Read Ebook: Wupatki National Monument Arizona by United States National Park Service
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Ebook has 469 lines and 10740 words, and 10 pages
Le rire de l'homme primitif sonna de nouveau.
-- De ce que l'on soit "follement ?pris", il ne faudrait pas conclure que l'on f?t tout ? fait fou, mon cher, protesta Lecoulteux. Et je vous assure qu'on peut, en telle occurrence, raisonner et pr?voir sans ?tre pour cela moins amoureux. Il y a ici d'autres jeunes gens qui admirent Mlle Boisjoli autant que moi et qui, jusqu'? pr?sent, ne se sont pas plus d?clar?s que moi...
-- Qui par exemple?
-- Le petit docteur Sorbier...
-- Un gentil gar?on... tr?s intelligent, tr?s s?rieux.
-- Peuh! Si l'on veut... Puis Fabrice de Mauve.
-- Le romancier?
A ce nom connu, presque c?l?bre, Kerjean avait fronc? les sourcils. Il l'avait plusieurs fois rencontr?, il revit Fabrice de Mauve, la silhouette jeune, fine, expressive de gr?ce et de force, le beau visage d?licat et viril, les l?vres amoureuses, les yeux d'eau glauque, le regard aigu, insistant, qui observait et voulait s?duire.
Kerjean ne m?connaissait point le talent litt?raire de Fabrice de Mauve, mais cette psychologie exasp?r?e, ? la fois douloureuse et cruelle, ce parti pris d'esth?tisme, m?l? ? l'observation de la r?alit? palpitante, cette sensualit? subtile et presque maladive, cette langue nerveuse qui allait de l'extr?me raffinement ? l'extr?me brutalit?, avec des mots rares, des images somptueuses, l'irritaient dans ses pr?f?rences instinctives pour une conception plus robuste, plus saine et aussi plus harmonieuse de l'art et de la vie. Et ce qu'il savait ou devinait de la personnalit? morale de l'?crivain lui ?tait moins sympathique encore. Cette vanit?, assoiff?e de lucre et de r?clame, cet arrivisme insinuant et forcen? qu'habitait une ?l?gance un peu hautaine de grand seigneur-po?te, rebutaient sa droiture ombrageuse, ennemie jusqu'? l'absurde peut-?tre de tous les compromis, de toutes les concessions, de toutes les habilet?s calcul?es en vue du succ?s ou du gain.
-- L'homme dangereux, celui-l?, hein? dit Lecoulteux qui avait surpris sur le visage de Kerjean le reflet fugitif de sa pens?e. L'homme ? femmes?
Kerjean eut un l?ger haussement d'?paules. Rapproch? de l'image l?g?re et virginale que, depuis un moment paroles et souvenirs ?voquaient en lui, le terme que Lecoulteux venait d'employer lui parut d?plaisant.
-- C'est possible, dit-il... Mais ma petite amie Phyllis n'est pas une femme... heureusement!
Lecoulteux parut r?fl?chir:
-- Et vous, Kerjean... vous? Vous ne songez pas ? ?pouser Phyllis Boisjoli?
Kerjean rit de bon coeur.
-- Moi, ?pouser la petite Phyl? Mais, mon pauvre Lecoulteux, je viens de vous dire que je l'ai vue na?tre, ou ? peu pr?s... Sans compter que j'ai d?j? toutes les manies d'un vieux gar?on endurci...
Il s'?tait lev? et il avait pay? les consommations.
Kerjean s'?loigne, d'anciens souvenirs se r?veillent.
Cette petite Phyl! N'?tait-ce pas hier qu'elle accourait au coup de sonnette toujours reconnu?
-- Bonjour, Kerjean... Tu as piqu? un dix-neuf en descriptive? Bravo! Et la "colle" avec Louf d'Amphi?
Imitant Etienne, elle disait Kerjean tout court et tutoyait fraternellement son grand camarade. Les noms et les surnoms de tous les professeurs lui ?taient familiers, comme aussi l'argot de l'?cole, dont les mots in?l?gants ?taient gentils dans sa bouche. Elle avait une voix charmante, cristalline, qui donnait ? ses paroles une gr?ce sp?ciale.
Quand la petite Phyl entre-b?illait la porte du cabinet de travail et montrait son nez rose, Etienne se f?chait, mais Kerjean essayait d'arranger les choses.
Le "Bon-g?ant" s'avouait l'esclave docile de la toute petite princesse qui l'entra?nait ? sa suite dans le monde enchant? des contes et des jeux. A Kerjean, un seul r?le ?tait d?volu, celui du Bon-g?ant: g?nie puissant et tut?laire, personnage ?pique et fabuleux, le Bon-g?ant devait ?tre de toutes les histoires.
Lorsque la petite Phyl avait ?t? grond?e, -- ce qui arrivait tout de m?me quelquefois, -- et qu'elle avait beaucoup de chagrin, c'?tait pr?s du grand ami qu'elle se r?fugiait: "Console-moi, "Bon-g?ant", je suis si m?chante! Il n'y a plus que toi qui m'aimes!" sanglotait-elle.
Et les ann?es se sont succ?d? sans que Guillaume Kerjean cess?t d'?tre le meilleur et certainement le plus sinc?re sinon l'unique ami de Phyllis Boisjoli.
Ils ne se voient plus aussi souvent. Cependant leur intimit? a conserv?, en d?pit du temps ?coul? et des conditions de vie nouvelles, le m?me caract?re d'affection confiante et d'all?gre camaraderie. Leurs causeries sont aussi amicales, aussi gaies, parfois aussi folles que leurs jeux de jadis.
Le printemps dernier, Kerjean a revu Phyllis ? Paris. Elle avait grandi, elle avait embelli sans rien perdre de sa gr?ce ?trange, un peu myst?rieuse, ni de cette apparence d'extr?me fragilit?. Elle avait gard? sa voix enfantine. Toute la jeunesse de son ?me riait au coin de ses l?vres innocentes et dans ses yeux ravis.
Kerjean l'a trouv?e charmante, claire et fra?che comme l'aube.
Pauvre petite Phyl! Voici d?j? que les calculs ?go?stes, les basses rivalit?s, les convoitises des hommes, tant de choses mesquines, viles ou brutales, dont elle ne soup?onne rien, vont s'agiter autour d'elle, l'arracher peut-?tre ? ses limbes heureuses...
Pauvre petite Phyl! Kerjean sourit. La petite Phyl lui appara?t telle qu'hier au nouveau parc, savourant son go?ter de tartines et de cr?me!... Est-il possible qu'en cette enfant on puisse voir une ?pouse, aimer, d?sirer une femme?
Ce soir-l?, Kerjean traversa, au milieu d'une invasion grouillante de chaises et de gens, la terrasse illumin?e du casino o? le concert de neuf heures allait commencer et se h?ta de gagner le jardin. D?j? l'orchestre pr?ludait. Kerjean porta sa chaise au del? des parterres.
Un l?ger cri jaillit tout pr?s de lui, une voix singuli?rement limpide dit: "Bonjour, Kerjean!"
-- Bonsoir, petite Phyl! r?pondit-il ?tonn? et joyeux. Que faites-vous ici toute seule?
-- Je ne suis pas venue seule... Mlle Ribes veille sur moi... Tenez! La voici qui s'avise de mon t?te-?-t?te avec un fant?me masculin et accourt... au risque de se faire voler son fauteuil!... Nous avons conclu un trait?, et elle me laisse ?couter le concert de ma place favorite.
-- Oh! Phyllis, comment pouvez-vous dire que vous ?coutez le concert d'ici? Monsieur Kerjean, soyez juge! protesta d'une voix dont la r?volte ?tait tendre, Mlle Ribes qui s'?tait approch?e et tendait amicalement la main au jeune homme.
-- Kerjean ne peut me donner tort, ch?re vieille obstin?e, puisqu'il avait choisi la m?me place que moi.
-- Que r?pondre ? cela, mademoiselle? demanda Guillaume en souriant ? Mlle Ribes, une grande vieille personne aux yeux na?fs et fid?les, qui ?tait depuis plusieurs ann?es la demoiselle de compagnie de Mme Davran?ay.
-- Un concert au casino, voyez-vous, Kerjean, d?clara Phyllis, un concert en plein air, le soir, c'est fait pour ?tre ?cout? de loin, par des gens qui r?vent... C'est fait pour n'?tre entendu qu'un peu, en phrases inachev?es, en mesures ?parses, en notes errantes qui voltigent sans lien, sans but, comme des papillons gais ou des pens?es m?lancoliques. J'aime qu'on puisse, en fermant les yeux, imaginer qu'on ne sait plus tr?s bien d'o? viennent ces sonorit?s ?gar?es dans la nuit, parce qu'on ne sait plus tr?s bien o? l'on est soi-m?me... Mlle Ribes, puisque Kerjean est l? et peut me garder, je vais vous installer, l?, au pied de la terrasse... Vous ne perdrez aucune note... Kerjean, vieil ami, allons nous asseoir dans ma for?t parfum?e.
Elle se dressait au milieu d'une grande flaque de clart?, fine, pr?cieuse. Sa robe simple et harmonieuse ?tait faite d'une ?toffe soyeuse. C'?tait vaporeux, impr?cis et charmant. Un grand chapeau de tulle encadrait d'une nu?e sombre les brillants cheveux blonds, bouffants ? peine, le visage clair aux pommettes d?licates, un peu saillantes, les longs yeux, o? riait la douceur innocente d'un tr?s jeune regard.
Kerjean regarda Phyllis.
-- Vous avez l'air d'une petite f?e de l'aurore qui, par malice, se serait envelopp?e des plus jolies lueurs du cr?puscule...
-- Vous ?tes fort galant, Kerjean.
Ils avaient repris leurs chaises, sous les arbres, pr?s de la grille d'enceinte.
Il y eut un silence. Kerjean savait qu'? cette heure, Mme Davran?ay, assise ? une table de "baccara" ou de "chemin de fer", appartenait toute ? son d?mon, et que Phyllis redoutait toujours d'entendre une parole qui les ?voqu?t.
-- Je croyais, reprit-il, que vous ne deviez pas venir au casino, ce soir, Phyllis?
-- Qui vous a dit cela?
-- Un adorateur.
-- Un adorateur?... Lequel?
-- Lequel! Voyez-vous cette belle assurance.
-- Ne me taquinez pas, Kerjean! "Lequel", ?a veut dire simplement le docteur Sorbier ou M. Lecoulteux?... Il n'y a pas l? de quoi se montrer orgueilleuse.
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