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Ebook has 272 lines and 18589 words, and 6 pages
JEAN COCTEAU
LE SECRET PROFESSIONNEL
PARIS
LIBRAIRIE STOCK
PLACE DU TH??TRE FRAN?AIS
JEAN COCTEAU
?lie Gagnebin.
LE SECRET PROFESSIONNEL
AUX ?TUDIANTS DES BELLES-LETTRES
DE GEN?VE ET DE LAUSANNE
EN T?MOIGNAGE DE RECONNAISSANCE
AU JUGEMENT DERNIER
--Et les catastrophes de chemin de fer, Seigneur? Comment m'expliquerez-vous les catastrophes de chemin de fer?
DIEU .--?a ne s'explique pas. ?a se sent.
Le Secret professionnel
Ce serait beaucoup se m?prendre que de trouver de l'orgueil dans le ton des jugements que porte l'auteur sur des oeuvres consid?r?es par tout le monde comme des chefs-d'oeuvre et sur lui-m?me. Mais, cependant, pour que l'auteur plaide sa cause avant qu'on l'accuse, il faut bien qu'une apparence lui donne certaines craintes. En effet, il arrive qu'? se placer haut pour mieux juger l'ensemble, on paraisse simplement vouloir prendre une place en vue.
Cependant, pour qui sait lire, les na?vet?s qu'il renferme sont la preuve d'une aristocratie de solitude. Rien de plus na?f que les princes. Tout les ?tonne.
Jules Lema?tre ?tait tr?s bon pour moi. Un jour que je lui citais la phrase et que je m'?tonnais de cette nomenclature h?t?roclite: <
Je ne me compare ? aucun des princes de la terre et je ne cite ces grands noms qu'? titre d'exemple. Mais la solitude est la solitude. Or, les notes qui vont suivre furent ?crites dans la solitude; elles y gagnent et elles y perdent. Elles y gagnent en franchise. Elles y perdent en ce que le contact des capitales nous donne la prudence et la politesse, sans quoi l'autorit? joue un r?le de paysan du Danube.
De plus, j'ai coutume de disperser les moutons sit?t que leur troupeau se reforme. J'aurai ainsi, peu ? peu, un public tr?s mince et tr?s s?r. J'ai donc l'habitude d'?tre seul, ou presque. Cet agr?able ?tat de solitude litt?raire s'ajoute ? la solitude de vill?giature ? laquelle je faisais allusion.
Vivre seul, surtout au bord de la mer, c'est rendre ? l'esprit quelque chose de primitif, d'enfantin.
Une pareille grossi?ret?, qui passe par-dessus tous les fragiles ?difices de la civilisation, n'?tonne pas un solitaire. C'est avec la m?me candeur qu'il pense: <
Les classiques et les romantiques. Racine contre Shakespeare. Voil? une guerre toute simple. Les Grecs et les Troyens face ? face. Le progr?s nous vaut des guerres plus confuses. Piquons donc comme un plongeur, n'importe o?, dans le d?sordre. Sans le moindre fil d'Ariane, mais avec quelques contrepoisons.
Le style ne saurait ?tre un point de d?part. Il r?sulte. Qu'est-ce que le style? Pour bien des gens, une fa?on compliqu?e de dire des choses tr?s simples. D'apr?s nous: une fa?on tr?s simple de dire des choses compliqu?es. Un Stendhal, un Balzac m?me essayent avant tout de faire mouche. Ils y arrivent neuf fois sur dix, n'importe comment. C'est ce n'importe comment, vite ? eux, qu'ils adoptent selon les r?sultats obtenus, cette mani?re d'?pauler, de viser, de tirer vite et juste, que je nomme le style.
Le carton? Le carton est ? dix m?tres: l'infini pour les myopes et les personnes qui ne veulent pas voir plus loin que le bout de leur nez. Donc, l'?lite.
Combien les pr?tendus tableaux r?alistes de Flaubert sont loin de la r?alit?. Madame Bovary, par exemple, o? le souci d'?pauler s'?tale ? chaque page, fourmille d'irr?alisme. Une suite de <
Que de griefs il y avait ? faire pour condamner ce livre! Ernest Pinard eut bien ?tonn? en plaidant contre le passage du pied-bot entre autres. Passage bien plus immoral que le reste, comme, ? la foire, le mus?e Dupuytren nous choque davantage que les dames nues peintes sur les montagnes russes.
Il est difficile de s'entendre sur le sens de la r?alit?. Presque toujours ceux qui ne le poss?dent pas attaquent en son nom ceux qui le poss?dent.
La photographie est irr?elle, change les valeurs et les perspectives. Son oeil de vache enregistre stupidement ce que notre oeil corrige et distribue ensuite selon les besoins de la cause. Parmi nos peintres, Degas est une victime de la photographie comme les futuristes ont ?t? victimes du cin?matographe. Je connais de Degas des photographies qu'il agrandissait lui-m?me et sur quoi il travaillait directement au pastel, ?merveill? par la mise en page, le raccourci, la d?formation des premiers plans.
De m?me, ?tant donn? le soin minutieux de Flaubert, s'il fouille un motif, nous sommes ?tonn?s de voir la nonchalance avec laquelle il d?roule son histoire, saute les ?poques, et voltige, pour ainsi dire, lourdement, de d?tail en d?tail.
Les tireurs ? but n'encourent pas le m?me reproche. Ne fignolant jamais, ils peuvent voltiger. Tout ? coup, ils s'abattent sur les fleurs, et ils en sortent le miel d'un seul coup de trompe.
Cette faiblesse caract?rise les ?poques o? il est inutile de se jeter ? l'eau avec l'instinct de conservation comme ma?tre nageur.
Un tic ne saurait ?tre style, m?me un tic noble. Soigner sa pens?e, la manier, la mettre en relief, c'est soigner son style. Autrement envisag?, le style ne peut qu'obscurcir ou qu'alourdir.
Le vrai ?crivain est celui qui ?crit mince, muscl?. Le reste est graisse ou maigreur. Il y a dans le tireur excentrique, toujours si ? la mode, un terrible m?lange de graisse et de maigreur.
Une na?vet? de la jeunesse consiste ? croire que certaines injustices ne peuvent plus se produire. Exemple: un Rimbaud, un C?zanne ne resteraient plus sans public, sans une milice internationale. Oui certes, ceux-l? ressuscitant, ou leurs cons?quences. L'injustice sera r?par?e sur leurs fils et petits-fils. Mais le nouveau Rimbaud, le nouveau C?zanne, le contradicteur, trouvera m?me accueil, m?me solitude. Rien ne change. Il fera sourire et hausser les ?paules au parti de l'audace, par son audace m?me, trop diff?rente. Rappelez-vous ce <
Les pompiers ne sont pas o? on se l'imagine. Il ne faut pas les chercher sur d'autres plan?tes que la n?tre. Comment un Bonnat, un Saint-Saens, pleins de talent tous deux, pourraient-ils ?tre pompiers? Les pompiers, les n?tres, doivent ?tre Rimbaud, Mallarm?, C?zanne, et si vite, nous-m?mes.
On se demande souvent la raison pour laquelle Rimbaud quitta les lettres. Le doute est impossible. Seul, ?vit? par la race de ceux-l? m?me qui cherchent ? r?parer l'injustice et la recommencent envers d'autres, ?coeur? des caf?s, trouvant que ce joli monde ne m?ritait pas son suicide et que le suicide ?tait un peu ridicule, il choisit le seul d?nouement possible.
?crire, surtout des po?mes, ?gale transpirer. L'oeuvre est une sueur. Il serait malsain de courir, de jouer, de se promener, d'?tre un athl?te sans sueur. Seuls la promenade d'un homme et l'homme lui-m?me m'int?ressent. C'est pourquoi peu d'oeuvres de vivants me touchent. Dans l'oeuvre d'un mort, dans le parfum de sa sueur, je cherche un t?moignage d'activit?. Le Louvre est une morgue; on y va reconna?tre ses amis. Nous aimons ? faire sentir notre sueur, ? la vendre. La foule et le d?licat n'aiment que se griser de sueur, s'intoxiquer de sueur. Du reste la promenade, le sport ne les int?ressent pas.
Rimbaud, au Harrar, offre l'exemple d'un athl?te de la po?sie qui ne transpire pas. Mais il ne bouge plus. Si on bouge, une fois admis qu'on en accepte l'inconv?nient, il faut suer le moins possible, et, pour ainsi dire, suer sec.
Mon ami Francis Picabia, l'esprit le plus souple que je connaisse, est un tireur qui trouve plus amusant de tirer sur la patronne du tir que de tirer sur l'oeuf. Tire-t-il sur elle? Non. Il craint les gendarmes.
Je me sens pauvre lorsque nous discutons. Ni l'un ni l'autre, nous ne jouons pour la galerie. Nous aimons le jeu--mais pendant que je m'ext?nue ? jouer dans certaines limites et selon les r?gles, le voil? qui saute, qui joue n'importe comment et n'importe o?, qui consacre la triche alors que personne mieux que lui ne conna?t les r?gles du jeu. J'en ai assez d'?tre battu. Je l'imite. Nous en arrivons ? jouer dos ? dos, chacun pour soi, dans une entente parfaite.
Ah! Narcisse! quel dr?le de couple tu fais.
Les mots n'ont pas de sens. Soit. J'accepte. En ont-ils, lorsque vous m'expliquez longuement pourquoi j'ai tort de m'en servir? Acceptez le jeu, dominez-le, arrangez-le ? votre guise, mais conservez une chance d'?change et de trouver un partenaire digne de vous.
?videmment, vous jouerez avec peu de monde. Mais quoi de plus ferm? que certains cercles? Du reste, vous jouerez surtout avec des morts ou avec de tr?s jeunes gens.
Je r?pondais: J'ai aussi l'auto de luxe dans la t?te et le derri?re dans ma petite auto.
Picabia me disait encore: Nous poss?dons chacun une balance aussi sensible et une manette pour donner ? tout un poids ?gal. Moi je mets la manette en public et je l'?te chez moi. Vous mettez la manette chez vous et vous l'?tez en public.
C'est ce que le na?f, appelle po?sie moderne, confondant les mots et l'esprit. Il donne la premi?re place au d?cor.
Ce qui entre chaque jour dans notre d?cor, ne doit ?tre repouss?, ni port? au premier plan. Le po?te doit s'en servir au m?me titre que du reste.
Celui qui veut ? tout prix le modernisme, qui ?tonne le public par une d?bauche de couleurs et de surprises sur la vieille ?toffe, au lieu de tisser une trame nouvelle, le progr?s lui fera perdre sa place.
Tout se d?mode, me dites-vous. C'est une autre affaire. Un chef-d'oeuvre n'est pas appel? chef-d'oeuvre, mais il transforme tout. Il est mode profonde. Chacun suit sans le savoir. N?cessairement, il se d?mode. Il est d?mod? par un autre chef-d'oeuvre. ? la longue, d'abord, il prend du pittoresque. Ensuite, il cesse d'?tre vieille robe. Il entre au mus?e du costume.
Ces artistes-l? et la masse des na?fs, croient qu'une ?poque peut se tromper ou qu'ils se sont tromp?s d'?poque, alors que vivant ? celle qu'ils ch?rissent ? cause de son recul, ils eussent soupir? apr?s quelque autre plus ancienne.
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