Read Ebook: L'Atelier de Marie-Claire by Audoux Marguerite
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Ebook has 1564 lines and 44795 words, and 32 pages
--J'y pense, me dit-elle, mais si je le fais venir, mon mari va se croire tr?s malade.
Elle reprit avec un accent plein de d?sir:
--Si nous pouvions avoir la chance de ne plus faire de v?tements brod?s.
Cette chance-l? ne fut pas la n?tre, au contraire. Les clientes recommandaient express?ment des broderies, beaucoup de broderies. Il fallait broder et rebroder tous les costumes, qu'ils fussent de laine, de toile ou de soie. On e?t dit que la broderie ?tait la seule chose digne de parer les femmes et qu'il ne leur serait plus possible de vivre sans cela.
--Elles sont folles, disait le patron.
Il s'?vanouit encore ? sa machine, et tandis que Bergeounette le soutenait pour l'emp?cher de rouler ? terre, je partis en courant chercher le m?decin.
Quand il arriva, le patron buvait ? petites gorg?es une infusion chaude. Il se sentait beaucoup mieux et il me montra du doigt en riant:
--C'est cette jeunesse qui a pris peur.
Le m?decin rit avec lui tout en s'informant de son malaise.
Il s'appelait M. Bon, c'?tait lui qui avait vu Sandrine. Il demanda ? la revoir, et, quand il sut qu'elle ?tait morte, il dit d'une voix f?ch?e:
--Elle pouvait gu?rir avec du repos et des soins, ses poumons ?taient ? peine atteints.
--Elle avait deux enfants ? ?lever, r?pondit Mme Dalignac, comme si elle voulait excuser Sandrine d'?tre morte.
Le regard de M. Bon se posa sur chacune de nous, et ensuite il dit au patron:
--Puisque je suis l?, nous allons en profiter pour voir si vos poumons sont toujours sages. Et pendant que nous faisions silence, il donna quelques coups de son doigt recourb? dans le dos du patron, puis il se pencha pour ?couter. Il gardait la bouche ouverte, mais lorsqu'il eut appuy? son oreille du c?t? gauche, il rattrapa vivement sa l?vre avec ses dents. Et sans que sa t?te e?t fait le plus petit mouvement, ses yeux se lev?rent et regard?rent fixement Mme Dalignac.
Il s'assit de nouveau en face du patron pour lui prendre le poignet, et au bout d'un instant, il se leva, en disant d'un ton ferme:
--Voil?... Je vous trouve tr?s affaibli... et si vous ne vous reposez pas imm?diatement... je ne sais pas ce qui arrivera.
Le patron se moqua:
--T?! je ferai comme Sandrine peut-?tre?
M. Bon d?tourna son regard et r?pondit gravement:
--Peut-?tre...
Il fit une ordonnance, et, tout en donnant des explications et des conseils ? Mme Dalignac, il l'entra?na jusque sur le palier.
Quand elle rentra, le patron bougonnait:
--Sans leurs sacr?es broderies, je pourrais me reposer.
--Il n'y a qu'? mettre un brodeur ? ta place, dit Mme Dalignac.
Le patron se redressa en criant:
--Un brodeur! mais tu n'en trouveras pas en ce moment.
--Eh bien! Je renverrai les robes.
Elle parlait comme ? travers ses dents serr?es, et personne ne lui connaissait cette voix-l?.
Et pendant que Bergeounette et Bouledogue se r?criaient d'?tonnement, le patron pouffait de rire ? l'id?e que sa femme pouvait renvoyer les robes.
Il fit tout de m?me une affiche que Bergeounette alla coller pr?s de la gare Montparnasse.
ON DEMANDE
Un brodeur ? la machine pour travail soign?.
A l'heure de la veill?e, Mme Dalignac me parla tout bas:
--Le poumon gauche ne va pas bien. Il faudrait que Baptiste parte ? la campagne, mais le plus press? est qu'il cesse tout travail.
Elle tendait les ?paules comme lorsqu'elle redoutait un ennui. Ses yeux avaient un peu d'?garement et son visage se r?tr?cissait. Elle repoussa ses cheveux des deux mains comme s'ils ?taient trop lourds ? ses tempes, et, en secouant la t?te, elle dit avec une grande ?nergie:
--Allons... Travaillons.
Et jusqu'? minuit, on n'entendit plus dans l'atelier que le roulement de la machine ? coudre et le claquement l?ger des aiguilles contre la soie.
Le lendemain, en rentrant de chez une cliente, Mme Dalignac s'?pouvanta de retrouver son mari en train de broder:
--Ote-toi de l?, Baptiste. Ote-toi de l?.
Et comme il ne l'?coutait pas, elle mit la main sur le volant de la machine.
Le patron se d?fendait:
--Mais laisse-moi finir, voyons, je n'en ai plus que pour quelques minutes.
--Non... Non... Ote-toi de l?.
Et de son autre main, elle fit sauter la courroie.
Le patron maugr?a en reculant son tabouret:
--Je ne serais pas mort pour avoir fini cette manche.
Sa femme reprit:
--As-tu d?j? oubli? ce qu'a dit M. Bon?
--Non, fit le patron d'un ton bourru, je sais qu'il m'arrivera la m?me chose qu'? Sandrine.
Le regard de Mme Dalignac passa par-dessus la t?te de Bouledogue pour venir chercher le mien. Le soir, elle parla encore plus bas que la veille:
--Pourvu qu'il vienne un brodeur?
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