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Read Ebook: Rice Papers by Norris Hugh Leigh

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Ebook has 154 lines and 11136 words, and 4 pages

Ma grand'm?re avait ? peine dix-sept ans, la repartie prompte et l'ironie facile. Elle r?pondit ? cet ordre par un geste de gamin. La foule se pr?cipita sur elle: <> Elle prit sa course ? travers la ville, pressant son enfant contre son sein, atteignit un faubourg et put rentrer chez elle par le jardin, en passant sur l'?troite margelle d'un puits, au risque de s'y laisser choir. Elle disait plus tard:

--Un chat n'aurait pas fait ce que j'ai fait ce jour-l?.

Elle ?tait sauv?e momentan?ment; mais trop de p?rils mena?aient sa s?ret? pour qu'il lui f?t possible de rester ? N?mes. Elle partit le m?me soir pour le Vivarais.

Elle dut faire une partie de la route ? pied, voyageant ? petites journ?es, logeant ? la fin de ses longues marches dans une ferme ou chez des cur?s constitutionnels ? qui de bonnes ?mes l'avaient recommand?e. Ce fut pendant ce voyage, travers? par les plus cruelles angoisses, qu'elle apprit la mort de son mari.

Elle ?tait arriv?e la veille dans un pauvre village nomm? Les Mages. Log?e au presbyt?re, elle fut douloureusement impressionn?e en entrant dans la chambre qui lui ?tait destin?e. Le cimeti?re s'?tendait sous ses crois?es; la lune dessinait dans la nuit les croix des tombes. Il lui fut impossible de s'endormir.

Puis, ce fut l'enfant qu'elle allaitait qui parut ? son tour saisi de terreur. Rouge et les yeux hagards, le pauvre petit ?tre cria et pleura toute la nuit, se d?battant dans les bras de sa m?re qui s'effor?ait en vain de l'apaiser.

Quelques heures plus tard, ma grand'm?re apprenait que son mari ?tait mort, non loin de l?, fusill?, au petit jour. Elle ne cessa jamais de croire que son fils avait eu durant cette affreuse nuit la vision du supplice de son p?re.

? la suite de ces ?motions, elle perdit son lait. L'enfant, confi? ? ses grands parents, fut nourri par une ch?vre. Quant ? ma grand'm?re, son signalement ?tait donn? de tous c?t?s dans le pays, la gendarmerie ? sa poursuite. Elle eut alors l'existence vagabonde d'une fugitive, r?dant de toutes parts sous des d?guisements, ne rentrant chez elle qu'? la nuit noire pour y dormir.

Par une circonstance singuli?re, la seule personne qui conn?t le secret de sa retraite ?tait une ardente patriote, ma?tresse de l'un des conventionnels en mission dans le Vivarais et le G?vaudan. Cette femme s'?tait prise de sympathie et de piti? pour la proscrite. Elle la tenait au courant des mesures ordonn?es contre elle, et chaque matin ma grand'm?re pouvait s'?loigner des lieux o? sa libert? ?tait plus particuli?rement menac?e.

Un jour, cependant, que bris?e de fatigue et v?tue comme une pauvre gardeuse de vaches, elle s'?tait assise au bord d'un chemin, elle vit appara?tre deux gendarmes qui lui demand?rent si elle n'avait pas vu passer <>,--c'?tait son nom. Comme on pense, elle r?pondit n?gativement. Les gendarmes l'ayant interrog?e pour savoir en quel endroit elle se rendait, elle nomma au hasard un village des environs.

--C'est justement l? que nous allons, reprit l'un d'eux en tordant sa moustache de l'air le plus galant. Monte derri?re moi, nous t'y conduirons.

Elle protesta en pleurant qu'elle ?tait honn?te fille, et les gendarmes attendris s'?loign?rent apr?s lui avoir fait des excuses.

Une autre fois, les ayant aper?us ? l'extr?mit? du chemin qu'elle suivait, elle se jeta dans une prairie o? un berger faisait pa?tre ses moutons. Elle lui mit un ?cu dans la main, puis lui prit vivement son chapeau et son manteau, se coiffa de l'un, se drapa dans l'autre, en disant:

--Brave homme, ne me perdez pas; je suis votre goujat.

Le berger garda le silence, et les gendarmes pass?rent sans se douter que ce pauvre petit bergerot, dont un feutre couvrait le visage et les cheveux, et qui s'appuyait tout ensommeill? sur un b?ton, n'?tait autre que cette Fran?oise Robert qu'ils cherchaient vainement depuis tant de jours.

Quatre ann?es s'?taient ?coul?es apr?s ces ?v?nements, lorsque Antoine Reynaud rencontra Fran?oise. Il s'?prit d'elle, l'?pousa en adoptant son fils et la ramena ? N?mes. Notre grand'm?re poss?dait une rare intelligence et une extraordinaire intr?pidit? d'?me. Dans la maison de son mari, ces qualit?s se d?velopp?rent et port?rent les plus heureux fruits. Elle s'?leva en m?me temps que lui, et dans aucune circonstance ne se trouva au-dessous de l'?tat social qu'il s'?tait peu ? peu cr??. Elle fut une compagne aimante et fid?le, une collaboratrice discr?te et s?re. Elle contribua pour une bonne part au fondement d'une fortune qui ne devait pas lui survivre longtemps, mais qu'elle avait eu le m?rite d'?difier pour une bonne part.

On ferait un gros volume avec les traits les plus int?ressants de la vie de notre grand'm?re: le courage qu'elle d?ploya, un certain soir o? son mari fut victime d'une tentative d'assassinat; les manifestations de sa haine contre Napol?on; sa joie au retour des Bourbons, tous ces ?pisodes d'une vie de bourgeoise honn?te et ?nergique. Et avec cela un entrain de tous les diables, un esprit de d?cision peu commun chez les femmes, une singuli?re habilet? pour vaincre les obstacles, des t?m?rit?s d'homme, un temp?rament vigoureux, une sant? florissante malgr? les fatigues de ses grossesses successives.

Ce fut sous la Restauration que la fortune de nos grands parents atteignit ? son apog?e. Ils avaient alors six enfants, y compris celui du premier lit, assimil? aux autres: trois gar?ons et trois filles. Tout ce petit monde grandissait dans l'aisance. Le commerce, prudemment conduit, faisait couler le Pactole dans la maison. Madame Reynaud occupait une grande place dans la soci?t?, o? son opinion faisait loi. Elle avait sa loge au th??tre, une belle propri?t? ? quelques lieues de la ville. Elle ?tait de toutes les f?tes, et plus particuli?rement de celles qui suivirent le retour des Bourbons. Vers 1829, ? l'?poque o? les Daudet entretenaient avec les Reynaud d'?troites relations d'affaires, cette prosp?rit? n'avait fait que s'accro?tre; il ne semblait pas que l'essor p?t en ?tre arr?t?.

Telle ?tait la famille dans laquelle le jeune Vincent Daudet r?vait d'entrer. L'a?n?e des demoiselles Reynaud se nommait Adeline. C'?tait une personne mince et fr?le, avec un teint oliv?tre et de grands yeux tristes, dont une enfance maladive avait retard? le d?veloppement physique; une nature r?veuse, romanesque, passionn?e pour la lecture, aimant mieux vivre avec les h?ros des histoires dont elle nourrissait son imagination qu'avec les r?alit?s de la vie; malgr? cela, une ?me de sainte, d'une mansu?tude infinie. C'est sur elle que Vincent Daudet avait jet? son d?volu, sans redouter la distance qui les s?parait.

Son projet parut d'abord ambitieux ? ses parents eux-m?mes. Les Reynaud tenaient la t?te du commerce n?mois; l'a?n? des fils venait de s'allier aux Sabran de Lyon; le second dirigeait dans cette ville une importante maison de commission. N'?tre que ce qu'?tait alors Vincent Daudet et tenter de s'unir ? eux d?notait beaucoup d'audace. Il formula cependant sa demande; des amis intervinrent pour plaider sa cause et pour vaincre une r?sistance foment?e surtout par les deux fr?res de mademoiselle Adeline, ?tablis ? Lyon, et qui souhaitaient pour leur soeur une alliance plus ?clatante. Heureusement, mademoiselle Adeline, consult?e, y coupa court en d?clarant qu'elle voulait bien.

Le mariage eut lieu au commencement de 1830, en m?me temps que Vincent Daudet, devenu un personnage par son entr?e dans la famille Reynaud, s'associait avec son fr?re a?n? pour la continuation du commerce paternel.

Les premi?res ann?es du nouveau m?nage furent attrist?es par une longue suite de malheurs domestiques. Mes parents perdirent successivement leurs premiers enfants, ? l'exception de l'a?n?, dont la faible sant? leur causa mille tourments. Ma grand'm?re Reynaud mourut presque subitement, emport?e par une fluxion de poitrine. L'un de ses fils compromit ? Lyon, dans des sp?culations imprudentes, une partie de l'actif commun confi? ? ses soins; enfin, mon p?re ne put s'entendre longtemps avec son fr?re. Leur association fut rompue et remplac?e par une rivalit? commerciale au cours de laquelle mon oncle, plus heureux ou plus habile, ?difia une fortune dont ses enfants ont paisiblement h?rit?, tandis que mon p?re aventurait la sienne dans des essais de fabrication qui donn?rent rarement de bons r?sultats.

Alphonse Daudet vint au monde tout juste dix ans apr?s ce mariage, dont j'ai cru n?cessaire de raconter l'histoire et les d?buts, en m?me temps que l'histoire de notre famille.

La ville qu'il d?crit ainsi, c'est N?mes. Il y est n? le 13 mai 1840, trois ans apr?s moi, au deuxi?me ?tage de la maison Sabran, que nos parents habitaient depuis leur mariage. Il ?tait le troisi?me des enfants vivants ? ce moment.

Le cadet ?tait celui qui ?crit ce r?cit.

En 1848, la famille s'augmenta d'une fille, mari?e aujourd'hui ? M. L?on Allard, fr?re de madame Alphonse Daudet, qui a sign? dans divers journaux des nouvelles d'une belle langue, r?v?latrice d'un fin talent d'?crivain.

Cette maison Sabran, o? nous sommes venus au monde, existe encore sur le Petit-Cours, presque en face de l'?glise Saint-Charles, derri?re laquelle s'?tend l'Enclos de Rey, ce terrible faubourg royaliste dont les habitants, taffetassiers ou travailleurs de terre, ont fourni depuis un si?cle aux soul?vements de la vieille cit? romaine un personnel bruyant et grossier.

? l'une des extr?mit?s du Petit-Cours se trouve la place des Carmes, ? l'autre la place Ballore.

Toute la vie politique de N?mes, dans le pass?, tient entre ces deux points, propices aux rassemblements tumultueux, reli?s par une large voie, plant?e d'une double rang?e de platanes dont l'?t? saupoudre chaque feuille d'une fine poussi?re blanch?tre et peuple de cigales les branches craquantes, ? l'?corce toute br?l?e.

C'est l? qu'en 1815, au lendemain de Waterloo, le g?n?ral Gilly, fuyant N?mes pour se jeter dans les C?vennes, d?fila ? la t?te de ses chasseurs, la rage au coeur, la col?re aux yeux, la bride aux dents, pistolet dans une main, sabre dans l'autre, abandonnant les bonapartistes aux fureurs d'une r?action criminelle trop facile ? expliquer par les traitements qu'avaient subis les catholiques pendant les Cent-Jours.

Les ?pisodes de l'histoire locale, ? N?mes, ont trouv? d'autres th??tres, ? l'Esplanade, au Cours-Neuf, aux Ar?nes, aux Carmes. Nulle part ils n'ont rev?tu une physionomie plus redoutable que sur ce Petit-Cours, o? l'Enclos de Rey vient d?boucher par cinq ou six rues, et o?, plusieurs ann?es apr?s notre naissance, catholiques et protestants, pendant les longues journ?es de juillet, se livraient encore bataille ? coups de pierres.

Que de fois, au temps de notre enfance, respirant l'air frais du soir devant la maison, nous avons ?t? brusquement ramen?s par notre bonne, tandis qu'autour de nous hommes et femmes fuyaient de toutes parts, et qu'au loin s'?levait, pouss? par des bouches au rude accent, le cri: <> signal ordinaire des ?chauffour?es n?moises! C'?tait le combat qui commen?ait. Tout se r?sumait, d'ailleurs, en contusions, en ?raflures, en vitres bris?es. La police laissait faire, et la lutte finissait faute de lutteurs.

Il serait plus exact de dire, au contraire, qu'? ce moment, il y eut un r?pit dans les soucis de notre famille; les affaires s'annon?aient plus prosp?res; les catastrophes nouvelles n'?clat?rent que plus tard, en 1846, 1847, 1848, ?poque o? la ruine fut consomm?e. Nous ne conn?mes d'abord que l'aisance, nous grand?mes dans une atmosph?re de tendresse, c?te ? c?te;--intimit? de toutes les heures qui cr?a entre nous cette indestructible amiti?, toujours aussi vivace et pas un seul jour d?mentie.

? cette ?poque, nos jeux remplissaient la vieille maison Sabran. Au premier ?tage, se trouvaient les magasins de Vincent Daudet, et sur le m?me palier ceux d'un cousin, fabricant de ch?les. Chez Vincent Daudet, on bannissait s?v?rement les enfants. S'ils montraient ? la porte leur mine rose et leurs cheveux blonds, un regard du p?re les obligeait ? fuir au plus vite. Chez le cousin, on ?tait plus accueillant.

Il y avait l? un vieux commis qui adorait les petits. Il nous faisait de beaux chapeaux de papier tout empanach?s; il nous fabriquait des ?paulettes avec des d?bris de franges de ch?les; il nous armait d'un sabre de bois et dessinait au bouchon, au-dessus de nos l?vres, de terribles moustaches. Nous remontions en cet ?quipage chez notre m?re, que nous trouvions le plus souvent plong?e dans la lecture.

Ce go?t passionn? pour les livres, qu'elle nous a communiqu?, a ?t? une des consolations de sa vie. Enfant, elle allait se r?fugier au fond des magasins de son p?re; elle se blottissait entre deux balles de soie pour pouvoir lire sans ?tre d?rang?e. Plus tard, c'est encore ? la lecture qu'elle consacrait tous ses loisirs. Il est ind?niable que nous tenons d'elle la vocation qui nous a jet?s plus tard dans la vie litt?raire.

Quand, interrogeant ma m?moire, je cherche ? me souvenir de mon fr?re enfant, je vois un beau petit gar?on de trois ou quatre ans, avec de larges yeux bruns, des cheveux ch?tains, un teint mat et des traits d'une exquise d?licatesse. Je me rappelle en m?me temps des col?res terribles, des r?voltes quasi tragiques contre les corrections qu'elles lui attiraient.

Un jour, ? la suite de je ne sais quel m?fait, on l'enferma seul dans une chambre. Il s'y d?battit avec une telle violence, qu'il fallut ouvrir la porte de cette prison improvis?e. Il en sortit tout contusionn? par les coups qu'il s'y ?tait donn?s volontairement, en se jetant, la t?te en avant, contre les murs.

Il tenait de nos grand'm?res et surtout de notre p?re cette tendance aux emportements, qu'il a domin?e, en devenant homme, par un superbe effort de volont?. Mais, enfant, elle ?tait le trait dominant de son caract?re. Aussi fut-il assez difficile ? ?lever. C'?tait le plus singulier m?lange de docilit? et d'indiscipline, de bont? et d'ent?tement; avec cela, une soif inextinguible d'aventures et d'inconnu, dont une myopie que l'?ge a d?velopp?e aggravait le p?ril.

Cette myopie a jou? ? mon fr?re les plus m?chants tours; il s'est, tour ? tour, noy?, br?l?, empoisonn?, fait ?craser; elle l'oblige encore aujourd'hui ? solliciter un bras ami pour traverser le boulevard, ? l'heure de l'encombrement des voitures; elle a souvent fait croire, ? des gens ? c?t? de qui il passait sans les voir, qu'il affectait, par indiff?rence ou par d?dain, de ne pas les saluer.

Mais, en m?me temps, elle lui a rendu un signal? service: elle lui a impos? la n?cessit? de vivre en dedans; elle l'a dot? de la facult? la plus ?trange et la plus pr?cieuse, un don que je ne connais qu'? lui, une sorte de regard int?rieur, ou, si vous pr?f?rez, une intuition d'une puissance extraordinaire, gr?ce ? laquelle, s'il lui arrive de ne pas voir avec ses yeux les traits de quiconque lui parle, il les devine et devine en m?me temps la pens?e de son interlocuteur. C'est une chose inexplicable pour moi que cette intensit? de vision chez ce myope. Il est comme un aveugle dans la vie, et dans chacun de ses livres il fait oeuvre d'observation minutieuse, attentive, presque ? la loupe.

Ces qualit?s, qui se sont r?v?l?es chez l'adolescent, dormaient encore chez l'enfant, domin?es par une vivacit?, une turbulence, une t?m?rit? qui faisaient toujours trembler notre m?re quand elle ne le sentait pas accroch? ? ses jupes ou sous la surveillance de notre bonne. Mais, en m?me temps, c'?tait la nature la plus droite, le coeur le plus g?n?reux, l'esprit le plus ?veill?. Ah! le bon petit camarade que j'avais l?!

Parmi les meilleures de nos joies de ce monde, il faut citer les excursions du dimanche en famille, dans quelque village des environs, ? Marguerites, ? Manduel, ? Fons ou ? Monfrin. C'?tait l? qu'habitaient nos nourriciers, braves gens, ais?s pour la plupart, aimant tendrement l'enfant allait? sous leur toit, et toujours heureux de le revoir en compagnie de ses parents. Apr?s la mort de ma grand'm?re, la campagne <> avait ?t? vendue. Il fallait donc chercher ailleurs le grand air des champs, et c'est pour cela qu'on nous conduisait chez nos nourriciers, tant?t chez l'un, tant?t chez l'autre.

On partait le matin dans la vieille cal?che o? nous nous empilions, grands et petits, avec une demi-douzaine d'oncles et de tantes, de cousins et de cousines de notre ?ge; et apr?s une belle journ?e sous le soleil, sur les routes blanches de poussi?re, dans les vignes et sous les oliviers, agr?ment?e de plantureux repas et de promenades, on revenait le soir, au clair de lune, les enfants ? moiti? endormis, berc?s par les romances que les parents chantaient en choeur.

Un autre but de promenade, c'?tait <>, petite propri?t? situ?e aux portes de la ville, parmi les <> ?pars dans les garrigues, toute r?tie par le soleil et qui ne nous offrait d'autre abri qu'un kiosque en treillage o? nous avons soup? souvent en famille durant les soirs d'?t?, apr?s avoir pass? de longues heures ? manger des raisins,--oeillades et clairettes,--que nos petites mains arrachaient aux souches rampantes, toutes charg?es de feuilles et de fruits, et difficilement soulev?es au-dessus de la terre durcie par les longues s?cheresses de cette saison.

Ce modeste domaine ne mesurait pas un hectare, mais il avait une porte monumentale en fer, qui aidait ? nous le faire para?tre grand comme un monde. Une all?e bord?e de buis et de rosiers rabougris le traversait; ? droite et ? gauche s'?tendaient les vignes; elles se partageaient le sol avec les oliviers et les amandiers; au fond, un champ de luzerne o? notre p?re chassait les alouettes au miroir. Un mur en ruine l'entourait, form?, comme tous ceux du pays, de pierres superpos?es et non ciment?es. Que de belles parties nous avons faites ? la Vigne!

Au retour, on s'arr?tait ? la fabrique o? s'imprimaient les foulards que la maison Daudet exp?diait alors par toute la France, en Italie, en Espagne et jusqu'en Alg?rie. ? l'extr?mit? des ateliers se trouvait un assez beau jardin. Nous y faisions une halte avant de rentrer en ville, le temps de cueillir quelques fruits.

Quoique six lieues ? peine s?parent N?mes de Beaucaire, on ne nous emmenait pas en foire, nous les petits. On nous laissait ? la maison. Mais elle nous appartenait; nous y r?gnions souverainement, et Dieu sait de quel bruit nous la remplissions. Puis, au retour, notre p?re nous rapportait un souvenir qui ?tait comme le couronnement de cette p?riode d'indiscipline, de g?terie et de libre allure: une cravache, une bo?te de g?ographie, un sabre, un clairon, des riens qui nous ravissaient.

Rarement enfants eurent plus de jouets que nous. Au cours de son enfance maladive, notre a?n?, Henri, en avait ?t? combl?. Ses ?tudes commenc?es, il nous les abandonna, et le tas se grossit de tous ceux qu'on nous offrait ? nous-m?mes.

Le grand-p?re Daudet ?tait peu donneur. Rigoureusement ?conome sa vie durant, ses g?n?rosit?s ? ses petits-fils n'allaient gu?re au del? d'une bo?te de pastilles ? la menthe, qu'il fourrait dans leur poche, au jour de l'an, apr?s le compliment d'usage.

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