Read Ebook: Couplées: Roman by Boulenger Marcel
Font size:
Background color:
Text color:
Add to tbrJar First Page Next Page
Ebook has 911 lines and 44224 words, and 19 pages
A L'UN DES PLUS BEAUX ESPRITS
DE FRANCE
HENRI DE R?GNIER
M. B.
PREMI?RE PARTIE
EN HARIALE
Sur les confins de l'Ile-de-France et du Valois, en Hariale...
Comment, que dites-vous, madame? Vous avez ?t? dans les for?ts, dans le pays d'Hariale? Allons donc! Vous y serez all?e pour les courses, aux grandes r?unions d'automne et du printemps. Vous aurez aper?u du haut des tribunes le ch?teau des anciens ducs de Guyenne. Vous aurez lu dans votre journal que la petite ville d'Hariale-sous-Bois est un <
Mais vous ?tes-vous promen?e dans cette for?t si ?l?gante, si douce aux yeux, et dans celles qui s'y rattachent, et parmi tous ces paysages qu'on dirait peints sur un ?ventail, et qu'on d?couvre ? l'or?e des bois? Avez-vous seulement pouss? jusqu'aux futaies d'Alcret, ? quelques lieues de l?? Avez-vous visit? le ch?teau et son parc, plus aimable et mieux tenu que celui de Versailles?.. Un parc dont notre La Bruy?re lui-m?me ?crivit sans doute: <
H?las, vous ignorez tout cela. Vous aviez, au printemps, une robe charmante ? faire admirer, ce dont je vous loue, et vous n'avez point quitt? les tribunes, ce dont je vous bl?me. Et pourtant, le ch?teau qui s'?levait l?, devant vous, tout au bord du champ de courses, de <
Ah, de gr?ce, madame, par un beau jour, en semaine, prenez le train, et descendez ? Hariale-sous-Bois. Veuillez m?me y coucher, s'il vous pla?t. Vous irez visiter les tr?sors du Ch?teau et errer dans le parc infini. Vous ?couterez demain matin le galop sourd et vif des bandes de pur-sang qu'on lance sur la pelouse. Vous pourrez, pendant l'automne et l'hiver, suivre les chasses du Rallye-Vaille, et forcer votre cerf comme les autres. Vous aurez chance enfin de croiser ? quelque tournant de route Sylvie Montreux, de la voir sourire au passage ou m?me r?ver dans son jardin.
Car notre grande Sylvie daigne vivre en Hariale. Et de certains endroits du parc, vous apercevez les all?es de sa propri?t?, vous en approchez, vous croyez y ?tre.
Mais ne le saviez-vous pas? C'est pourtant ?crit aussi sur le guide, en toutes lettres.
D'ailleurs, qui ne la conna?t, cette incomparable Sylvie? Qui ne pourrait raconter ses d?buts, n'a point applaudi sa beaut?, son charme et son talent, qui n'a contribu? ? sa gloire? Seriez-vous donc la seule ? ignorer que le baron Leva?tre, alors veuf, l'?pousa scandaleusement en 1897, et qu'il lui apportait en cadeau de noce, outre ses millions, une fille ?g?e de quinze ans, n?e de son premier mariage et nomm?e Pauline? Allons, vous en aurez jas?, comme nous tous. Ce fut un mariage europ?en.
Et le moyen en effet que Paris, que la France, que l'Europe enti?re ne se troublassent point quand un insolent millionnaire avait ainsi l'audace de confisquer une femme dont le moindre geste ?tait ordinairement d?clar? le miracle de l'art; une femme dont les inflexions de voix avaient enchant? les deux mondes, une femme qui ?tait revenue des contr?es lointaines charg?e de cadeaux royaux, qui avait mis le schah de Perse ? la porte et n'avait pas voulu voir le sultan--notre glorieuse Sylvie enfin, notre grande com?dienne, une com?dienne! Qu'on y songe, l'imp?ratrice de Russie n'a pas tant de prestige que nos deux ou trois reines de th??tre. Il vaut mieux d'ailleurs atteindre comme celles-ci la dignit? supr?me par les planches: on y montre plus de talent, d'abord; puis on y a plus d'autorit?, c'est certain.
Il y a longtemps qu'un critique dramatique avait ?crit pour la premi?re fois: <
Enfin, apr?s des ann?es de triomphes inou?s, le vieil Am?d?e Paqueret ?tait un soir entr? dans la loge de l'illustre Sylvie, amenant avec lui un autre monsieur, grand, chauve, d'aspect un peu grave et tr?s distingu?.
<<--Ma ch?re amie, dit-il, vous avez ?t? plus que belle, plus que d?licieuse, et voici mon camarade le baron Leva?tre qui a voulu vous exprimer aussi son ?motion.>>
Et telle avait ?t? l'origine de cette passion profonde qui lia pour toujours le baron Leva?tre ? Sylvie Montreux. Il avait des millions, un ?quipage, un yacht, des chevaux de courses; il avait sa fille enfin, et la com?dienne ne pouvait se d?fendre d'un plaisir d?licat ? la pens?e de jouer ce r?le si p?rilleux et si difficile de m?re. Elle permit qu'on la f?t baronne.
Aussi bien l'opinion publique lui fut-elle favorable dans cette circonstance. Cela se con?oit du reste: il n'y avait pas un chroniqueur qui ne cr?t un peu marier en elle sa petite cousine ou sa s 1/2 ur a?n?e, pas un minuscule gazetier qui n'e?t trait? cette c?r?monie comme une f?te de famille. Le malheureux baron fut au contraire tra?n? dans la boue: ?pouser une actrice, quel scandale, quel d?fi! De sorte que les m?mes qui disaient gentiment: <
Le baron Etienne m?prisa les uns comme les autres, et fit bien. On peut, lorsqu'on dispose de plusieurs for?ts de chasse et d'une meute s?rieuse, se permettre d'?pouser en somme qui l'on veut. Les gens du monde ont sans doute une passion tr?s noble pour les convenances sociales, mais ils en nourrissent une fort irr?sistible aussi pour la poursuite des cerfs et des daguets. Il est beau de fl?trir la conduite d'autrui, mais encore plus divertissant de mener une b?te aux ?tangs. Comme l'avait fort exactement pr?vu l'avis? ma?tre d'?quipage, ces messieurs et ces dames boud?rent un peu le premier mois, puis revinrent en foule, et la baronne Sylvie se trouvait trait?e avec les plus grands ?gards par la meilleure soci?t? de l'Ile-de-France et du Valois, quand une pleur?sie lui enleva brusquement son mari en d?cembre 99.
Mais il y avait bient?t trois ans de cela. Aujourd'hui, Gaston Leva?tre a succ?d? comme ma?tre d'?quipage au baron Etienne, son fr?re a?n?. La petite Pauline et sa belle-m?re Sylvie ont quitt? le deuil; elles habitent ensemble leur princi?re maison de chasse, ?lev?e en face du ch?teau d'Hariale, perdue parmi les arbres et bord?e par le plus majestueux canal. Cette eau seule s?pare le jardin de Sylvie des parterres que disposa Le N?tre: un canot, quelques coups de rames, et vous y voil?.
Cependant Adeline Demain et Blanche de Rueil, au Caf? de Paris, n'en croyaient pas leurs beaux yeux, le soir qu'elles virent le jeune marquis de Caumais-Simier et le baron Gaston Leva?tre causer si s?rieusement et si longtemps l'un avec l'autre.
<<--Penses-tu, ma ch?re, qu'il lui en raconte, le petit!
--Et le vieux qui lui r?pond, s?rieux comme un pape!
--Oh, le vieux.... Tu sais qu'il a cinquante ans, cet homme-l?, pas davantage?
--Mais il est mal conserv?. C'est une crapule d'ailleurs.
--Eh bien, et Caumais-Simier, donc?
--C'en est une pire.>>
Aussi bien ce mot de <
Or, ? ce moment pr?cis, Fran?ois de Caumais-Simier, appuyant doucement ses coudes pointus sur la nappe, disait au baron Leva?tre:
<<--Enfin, mon cher, voil?: je voulais vous pressentir, vous avertir, savoir enfin si vous seriez hostile ? un projet d'union, ? une demande....
--Mais, mon petit Fran?ois, r?pliquait l'autre, encore une fois, c'est ? ma belle-s 1/2 ur qu'il faut poser ces questions. Vous savez bien qu'elle est tutrice de Pauline. Ah, mon fr?re Etienne avait des id?es particuli?res! Epouser une com?dienne et lui laisser jusqu'? sa fille par testament, voil? qui est original, amusant, impr?vu....>>
Et le baron parlait ainsi avec une vivacit? qu'il regretta sans doute, car il reprit d'un air important: <
Gaston m?me ajouta: < --H?las, je ne puis malheureusement les souffrir non plus,>> r?pondit poliment Fran?ois. Il est inconvenant, en effet, dans la bonne soci?t?, de conclure la moindre affaire sans s'?tre au pr?alable assur? qu'on n'y songe point. On d?clare m?me avec gr?ce le plus souvent: < Blanche et Adeline pourtant, aid?es de deux petits jeunes gens d'une s?v?rit? toute romaine, continuaient ? s'occuper de leurs voisins. --< --Bah! cela n'emp?chera pas qu'on les honore, ni surtout qu'on les ?pouse: ils sont ? vendre. --Pas le vieux, du moins.... D'ailleurs sa position n'inqui?te plus personne depuis qu'il est devenu premier valet de chiens chez sa belle-s 1/2 ur. --On dit qu'elle ne compte jamais, la belle Sylvie, et qu'elle le loge m?me gratuitement ? Vaille.... --Au chenil. --Taisez-vous donc, fit Adeline, vous serez encore bien contents et vous irez lui faire des courbettes s'il vous invite ? ses chasses.>> Au bout d'une demi-heure, les jeunes Catons n'avaient pas encore mis un terme ? leurs vertueux propos, mais en d?pit d'eux nos comp?res, l?-bas, devaient s'?tre entendus, car le baron Leva?tre concluait: < Mon Dieu, Gaston n'avait aucune confiance en Fran?ois. D'autre part, celui-ci n'e?t pas laiss? son portefeuille entre les mains de celui-l?. Et voici cependant que ces deux hommes se sentaient pris l'un pour l'autre d'une petite faiblesse, d'une sympathie plus sinc?re au fond qu'ils ne l'eussent crue: ils se trouvaient de la m?me race, ils ?taient < Et quand ils quitt?rent le Caf? de Paris, promenant ? la ronde un regard hostile et cruel, comme il sied ? quiconque entre dans un restaurant ou en sort; quand, passant devant les deux femmes, ils eurent soulev? ensemble leurs chapeaux, Blanche ne put malgr? tout s'emp?cher de dire ? Adeline: < --Caumais-Simier, surtout, est ?tonnant. --Il marque bien.>> En effet: avec son visage immobile, sa moustache si blonde et si fine qu'elle en semblait postiche, sa raideur, ses v?tements incassables, il vous avait un air charmant de gravure de modes; on e?t cru qu'il allait jouer ? la Com?die-Fran?aise, il ?tait un peu ridicule.
Add to tbrJar First Page Next Page