Read Ebook: L'Atelier de Marie-Claire by Audoux Marguerite
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Ebook has 1564 lines and 44795 words, and 32 pages
ouffrir.
Elle lan?a en toute tranquillit?:
Seule dans ma voiture, c'est la diff?rence Qui blesse le coeur et le fait s'ouvrir.
Duretour alors fut prise d'un rire si fou qu'elle glissa de son tabouret sous la table. Et tandis que Bergeounette s'?tranglait contre la vitre, Bouledogue renvers?e en arri?re riait ? en demander gr?ce.
Le patron fit taire Roberte qui continuait sa chanson:
--Dites un peu... Eh... Vous chanterez quand le travail sera moins press?.
Peu apr?s, Bergeounette fit entendre une romance pleine de m?lancolie dont chaque couplet se terminait ainsi:
Que les beaux jours sont courts, Que les beaux jours sont courts.
Elle laissait tra?ner sa voix comme si elle e?t voulu allonger ind?finiment les beaux jours, et pendant ce temps, toutes les mains semblaient plus actives ? l'ouvrage.
Le patron, qui se plaignait d'une grande fatigue, s'?vanouit un jour ? sa machine. Cependant il reprit le travail, car il voulait terminer au plus vite le manteau de Mme Moulin.
Mme Moulin ?tait une tr?s bonne cliente, mais elle changeait toujours d'id?e lorsque ses v?tements ?taient ? moiti? faits.
Au premier essayage elle avait une joie enfantine. Tout lui plaisait, mais le lendemain elle demandait ? revoir la robe. Elle la tournait et la retournait en disant d'un ton triste:
--Je la trouve tr?s bien. Elle sera tr?s jolie.
Puis toujours du m?me ton triste elle parlait de ses amies qui avaient des robes comme ceci et comme cela, et qui lui conseillaient de faire faire la sienne toute pareille.
Elle soupirait d'un air si malheureux que Mme Dalignac la prenait en piti? et nous disait apr?s son d?part:
--Mettez sa robe de c?t?, elle ne lui pla?t pas.
Et lorsque Mme Moulin revenait, elle riait fort en apprenant qu'on pouvait faire les changements d?sir?s.
Trois fois d?j? on avait chang? la garniture de son manteau. La veille encore, elle avait fouill? tous les dessins du patron et combin? longuement une nouvelle garniture. Le patron avait fait la moue devant l'assemblage qu'elle exigeait:
--Je ne trouve pas ?a ?patant.
Mais Mme Moulin, qui ?tait persuad?e du contraire, s'en ?tait all?e toute joyeuse.
Aussi, malgr? son extr?me fatigue, le patron se d?p?chait, craignant toujours de la voir arriver avec une autre id?e.
De loin en loin il s'arr?tait pendant une minute:
--Je n'en puis plus, disait-il.
Il essayait de se mettre en col?re.
--Que le diable emporte les femmes avec leurs broderies!
Il veilla m?me une bonne heure, mais quand il voulut quitter sa machine, il retomba sur son tabouret, en respirant si difficilement, qu'il me fit penser ? Sandrine.
Seule avec Mme Dalignac je lui demandai pourquoi elle ne faisait pas venir le m?decin. Elle releva la t?te avec vivacit? pendant qu'elle demandait:
--Est-ce que vous le croyez malade?
--Oh! non.
Et comme elle ne d?tournait pas les yeux, je pris un air tranquille pour ajouter:
--Les m?decins connaissent les drogues qui redonnent des forces.
Elle se rass?r?na tr?s vite:
--Ce n'est que de la fatigue, dit-elle.
Elle m'apprit alors que son mari avait ?t? tr?s malade pendant la premi?re ann?e de leur mariage. Plusieurs m?decins avaient m?me d?clar? que ses poumons ?taient si gravement atteints qu'il ne pourrait pas vivre plus d'un an.
--Pourtant, reprit-elle, dix ans ont pass? depuis.
Et comme si cela lui ?tait tout souci pour l'avenir, elle rit un peu.
Mme Moulin arriva juste au moment o? le patron venait de finir son manteau. Et avant que Duretour e?t referm? la porte sur elle, on entendit:
--Il n'est pas encore brod?, n'est-ce pas?
Et son entr?e dans l'atelier fut rapide comme un coup de vent.
Le patron lui montra le v?tement avec un peu de malice.
Elle fit claquer ses mains l'une contre l'autre d'un air navr?.
--Oh! quel malheur! moi qui avais pens? ? une autre garniture.
Elle tira sur un bout de soutache, et sa voix timide prit de la force pour demander:
--Est-ce que cela ne peut pas se d?faire?
--Oh! non, madame.
Et le visage jaune du patron devint tout rouge.
Cette fois Mme Moulin s'en retourna d?sol?e.
Maintenant le patron souffrait de l'estomac. Chaque jour il vomissait ses repas, et Bergeounette qui se moquait de tout nous disait:
--Il renverse encore sa soupi?re.
J'?tais ?tonn?e de ne pas voir venir le m?decin et j'en parlai de nouveau ? Mme Dalignac.
--J'y pense, me dit-elle, mais si je le fais venir, mon mari va se croire tr?s malade.
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