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Read Ebook: Voyages imaginaires songes visions et romans cabalistiques. Tome 35. by Garnier M Charles Georges Thomas Editor

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Ebook has 981 lines and 90829 words, and 20 pages

ROMANESQUES, MERVEILLEUX, ALL?GORIQUES, AMUSANS, COMIQUES ET CRITIQUES.

L'ENCHANTEUR FAUSTUS, conte, par HAMILTON.

LE DIABLE AMOUREUX, nouvelle espagnole, par M. CAZOTTE.

LES LUTINS DU CHATEAU DE KERNOSY, nouvelle historique par madame la comtesse DE MURAT.

TOME TRENTE-CINQUI?ME.

Troisi?me classe, contenant les Romans cabalistiques.

CONTE,

AVERTISSEMENT

DES VOYAGES IMAGINAIRES, &c.

L'enchanteur Faustus, si c?l?bre chez nos p?res, est maintenant absolument ignor?; ? peine la tradition a-t-elle transmis ? quelques personnes le nom de ce fameux magicien, & sa fin d?plorable; il en est tr?s-peu qui aient lu l'histoire de sa vie. Nous rappelons la m?moire de ce roman singulier, monument rare & curieux de l'ignorance & de la cr?dulit? du seizi?me si?cle.

Le succ?s de cet ouvrage ?toit d?, comme nous l'avons observ?, au cr?dit qu'avoit alors la magie; nous croyons m?me que, par une pieuse supercherie, l'auteur a donn? son roman comme une histoire v?ritable. Le but moral qu'il semble s'?tre propos?, est de nous mettre en garde contre les ruses du diable, qui ne nous procurent de l?gers avantages que pour nous conduire ? une fin d?plorable. Depuis que les sorciers & les magiciens ont cess? de nous faire illusion, l'histoire de Jean Fauste n'a plus paru qu'un conte ridicule, qui est insensiblement tomb? dans l'oubli. Nous n'en faisons mention que comme d'une production singuli?re, & qui a donn? au comte Hamilton l'id?e du conte que nous imprimons, dans lequel l'enchanteur Jean Fauste joue le principal r?le. Entre autres dons que le magicien avoit re?us du d?mon, celui d'?voquer les ombres est le principal; il en fait usage devant la reine d'Angleterre Elisabeth, & fait passer en revue en sa pr?sence tous les h?ros avec qui cette princesse veut faire connoissance. Ce cadre fournit une galerie de portraits dessin?s avec tout l'art & l'esprit que l'on conno?t au comte Hamilton: on y retrouve l'auteur ing?nieux de Fleur d'Epine & des quatre Facardins.

On a cru que la vie de l'enchanteur Faustus ?toit une satire contre le fameux Jean Fust ou Faust de Mayence, l'un des inventeurs de l'imprimerie, ou l'effet du z?le outr? d'un catholique, qui, sous le nom de ce magicien, a voulu d?signer Luther; mais aucune de ces traditions ne nous paro?t vraisemblable ni fond?e.

Les Lutins du ch?teau de Kernosy ont ?t? donn?s d'abord sous le titre des Sylphes amoureux. Ce sont deux amans, qui, pour p?n?trer dans un vieux ch?teau qui renfermoit leurs ma?tresses, se font passer pour des esprits ?l?mentaires, trompent la vigilance d'une vieille tante maussade & s?v?re, & se d?barrassent de leurs rivaux, qui sont deux provinciaux sots & ridicules. Ce petit roman est tr?s-agr?able & bien ?crit; les sc?nes qu'il pr?sente sont amusantes, gaies, vari?es, & orn?es d'?pisodes charmans, dont le plus int?ressant est l'histoire touchante de madame de Briance. Les deux contes de f?es qu'y a ajout?s mademoiselle de Lubert, sont aussi ?pisodiques.

Nous ne dirons rien de ces deux dames, connues par des contes de f?es, que l'on trouve dans le cabinet des f?es; savoir, ceux de madame de Murat, tom. Ier, & ceux de mademoiselle de Lubert, tome 33 de la collection: nous y renvoyons nos lecteurs.

CONTE.

Cela veut dire en peu de mots, mademoiselle, qu'il y a je ne sais combien que vous me pers?cutez pour un mis?rable ?crit, indigne de vous & de moi. Vous le voulez voir, quoique je vous aye dit que j'ai t?ch? d'y mettre quelque chose qui vous ressemble; & cependant vous ne voulez pas que ce qu'on fait pour vous ait de votre air, tant vous avez peur que ce ne soit vous flatter, que d'attraper votre ressemblance! Il n'y a pas de peintre que cela n'embarrasse; mais pour d?payser votre d?licatesse sur les louanges, il faut vous conter une historiette o? vous serez mise tout au long, sans pouvoir y trouver ? redire.

La reine Elisabeth ?toit une merveilleuse princesse pour la sagesse, le savoir, la magnificence & la grandeur d'ame; tout cela ?toit beau: mais elle ?toit envieuse comme un chien, jalouse & cruelle, & cela g?toit tout.

Je n'entends pas, en parlant d'elle, Parler de cette cruaut?, Dont une farouche beaut? Martyrise un amant fid?le; Car, entre nous, de ce c?t?, La reine n'?toit point cruelle; Et dans l'histoire on a dout? Si sa pudique majest?, Qui fut au dieu d'hymen rebelle, L'avoit ?t? par chastet?, Ou par une incommodit? D'esp?ce bizarre & nouvelle: Mais en fait de virginit?, Ce fut une ?trange pucelle.

Quoi qu'il en soit, la renomm?e, qui dit le bien & le mal, avoir port? son caract?re jusqu'au fond des Allemagnes, d'o? certain personnage partit en poste pour se rendre ? sa cour. Il s'appelloit Fauste; peut-?tre le nommerons-nous quelquefois faustus, pour la commodit? de la rime, en cas que la fantaisie nous prenne de le mettre en vers. Ce Fauste donc, grand magicien de profession, eut envie de s'informer par lui-m?me si cette Elisabeth, dont on parloit tant, ?toit aussi merveilleuse en belles qualit?s, qu'elle ?toit endiabl?e sur les autres. Il en pouvoit ?tre juge comp?tent: tout ce qui se passoit l?-haut au pays des ?toiles & des plan?tes, lui ?toit connu, & Satan lui ob?issoit comme son chien. Il savoit tout plein de petits secrets pour rire, & un million de tours de passe-passe, qui ne faisoient ni bien ni mal: comme, par exemple, quand il vouloit, une duchesse couroit les champs apr?s son cocher, & un archev?que passoit les jours ? faire des vers pour sa servante de cuisine, & les nuits ? lui donner des s?r?nades. C'?toit lui qui le premier en Angleterre avoit enseign? ? mettre, dans certains jours de l'ann?e, du romarin, du pissenlit, des os de b?casse, & autres curiosit?s de cette nature sous les chevets des jeunes pucelles, pour leur faire voir, la nuit en songe, celui par qui elles ne le seroient plus. La reine, charm?e des gentillesses qu'on en disoit, voulut le voir, & d?s qu'elle le connut, elle devint presque folle de son savoir & de ses mani?res. Elle croyoit bien avoir elle-m?me tout l'esprit du monde, & n'avoit pas tort; elle se flattoit aussi d'?tre la plus belle personne de son royaume; mais il n'en ?toit rien.

Un jour qu'elle s'?toit extraordinairement par?e pour une audience d'ambassadeurs, elle se retira dans son cabinet apr?s la c?r?monie, & elle y fit venir notre docteur. Apr?s s'?tre admir?e quelque temps dans deux ou trois grands miroirs, elle parut fort contente d'elle-m?me:

Elle avoit cet air qu'au matin, Du soleil a l'avant-courri?re; Rien n'?toit plus frais que son tein; C'?toit tous lys, & tout jasmin, M?l?s de rose printani?re: Car d?s qu'on a force or en main, Les plus beaux teints ne manquent gu?re. Court ?toit son vertugadin, Et montroit, depuis l'escarpin, Sa jambe presque tout enti?re; Et s'?tant assise ? la fin, Le dos pench? contre sa chaise, Comme qui diroit sans dessein, Ce penchement montroit son sein, Ayant fait regrimper sa fraise; Tandis que sur sa blanche main Rubis & diamans sans fin Alloient brillant tout ? leur aise.

Ce fut dans cet ?tat que l'enchanteur Faustus la trouva: c'?toit bien le courtisan le plus adroit pour un sorcier, qu'on p?t voir au monde; & connoissant le foible de la reine sur sa beaut? imaginaire, il n'eut garde de manquer une si belle occasion de lui faire sa cour. Ainsi, choisissant le r?le d'Esther interdite, il fit trois pas en arri?re, comme pour tomber en foiblesse. La reine lui ayant demand? s'il se trouvoit mal, il dit que non, Dieu merci! mais que la gloire d'Assuerus l'avoit ?bloui. Elle qui savoit l'ancien & le nouveau testament par c?oeur, trouva l'application juste & ing?nieuse: mais n'ayant pas alors son sceptre sur elle, pour lui en faire baiser le bout en signe de grace, elle se contenta de tirer un rubis de ses doigts d'ivoire, dont il se contenta aussi. Vous nous trouvez donc assez passable pour une reine? lui dit-elle en repassant ses l?vres du bout de la langue, comme sans y songer. A cela, il se donna au diable ; il se donna donc au diable que non seulement il n'y avoit ni souveraine ni particuli?re qui l'?gal?t, mais m?me qu'il n'y en avoit jamais eu. O Fauste, mon ami, lui dit-elle, si ces fameuses beaut?s des si?cles pass?s pouvoient revenir, il feroit ais? de voir que vous nous flattez. Votre majest? les veut-elle voir? dit-il; elle n'a qu'? dire, elle en aura bient?t le c?oeur net. Notre homme ne manqua pas d'?tre pris au mot, soit qu'elle e?t envie de l'?prouver dans un effet si merveilleux de science magique, ou qu'elle voul?t satisfaire une curiosit? qu'elle avoit eue depuis assez long-temps.

Au reste, mademoiselle, n'allez pas vous imaginer que ce que je vais dire soit une fable de ma fa?on. L'?v?nement est tir? des m?moires d'un des beaux esprits de ce temps-l?; c'?toit le chevalier Sydney, esp?ce de favori de la reine, qui, parmi quelques faits particuliers de sa vie, a mis cette aventure tout au long; & c'est du feu duc d'Ormond, votre grand oncle, qui m'en a souvent fait le r?cit, que je tiens ce passage d'histoire.

Elle dit donc que notre magicien pria la reine de vouloir bien passer dans une petite galerie qui ?toit pr?s de son appartement, tandis qu'il iroit chercher son livre, sa baguette, & sa grande robe noire. Il ne fut pas long-temps ? revenir avec son ?quipage & ses talismans. Il y avoit une porte ? chaque bout de la galerie, par une desquelles les personnages que sa majest? souhaiteroit, entreroient & sortiroient par l'autre. Il n'y eut que deux personnes, sans plus, d'admises avec la reine au spectacle, l'un desquels fut le comte d'Essex, & l'autre le Sidney, auteur de nos m?moires.

La reine ?tait plac?e devers le milieu de la galerie, ses deux favoris ? droite & ? gauche aupr?s de son fauteuil, autour desquels, aussi bien que de leur ma?tresse, l'enchanteur ne manqua pas de tracer des cercles myst?rieux, avec toutes les fa?ons & c?r?monies en pareil cas usit?es; il en tra?a un autre vis-?-vis, o? il se mit lui-m?me, laissant un espace au milieu pour le passage des acteurs. Cela fait, il supplia la reine de ne pas dire un mot tant qu'ils seroient sur la sc?ne, & sur-tout de ne se point effrayer, quelque chose qu'elle p?t voir. Cette derni?re pr?caution ?toit assez inutile ? son ?gard; car la bonne dame ne craignoit ni dieu ni diable. Apr?s ce mot d'avis, il lui demanda laquelle des beaut?s tr?pass?es elle souhaitoit de voir la premi?re? Elle lui dit que, pour suivre l'ordre des temps, il falloit commencer par la belle H?l?ne. Sur quoi le n?gromancier, dont le visage parut un peu chang?, leur dit: Tenez-vous bien. Le chevalier Sidney, dans son r?cit, avoue que, sur le point de cette op?ration magique, le c?oeur lui battit un peu; que le brave Comte d'Essex en devint p?le comme un mort, mais qu'il ne parut pas la moindre petite ?motion ? la reine. Ce fut alors

Apr?s cette invocation, la belle H?l?ne n'eut garde de se faire attendre; elle parut au bout de la galerie, sans qu'on se f?t aper?u comme elle y ?toit entr?e. Elle ?toit habill?e ? la grecque, &, suivant les m?moires de notre auteur, son habillement ne diff?roit en rien de celui de nos d?esses d'op?ra. Sa coiffure ?toit compos?e de quantit? de plumes flottantes sur sa t?te, & surmont?es d'une belle aigrette; des boucles de cheveux noirs lui descendoient jusqu'? la ceinture par-devant, & jusques au croupion par-derri?re; ses engageantes lui battoient agr?ablement les genoux en marchant, & la queue, qu'elle tra?noit ? la lac?d?moniene, avoit pour le moins quatre aunes d'un riche brocard de Corinthe. Cette figure s'arr?ta quelque temps devant la compagnie; & s'?tant tourn?e face ? face devers la reine, pour en ?tre mieux observ?e, elle en prit cong? avec un certain sourire entre-doux & hagard, & sortit par l'autre porte.

D?s qu'elle disparut: Quoi! dit la reine, c'est l? cette belle H?l?ne? Je ne me pique pas de beaut?, poursuivit-elle; mais je veux bien mourir, si je changeois de figure avec elle, quand m?me cela se pourrait. Je le disois bien ? votre majest?, r?pondit l'enchanteur, & cependant voil? justement comme elle ?toit dans sa plus grande beaut?. Je trouve pourtant, dit le comte d'Essex, qu'elle ne laisse pas d'avoir les yeux assez beaux. Oui, dit le Sydney, ils sont grands, noblement fendus, noirs & brillans; mais, apr?s tout, ses regards disent-ils quelque chose? Pas un mot, r?pondit le favori. La reine qui, ce jour-l?, s'?toit fait le visage rouge comme un coq, demanda, en parlant du visage d'H?l?ne, comment on trouvoit son teint de porcelaine? De porcelaine! s'?cria le comte; c'est tout au plus de la fa?ence. Peut-?tre, poursuivit elle, qu'ils ?taient ? la mode de son temps; mais, vous m'avouerez que, dans aucun si?cle, il n'a ?t? permis d'avoir les pieds tourn?s comme elle.

Je ne hais pas son habit, poursuivit la reine, & je ne sais si je ne le mettrai point ? la mode; au lieu de ces impertinens vertugadins dont les femmes ne savent que faire dans quelques occasions, & o? l'on ne fait que faire des femmes en quelques autres. Pour l'habit, passe, dit le comte d'Essex: mais, ma foi, ce n'est pas grand'chose que la figure que nous venons de voir. Le chevalier Sidney, topant ? la remarque, s'?cria:

O P?ris! quel amour fatal Te fit dans Ilion renfermer une proie Dont nous venons de voir le pi?tre original? Si cet exploit d'abord te donna quelque joie, Sa pr?sence y fit plus de mal, Que ce grand diable de cheval Qui fit p?rir l'antique Troie.

Cette b?nigne critique sur la figure & les pr?tendus d?fauts d'H?l?ne; ?tant finie, la reine eut envie de voir cette belle & infortun?e Mariamne, dont l'histoire fait une si belle mention. L'enchanteur ne se le fit pas dire deux fois; mais il ne jugea pas ? propos d'?voquer une princesse qui avoit connu le vrai dieu, de la m?me mani?re qu'il avoit appel? la beaut? payenne. C'est pourquoi, s'?tant tourn? quatre fois vers l'orient, trois vers le midi, deux au couchant, & une seule du c?te du Septentrion, il dit en hebreu, mais d'une mani?re honn?te: Mariamne, fille d'Hyrcan, montrez-vous, s'il vous pla?t, v?tue comme vous aviez coutume de l'?tre pendant la f?te des Tabernacles. A peine eut-il fini, que l'?pouse d'H?rode parut, & s'avan?a gravement jusqu'au milieu de la galerie, o? elle s'arr?ta comme avoit fait la premi?re; quant ? ses habits & son ajustement, ils sembloient r?pandre sur toute sa personne un air de noblesse & de dignit? qui la rendoit respectable; elle ?toit mise ? peu pr?s comme on repr?sente le grand sacrificateur des Juifs, except? qu'il ne lui paroissoit point de barbe, & qu'au lieu de cette tiare en croissant que portoient les grands pr?tres, un voile de gaze, qui prenait depuis la t?te, & qui ?toit attach? vers la ceinture, tra?noit bien loin derri?re elle. Apr?s s'?tre assez long-temps arr?t?e devant la compagnie, elle poursuivit son chemin, mais sans faire la moindre honn?tet? ? la fi?re Elisabeth. Est-il possible, dit cette reine d?s qu'on ne la vit plus, que cette c?l?bre Mariamne f?t faite comme cela? Quoi? c'?tait une grande idole p?le, maigre, & s?rieuse? & depuis tant de siecles, elle a pass? pour une merveille? Ma foi, dit le comte d'Essex, si j'avois ?t? ? la place d'H?rode, je ne me serois jamais brouill? avec un chat sauvage comme cela, sur le refus de ses caresses. Je lui ai pourtant trouv?, dit Sidney, une certaine langueur touchante dans les regards, un grand air, & quelque chose de noble & de naturel dans toute l'action. Fi! r?pondit l'autre, la grandeur de son air est impertinente; la grace qu'elle a dans ses mani?res ais?es que vous admirez, est pleine de pr?somption, & je lui trouve de l'insolence jusques dans la taille. La reine ayant approuv? tout cela, condamna principalement la pauvre princesse, sur le m?pris & l'aversion qu'elle avoit eue pour la personne de son mari, & sur la r?sistance continuelle qu'elle avoit faite ? ses plus tendres empressemens; qu'elle avoit eu beau dire que c'?toit parce qu'il avoit ?gorg? toute sa famille, ce n'?toit pas une raison pour lui refuser les droits de l'hymen, quand il les auroit exig?s vingt fois par jour, & conclut que, pour cette seule rebellion, H?rode avoit bien fait de lui couper la t?te.

Le docteur Fauste, pour paro?tre plus savant en tout, assura que ce n'?toit point pour cette raison qu'H?rode s'?toit d?fait de la chaste Mariamne; que tous les historiens s'y ?toient m?pris; mais qu'une certaine Salom?, s?oeur du roi, & maudite de dieu, avoit rapport? ? son fr?re, qu'?tant ? un sacrifice aupr?s de la reine, elle l'avoit entendue de ses propres oreilles, qui prioit bien d?votement, le dieu d'Abrahem, d'Isaac, & de Jacob, de la d?livrer de son vieux cocu de mari. Si ce trait-anecdote ne fut pas cru, au moins parut-il nouveau. Un moment apr?s, la reine ordonna qu'on f?t venir Cl?op?tre, du m?me air qu'elle auroit pu demander une de ses femmes de chambre.

Pas n'y manqua le savant Fauste, Et pour n'?tre point ennuyeux, Il fit partir devant ses yeux, Un petit diablotin en poste, Pour la transporter dans ces lieux.

Peut-?tre serez-vous bien aise d'apprendre la mani?re dont ce courrier fut d?p?ch?? La voici. Il ne fit que prendre un grand bonnet fourr? qu'il portoit; & en trois coups de baguette, l'ayant m?tamorphos? en haquen?e blanche, la plus jolie du monde, il lui mit un bout de sa baguette dans le derri?re, & apr?s avoir souffl? dans l'autre, la haquen?e partit comme un ?clair, & en sept minutes, revint avec l'illustre Cl?op?tre, qui mit pied ? terre au bout de la galerie. La reine comptoit bien que cette apparition d?dommageroit sa curiosit? du peu de satisfaction que les charmes tant vant?s des autres lui avoient donn?. Nous allons voir ce qui en arriva.

La reine d'Egypte avoit fait de grands appr?ts, ayant appris, par sa monture, le sujet de son voyage, & le peu de cas qu'on avoit fait de la belle H?l?ne & de l'infortun?e Mariamne. D?s qu'elle parut, la galerie fut embaum?e des parfums les plus pr?cieuse de l'Arabie heureuse; car elle s'en ?toit mis par-tout, tant ? cause qu'il y avoit du temps qu'elle ?toit morte, que pour laisser au moins sa m?moire en bonne odeur, en cas qu'on ne f?t pas content de sa figure, apr?s son d?part. Elle avoit la gorge fort d?couverte; une attache de rubis & de gros diamans retroussoit ses jupes beaucoup au dessus du genou gauche: ce qui n'?toit pas d?couvert de sa personne paroissoit tr?s-distinctement au travers d'une gaze transparente, qui composoit son habillement. Dans cet ?quipage galant & l?ger, elle fit, au milieu de la galerie, le m?me man?ge qu'avait fait avant elle les deux autres.

D?s qu'elle eut le dos tourn?, on ne manqua pas de tomber sur sa personne & sur sa friperie. La reine crioit comme une poss?d?e, qu'on lui br?l?t du papier sous le nez, ? cause des vapeurs que l'onguent dont cette momie s'?toit frott?e, lui avoit caus?es. Elle la trouva moins supportable que la femme d'H?rode & la fille de L?da; elle se moqua fort de ce qu'elle s'?toit trouss?e en Diane, pour montrer la plus vilaine jambe du monde, & dit qu'elle auroit mieux fait de paro?tre en robe fourr?e, que dans ce petit habillement d'?t?, qui exposoit ? la vue des tr?sors qui n'?toient faits que pour ?tre ?ternellement cach?s. En effet, dit le Comte d'Essex, voil? un corps plaisamment b?ti pour aller aussi d?braill? qu'elle fait. Il est vrai qu'elle a quelque ?clat, & que sa peau est assez blanche pour une Egyptienne; mais c'est l'apanage de toutes les rousses, dont elle a sans doute ?t? l'archi-doyenne en son temps. Le Chevalier Sidney, qui, outre ces d?fauts, trouvoit qu'elle a voit trop de ventre & trop peu de derri?re, s'?cria:

Fauste, par cette vision, Combien de choses ? rabattre Dans la riante fiction Que l'histoire nous fait, ? sa confusion, De la fameuse Cl?op?tre! Ah! dans le combat d'Actium, Antoine, pour elle poltron, Devoit cent fois plut?t se battre, Ou se faire tenir ? quatre, Que de suivre cette guenon.

Guenon tant qu'il vous plaira, dit le docteur; voil? pourtant celle qui mit dans ses fers le h?ros qui s'?toit rendu ma?tre du monde, & c'est cette m?me guenon qui tourna la t?te ? cet autre h?ros que vous venez de dire. Mais, madame, dit-il ? la reine, puisque ces fameuses ?trang?res ne sont pas de votre go?t, n'en cherchons plus hors de vos ?tats. L'Angleterre, qui a toujours ?t? en possession de produire des beaut?s parfaites, comme nous le voyons par votre majest?, nous fournira peut-?tre un objet plus digne de votre attention, dans l'apparition de la belle & malheureuse Rosemonde. Votre grandeur, qui sait tout, n'en ignore apparemment pas l'histoire. J'en ai quelque id?e, dit-elle; mais comme mes grandes occupations l'ont presque effac?e de ma m?moire, je ne serai pas f?ch?e qu'on l'y retrace par une petite r?p?tition de ses aventures.

Il n'y a pas encore trois jours, dit le chevalier Sidney, que je lisois cet endroit de la vie d'Henri second, un de vos plus illustres pr?d?cesseurs. Ce grand roi avoit le c?oeur du monde le plus tendre, mais rien moins que scrupuleux sur l'inconstance. Cependant il y avoit quelques ann?es qu'une certaine Jeanne Shoar en ?toit en paisible possession: elle avoit de la beaut?; mais il s'en falloit bien qu'elle en e?t assez pour fixer une l?geret? comme la sienne, si le diable ne s'en ?toit m?l?; car, en ces temps-l?, tout le monde tenoit pour constant que c'?toit par sortil?ge & pure magie qu'elle s'?toit fait aimer, & qu'elle conservoit sa conqu?te. C'est ? Faustus ? nous dire ce qu'il en pense, lui qui est vers? dans ces innocentes petites rubriques. Quoi qu'il en soit, voici comme l'enchantement de dame Jeanne se rompit, si tant est qu'il y en ait eu ? son fait.

Le roi s'?tant un jour ?gar? ? la chasse dans une vaste for?t, fit tant, en tournoyant & retournoyant de c?t? & d'autre, qu'il se trouva au bout d'un ruisseau dont l'eau ?toit belle & claire; il en suivit quelque temps le cours, & cela le mena dans un endroit o? le ruisseau, s'?largissant, faisoit une esp?ce de bassin, bord? d'un gazon vert & frais, ombrag? de grands arbres extr?mement touffus. Or comme ces sortes d'endroits sont d'ordinaire les sc?nes de quelque aventure, celle qui lui arriva fut de trouver d'abord des habits de femme au pied d'un de ces arbres, ce qui l'obligea de mettre pied ? terre, avec quelque ?motion; & s'?tant avanc? trois ou quatre pas, il vit les personnes ? qui ces habits appartenoient; c'?toient deux nymphes qui ?toient jusqu'au cou dans cette fontaine, & qui pouss?rent en m?me temps deux cris des plus aigus, voyant un homme de cette apparence qui venoit droit ? elles. Le visage de la plus jeune le frappa d'un si grand ?tonnement, qu'il en demeura quelque temps immobile, & parut tout ?perdu: il ne prit pas garde ? l'autre, quoiqu'elle f?t sortie de l'eau comme une ?tourdie, pour courir ? ses habits. Sa compagne, qui avoit bien autant de peur, & qui n'avoit pas ?t? moins surprise qu'elle, ne jugea pas ? propos de l'imiter. Elle ?toit fort embarrass?e: mais voyant que le Roi ne l'?toit pas moins, elle se rassura un peu, & lui dit que comme tout ce qui paroissoit en sa personne lui faisoit juger qu'il avoit ?t? arm? chevalier, elle le supplioit de lui accorder un don: c'?toit la grande mani?re en ces temps-l?. Ainsi, le roi qui lui avoit d?j? donn? sa personne, sa libert? son c?oeur & son ame, jura qu'il ne lui refuseroit rien de ce qu'elle lui feroit l'honneur de lui demander, quand ce seroit la moiti? de son royaume. A ce mot, la belle tressaillit, & pensa se lever pour lui faire la r?v?rence; mais supprimant ce premier mouvement que le respect & le devoir lui avoient inspir?, la grace qu'elle lui demanda, fut d'avoir la bont? de se retirer, jusqu'? ce qu'elle f?t sortie de l'eau, & qu'elle e?t repris ses habits. Il ob?it comme un enfant, quoique dans ces sortes d'occasions, il f?t d'ordinaire aventureux; mais le pauvre prince l'aimoit d?j? ? la fureur. Il n'en faut pas davantage pour que l'homme du monde le plus d?lib?r? devienne plus soumis & plus timide qu'une pucelle aupr?s de l'objet aim?. Il se retira donc; mais ce ne fut pas avec intention de tenir tout ? fait sa parole. D?s qu'il se vit couvert de quelques buissons, il donna un coup de fouet ? son cheval, qui se mit ? galoper par le bois, & sa majest? se mit ? quatre pattes, & s'?tant tra?n?e vers l'endroit d'o? il venoit, il ?cartoit doucement les branches qui lui fermoient la vue de la fontaine, justement comme la belle inconnue en sortoit, sans aucune pr?caution, & sans se douter de cette supercherie de la part d'un chevalier errant, qui de plus ?toit roi. Dieu sait si le prince, qui ?toit devenu ?perdument amoureux, ? ne lui voir, pour ainsi dire, que le bout du nez, trouva de quoi achever de s'enflammer dans la contemplation de tout le reste. L'histoire dit, que quoiqu'il f?t ? quatre pattes, il y auroit bien rest? trois jours sans boire ni manger, tant les objets lui plaisoient; mais on ne lui en donna pas le temps. La nymphe fut s'habiller, & son nouvel adorateur, apr?s un petit d?tour, se pr?senta devant elle. La premi?re chose qu'il fit, ce fut de se jeter ? ses pieds, pour lui jurer qu'il l'adoroit, sans s'informer qui elle ?toit. La surprise, le respect, l'?motion & la rougeur, qui s'?toient empar?s tout ? la fois de la charmante ?trang?re, auroient sans doute d?sorient? les appas de toute autre; mais les siens n'en firent que cro?tre & embellir: si bien que le pauvre roi... Chevalier, dit la reine, abr?geons, s'il vous pla?t. Tant qu'il vous plaira, madame, reprit-il. On entendit un grand bruit de chevaux; c'?toient les gens de la suite du roi, qui, l'ayant cherch? pendant une grosse demi-heure, lui ramenoient son cheval par la bride. Il remonta dessus, apr?s avoir appris que sa nouvelle divinit? s'appeloit Rosemonde, fille d'un baron dont le ch?teau n'?toit qu'? cinquante pas de cette for?t. Il revint tout r?veur & tout refroidi pour sa ma?tresse Jeanne. Elle s'en aper?ut bient?t; il ne s'en mit gu?re en peine: il alloit plus souvent ? la chasse, & en revenoit toujours plus refroidi pour elle. Cela fit na?tre les soup?ons, & les soup?ons mirent force espions en campagne, un desquels l'informa qu'on avoit trouv? le roi ? deux genoux devant une jeune personne belle comme un ange, le jour qu'il s'?toit ?gar?; & que toutes les chasses qu'il avoit faites depuis, n'avoient ?t? qu'? son intention. A cette d?couverte, la dame Jeanne, qui, sauf le respect de votre majest?, ?toit la plus m?chante carogne de l'univers, jeta feu & flammes, gourmanda le roi, comme elle auroit fait son laquais; & comme elle avoit un ascendant diabolique sur son esprit, elle l'obligea, par ses menaces & ses vacarmes, de consentir, comme un grand ben?t qu'il ?toit, qu'on enlev?t la pauvre Rosemonde, & qu'on l'enferm?t dans un vieux ch?teau, au milieu d'un d?sert, qui s'appelle encore de nos jours la prison de Rosemonde. Ce fut dans cette prison, qu'au bout de quelques ann?es la d?testable Shoar fit ?trangler sa rivale, pendant un voyage que le roi fut oblig? de faire en France.

Voil?, dit la reine, une fin bien d?plorable. Ce qu'il y eut de plus triste, dit l'enchanteur, c'est qu'elle fut enlev?e, & qu'elle mourut, sans que ce roi si passionn? e?t jamais mis d'autre fin ? une aventure qui avoit eu de si tendres commencemens. La bonne Elisabeth, apr?s un certain branlement de t?te & un petit sourire d'incr?dulit?, t?moigna beaucoup d'impatience de voir celle dont on venoit d'abr?ger l'histoire. Il y a, dit Faustus, un instinct secret dans cet empressement, puisque suivant la tradition & quelques m?moires de ces vieux temps, la belle Rosemonde avoit beaucoup de votre air, & ressembloit passablement ? votre majest?, quoique ce f?t en laid, comme on peut croire. Voyons-la, dit la Reine. Mais d?s qu'elle paro?tra, chevalier Sidney, je vous ordonne de l'observer avec la derni?re exactitude, afin que si nous trouvons qu'elle en vaille la peine, vous en puissiez faire une description ressemblante. Cet ordre donn?, & quelques petites conjurations finies, comme l'endroit o? la belle ?toit enterr?e n'?toit qu'? trente lieues de Londres, elle parut au bout d'un moment. D?s la porte de la galerie, son air & sa figure plurent extr?mement. A mesure qu'elle avan?oit, ses attraits sembloient briller d'une nouvelle lumi?re; & si-t?t qu'elle fut ? port?e d'?tre mieux examin?e, l'approbation de la compagnie parut ? certains airs de plaisir & d'admiration que chacun t?moignoit en la regardant, & chacun sembloit approuver en soi-m?me le go?t d'Henri second pour elle, en d?testant la foiblesse dont il l'avoit immol?e. Le docteur ne lui avoit point donn? d'autre habit que celui qu'elle avoit repris en sortant du bain: ce n'?toit que des cornettes unies, rattach?es au haut de sa t?te, une robe de chambre de taffetas, un jupon de toile jaune assez court, & l?g?rement brod? de soie. C'?toit pourtant dans cet extr?me n?glig? qu'elle effa?oit l'?clat du jour au gr? des spectateurs. Elle s'arr?ta beaucoup plus long temps devant eux que n'avoient fait les autres; & comme si elle avoit su les ordres qu'on avoit donn?s au Chevalier, elle se tourna deux ou trois fois vers lui, en le regardant assez agr?ablement. On e?t dit qu'? chacun de ces regards, le c?oeur lui fondoit dans l'estomac, tant il en avoit la mine niaise & d?confite. Il fallut enfin qu'elle pr?t cong? de la compagnie; & d?s qu'elle fut sortie: Mon dieu, s'?cria la reine, la jolie cr?ature! Non, je n'ai rien vu de ma vie qui plaise tant. Quelle taille! quelle noblesse d'air sans affectation! & quel ?clat sans artifice! Et l'on me viendra dire que je lui ressemble! Qu'en dites-vous, comte? poursuivit-elle. Il ?toit alors si pensif, qu'il ne lui r?pondit rien tout haut; mais il disoit ? part soi: Pl?t ? dieu, Babet, ma reine & ma ma?tresse; j'en donnerois le meilleur cheval de mon ?curie, quand ce ne seroit qu'en laid que tu lui ressemblerois! & puis il lui dit tout haut: Si vous lui ressemblez! Votre majest? n'auroit qu'? faire un tour de galerie en robe de chambre flottante & en jupon brod? de soie; & si notre sorcier lui-m?me ne s'y m?prenoit, tenez-moi pour un faquin. Pendant toutes ces fadeurs, & quantit? de mis?res de cette nature, dont le favori flattoit la vanit? de la bonne dame, le po?te Sidney, un crayon ? la main, achevoit de mettre au net le portrait de la belle Rosemonde. D?s qu'il y eut mis la derni?re main, il eut ordre d'en faire la lecture, & voici par o? il commen?a:

Allons, mes vers, ob?issons, Puisque ma reine me l'ordonne; Et du plus beau de nos crayons, tra?ons & l'air & la personne D'un objet dont l'?clat de mille feux rayonne, Et qui du dieu des vers m?rite les chansons. Loin d'ici, flatteuse imposture, De fictions, de faux brillans, Dont on embellit la peinture, Quand les objets sont indigens! Pour mettre ? fin mon aventure, D'une main & fidelle & s?re, Peignons l'original sans fard & sans encens: Il suffira des ornemens Que fournit l'aimable nature. Il faut, en tra?ant la beaut? De la divine Rosemonde, Dans le plus beau portrait du monde, N'employer que la v?rit?.

Voil? parler en honn?te homme, & qui, pour un faiseur de vers & de romans, semble avoir quelque conscience. Voici comme il poursuit, dans le d?tail des charmes qu'il d?crit.

De graces & d'attraits un brillant assemblage Accompagnoit mille agr?mens Ins?parables des beaux ans, De la jeunesse heureux partage; Tout plaisoit dans son beau visage; De Flore les tr?sors naissans Y paroissoient en ?talage, Mais purs, naturels, innocens, Et tels qu'on les voit au printemps, Quand z?phyre les s?che, apr?s un prompt orage. Sa bouche couronnoit l'ouvrage; Elle ?toit faite pour ses dents. Heureux, parmi tous les vivans, Qui jouiroit de l'avantage, Apr?s mille & mille tourmens, D'y pouvoir offrir son hommage! Ses yeux n'?toient pas des plus grands; Mais, ciel, quel ?toit le langage De leurs traits vifs & s?duisans! Puisque par leurs regards les plus indiff?rens, Jusques au fond du c?oeur ils s'ouvroient un passage: Rien n'?toit si beau que son nez: D'H?b? c'?toit le nez c?leste, Et ces deux pieds ?toient tourn?s, De mani?re que pour le reste De ces attraits toujours moins nus que devin?s, On n'avoit pas besoin d'un autre manifeste. Sa taille avoit de ces appas Qu'on sent, mais qu'on n'exprime pas. La noblesse en ?toit supr?me. Dans toute sa figure, & jusques dans ses pas, C'?toit un certain air digne du diad?me; Mais c'?toit de ces airs qu'on aime, Et qu'on aime jusqu'au tr?pas; Bref, ? l'examiner du haut jusques au bas, Belle Daphn?, c'?toit vous-m?me Qu'on peignoit sur ce canevas.

Du moins en aurois-je jur?, tant la description vous convient, except? pourtant la gorge, qu'on a oubli?e; & certainement, si l'on prenoit la libert? de vous copier, ce ne seroit pas un article ? supprimer. Certaine forme, certain ?clat, & certaine situation dont la nature a dou? le peu que vous en laissez voir, offriroient d'assez agr?ables id?es ? mettre en prose ou en vers, sans la moindre exag?ration, pour rendre la chose plus touchante. Je ne suis gu?re plus content de ce qu'il dit de la bouche de son original. On diroit que c'est celle de quelque sibylle, tant il craint d'y toucher! Il est bien vrai que dire qu'elle est faite pour assortir les plus belles dents du monde, c'est quelque chose; mais ce n'?toit pas assez; & s'il avoit eu connoissance de la v?tre, il auroit d?peint en vers aussi gracieux vos l?vres fra?ches & vermeilles; il auroit dit qu'autour de ces l?vres, quand il vous pla?t de sourire, le ciel a plac? certains agr?mens qu'il oublie, ou qu'il ne se donne pas la peine de placer autour des autres.

Revenons ? notre galerie. On y d?lib?roit sur le choix de l'apparition qui devoit succ?der ? celle de Rosemonde. L'enchanteur fut d'avis de ne plus sortir d'Angleterre, pour chercher des beaut?s de r?putation, & proposa cette c?l?bre comtesse de Salisbury, qui avoit donn? lieu ? l'institution de l'ordre de la jarreti?re, comme une certaine beaut? flamande avoit ?t? cause de celui de la toison d'or. On trouva la proposition bien imagin?e; mais la reine dit, qu'avant toutes choses elle vouloit voir encore une fois sa ch?re Rosemonde. Le docteur s'en d?fendit fort & ferme, en disant que la chose n'?toit gu?re praticable dans l'ordre des conjurations, outre que la r?trogradation des fant?mes irritoit les puissances soumises ? ses premiers enchantemens, Mais il eut beau dire, on crut qu'il ne faisoit ces fa?ons que pour se faire valoir, & la reine lui parla d'un ton si s?rieux, qu'il fut oblig? de s'y rendre. Il assura pourtant que si Rosemonde faisoit tant que de revenir, ce ne seroit ni par o? elle ?tait entr?e, ni par o? elle ?toit sortie la premi?re fois, & que chacun pr?t garde ? soi, car il ne r?pondroit plus de rien. La reine, comme on a dit, ne savoit ce que c'?toit que la peur, & nos deux messieurs ?toient un peu aguerris sur les apparitions. Ainsi, les paroles au docteur ne leur caus?rent pas grande ?motion; cependant il avoit commenc?. Jamais conjuration ne lui avoit donn? tant de peine; car, apr?s avoir marmot? quelque temps, en faisant des grimaces & des contorsions qui n'?toient ni belles, ni honn?tes, il mit son livre ? terre au milieu de la galerie, en fit trois fois le tour ? cloche-pied; ensuite de quoi il fit l'arbre fourchu contre la muraille, la t?te en bas & les jambes en haut: mais voyant que rien ne paroissoit, il eut recours au dernier & au plus puissant de ses prestiges, ce fut de faire trois sauts en arri?re, le petit doigt de la main droite dans l'oreille gauche, & de se donner trois claques sur les fesses, en criant trois fois, Rosemonde, ? pleine t?te. A la derni?re de ces claques magiques, un vent soudain ouvrit avec imp?tuosit? la fen?tre d'une grande crois?e par o? la charmante Rosemonde mit pied ? terre au milieu de la galerie, comme si elle ne f?t descendue que d'une berline. Le docteur ?toit tout en eau; & pendant qu'il s'essuyoit, la reine qui la trouva incomparablement plus aimable qu'? son premier voyage, laissa, pour le coup, endormir sa prudence ordinaire par un transport d'empressement, & sortit de son cercle, les bras ouverts, aussi ?tourdiment qu'auroit pu faire la dame ? la pi?ce jaune, en s'?criant: ah, ma ch?re Rosemonde! D?s qu'elle eut l?ch? la parole, un violent ?clat de tonnerre ?branla tout le palais, une vapeur ?paisse & noire emplit la galerie, & plusieurs petits ?clairs nouveaux-n?s serpentoient ? droite & ? gauche autour de leurs oreilles, & faisoient transir les spectateurs. L'obscurit? s'?tant enfin dissip?e petit ? petit, on vit le magicien Faustus, les quatre fers en l'air, ?cumant comme un sanglier, son bonnet d'un c?t?, sa baguette de l'autre, & son alcoran magique entre les jambes. Personne, dans cette aventure, n'en fut quitte pour la peur.

Les ?clairs redoubloient avec vivacit?; le comte d'Essex en avoit perdu le sourcil droit, Sidney la moustache gauche. On ne sait s'il en co?ta quelque chose ? la reine; mais notre auteur dit, dans ses m?moires, que la fraise de sa majest? sentoit le soufre, & le bas de son vertugadin le rissol?, que c'?toit une piti? d'en approcher. Vous jugez bien, charmante Daphn?, qu'apr?s une telle d?route parmi nos curieux, le d?sir de voir la comtesse de Salisbury fut remis ? un autre jour: je ne trouve pas m?me, dans les m?moires du chevalier Sidney, qu'il en ait jamais ?t? question depuis.

Je me flatte, de mon c?t?, que cette longue rapsodie vous aura tellement exc?d?e, que vous ne vous aviserez plus de me prier de mon d?shonneur, en m'obligeant ? retomber dans ces sortes de r?cits.

Ainsi chantoit par nos vallons, Par nos bois, & par nos prairies, Ou bien sur les rives fleuries De quelque onde des environs, Un certain berger sans moutons, S'occupant de ses r?veries, Ou d?crivant dans ses chansons, Sans y m?ler de flatteries, De vrais appas sous de faux noms. Mais c'en est fait; & ce langage, Dont il sut parfois enchanter Quelques berg?res du village, Du temps qu'il aimoit ? chanter, Ne lui paro?t qu'un sot ramage, Qui n'a plus de quoi le tenter. Adieu, dit-il, c?l?bre rive, O? tant de fois mes chalumeaux Accompagnoient ma voix plaintive, Lorsque je racontais mes maux Au cours de votre eau fugitive. Adieu vous dis, c?l?bre rive; Je vous consacre mes pipeaux.

NOUVELLE ESPAGNOLE;

NOUVELLE ESPAGNOLE.

J'?tois vingt-cinq ans capitaine aux gardes du roi de Naples: nous vivions beaucoup entre camarades, & comme de jeunes gens, c'est-?-dire, des femmes, du jeu, tant que la bourse pouvoit y suffire, & nous philosophions dans nos quartiers, quand nous n'avions plus d'autre ressource.

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