bell notificationshomepageloginedit profileclubsdmBox

Read Ebook: Œuvres complètes de Gustave Flaubert tome 5: La tentation de saint Antoine by Flaubert Gustave

More about this book

Font size:

Background color:

Text color:

Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page

Ebook has 2530 lines and 52203 words, and 51 pages

Ils ne manquent pas de certaines douceurs, n?anmoins. Des fid?les leur apportent des oeufs, des fruits, et m?me des instruments propres ? ?ter les ?pines des pieds. Il y a des vignobles autour de Pisperi, ceux de Pab?ne ont un radeau pour aller chercher les provisions.

Mais j'aurais mieux servi mes fr?res en ?tant tout simplement un pr?tre. On secourt les pauvres, on distribue les sacrements, on a de l'autorit? dans les familles.

D'ailleurs les la?ques ne sont pas tous damn?s, et il ne tenait qu'? moi d'?tre... par exemple... grammairien, philosophe. J'aurais dans ma chambre une sph?re de roseaux, toujours des tablettes ? la main, des jeunes gens autour de moi, et ? ma porte comme enseigne, une couronne de laurier suspendue.

Mais il y a trop d'orgueil ? ces triomphes! Soldat valait mieux. J'?tais robuste et hardi,--assez pour tendre le c?ble des machines, traverser les for?ts sombres, entrer casque en t?te dans les villes fumantes!... Rien ne m'emp?chait, non plus, d'acheter avec mon argent une charge de publicain au p?age de quelque pont; et les voyageurs m'auraient appris des histoires, en me montrant dans leurs bagages des quantit?s d'objets curieux...

Les marchands d'Alexandrie naviguent les jours de f?te sur la rivi?re de Canope, et boivent du vin dans des calices de lotus, au bruit des tambourins qui font trembler les tavernes le long du bord! Au del?, des arbres taill?s en c?ne prot?gent contre le vent du sud les fermes tranquilles. Le toit de la haute maison s'appuie sur de minces colonnettes, rapproch?es comme les b?tons d'une claire-voie; et par ces intervalles le ma?tre, ?tendu sur un long si?ge, aper?oit toutes ses plaines autour de lui, avec les chasseurs entre les bl?s, le pressoir o? l'on vendange, les boeufs qui battent la paille. Ses enfants jouent par terre, sa femme se penche pour l'embrasser.

Dans l'obscurit? blanch?tre de la nuit, apparaissent ?? et l? des museaux pointus, avec des oreilles toutes droites et des yeux brillants. Antoine marche vers eux. Des graviers d?roulent, les b?tes s'enfuient. C'?tait un troupeau de chacals.

Un seul est rest?, et qui se tient sur deux pattes, le corps en demi-cercle et la t?te oblique, dans une pose pleine de d?fiance.

Comme il est joli! je voudrais passer ma main sur son dos, doucement.

Antoine siffle pour le faire venir. Le chacal dispara?t.

Ah! il s'en va rejoindre les autres! Quelle solitude! Quel ennui!

Riant am?rement:

C'est une si belle existence que de tordre au feu des b?tons de palmier pour faire des houlettes, et de fa?onner des corbeilles, de coudre des nattes, puis d'?changer tout cela avec les Nomades contre du pain qui vous brise les dents! Ah! mis?re de moi! est-ce que ?a ne finira pas! Mais la mort vaudrait mieux! Je n'en peux plus! Assez! assez!

Il frappe du pied et tourne au milieu des roches d'un pas rapide, puis s'arr?te hors d'haleine, ?clate en sanglots et se couche par terre, sur le flanc.

La nuit est calme; des ?toiles nombreuses palpitent; on n'entend que le claquement des tarentules.

Les deux bras de la croix font une ombre sur le sable; Antoine, qui pleure, l'aper?oit.

Suis-je assez faible, mon Dieu! Du courage, relevons-nous!

Il entre dans sa cabane, d?couvre un charbon enfoui, allume une torche et la plante sur la st?le de bois, de fa?on ? ?clairer le gros livre.

Si je prenais... la Vie des Ap?tres?... oui!... n'importe o?!

Donc le Seigneur voulait que son ap?tre mange?t de tout?... tandis que moi...

Antoine reste le menton sur la poitrine. Le fr?missement des pages, que le vent agite, lui fait relever la t?te, et il lit:

Suit le d?nombrement des gens tu?s par eux: soixante-quinze mille. Ils avaient tant souffert! D'ailleurs, leurs ennemis ?taient les ennemis du vrai Dieu. Et comme ils devaient jouir ? se venger, tout en massacrant des idol?tres! La ville sans doute regorgeait de morts? Il y en avait au seuil des jardins, sur les escaliers, ? une telle hauteur dans les chambres que les portes ne pouvaient plus tourner!...--Mais voil? que je plonge dans des id?es de meurtre et de sang!

Il ouvre le livre ? un autre endroit.

Ah! c'est bien! Le Tr?s-Haut exalte ses proph?tes au-dessus des rois; celui-l? pourtant vivait dans les festins, ivre continuellement de d?lices et d'orgueil. Mais Dieu, par punition, l'a chang? en b?te. Il marchait ? quatre pattes!

Antoine se met ? rire, et, en ?cartant les bras, du bout de sa main, d?range les feuilles du livre. Ses yeux tombent sur cette phrase:

Je me figure... qu'on voyait entass?s jusqu'au plafond des pierres fines, des diamants, des dariques. Un homme qui en poss?de une accumulation si grande n'est plus pareil aux autres. Il songe, tout en les maniant, qu'il tient le r?sultat d'une quantit? innombrable d'efforts, et comme la vie des peuples qu'il aurait pomp?e et qu'il peut r?pandre. C'est une pr?caution utile aux rois. Le plus sage de tous n'y a pas manqu?. Ses flottes lui apportaient de l'ivoire, des singes... O? est-ce donc?

Il feuillette vivement.

Ah! voici:

Comment esp?rait-elle le tenter? Le Diable a bien voulu tenter J?sus! Mais J?sus a triomph? parce qu'il ?tait Dieu, et Salomon gr?ce peut-?tre ? sa science de magicien. Elle est sublime, cette science-l?! Car le monde--ainsi qu'un philosophe me l'a expliqu?--forme un ensemble dont toutes les parties influent les unes sur les autres, comme les organes d'un seul corps. Il s'agit de conna?tre les amours et les r?pulsions naturelles des choses, puis de les mettre en jeu!... On pourrait donc modifier ce qui para?t ?tre l'ordre immuable?

Alors les deux ombres dessin?es derri?re lui par les bras de la croix se projettent en avant. Elles font comme deux grandes cornes. Antoine s'?crie:

Au secours, mon Dieu!

L'ombre est revenue ? sa place.

Ah!... c'?tait une illusion! pas autre chose! Il est inutile que je me tourmente l'esprit! Je n'ai rien ? faire!... absolument rien ? faire!

Il s'assoit et se croise les bras.

Antoine marche de droite et de gauche, vivement.

C'est par mon ordre qu'on a b?ti cette foule de retraites saintes, pleines de moines portant des cilices sous leurs peaux de ch?vre, et nombreux ? pouvoir faire une arm?e! J'ai gu?ri de loin des malades; j'ai chass? des d?mons; j'ai pass? le fleuve au milieu des crocodiles; l'empereur Constantin m'a ?crit trois lettres; Balacius, qui avait crach? sur les miennes, a ?t? d?chir? par ses chevaux; le peuple d'Alexandrie, quand j'ai reparu, se battait pour me voir, et Athanase m'a reconduit sur la route. Mais aussi quelles oeuvres! Voil? plus de trente ans que je suis dans le d?sert ? g?mir toujours! J'ai port? sur mes reins quatre-vingts livres de bronze comme Eus?be, j'ai expos? mon corps ? la piq?re des insectes comme Macaire, je suis rest? cinquante-trois nuits sans fermer l'oeil comme Pac?me; et ceux qu'on d?capite, qu'on tenaille ou qu'on br?le ont moins de vertu peut-?tre, puisque ma vie est un continuel martyre!

Antoine se ralentit.

Certainement, il n'y a personne dans une d?tresse aussi profonde! Les coeurs charitables diminuent. On ne me donne plus rien. Mon manteau est us?. Je n'ai pas de sandales, pas m?me une ?cuelle!--car j'ai distribu? aux pauvres et ? ma famille tout mon bien, sans retenir une obole. Ne serait-ce que pour avoir des outils indispensables ? mon travail, il me faudrait un peu d'argent. Oh! pas beaucoup! une petite somme!... je la m?nagerais.

Les P?res de Nic?e, en robes de pourpre, se tenaient comme des mages, sur des tr?nes, le long du mur; et on les a r?gal?s dans un banquet, en les comblant d'honneurs, surtout Paphnuce, parce qu'il est borgne et boiteux depuis la pers?cution de Diocl?tien! L'Empereur lui a bais? plusieurs fois son oeil crev?; quelle sottise! Du reste, le Concile avait des membres si inf?mes! Un ?v?que de Scythie, Th?ophile; un autre de Perse, Jean; un gardeur de bestiaux, Spiridion! Alexandre ?tait trop vieux. Athanase aurait d? montrer plus de douceur aux Ariens, pour en obtenir des concessions!

Est-ce qu'ils en auraient fait! Ils n'ont pas voulu m'entendre! Celui qui parlait contre moi--un grand jeune homme ? barbe fris?e--me lan?ait, d'un air tranquille, des objections captieuses; et, pendant que je cherchais mes paroles, ils ?taient ? me regarder avec leurs figures m?chantes, en aboyant comme des hy?nes. Ah! que ne puis-je les faire exiler tous par l'Empereur, ou plut?t les battre, les ?craser, les voir souffrir! Je souffre bien, moi!

Il s'appuie en d?faillant contre sa cabane.

C'est d'avoir trop je?n?! mes forces s'en vont. Si je mangeais... une fois seulement, un morceau de viande.

Il entreferme les yeux, avec langueur.

Ah! de la chair rouge... une grappe de raisin qu'on mord!... du lait caill? qui tremble sur un plat!...

Mais qu'ai-je donc!... Qu'ai-je donc!... Je sens mon coeur grossir comme la mer, quand elle se gonfle avant l'orage. Une mollesse infinie m'accable, et l'air chaud me semble rouler le parfum d'une chevelure. Aucune femme n'est venue, cependant?...

Il se tourne vers le petit chemin entre les roches.

C'est par l? qu'elles arrivent, balanc?es dans leurs liti?res aux bras noirs des eunuques. Elles descendent, et, joignant leurs mains charg?es d'anneaux, elles s'agenouillent. Elles me racontent leurs inqui?tudes. Le besoin d'une volupt? surhumaine les torture; elles voudraient mourir, elles ont vu dans leurs songes des Dieux qui les appelaient;--et le bas de leur robe tombe sur mes pieds. Je les repousse. <> Toutes les p?nitences leur seraient bonnes. Elles demandent les plus rudes, ? partager la mienne, ? vivre avec moi.

Voil? longtemps que je n'en ai vu! Peut-?tre qu'il en va venir? pourquoi pas? Si tout ? coup... j'allais entendre tinter des clochettes de mulet dans la montagne. Il me semble...

Antoine grimpe sur une roche, ? l'entr?e du sentier; et il se penche, en dardant ses yeux dans les t?n?bres.

Oui! l?-bas, tout au fond, une masse remue, comme des gens qui cherchent leur chemin. Elle est l?! Ils se trompent.

Appelant:

De ce c?t?! viens! viens!

Add to tbrJar First Page Next Page Prev Page

 

Back to top