu Pan repr?sent? avec les pieds d'un bouc, deux cornes en la t?te, qui d'une main tenoit sa fl?te, et de l'autre arr?toit un bouquin, l'adora aussi, et le pria qu'il lui pl?t faire promptement revenir Chlo?, lui promettant semblablement de lui sacrifier un bouc; et jusques au soir environ le soleil couchant, ? peine cessa-t-il ses larmes et ses voeux pour le retour de Chlo?. Enfin, ramassant sa feuill?e, s'en retourna au logis, o? il ?ta de grand ?moi Lamon et Myrtale, et les remplit de liesse; puis mangea un petit et s'en alla dormir; mais ce ne fut pas sans pleurer, ni faire pri?re aux Nymphes qu'elles lui apparussent encore, et que le jour rev?nt bient?t, et avec le jour, selon leur promesse, Chlo?. Jamais nuit ne lui fut si longue. Or voici comme il en alla.

Le capitaine de M?thymne, ayant navigu? ? la rame environ cinq quarts de lieue, voulut un petit rafra?chir ses gens las d'avoir couru le pays, et, trouvant un promontoire assez avanc? en mer, dont l'extr?mit? pr?sentoit deux pointes en mani?re de croissant, abri aussi s?r qu'aucun port, il y jeta l'ancre sous une roche haute et droite, sans autrement aborder, afin que de la c?te ? toute aventure on ne lui p?t faire nul d?plaisir, et ainsi permit ? ses gens de se traiter et r?jouir en pleine assurance. Eux, ayant ? bord foison de tous vivres qu'ils avoient pill?s, se mirent ? manger, boire et faire f?te comme on fait pour une victoire. Mais d?s que le jour fut failli, et que la nuit eut mis fin ? leur bonne ch?re, il leur fut avis soudainement que la terre ?toit toute en feu, et vers la haute mer entendirent un bruissement dans le lointain, comme des rames d'une grosse flotte qui f?t venue contre eux. L'un crioit aux armes, l'autre appeloit ses compagnons; l'un pensoit ?tre j? bless?, l'autre croyoit voir un homme mort gisant devant lui. Bref, y avoit tout tel tumulte comme en un combat de nuit; et si n'y avoit point d'ennemis.

Apr?s une nuit si terrible, le jour vint, qui les effraya encore davantage. Car ils virent les boucs de Daphnis et ses ch?vres, les cornes toutes entortill?es de rameaux de lierre avec leurs grappes; ils entendirent les brebis et b?liers de Chlo? qui hurloient, comme loups; elle-m?me on la vit couronn?e de branchages de pin. Et en la mer se faisoient aussi choses ?tranges ? conter. Car quand ils pensoient lever les ancres, elles tenoient au fond; quand ils cuidoient abattre leurs rames pour voguer, elles se rompoient. Les dauphins, sautant autour des vaisseaux et les battant de leur queue, en d?cousoient les jointures. Et entendoit-on du haut de la roche le son d'une fl?te ? sept cannes telle qu'en ont les bergers; mais ce son n'?toit point plaisant ? ou?r, comme seroit le son d'une fl?te ordinaire, ains ?pouvantoit ceux qui l'entendoient comme l'?clat impr?vu d'une trompette de guerre: de quoi ils ?toient tous en merveilleux effroi, et couroient aux armes, disant que c'?toient les ennemis qui les venoient attaquer, et ne savoit-on par o?; et lors d?siraient que la nuit rev?nt, comme s'ils eussent d? avoir tr?ve quand elle seroit venue.

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