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Read Ebook: La Comédie humaine - Volume 09. Scènes de la vie parisienne - Tome 01 by Balzac Honor De

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Ebook has 2823 lines and 211728 words, and 57 pages

--Oui, monsieur. Son bras est le seul sur lequel je me sois appuy?e, et je n'ai jamais senti le contact d'aucun autre homme.

--Votre m?decin ne vous a pas m?me t?t? le pouls?.....

--Eh! bien, voil? que vous vous moquez.

--Non, madame, je vous admire parce que je vous comprends. Mais vous laissez entendre votre voix, mais vous vous laissez voir, mais... enfin, vous permettez ? nos yeux d'admirer...

--Ah! voil? mes chagrins, dit-elle en l'interrompant. Oui, j'aurais voulu qu'il f?t possible ? une femme mari?e de vivre avec son mari comme une ma?tresse vit avec son amant: car alors...

--Alors, pourquoi ?tiez-vous, il y a deux heures, ? pied, d?guis?e, rue Soly?

--Qu'est-ce que c'est que la rue Soly? lui demanda-t-elle.

Et sa voix si pure ne laissa deviner aucune ?motion, et aucun trait ne vacilla dans son visage, et elle ne rougit pas, et elle resta calme.

--Quoi! vous n'?tes pas mont?e au second ?tage d'une maison situ?e rue des Vieux-Augustins, au coin de la rue Soly? Vous n'aviez pas un fiacre ? dix pas, et vous n'?tes pas revenue rue de Richelieu, chez la fleuriste, o? vous avez choisi les marabouts qui parent maintenant votre t?te?

--Je ne suis pas sortie de chez moi ce soir.

En mentant ainsi, elle ?tait impassible et rieuse, elle s'?ventait; mais qui e?t eu le droit de passer la main sur sa ceinture, au milieu du dos, l'aurait peut-?tre trouv?e humide. En ce moment, Auguste se souvint des le?ons du vidame.

--C'?tait alors une personne qui vous ressemble ?trangement, ajouta-t-il d'un air cr?dule.

--Monsieur, dit-elle, si vous ?tes capable de suivre une femme et de surprendre ses secrets, vous me permettrez de vous dire que cela est mal, tr?s-mal, et je vous fais l'honneur de ne pas vous croire.

Le baron s'en alla, se pla?a devant la chemin?e, et parut pensif. Il baissa la t?te; mais son regard ?tait attach? sournoisement sur madame Jules, qui, ne pensant pas au jeu des glaces, jeta sur lui deux ou trois coups d'oeil empreints de terreur. Madame Jules fit un signe ? son mari, elle en prit le bras en se levant pour se promener dans les salons. Quand elle passa pr?s de monsieur de Maulincour, celui-ci, qui causait avec un de ses amis, dit ? haute voix, comme s'il r?pondait ? une interrogation:--C'est une femme qui ne dormira certes pas tranquillement cette nuit... Madame Jules s'arr?ta, lui lan?a un regard imposant plein de m?pris, et continua sa marche, sans savoir qu'un regard de plus, s'il ?tait surpris par son mari, pouvait mettre en question et son bonheur et la vie de deux hommes. Auguste, en proie ? la rage qu'il ?touffa dans les profondeurs de son ?me, sortit bient?t en jurant de p?n?trer jusqu'au coeur de cette intrigue. Avant de partir, il chercha madame Jules afin de la revoir encore; mais elle avait disparu. Quel drame jet? dans cette jeune t?te ?minemment romanesque comme toutes celles qui n'ont point connu l'amour dans toute l'?tendue qu'ils lui donnent! Il adorait madame Jules sous une nouvelle forme, il l'aimait avec la rage de la jalousie, avec les d?lirantes angoisses de l'espoir. Infid?le ? son mari, cette femme devenait vulgaire. Auguste pouvait se livrer ? toutes les f?licit?s de l'amour heureux, et son imagination lui ouvrit alors l'immense carri?re des plaisirs de la possession. Enfin, s'il avait perdu l'ange, il retrouvait le plus d?licieux des d?mons. Il se coucha, faisant mille ch?teaux en Espagne, justifiant madame Jules par quelque romanesque bienfait auquel il ne croyait pas. Puis il r?solut de se vouer enti?rement, d?s le lendemain, ? la recherche des causes, des int?r?ts, du noeud que cachait ce myst?re. C'?tait un roman ? lire; ou mieux, un drame ? jouer, et dans lequel il avait son r?le.

Une bien belle chose est le m?tier d'espion, quand on le fait pour son compte et au profit d'une passion. N'est-ce pas se donner les plaisirs du voleur en restant honn?te homme? Mais il faut se r?signer ? bouillir de col?re, ? rugir d'impatience, ? se glacer les pieds dans la boue, ? transir et br?ler, ? d?vorer de fausses esp?rances. Il faut aller, sur la foi d'une indication, vers un but ignor?, manquer son coup, pester, s'improviser ? soi-m?me des ?l?gies, des dithyrambes, s'exclamer niaisement devant un passant inoffensif qui vous admire; puis renverser des bonnes femmes et leurs paniers de pommes, courir, se reposer, rester devant une crois?e, faire mille suppositions..... Mais c'est la chasse, la chasse dans Paris, la chasse avec tous ses accidents, moins les chiens, le fusil et le tahiau! Il n'est de comparable ? ces sc?nes que celles de la vie des joueurs. Puis besoin est d'un coeur gros d'amour ou de vengeance pour s'embusquer dans Paris, comme un tigre qui veut sauter sur sa proie, et pour jouir alors de tous les accidents de Paris et d'un quartier, en leur pr?tant un int?r?t de plus que celui dont ils abondent d?j?. Alors, ne faut-il pas avoir une ?me multiple? n'est-ce pas vivre de mille passions, de mille sentiments ensemble?

Auguste de Maulincour se jeta dans cette ardente existence avec amour, parce qu'il en ressentit tous les malheurs et tous les plaisirs. Il allait d?guis?, dans Paris, veillait ? tous les coins de la rue Pagevin ou de la rue des Vieux-Augustins. Il courait comme un chasseur de la rue de M?nars ? la rue Soly, de la rue Soly ? la rue de M?nars, sans conna?tre ni la vengeance, ni le prix dont seraient ou punis ou r?compens?s tant de soins, de d?marches et de ruses! Et, cependant, il n'en ?tait pas encore arriv? ? cette impatience qui tord les entrailles et fait suer; il fl?nait avec espoir, en pensant que madame Jules ne se hasarderait pas pendant les premiers jours ? retourner l? o? elle avait ?t? surprise. Aussi avait-il consacr? ces premiers jours ? s'initier ? tous les secrets de la rue. Novice en ce m?tier, il n'osait questionner ni le portier, ni le cordonnier de la maison dans laquelle venait madame Jules; mais il esp?rait pouvoir se cr?er un observatoire dans la maison situ?e en face de l'appartement myst?rieux. Il ?tudiait le terrain, il voulait concilier la prudence et l'impatience, son amour et le secret.

Dans les premiers jours du mois de mars, au milieu des plans qu'il m?ditait pour frapper un grand coup, et en quittant son ?chiquier apr?s une de ces factions assidues qui ne lui avaient encore rien appris, il s'en retournait vers quatre heures ? son h?tel o? l'appelait une affaire relative ? son service, lorsqu'il fut pris, rue Coquilli?re, par une de ces belles pluies qui grossissent tout ? coup les ruisseaux, et dont chaque goutte fait cloche en tombant sur les flaques d'eau de la voie publique. Un fantassin de Paris est alors oblig? de s'arr?ter tout court, de se r?fugier dans une boutique ou dans un caf?, s'il est assez riche pour y payer son hospitalit? forc?e; ou, selon l'urgence, sous une porte coch?re, asile des gens pauvres ou mal mis. Comment aucun de nos peintres n'a-t-il pas encore essay? de reproduire la physionomie d'un essaim de Parisiens group?s, par un temps d'orage, sous le porche humide d'une maison? O? rencontrer un plus riche tableau? N'y a-t-il pas d'abord le pi?ton r?veur ou philosophe qui observe avec plaisir, soit les raies faites par la pluie sur le fond gris?tre de l'atmosph?re, esp?ce de ciselures semblables aux jets capricieux des filets de verre; soit les tourbillons d'eau blanche que le vent roule en poussi?re lumineuse sur les toits; soit les capricieux d?gorgements des tuyaux p?tillants, ?cumeux; enfin mille autres riens admirables, ?tudi?s avec d?lices par les fl?neurs, malgr? les coups de balai dont les r?gale le ma?tre de la loge? Puis il y a le pi?ton causeur qui se plaint et converse avec la porti?re, quand elle se pose sur son balai comme un grenadier sur son fusil; le pi?ton indigent, fantastiquement coll? sur le mur, sans nul souci de ses haillons habitu?s au contact des rues; le pi?ton savant qui ?tudie, ?p?le ou lit les affiches sans les achever; le pi?ton rieur qui se moque des gens auxquels il arrive malheur dans la rue, qui rit des femmes crott?es et fait des mines ? ceux ou celles qui sont aux fen?tres; le pi?ton silencieux qui regarde ? toutes les crois?es, ? tous les ?tages; le pi?ton industriel, arm? d'une sacoche ou muni d'un paquet, traduisant la pluie par profits et pertes; le pi?ton aimable, qui arrive comme un obus, en disant: Ah! quel temps, messieurs! et qui salue tout le monde; enfin, le vrai bourgeois de Paris, homme ? parapluie, expert en averse, qui l'a pr?vue, sorti malgr? l'avis de sa femme, et qui s'est assis sur la chaise du portier. Selon son caract?re, chaque membre de cette soci?t? fortuite contemple le ciel, s'en va sautillant pour ne pas se crotter, ou parce qu'il est press?, ou parce qu'il voit des citoyens marchant malgr? vent et mar?e, ou parce que la cour de la maison ?tant humide et catarrhalement mortelle, la lisi?re, dit un proverbe, est pire que le drap. Chacun a ses motifs. Il ne reste que le pi?ton prudent, l'homme qui, pour se remettre en route, ?pie quelques espaces bleus ? travers les nuages crevass?s.

Monsieur de Maulincour se r?fugia donc, avec toute une famille de pi?tons, sous le porche d'une vieille maison dont la cour ressemblait ? un grand tuyau de chemin?e. Il y avait le long de ces murs pl?treux, salp?tr?s et verd?tres, tant de plombs et de conduits, et tant d'?tages dans les quatre corps de logis, que vous eussiez dit les cascatelles de Saint-Cloud. L'eau ruisselait de toutes parts; elle bouillonnait, elle sautillait, murmurait; elle ?tait noire, blanche, bleue, verte; elle criait, elle foisonnait sous le balai de la porti?re, vieille femme ?dent?e, faite aux orages, qui semblait les b?nir et qui poussait dans la rue mille d?bris dont l'inventaire curieux r?v?lait la vie et les habitudes de chaque locataire de la maison. C'?tait des d?coupures d'indienne, des feuilles de th?, des p?tales de fleurs artificielles, d?color?es, manqu?es; des ?pluchures de l?gumes, des papiers, des fragments de m?tal. A chaque coup de balai, la vieille femme mettait ? nu l'?me du ruisseau, cette fente noire, d?coup?e en cases de damier, apr?s laquelle s'acharnent les portiers. Le pauvre amant examinait ce tableau, l'un des milliers que le mouvant Paris offre chaque jour; mais il l'examinait machinalement, en homme absorb? par ses pens?es, lorsqu'en levant les yeux il se trouva nez ? nez avec un homme qui venait d'entrer.

C'?tait, en apparence du moins, un mendiant, mais non pas le mendiant de Paris, cr?ation sans nom dans les langages humains; non, cet homme formait un type nouveau frapp? en dehors de toutes les id?es r?veill?es par le mot de mendiant. L'inconnu ne se distinguait point par ce caract?re originalement parisien qui nous saisit assez souvent dans les malheureux que Charlet a repr?sent?s parfois, avec un rare bonheur d'observation: c'est de grossi?res figures roul?es dans la boue, ? la voix rauque, au nez rougi et bulbeux, ? bouches d?pourvues de dents, quoique mena?antes; humbles et terribles, chez lesquelles l'intelligence profonde qui brille dans les yeux semble ?tre un contre-sens. Quelques-uns de ces vagabonds effront?s ont le teint marbr?, gerc?, vein?; le front couvert de rugosit?s; les cheveux rares et sales, comme ceux d'une perruque jet?e au coin d'une borne. Tous gais dans leur d?gradation, et d?grad?s dans leurs joies, tous marqu?s du sceau de la d?bauche jettent leur silence comme un reproche; leur attitude r?v?le d'effrayantes pens?es. Plac?s entre le crime et l'aum?ne, ils n'ont plus de remords, et tournent prudemment autour de l'?chafaud sans y tomber, innocents au milieu du vice, et vicieux au milieu de leur innocence. Ils font souvent sourire, mais font toujours penser. L'un vous repr?sente la civilisation rabougrie, il comprend tout: l'honneur du bagne, la patrie, la vertu; puis c'est la malice du crime vulgaire, et les finesses d'un forfait ?l?gant. L'autre est r?sign?, mime profond, mais stupide. Tous ont des vell?it?s d'ordre et de travail, mais ils sont repouss?s dans leur fange par une soci?t? qui ne veut pas s'enqu?rir de ce qu'il peut y avoir de po?tes, de grands hommes, de gens intr?pides et d'organisations magnifiques parmi les mendiants, ces boh?miens de Paris; peuple souverainement bon et souverainement m?chant, comme toutes les masses qui ont souffert; habitu? ? supporter des maux inou?s, et qu'une fatale puissance maintient toujours au niveau de la boue. Ils ont tous un r?ve, une esp?rance, un bonheur: le jeu, la loterie ou le vin. Il n'y avait rien de cette vie ?trange dans le personnage coll? fort insouciamment sur le mur, devant monsieur de Maulincour, comme une fantaisie dessin?e par un habile artiste derri?re quelque toile retourn?e de son atelier. Cet homme long et sec, dont le visage plomb? trahissait une pens?e profonde et glaciale, s?chait la piti? dans le coeur des curieux, par une attitude pleine d'ironie et par un regard noir qui annon?aient sa pr?tention de traiter d'?gal ? ?gal avec eux. Sa figure ?tait d'un blanc sale, et son cr?ne rid?, d?garni de cheveux, avait une vague ressemblance avec un quartier de granit. Quelques m?ches plates et grises, plac?es de chaque c?t? de sa t?te, descendaient sur le collet de son habit crasseux et boutonn? jusqu'au cou. Il ressemblait tout ? la fois ? Voltaire et ? don Quichotte; il ?tait railleur et m?lancolique, plein de m?pris, de philosophie, mais ? demi ali?n?. Il paraissait ne pas avoir de chemise. Sa barbe ?tait longue. Sa m?chante cravate noire tout us?e, d?chir?e, laissait voir un cou protub?rant, fortement sillonn?, compos? de veines grosses comme des cordes. Un large cercle brun, meurtri, se dessinait sous chacun de ses yeux. Il semblait avoir au moins soixante ans. Ses mains ?taient blanches et propres. Il portait des bottes ?cul?es et perc?es. Son pantalon bleu, raccommod? en plusieurs endroits, ?tait blanchi par une esp?ce de duvet qui le rendait ignoble ? voir. Soit que ses v?tements mouill?s exhalassent une odeur f?tide, soit qu'il e?t ? l'?tat normal cette senteur de mis?re qu'ont les taudis parisiens, de m?me que les Bureaux, les Sacristies et les Hospices ont la leur, go?t f?tide et rance, dont rien ne saurait donner l'id?e, les voisins de cet homme quitt?rent leurs places et le laiss?rent seul; il jeta sur eux, puis reporta sur l'officier son regard calme et sans expression, le regard si c?l?bre de monsieur de Talleyrand, coup d'oeil terne et sans chaleur, esp?ce de voile imp?n?trable sous lequel une ?me forte cache de profondes ?motions et les plus exacts calculs sur les hommes, les choses et les ?v?nements. Aucun pli de son visage ne se creusa. Sa bouche et son front furent impassibles; mais ses yeux s'abaiss?rent par un mouvement d'une lenteur noble et presque tragique. Il y eut enfin tout un drame dans le mouvement de ses paupi?res fl?tries.

L'aspect de cette figure sto?que fit na?tre chez monsieur de Maulincour l'une de ces r?veries vagabondes qui commencent par une interrogation vulgaire et finissent par comprendre tout un monde de pens?es. L'orage ?tait pass?. Monsieur de Maulincour n'aper?ut plus de cet homme que le pan de sa redingote qui fr?lait la borne; mais, en quittant sa place pour s'en aller, il trouva sous ses pieds une lettre qui venait de tomber, et devina qu'elle appartenait ? l'inconnu, en lui voyant remettre dans sa poche un foulard dont il venait de se servir. L'officier, qui prit la lettre pour la lui rendre, en lut involontairement l'adresse:

La lettre ne portait aucun timbre, et l'indication emp?cha monsieur de Maulincour de la restituer: car il y a peu de passions qui ne deviennent improbes ? la longue. Le baron eut un pressentiment de l'opportunit? de cette trouvaille, et voulut, en gardant la lettre, se donner le droit d'entrer dans la maison myst?rieuse pour y venir la rendre ? cet homme, ne doutant pas qu'il ne demeur?t dans la maison suspecte. D?j? des soup?ons, vagues comme les premi?res lueurs du jour, lui faisaient ?tablir des rapports entre cet homme et madame Jules. Les amants jaloux supposent tout; et c'est en supposant tout, en choisissant les conjectures les plus probables que les juges, les espions, les amants et les observateurs devinent la v?rit? qui les int?resse.

--Est-ce ? lui la lettre? est-elle de madame Jules?

Mille questions ensemble lui furent jet?es par son imagination inqui?te; mais aux premiers mots il sourit. Voici textuellement, dans la splendeur de sa phrase na?ve, dans son orthographe ignoble, cette lettre, ? laquelle il ?tait impossible de rien ajouter, dont il ne fallait rien retrancher, si ce n'est la lettre m?me, mais qu'il a ?t? n?cessaire de ponctuer en la donnant. Il n'existe dans l'original ni virgules, ni repos indiqu?, ni m?me de points d'exclamation; fait qui tiendrait ? d?truire le syst?me des points par lesquels les auteurs modernes ont essay? de peindre les grands d?sastres de toutes les passions.

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