bell notificationshomepageloginedit profileclubsdmBox

Read Ebook: The Living Mummy by Pratt Ambrose Fancher Louis D Illustrator

More about this book

Font size:

Background color:

Text color:

Add to tbrJar First Page Next Page

Ebook has 867 lines and 70541 words, and 18 pages

Commentator: Raoul Frary

EDWARD BULWER, LORD LYTTON.

RACE FUTURE.

PR?FACE

PAR

RAOUL FRARY.

PARIS

E. DENTU, ?DITEUR

LIBRAIRE DE LA SOCI?T? DES GENS DE LETTRES

D?DI? ? MAX M?LLER

EN T?MOIGNAGE DE RESPECT ET D'ADMIRATION.

PR?FACE.

Le livre que nous avons sous les yeux est bien un roman, mais ce n'est pas un roman comme les autres, car l'auteur s'est propos? de nous raconter non ce qui aurait pu arriver hier, ou autrefois, mais ce qui pourrait bien arriver dans quelques si?cles. Les moeurs qu'il d?peint ne sont pas les n?tres, ni celles de nos anc?tres, mais celles de nos descendants. Il imagine bien une petite fable ? la Jules Verne, et feint de supposer que la <> existe d?s maintenant sous terre et n'attend, pour para?tre ? la lumi?re du soleil et pour nous exterminer, que l'heure o? elle trouvera son habitation actuelle trop ?troite. Mais cet artifice de narration ne trompe personne, et il est ?vident que Bulwer Lytton a voulu nous donner une id?e de la fa?on de vivre et de penser de nos arri?re-neveux.

L'auteur de la <> a d? penser ? son illustre devancier, car son h?ros est, chez les hommes du vingt-cinqui?me ou du trenti?me si?cle, ce que Gulliver lui-m?me est chez les chevaux du pays des Houyhnms, le repr?sentant d'une civilisation inf?rieure, un barbare ignorant et corrompu en excursion chez les sages. Il y a seulement cette diff?rence que les chevaux de Swift ne sont que vertueux et heureux, tandis que les <> de Bulwer sont, en outre, fort savants. La vertu et le bonheur ne nous donneraient plus l'id?e d'une sup?riorit? compl?te si l'on n'y joignait une grande puissance industrielle fond?e sur une connaissance approfondie des secrets de la nature. Le monde a march?, depuis le temps de la reine Anne, et on ne se moque plus des ?mules de Newton; c'est au contraire sur eux que l'on compte pour changer la face des choses.

Mais il est bien malais? d'imaginer des hommes infiniment plus savants que nous: les grandes d?couvertes ne se devinent qu'? moiti?. Il est, au contraire, facile d'imaginer des hommes meilleurs que nous; les mod?les abondent sous nos yeux, et le peintre de l'id?al trouve dans la r?alit? tous les ?l?ments du tableau qu'il veut tracer. Quand Bulwer suppose que nos descendants seront ma?tres d'un agent infiniment plus subtil et plus fort que l'?lectricit?, et qu'ils auront perfectionn? l'art de construire des automates jusqu'? peupler leurs habitations de domestiques en m?tal, on est tent? de le trouver bien t?m?raire. Mais quand il nous montre une soci?t? o? la guerre est inconnue, o? personne n'est pauvre, ni avide de richesses, ni ambitieux, o? l'on ne sait ce que c'est qu'un malfaiteur, nous demeurons tous d'accord que c'est l? une soci?t? parfaite. Malheureusement l'auteur ne prouve pas que les merveilleux progr?s scientifiques qu'il est permis d'esp?rer doivent avoir pour cons?quence un progr?s non moins admirable de la moralit? humaine, ni que les hommes soient assur?s de devenir plus raisonnables que nous quand ils seront devenus bien plus savants.

Comme un roman n'est pas une d?monstration, l'auteur n'?tait pas oblig? de nous persuader que les choses se passeront exactement comme il l'admet. Il aurait d'ailleurs pu r?pondre que l'humanit? est libre et qu'elle fera peut-?tre de sa libert? un excellent usage. Il n'affirme pas qu'elle sera un jour aussi raisonnable qu'il d?peint les Vril-ya: mais cela d?pend d'elle, et il appartient aux philosophes de bien tracer le tableau d'une id?ale f?licit? pour l'encourager ? marcher d'un pas plus rapide dans la voie qui y conduit.

Assur?ment Bulwer a voulu nous repr?senter un ?tat de civilisation o? les hommes jouiraient de la plus grande somme de bonheur que comporte leur condition mortelle; il a voulu aussi nous apprendre quelles sont les conditions de cet ?tat sup?rieur, sur quelles institutions et sur quelles croyances doit ?tre fond?e la cit? de ses r?ves. Il a ?crit son Utopie, comme tant d'autres, comme Platon, comme Thomas Morus, comme F?nelon, comme Fourier. Il n'a pas non plus ?chapp? aux pi?ges o? sont tomb?s ses devanciers. Il n'accomplit que la moiti? de sa t?che, et nous donne bien l'id?e d'une humanit? parfaitement sage, mais non d'une humanit? parfaitement heureuse.

Les Vril-ya ont peu de besoins, et la satisfaction de leurs besoins leur co?te peu d'efforts; l'outillage de l'industrie est si perfectionn?, que le travail est r?serv? aux seuls enfants. Les adultes n'ont rien ? faire, pas de luttes ? soutenir, pas de dangers ? ?viter. Ils se prom?nent; ils causent; ils se r?unissent dans des festins o? r?gne la sobri?t?; ils entendent de la musique et respirent des parfums. Comme ils doivent s'ennuyer! Ils n'ont ni les ?motions de la guerre, ni les plaisirs de la chasse, car ils sont trop doux pour s'amuser ? tuer des b?tes inoffensives. Ceux d'entre eux qui ont l'esprit aventureux peuvent fonder des colonies, mais ils ne courent aucun risque, et, d'ailleurs, la place finira par leur manquer. Ou bien ils s'appliquent ? inventer des machines nouvelles et ? faire avancer la science, ce qui ne doit pas ?tre ? la port?e de tout le monde, dans une civilisation d?j? si savante et si bien outill?e. Ils n'ont m?me pas une litt?rature tr?s florissante et sont oblig?s de relire les anciens auteurs pour y trouver la peinture des passions dont ils sont exempts, des conflits qui ne sont plus de leur si?cle. Cette tranquillit? d'?me se refl?te sur leur visage qui a quelque chose d'auguste et de surhumain, comme le visage des dieux antiques; ce sont des hommes de marbre. Ils ne vivent pas.

Des hommes m?diocres ont pu d?crire l'enfer d'une mani?re saisissante; le g?nie m?me est impuissant ? donner une id?e du paradis, qu'on le place sur cette terre ou dans une autre vie. C'est que le bonheur suppose l'effort et la lutte: or il n'y a pas d'effort sans obstacle, de lutte sans adversaire. Nous ne pouvons pas, tels que nous sommes, imaginer la f?licit? dans le repos perp?tuel, sans combat et sans risque, c'est-?-dire sans le mal. Une soci?t? pourvue d'institutions et de moeurs id?ales, supprimant ou r?duisant ? l'extr?me le risque et le mal, assurerait ? ses membres un bonheur que notre raison peut ? la rigueur concevoir, mais qui ?chappe compl?tement ? notre imagination. Supprimez par la pens?e le chien, le loup et le boucher; supposez un printemps perp?tuel et des pr?s toujours verts sous un soleil toujours mod?r?: les moutons ne nous ferons pas encore envie. Or on a beau faire: il y a toujours dans le paradis un peu de moutonnerie, m?me quand on y met beaucoup de musique, beaucoup de parfums, et toutes les merveilles de la m?canique.

Parfois, quand nous sommes fatigu?s, quand nous sommes indign?s, quand nous sommes d?courag?s, nous r?vons un monde meilleur, o? le travail soit facile, o? l'on n'?prouve point de d?sir qui ne soit satisfait, et d'o? l'injustice soit rigoureusement bannie. C'est ainsi que le matelot, las d'?tre ballott? par les vagues, r?ve les loisirs et la s?curit? de la terre ferme; mais d?s qu'il se sera refait, il voudra de nouveau s'embarquer: le danger et la peine l'attirent bien vite; s'il se r?signe ? ne plus quitter le sol, c'est qu'il est vieux et us?. Quand les ann?es l'attacheront au rivage, il enviera le sort de ses enfants; il enviera leurs souffrances et leurs p?rils, leurs courtes joies et leurs longs labeurs. Il r?vera encore, mais avec tristesse, avec de poignants regrets: il r?vera au temps o? il hasardait sa vie pour conqu?rir ce repos maintenant odieux.

Un jour, peut-?tre, l'humanit?, assagie et pacifi?e, se souviendra de nos si?cles de lutte et d'agitation. Alors les jeunes gens se plaindront de n'?tre pas n?s dans un si?cle plus troubl?, de ne pouvoir d?penser leur force, de ne point trouver d'adversaires ? combattre, d'obstacles ? vaincre, d'aventures ? courir. Les hommes perfectionn?s de Bulwer porteront envie aux barbares que nous sommes. Ils se plaindront plus justement que Musset, d'?tre venus trop tard dans un monde trop vieux.

Si l'auteur de <> n'a pas mieux r?ussi que ses illustres devanciers ? exciter notre enthousiasme en faveur de cet id?al qui ne reste s?duisant que quand il reste vague, qui p?lit et s'efface d?s qu'on veut l'enfermer en des contours pr?cis, il a pourtant ?crit un livre singuli?rement int?ressant, qui amuse l'imagination et qui fait penser. Il soul?ve, en passant, bien des questions; il pose bien des probl?mes: s'il ne les r?sout pas toujours ? notre gr?, il nous donne du moins le plaisir de voyager rapidement ? travers les id?es, les syst?mes, les th?ories de la morale. Ajoutons que, dans un temps o? les Anglais paraissent enclins ? admirer presque exclusivement les triomphes de la force et les exploits de la conqu?te, on est heureux de voir passer dans notre langue un livre ?crit par un illustre ?crivain anglais, pour tracer et faire aimer l'image d'une civilisation fond?e sur la justice, la paix et la fraternit?.

RAOUL FRARY.

LA RACE FUTURE.

Le lecteur comprendra, avant la fin de ce r?cit, les raisons qui m'emp?chent de d?signer plus clairement ce district, et me remerciera sans nul doute de m'?tre abstenu de toute description qui pourrait le faire reconna?tre.

Permettez-moi donc de dire, le plus bri?vement possible, que j'accompagnais l'ing?nieur dans l'int?rieur de la mine; je fus si ?trangement fascin? par ses sombres merveilles, je pris tant d'int?r?t aux explorations de mon ami, que je prolongeai mon s?jour dans le voisinage, et descendis chaque jour dans la mine, pendant plusieurs semaine, sous les vo?tes et les galeries creus?es par l'art et par la nature dans les entrailles de la terre. L'ing?nieur ?tait persuad? qu'on trouverait de nouveaux filons bien plus riches dans un nouveau puits qu'il faisait creuser. En forant ce puits, nous arriv?mes un jour ? un gouffre dont les parois ?taient dentel?es et calcin?es comme si cet ab?me e?t ?t? ouvert ? quelque p?riode ?loign?e par une ?ruption volcanique. Mon ami s'y fit descendre dans une cage, apr?s avoir ?prouv? l'atmosph?re au moyen d'une lampe de s?ret?. Il y demeura pr?s d'une heure. Quand il remonta, il ?tait excessivement p?le et son visage pr?sentait une expression d'anxi?t? pensive, bien diff?rente de sa physionomie ordinaire, qui ?tait ouverte, joyeuse et hardie.

Il me dit en deux mots que la descente lui paraissait dangereuse et ne devait conduire ? aucun r?sultat; puis, suspendant les travaux de ce puits, il m'emmena dans les autres parties de la mine.

Tout le reste du jour mon ami me parut pr?occup? par une id?e qui l'absorbait. Il se montrait taciturne, contre son habitude, et il y avait dans ses regards je ne sais quelle ?pouvante, comme s'il avait vu un fant?me. Le soir, nous ?tions assis seuls dans l'appartement que nous occupions pr?s de l'entr?e de la mine, et je lui dis:--

--Dites-moi franchement ce que vous avez vu dans le gouffre. Je suis s?r que c'est quelque chose d'?trange et de terrible. Quoi que ce soit, vous en ?tes troubl?. En pareil cas, deux t?tes valent mieux qu'une. Confiez-vous ? moi.

L'ing?nieur essaya longtemps de se d?rober ? mes questions; mais, tout en causant, il avait recours au flacon d'eau-de-vie avec une fr?quence tout ? fait inaccoutum?e, car c'?tait un homme tr?s sobre, et peu ? peu sa r?serve cessa. Qui veut garder son secret devrait imiter les animaux et ne boire que de l'eau.

--Je vais tout vous dire,--s'?cria-t-il enfin.--Quand la cage s'est arr?t?e, je me suis trouv? sur une corniche de rocher; au-dessous de moi, le gouffre, prenant une direction oblique, s'enfon?ait ? une profondeur consid?rable, dont ma lampe ne pouvait p?n?trer l'obscurit?. Mais, ? ma grande surprise, une lumi?re immobile et ?clatante s'?levait du fond de l'ab?me. ?tait-ce un volcan? J'en aurais certainement senti la chaleur. Pourtant il importait absolument ? notre commune s?curit? d'?claircir ce doute. J'examinai les pentes du gouffre et me convainquis que je pouvais m'y hasarder, en me servant des anfractuosit?s et des crevasses du roc, du moins pendant un certain temps. Je quittai la cage et me mis ? descendre. ? mesure que je me rapprochais de la lumi?re, le gouffre s'?largissait, et je vis enfin, avec un ?tonnement que je ne puis vous d?crire, une grande route unie au fond du pr?cipice, illumin?e, aussi loin que l'oeil pouvait s'?tendre, par des lampes ? gaz plac?es ? des intervalles r?guliers, comme dans les rues de nos grandes villes, et j'entendais au loin comme un murmure de voix humaines. Je sais parfaitement qu'il n'y a pas d'autres mineurs que nous dans ce district. Quelles ?taient donc ces voix? Quelles mains humaines avaient pu niveler cette route et allumer ces lampes? La croyance superstitieuse, commune ? presque tous les mineurs, que les entrailles de la terre sont habit?es par des gnomes ou des d?mons commen?ait ? s'emparer de moi. Je frissonnais ? la pens?e de descendre plus bas et de braver les habitants de cette vall?e int?rieure. Je n'aurais d'ailleurs pu le faire, sans cordes, car, de l'endroit o? je me trouvais jusqu'au fond du gouffre, les parois du rocher ?taient droites et lisses. Je revins sur mes pas avec quelque difficult?. C'est tout.

--Vous redescendrez?

--Je le devrais, et cependant je ne sais si j'oserai.

--Un compagnon fid?le abr?ge le voyage et double le courage. J'irai avec vous. Nous prendrons des cordes assez longues et assez fortes.... et.... excusez-moi.... mais vous avez assez bu ce soir. Il faut que nos pieds et nos mains soient fermes demain matin.

Le lendemain matin les nerfs de mon ami avaient repris leur ?quilibre et sa curiosit? n'?tait pas moins excit?e que la mienne. Peut-?tre l'?tait-elle plus: car il croyait ?videmment ce qu'il m'avait racont?, et j'en doutais beaucoup; non pas qu'il f?t capable de mentir de propos d?lib?r?, mais je pensais qu'il s'?tait trouv? en proie ? une de ces hallucinations, qui saisissent notre imagination ou notre syst?me nerveux, dans les endroits solitaires et inaccoutum?s, et pendant lesquelles nous donnons des formes au vide et des voix au silence.

Nous chois?mes six vieux mineurs pour surveiller notre descente; et, comme la cage ne contenait qu'une personne ? la fois, l'ing?nieur descendit le premier; quand il eut atteint la corniche sur laquelle il s'?tait arr?t? la premi?re fois, la cage remonta pour moi. Je l'eus bient?t rejoint. Nous nous ?tions pourvus d'un bon rouleau de corde.

La lumi?re frappa mes yeux comme elle avait, la veille, frapp? ceux de mon ami. L'ouverture par laquelle elle nous arrivait s'inclinait diagonalement: cette clart? me paraissait une lumi?re atmosph?rique, non pas comme celle que donne le feu, mais douce et argent?e comme celle d'une ?toile du nord. Quittant la cage, nous descend?mes, l'un apr?s l'autre, assez facilement, gr?ce aux fentes des parois, jusqu'? l'endroit o? mon ami s'?tait arr?t? la veille; ce n'?tait qu'une saillie de roc juste assez spacieuse pour nous permettre de nous y tenir de front. ? partir de cet endroit le gouffre s'?largissait rapidement, comme un immense entonnoir, et je voyais distinctement, de l?, la vall?e, la route, les lampes que mon compagnon m'avait d?crites. Il n'avait rien exag?r?. J'entendais le bruit qu'il avait entendu: un murmure confus et indescriptible de voix, un sourd bruit de pas. En m'effor?ant de voir plus loin, j'aper?us dans le lointain les contours d'un grand b?timent. Ce ne pouvait ?tre un roc naturel, il ?tait trop sym?trique, avec de grosses colonnes ? la fa?on des ?gyptiens, et le tout brillait comme ?clair? ? l'int?rieur. J'avais sur moi une petite lorgnette de poche, et je pus, ? l'aide de cet instrument, distinguer, pr?s du b?timent dont je viens de parler, deux formes qui me semblaient des formes humaines, mais je n'en ?tais pas s?r. Dans tous les cas, c'?taient des ?tres vivants, car ils remuaient, et tous les deux disparurent ? l'int?rieur du b?timent. Nous nous occup?mes alors d'attacher la corde que nous avions apport?e au rocher sur lequel nous nous trouvions, ? l'aide de crampons et de grappins, car nous nous ?tions munis de tous les instruments qui pouvaient nous ?tre n?cessaires.

Nous ?tions presque muets pendant ce temps. On e?t dit ? nous voir ? l'oeuvre que nous avions peur d'entendre nos voix. Ayant assujetti un bout de la corde de fa?on ? le croire solidement fix? au roc, nous attach?mes une pierre ? l'autre extr?mit?, et nous la f?mes glisser jusqu'au sol, qui se trouvait ? environ cinquante pieds au-dessous. J'?tais plus jeune et plus agile que mon compagnon, et comme dans mon enfance j'avais servi sur un navire, cette fa?on de manoeuvrer m'?tait plus famili?re. Je r?clamai ? demi-voix le droit de descendre le premier afin de pouvoir, une fois en bas, maintenir le c?ble et faciliter la descente de mon ami. J'arrivai sain et sauf au fond du gouffre, et l'ing?nieur commen?a ? descendre ? son tour. Mais il n'avait pas parcouru dix pieds, que les noeuds, que nous avions crus si solides, c?d?rent; ou plut?t le roc lui-m?me nous trahit et s'?croula sous le poids; mon malheureux ami fut pr?cipit? sur le sol et tomba ? mes pieds, entra?nant dans sa chute des fragments de rocher, dont l'un, heureusement assez petit, me frappa et me f?t perdre connaissances. Quand je repris mes sens, je vis que mon compagnon n'?tait plus qu'une masse inerte et enti?rement priv?e de vie. Au moment o? je me penchais sur son cadavre, plein d'affliction et d'horreur j'entendis tout pr?s de moi un son ?trange tenant ? la fois du hennissement et du sifflement; en me tournant d'instinct vers l'endroit d'o? partait le bruit, je vis sortir d'une sombre fissure du rocher une t?te ?norme et terrible, les m?choires ouvertes, et me regardant avec des yeux farouches, des yeux de spectre affam?: c'?tait la t?te d'un monstrueux reptile, ressemblant au crocodile ou ? l'alligator, mais beaucoup plus grand que toutes les cr?atures de ce genre que j'avais vues dans mes nombreux voyages. D'un bond je fus debout et me mis ? fuir de toutes mes forces en descendant la vall?e. Je m'arr?tai enfin, honteux de ma frayeur et de ma fuite et revins vers l'endroit o? j'avais laiss? le corps de mon ami. Il avait disparu; sans doute le monstre l'avait d?j? entra?n? dans son antre et d?vor?. La corde et les grappins ?taient encore ? l'endroit o? ils ?taient tomb?s, mais ils ne me donnaient aucune chance de retour: comment les rattacher en haut du rocher? Les parois ?taient trop lisses et trop abruptes pour qu'un homme y p?t grimper. J'?tais seul dans ce monde ?trange, dans les entrailles de la terre.

Lentement et avec pr?caution je m'en allai solitaire le long de la route ?clair?e par les lampes, vers le b?timent que j'ai d?crit. La route elle-m?me ressemblait aux grands passages des Alpes, traversant des montagnes rocheuses dont celle par laquelle j'?tais descendu formait un cha?non. ? ma gauche et bien au-dessous de moi, s'?tendait une grande vall?e, qui offrait ? mes yeux ?tonn?s des indices ?vidents de travail et de culture. Il y avait des champs couverts d'une v?g?tation ?trange, qui ne ressemblait en rien ? ce que j'avais vu sur la terre; la couleur n'en ?tait pas verte, mais plut?t d'un gris de plomb terne, ou d'un rouge dor?.

Il y avait des lacs et des ruisseaux qui semblaient enferm?s dans des rives artificielles; les uns ?taient pleins d'eau claire, les autres brillaient comme des ?tangs de naphte. ? ma droite, des ravins et des d?fil?s s'ouvraient dans les rochers; ils ?taient coup?s de passages, ?videmment dus au travail et bord?s d'arbres ressemblant pour la plupart ? des foug?res gigantesques, au feuillage d'une d?licatesse exquise et pareil ? des plumes; leur tronc ressemblait ? celui du palmier. D'autres avaient l'air de cannes ? sucre, mais plus grands et portant de longues grappes de fleurs. D'autres encore avaient l'aspect d'?normes champignons, avec des troncs gros et courts, soutenant un large d?me, d'o? pendaient ou s'?lan?aient de longues branches minces. Par devant, par derri?re, ? c?t? de moi, aussi loin que l'oeil pouvait atteindre, tout ?tincelait de lampes innombrables. Ce monde sans soleil ?tait aussi brillant et aussi chaud qu'un paysage italien ? midi, mais l'air ?tait moins lourd et la chaleur plus douce. Les habitations n'y manquaient pas. Je pouvais distinguer ? une certaine distance, soit sur le bord d'un lac ou d'un ruisseau, soit sur la pente des collines, nich?s au milieu des arbres, des b?timents qui devaient assur?ment ?tre la demeure d'?tres humains. Je pouvais m?me apercevoir, quoique tr?s loin, des formes qui paraissaient ?tre des formes humaines s'agitant dans ce paysage. Au moment o? je m'arr?tais pour regarder tout cela, je vis ? ma droite, glissant rapidement dans l'air, une sorte de petit bateau, pouss? par des voiles ayant la forme d'ailes. Il passa et bient?t disparut derri?re les ombres d'une for?t. Au-dessus de moi il n'y avait pas de ciel, mais la vo?te d'une grotte. Cette vo?te s'?levait de plus en plus ? mesure que le passage s'?largissait, elle finissait par devenir invisible au-dessus d'une atmosph?re de nuages qui la s?parait du sol.

En continuant ma route, je tressaillis tout ? coup: d'un buisson qui ressemblait ? un ?norme amas d'herbes marines, m?l? d'esp?ces de foug?res et de plantes ? larges feuilles, comme l'alo?s ou le cactus, s'?lan?a un bizarre animal de la taille et ? peu pr?s de la forme d'un daim. Mais, comme apr?s avoir bondi ? quelques pas il se retourna pour me regarder attentivement, je m'aper?us qu'il ne ressemblait ? aucune esp?ce de daim connue maintenant sur la terre, mais il me rappela aussit?t un mod?le en pl?tre, que j'avais vu dans un mus?um, d'une vari?t? de l'?lan qu'on dit avoir exist? avant le d?luge. L'animal ne paraissait nullement farouche, car apr?s m'avoir examin? un moment, il commen?a ? pa?tre sans trouble et sans crainte ce singulier herbage.

Je me trouvais alors tout ? fait en vue du b?timent. Oui, il avait bien ?t? ?lev? par des mains humaines et creus? en partie dans un grand rocher. J'aurais suppos? au premier coup d'oeil qu'il appartenait ? la premi?re p?riode de l'architecture ?gyptienne. La fa?ade ?tait orn?e de grosses colonnes, s'?levant sur des plinthes massives et surmont?es de chapiteaux que je trouvai, en les examinant de plus pr?s, plus orn?s et plus gracieux que ne le comporte l'architecture ?gyptienne. De m?me que le chapiteau corinthien imite dans ses ornements la feuille d'acanthe, le chapiteau de ces colonnes imitait le feuillage de la v?g?tation qui les entourait, comme des feuilles d'alo?s ou des feuilles de foug?res. ? ce moment sortit du b?timent un ?tre.... humain; ?tait-ce bien un ?tre humain? Debout sur la grande route, il regarda autour de lui, me vit et s'approcha. Il vint ? quelques m?tres de moi; sa vue, sa pr?sence, me remplirent d'une terreur et d'un respect indescriptibles, et me clou?rent au sol. Il me rappelait les g?nies symboliques ou d?mons qu'on trouve sur les vases ?trusques, ou que les peuples orientaux peignent sur leurs s?pulcres: images qui ont les traits de la race humaine et qui appartiennent cependant ? une autre race. Il ?tait grand, non pas gigantesque, mais aussi grand qu'un homme peut l'?tre sans atteindre la taille des g?ants.

Son principal v?tement me parut consister en deux grandes ailes, crois?es sur la poitrine et tombant jusqu'aux genoux; le reste de son costume se composait d'une tunique et d'un pantalon d'une ?toffe fibreuse et mince. Il portait sur la t?te une sorte de tiare, par?e de pierres pr?cieuses, et tenait ? la main droite une mince baguette d'un m?tal brillant, comme de l'acier poli. Mais c'?tait son visage qui me remplissait d'une terreur respectueuse. C'?tait bien le visage d'un homme, mais d'un type distinct de celui des races qui existent aujourd'hui sur la terre. Ce dont il se rapprochait le plus par les contours et l'expression, ce sont les sphinx sculpt?s, dont le visage est si r?gulier dans sa beaut? calme, intelligente, myst?rieuse. Son teint ?tait d'une couleur particuli?re, plus rapproch? de celui de la race rouge que d'aucune autre vari?t? de notre esp?ce; il y avait cependant quelques diff?rences: le ton en ?tait plus doux et plus riche, les yeux ?taient noirs, grands, profonds, brillants, et les sourcils dessin?s presque en demi-cercle. Il n'avait point de barbe, mais je ne sais quoi dans tout son aspect, malgr? le calme de l'expression et la beaut? des traits, ?veillait en moi cet instinct de p?ril que fait na?tre la vue d'un tigre ou d'un serpent. Je sentais que cette image humaine ?tait dou?e de forces hostiles ? l'homme. ? mesure qu'il s'approchait, un frisson glacial me saisit, je tombai ? genoux et couvris mon visage de mes deux mains.

Une voix s'adressa ? moi, d'un ton doux et musical, dans une langue dont je ne compris pas un mot; cela servit pourtant ? dissiper mes craintes. Je d?couvris mon visage et je regardai. L'?tranger m'examinait d'un regard qui semblait p?n?trer jusqu'au fond de mon coeur. Il pla?a alors sa main gauche sur mon front, et me toucha l?g?rement l'?paule avec la baguette qu'il tenait dans la main droite. L'effet de ce double contact fut magique. Ma terreur premi?re fit place ? une sensation de plaisir, de joie, de confiance en moi-m?me et en celui qui se trouvait devant moi. Je me levai et parlai dans ma propre langue. Il m'?couta avec une visible attention, mais ses regards d?notaient une l?g?re surprise; il secoua la t?te, comme pour me dire qu'il ne comprenait pas. Il me prit alors par la main et me conduisit en silence vers l'?difice. La porte ?tait ouverte ou plut?t il n'y avait m?me pas de porte. Nous entr?mes dans une salle immense, des lampes y brillaient pareilles ? celles de l'ext?rieur, mais elles r?pandaient ici une odeur balsamique. Le sol ?tait pav? d'une mosa?que de grands blocs de m?taux pr?cieux et couvert en partie d'une esp?ce de natte. Une musique douce ondulait autour et au-dessus de nous; on e?t dit qu'elle venait d'instruments invisibles et qu'elle appartenait naturellement ? ce lieu, comme le murmure des eaux ? un paysage montagneux, ou le chant des oiseaux aux bosquets que pare le printemps.

Une figure, plus simplement habill?e que celle de mon guide, mais dans le m?me genre, ?tait debout, immobile pr?s du seuil. Mon guide la toucha deux fois avec sa baguette, et elle se mit aussit?t en mouvement glissant rapidement et sans bruit et effleurant le sol. En la regardant avec attention je vis que ce n'?tait pas une forme vivante, mais un automate. Deux minutes environ apr?s qu'il eut disparu ? l'autre bout de la salle, par une ouverture sans porte, ? demi cach?e par des rideaux, s'avan?a par le m?me chemin un jeune gar?on d'environ douze ans, dont les traits ressemblaient tant ? ceux de mon guide, que je jugeai sans h?siter que c'?tait le p?re et le fils. ? ma vue, l'enfant poussa un cri et leva une baguette pareille ? celle de mon guide, comme pour me menacer; mais, sur un mot de son p?re, il la laissa retomber. Ils s'entretinrent alors un instant et, tout en parlant, m'examinaient. L'enfant toucha mes v?tements et me caressa le visage avec une curiosit? ?vidente, en faisant entendre un son analogue au rire, mais avec une hilarit? plus contenue que celle qu'exprime notre rire. Tout ? coup la vo?te de la chambre s'ouvrit et il en descendit une plate-forme qui me sembla construite sur le m?me principe que les ascenseurs dont on se sert dans les h?tels et dans les entrep?ts pour monter d'un ?tage ? l'autre.

L'?tranger pla?a l'enfant et lui-m?me sur la plate-forme et me fit signe de l'imiter; ce que je fis. Nous mont?mes rapidement et s?rement, et nous nous arr?t?mes au milieu d'un corridor garni de portes ? droite et ? gauche.

Par une de ces portes, je fus conduit dans une chambre meubl?e avec une splendeur orientale; les murs ?taient couverts d'une mosa?que de m?taux et de pierres pr?cieuses non taill?es, les coussins et les divans abondaient; des ouvertures pareilles ? des fen?tres, mais sans vitres, s'ouvraient jusqu'au plancher; en passant devant ces ouvertures, je vis qu'elles conduisaient ? de larges balcons, qui dominaient le paysage illumin?. Dans des cages suspendues au plafond il y avait des oiseaux d'une forme ?trange et au brillant plumage, qui se mirent ? chanter en choeur; leur voix rappelait celle de nos bouvreuils. Des cassolettes d'or richement sculpt?es remplissaient l'air d'un parfum d?licieux. Plusieurs automates, semblables ? celui que j'avais vu, se tenaient immobiles et muets contre les murs. L'?tranger me fit placer avec lui sur un divan et m'adressa de nouveau la parole; je lui r?pondis encore, mais sans arriver ? le comprendre ou ? me faire comprendre.

Je commen?ais alors ? ressentir plus vivement que je ne l'avais fait d'abord l'effet du coup que m'avait port? l'?clat du rocher tomb? sur moi.

Une sensation de faiblesse, accompagn?e de douleurs aigu?s et lancinantes dans la t?te et dans le cou, s'empara de moi. Je tombai ? la renverse sur mon si?ge, essayant en vain d'?touffer un g?missement. ? ce moment, l'enfant, qui avait sembl? me regarder avec d?plaisir ou avec d?fiance, s'agenouilla ? c?t? de moi pour me soutenir; il prit une de mes mains entre les siennes, approcha ses l?vres de mon front, en soufflant doucement. En un instant, la douleur cessa; un calme languissant et d?licieux s'empara de moi; je m'endormis.

Je ne sais pas combien de temps je restai ainsi, mais quand je m'?veillai, j'?tais parfaitement r?tabli. En ouvrant les yeux j'aper?us un groupe de formes silencieuses, assises autour de moi avec la gravit? et la qui?tude des Orientaux; toutes ressemblaient plus ou moins ? mon guide; les m?mes ailes ploy?es, les m?mes v?tements, les m?mes visages de sphinx, avec les m?mes yeux noirs et le teint rouge; par-dessus tout le m?me type, race presque semblable ? l'homme, mais plus grande, plus forte, d'un aspect plus imposant, et inspirant le m?me sentiment ind?finissable de terreur. Cependant leurs physionomies ?taient douces et calmes, et m?me affectueuses dans leur expression. Chose ?trange! il me semblait que c'?tait dans ce calme m?me et dans ce m?me air de bont? que r?sidait le secret de la terreur qu'ils inspiraient. Leurs visages ne pr?sentaient pas plus ces rides et ces ombres que le souci, le chagrin, les passions et le p?ch? impriment sur la face des hommes, que le visage des dieux de marbre de l'antiquit?, ou qu'aux yeux du chr?tien en deuil n'en montre le front paisible des morts.

Add to tbrJar First Page Next Page

 

Back to top