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Read Ebook: Rice Papers by Norris Hugh Leigh

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Ebook has 154 lines and 11136 words, and 4 pages

MON FR?RE ET MOI

SOUVENIRS D'ENFANCE ET DE JEUNESSE

PAR

ERNEST DAUDET

PARIS

E. PLON et Cie

Alphonse Daudet, ? qui sont consacr?s ces souvenirs, est aujourd'hui dans la pl?nitude de sa renomm?e. Ses oeuvres, qu'?diteurs et journaux se disputent, sont traduites dans toutes les langues, populaires ? Londres comme ? Paris, ? Vienne comme ? Berlin, ? New-York comme ? Saint-P?tersbourg. Si les notes intimes et personnelles qu'on va lire avaient besoin d'une justification, je n'en voudrais pas invoquer d'autre que cette l?gitime notori?t? si bien faite pour les expliquer.

Quant ? l'attrait particulier qu'elles peuvent offrir r?sultant de la parent? qui unit ? celui qui en est l'objet celui qui les a ?crites, je n'en dirai qu'un mot. Depuis qu'Alphonse Daudet est venu au monde, la vie ne nous a gu?re s?par?s. Je reste convaincu que personne ne saurait parler de l'homme et de l'?crivain avec plus d'exactitude que moi, si ce n'est lui; et j'ai en outre l'avantage de pouvoir en dire ce qu'assur?ment il n'oserait pas en dire lui-m?me.

Longtemps mon esprit a ?t? obs?d? par la tentation d'?crire ce r?cit, de fixer, de pr?ciser des souvenirs dont Alphonse Daudet lui-m?me s'est inspir? souvent dans ses romans et dans ses ?tudes. Je me disais qu'en un temps o? le roman tend de plus en plus ? ne s'alimenter que de v?rit?, o? le besoin de sinc?rit? s'impose imp?rieusement ? quiconque tient une plume, ces notes vraies sur un pass? d?j? lointain n'avaient pas moins chance de plaire qu'une oeuvre de fiction qui ne doit son succ?s qu'? l'effort de l'auteur pour reproduire exactement l'homme et la vie.

C'est sous cette forme que l'obsession dont je parle a longtemps hant? mon esprit. Peut-?tre l'aurais-je domin?e et n'e?t-elle jamais eu raison de mes scrupules, sans l'effort de quelques amis qui se sont attach?s ? me d?montrer que je devais ? l'histoire litt?raire de ce temps ces documents sur mon fr?re, et que j'?tais tenu d'?crire mon r?cit, duss?-je en ajourner ind?finiment la publication.

Je le commen?ai donc, ainsi qu'un travail destin? ? ne pas sortir du cercle de l'intimit?. Mais le destin en avait d?cid? autrement; il n'?tait pas encore achev? qu'une affectueuse violence le livrait ? la publicit?, sous ce titre: <>

Fond?e ou non, l'objection venait tardivement. Le livre ?tait lanc?; il n'y avait plus qu'? le laisser aller. C'est ce que j'ai fait d'accord avec Alphonse Daudet, apr?s avoir, sur son d?sir, supprim? des appr?ciations ?logieuses de son talent, sans autorit? sous ma plume amicale, et modifi? le titre primitif qu'il jugeait trop bruyant. Il m'a conseill? celui qui figure en t?te de ce volume, et quoique j'aie toujours profess? la profonde horreur du <>, j'avais tant ? me faire pardonner pour ma tentative audacieuse, que j'ai acc?d? sans discussion ? son d?sir.

E. D.

Ces Daud? ou Daudet, tous originaires des C?vennes, ont-ils eu un berceau commun? On peut le supposer. Ce qui est plus certain, c'est que la branche de laquelle nous sommes issus, Alphonse et moi, a pouss? dans un petit village nomm? Concoules, ? quelques lieues de Villefort, dans la Loz?re, au point o? ce d?partement se r?unit ? ceux de l'Ard?che et du Gard.

Au commencement de la R?volution, notre grand-p?re, simple paysan ? l'esprit plus ouvert que cultiv?, ?tait descendu de ces montagnes sauvages avec son fr?re pour se fixer ? N?mes et y exercer la profession de taffetassier . Il s'appelait Jacques; son fr?re, Claude. Royaliste exalt?, Claude p?rit massacr? en 1790, pendant les sanglantes journ?es de la <>. Peu s'en fallut que Jacques aussi trouv?t la mort dans des conditions non moins tragiques.

Il fut aussit?t entour? d'individus appartenant ? l'escorte des condamn?s, qui le maltrait?rent en le poussant dans le lugubre cort?ge, en le mena?ant de l'ex?cuter sans jugement. Par bonheur, l'un d'eux, moins exalt? que les autres, le pressa de fuir et favorisa sa fuite. Notre C?venol se h?ta de dispara?tre et profita de la le?on, car on ne l'entendit plus jamais manifester ses sentiments dans les rues.

Le temps emporta ces sombres ann?es. Sous le Consulat, on retrouve Jacques Daudet ? la t?te d'un important atelier de tissage, que les grands fabricants de la ville ne laissaient gu?re ch?mer. L'industrie des tissus de soie ?tait alors florissante dans N?mes; elle fournissait ? la consommation des cravates, des robes, des foulards, ces belles ?toffes broch?es qui ?galaient en perfection les plus fins produits de la fabrique lyonnaise. Elle alimentait dans la ville et dans les communes voisines des centaines de m?tiers; elle faisait brillante figure ? c?t? de cette ?norme production de tapis, de ch?les, de lacets, qui portait la renomm?e du commerce n?mois jusque dans l'Orient.

Jacques Daudet se lassa bient?t de n'?tre qu'un ouvrier. Il fonda une maison de vente et ne tarda pas ? acqu?rir une petite fortune. Dans l'intervalle, il s'?tait mari?; de son mariage ?taient n?s deux fils et trois filles. C'est son quatri?me enfant, Vincent, qui fut le p?re d'Alphonse Daudet et le mien.

Un joli homme ? vingt ans que ce Vincent, avec sa t?te bourbonienne, ses cheveux noirs, son teint ros?, ses yeux ? fleur de t?te, serr? dans une ?troite redingote et cravat? de blanc, connue un magistrat,--habitude qu'il conserva toute sa vie. Son instruction n'avait pas d?pass? le rudiment du latin, son p?re l'ayant <> d?s l'?ge de seize ans. Mais il avait couru le monde, la Normandie, la Vend?e, la Bretagne,--en ce temps-l?, c'?tait le monde,--conduisant lui-m?me une voiture toute pleine des produits de la maison paternelle, qu'il vendait dans les villes aux grands n?gociants de ces contr?es, voyageant nuit et jour, hiver comme ?t?, deux pistolets dans un petit sac vert pour se d?fendre contre les malandrins.

Ces moeurs commerciales d'une ?poque qui ne connaissait ni le t?l?graphe ni les chemins de fer se sont transform?es aujourd'hui. Mais elles avaient vite fait de former un homme au contact des difficult?s, des aventures, des responsabilit?s qu'elles engendraient. ? vingt ans donc, Vincent Daudet ?tait un gaillard tout feu, tout flamme, prudent, rang?,--catholique et royaliste, il n'est pas besoin de le dire,--digne en tout des braves gens qui l'avaient mis au monde; en outre, tout ? fait s?duisant, ce qui ne g?te rien.

En ce temps-l?,--vers 1829,--la maison Daudet ?tait en relations suivies d'affaires avec la maison Reynaud, ? qui elle achetait les soies en fil, n?cessaires ? la fabrication des tissus. Une fameuse race aussi que celle des Reynaud, comme on va le voir. Son berceau se trouve encore dans les montagnes de l'Ard?che,--une vieille et confortable maison, appel?e <>, plant?e sur des amas de roches bris?es, parmi les ch?taigniers et les m?riers, et dominant la vall?e de Jal?s o? eurent lieu, de 1790 ? 1792, les rassemblements royalistes provoqu?s par l'abb? Claude Allier et le comte de Saillans, agents des princes ?migr?s.

La Vignasse avait ?t? achet?e le 10 juin 1645 par Jean Reynaud, fils de S?bastien Reynaud, de Boisseron. C'?tait alors un petit domaine o? vint s'?tablir Jean Reynaud apr?s son mariage, et sur lequel il construisit l'habitation qui appartient encore ? sa descendance. De 1752 ? 1773, l'un de ses h?ritiers, notre bisa?eul, eut six fils et trois filles. Deux de celles-ci se mari?rent; la troisi?me se fit religieuse au monast?re de Notre-Dame de Largenti?re, dont sa grand'tante maternelle, Catherine de Tavernos, ?tait alors sup?rieure. Quant aux six gar?ons, dont l'un fut notre grand-p?re, ils eurent pour la plupart des aventures qui m?ritent d'?tre signal?es ici.

L'a?n?, Jean, resta dans la maison paternelle, y fit souche de braves gens; son petit-fils, Ars?ne Reynaud, y r?side encore, plein de vie et de sant?, malgr? son grand ?ge, honor?, estim? et donnant autour de lui l'exemple des plus m?les vertus.

Le second, Guillaume, <>, se rendit ? Londres sous la R?volution et y fonda un grand commerce d'articles de Paris. Les ?migr?s fran?ais ayant ?t? expuls?s d'Angleterre, il partit pour Hambourg, d'o? il gagna la Russie, en transportant son commerce ? Saint-P?tersbourg. ? force d'adresse, il parvint ? se faire nommer fournisseur de la cour et eut vite gagn? une fortune estim?e ? trois cent mille francs, chiffre consid?rable pour le temps.

Par quelles circonstances se trouva-t-il m?l? ? la premi?re conspiration contre Paul Ier? Nous ne l'avons jamais bien su. Cette conspiration ayant ?chou?, l'oncle Guillaume entendit prononcer contre lui une sentence qui confisquait ses biens et ordonnait sa d?portation en Sib?rie. Il y fut conduit ? pied, encha?n?, avec la plupart de ses complices. D'abord plus heureux qu'eux, il parvint ? s'?chapper, en se m?lant ? la suite d'un ambassadeur que le gouvernement russe envoyait en Chine. Malheureusement, il fut reconnu au moment de franchir la fronti?re et renvoy? en Sib?rie. Il y serait probablement mort, si le succ?s de la seconde conspiration contre le czar Paul, ?trangl?, on s'en souvient, en 1801, n'e?t mis un terme ? son exil. Alexandre Ier signa sa gr?ce et lui restitua sa fortune.

L'oncle le Russe rentra en France sous la Restauration et se fixa ? Paris, o? il mourut en 1819, en l?guant son h?ritage ? sa gouvernante, une certaine Catherine Dropski, qui vivait pr?s de lui depuis vingt ans et qui disparut, sans laisser le temps ? la famille d?pouill?e de lui adresser des r?clamations.

Le troisi?me fils de Jean Reynaud se nommait Fran?ois. C'est celui que nous d?signons encore sous le nom de <>. Un beau type de pr?tre et de citoyen que cet abb? Reynaud, dont ses petits-neveux ont le droit de parler avec quelque fiert?. Rarement un homme r?unit en lui plus de dons. Ceux qui l'ont connu ne prononcent son nom qu'avec une admiration respectueuse.

D?sireux d'entrer dans les ordres, il fit ses premi?res ?tudes aux Oratoriens d'Aix, avec le dessein de rester dans cette c?l?bre congr?gation et de se vouer ? l'enseignement; mais, rappel? bient?t par son ?v?que, qui tenait ? le garder dans son clerg? dioc?sain, il les continua au s?minaire de Valence, d'o? il alla, en 1789, occuper une modeste cure dans le Vivarais. Ayant refus? d'adh?rer ? la constitution civile du clerg?, mais ne voulant prendre aucune part aux complots qui s'ourdissaient autour de lui, il partit pour Paris sous un d?guisement, avec la pens?e d'y vivre aupr?s de son fr?re Baptiste, dont je parlerai tout ? l'heure.

Peu apr?s son arriv?e ? Paris, il assistait ? la s?ance de la Convention dans laquelle furent vot?es des mesures rigoureuses pour emp?cher les suspects de quitter la capitale. Sans attendre la fin de cette s?ance, il alla prendre le coche de Rouen. Quelques jours plus tard, il ?tait ? Londres, o? il attira son fr?re Guillaume.

Pendant le long s?jour qu'il fit en Angleterre, l'oncle l'abb? v?cut loin de la soci?t? des ?migr?s, dont il d?savoua toujours l'attitude et les men?es. Ayant ?puis? ses ressources, et devenu professeur, il ?tait entr? ? ce titre chez un savant qui ?levait un petit nombre de jeunes gens appartenant ? l'aristocratie britannique. L?, il donna ? ses propres ?tudes, le compl?ment qui leur manquait; il ?tudia sp?cialement la langue anglaise; elle lui devint bient?t si famili?re qu'il put l'enseigner ? Londres m?me. Durant ce s?jour, il fut le h?ros d'une aventure dont il ne parlait plus tard qu'avec une ?motion profonde.

Il avait cru devoir cacher sa qualit? de pr?tre aux personnes avec qui il entretenait des relations. Dans une des familles o? il ?tait re?u, se trouvait une jeune fille, belle, distingu?e et riche. Elle s'?prit de cet exil?, touch?e par sa gr?ce naturelle, son doux regard et surtout par la dignit? de sa vie. Comme il ne paraissait pas comprendre les sentiments qu'il avait inspir?s, elle pria son p?re de lui en faire l'aveu, offrant de le suivre en France le jour o? il y retournerait. Tout ce qu'on pouvait pr?senter de plus flatteur ? l'imagination d'un jeune homme, les perspectives d'un brillant avenir, les joies d'un profond amour, fut mis en oeuvre pour s?duire Fran?ois. Mais sa conscience lui dictait d'autres devoirs, et sans trahir son secret, il refusa le bonheur qu'on lui offrait. N'y a-t-il pas dans ce simple ?pisode un adorable sujet de roman?

Enfin l'exil prit fin. L'abb? Reynaud fut ray?, sous le Consulat, de la liste des ?migr?s. Il rentra en France, d?cid? ? continuer cette carri?re de l'enseignement que l'exil lui avait ouverte. Appel? ? la direction du coll?ge d'Aubenas, il y passa peu de temps. En 1811, il ?tait nomm? principal du coll?ge d'Alais. C'est l? qu'il v?cut jusqu'au jour de sa mort, c'est-?-dire pendant vingt-quatre ans, universitaire passionn?, attach? ? ce coll?ge qu'il avait r?organis? et rendu florissant, refusant, pour ne pas le quitter, les plus hautes positions, l'?piscopat m?me, faisant revivre, a dit un de ses biographes, l'image du bon abb? Rollin.

C'?tait la mansu?tude en action. Sa tol?rance ?galait son lib?ralisme, et dans un pays o? les dissidences religieuses ont engendr? tant de maux, il pratiquait cette maxime: qu'en mati?re de foi, la contrainte ne saurait produire que des fruits amers.

Sous le minist?re Vill?le, il eut ? soutenir une longue lutte contre les J?suites. Ceux-ci voulaient lui prendre son coll?ge. Ils recoururent aux plus bl?mables manoeuvres pour l'en faire sortir. Mais son indomptable ?nergie fut ? la hauteur de leurs efforts; la victoire lui resta.

? une telle vie, il fallait une fin h?ro?que. Le 1er juillet 1835, ?clata dans Alais l'?pid?mie du chol?ra. Elle devint si violente, que le coll?ge dut ?tre ferm?. L'abb? Reynaud avait alors soixante et onze ans. Avant de partir, les professeurs firent aupr?s de lui une d?marche pour l'engager ? quitter Alais.

--Je dois rester ? mon poste de pr?tre, r?pondit-il, l? o? il y a des afflig?s ? consoler et des malheureux ? secourir; si je m'?loignais, je ne me d?shonorerais pas moins qu'un officier qui, ? la veille d'une bataille, abandonne son drapeau et ses soldats.

D?s le lendemain, il allait s'installer ? l'h?pital, o?, pendant plus de deux mois, il se prodigua avec le plus admirable d?vouement. Le 10 septembre, il fut ? son tour brusquement atteint, et mourut le surlendemain, victime d'un devoir que son grand ?ge aurait pu le dispenser de remplir avec une si p?rilleuse ardeur.

Le nom de l'abb? Reynaud est rest? populaire ? Alais, et si je me suis ?tendu sur les causes de cette popularit?, c'est que ce fut le souvenir de cet homme de bien qui ouvrit les portes du coll?ge ? son petit-neveu, Alphonse Daudet, lorsque longtemps apr?s, ? peine ?g? de seize ans, oblig? de gagner sa vie, il alla y solliciter une place de ma?tre d'?tude. Relisez le r?cit des souffrances du <> devenu <> au coll?ge de Sarlande.

Il me reste ? parler encore de trois des fils Reynaud; je le ferai bri?vement.

L'un d'eux, Baptiste, ?tait parti de bonne heure pour Paris. Entr? comme commis chez le chapelier de la cour, le fameux Lemoine, son intelligence et sa bonne mine le firent d?signer pour <>. C'est lui qui allait aux Tuileries essayer les chapeaux de la reine et des princesses; il allait de m?me chez les femmes ? la mode, chez les ?l?gants du jour. ? ce m?tier, il acquit rapidement les connaissances les plus vari?es; il fut vite au courant des comm?rages de la soci?t? d'alors. Aussi, que de souvenirs sa m?moire avait gard?s de ce temps!

<> est le seul de nos grands-oncles qu'Alphonse et moi ayons connu. C'?tait d?j? un vieillard, rest? propret, frais et rose, comme aux jours de sa belle jeunesse, mais parlant peu de son pass? devant nous qui n'?tions que des enfants. Ce que nous en savons, il l'avait racont? ? sa famille. Il aimait ? l'entretenir de son s?jour ? Paris, des personnages avec qui il avait ?t? li?, Collin d'Harleville entre autres, et de ses campagnes comme volontaire dans l'arm?e de Dumouriez.

Les deux jeunes fr?res de Baptiste, qui se nommaient Louis et Antoine, furent loin d'avoir une destin?e aussi aventureuse que leurs a?n?s. Ils s'?taient mari?s tous deux en Vivarais, dans le voisinage de la maison paternelle. Louis y demeura; Antoine, celui qui fut notre grand-p?re maternel, ?tant devenu veuf, quitta le pays vers la fin du si?cle, afin d'aller s'?tablir ? N?mes, o? il cr?a un important ?tablissement pour l'achat et la revente des soies.

? cette ?poque, les ?leveurs de vers ? soie des C?vennes et du Vivarais, les petits filateurs, venaient ? N?mes apporter leurs produits. On les voyait, pendant plusieurs jours, circuler dans la ville, avec leur habit de bourrette ? pans tr?s-courts, leurs bas de laine noire, leurs gros souliers ferr?s, les cheveux en queue, cr?ant les cours sur ce march? improvis?. L?, toutes les op?rations se faisaient au comptant, en belles esp?ces sonnantes, et comme un kilogramme de soie valait de cinquante ? quatre-vingts francs, c'?tait, pendant cette p?riode, dans les magasins o? les montagnards ?coulaient leurs marchandises, un roulement d'?cus ? faire se p?mer d'aise Harpagon. Puis, les ventes finies, ces braves gens, pliant sous le poids de leur sacoche, s'en retournaient chez eux, qui au Vigan, qui ? Largenti?re, qui ? Villefort.

Cette industrie, qui a longtemps enrichi le Languedoc, la Provence et le Comtat, est morte aujourd'hui, tu?e par la maladie des vers ? soie. La crise qui a ruin? le Midi a commenc? par l?. Puis sont venues les d?couvertes chimiques qui ont arr?t? la production de la garance, si florissante dans le d?partement de Vaucluse. Le philloxera, enfin, a ?t? le dernier coup. Les fortunes les mieux assises n'y ont pas r?sist?. Mais, au temps dont nous parlons, on ?tait bien loin de pr?voir ces catastrophes, et, comme toute la France, le Midi se laissait emporter par le f?cond mouvement commercial qui atteignit son plus grand d?veloppement sous la Restauration.

Antoine Reynaud fut de ceux qui dans N?mes surent le mieux en profiter. Il ?tait devenu l'un des plus importants acqu?reurs des soies du Midi. Il les revendait ensuite aux grands tisseurs de N?mes, d'Avignon, de Lyon, soutenant sur ces divers march?s la concurrence contre les produits similaires de Lombardie et du Pi?mont. Il fit ? ce m?tier une belle fortune, aid? par ma grand'm?re, car, vers 1798, il s'?tait remari? avec une jeune femme originaire comme lui du Vivarais, qu'il y avait rencontr?e en allant embrasser son fr?re a?n? ? la Vignasse.

Notre grand'm?re ?tait morte plusieurs ann?es avant ma naissance; mais j'ai entendu assez souvent parler d'elle pour affirmer que ce n'?tait point une ?me ordinaire. Pl?b?ienne au sang chaud, royaliste convaincue, tremp?e dans les rudes ?preuves de la Terreur, elle rappelait par sa beaut?, ses formes sculpturales, ses yeux largement fendus, quelques-uns des portraits du peintre David.

Lorsque Antoine Reynaud la connut, elle avait vingt ans; elle ?tait veuve d'un premier mari, mort fusill? dans l'une de ces ?chauffour?es de la Loz?re contre lesquelles la Convention envoya un de ses membres, Ch?teauneuf-Randon.

De ce mariage, un fils lui restait. Elle avait couru avec lui les plus effroyables p?rils. D?cr?t?e d'accusation en m?me temps que son mari, elle s'?tait r?fugi?e ? N?mes, o? r?sidait une partie de sa famille, tandis que lui-m?me fuyait d'un autre c?t?. L?, elle vivait obscure et cach?e, attendant la fin des mauvais jours. Un matin, elle commit l'imprudence de sortir, son enfant dans les bras. La fatalit? la pla?a sur le passage de la d?esse Raison, qu'on promenait processionnellement dans les rues, et voulut que la citoyenne ? qui ?tait ?chue cette haute et passag?re dignit? conn?t notre grand'm?re. Du plus loin qu'elle l'aper?ut, elle l'interpella, en criant:

--Fran?oise! ? genoux!

Ma grand'm?re avait ? peine dix-sept ans, la repartie prompte et l'ironie facile. Elle r?pondit ? cet ordre par un geste de gamin. La foule se pr?cipita sur elle: <> Elle prit sa course ? travers la ville, pressant son enfant contre son sein, atteignit un faubourg et put rentrer chez elle par le jardin, en passant sur l'?troite margelle d'un puits, au risque de s'y laisser choir. Elle disait plus tard:

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