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Read Ebook: Mémoires de Céleste Mogador Volume 4 by Chabrillan C Leste V Nard De Comtesse

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Ebook has 1777 lines and 68274 words, and 36 pages

>>Depuis que je vous connais, je n'ai pas eu une pens?e pour une autre femme que pour vous. Cette pens?e va ?tre encore la seule pendant cinq mois de travers?e, et si Dieu veut que je n'arrive pas, on jettera mon corps ? la mer, et je mourrai avec votre image dans le coeur jusqu'au dernier soupir. Regardez quelquefois mon portrait; il y a de ces sympathies mystiques et pour ainsi dire magn?tiques; vous y verrez quelquefois une larme couler de mes yeux, ou peut-?tre un sourire que je vous enverrai en mourant. Si le cadre tombe, que mon portrait s'ab?me, se d?chire, c'est que je mourrai. Enfin, si la nuit on te dit: Je t'aime, C?leste, c'est encore moi, moi seul et pas d'autre, entends-tu? Si tu vas au Poin?onnet, regarde partout, et chaque fleur te dira que je ne pensais qu'? toi.

>>Adieu, adieu pour toujours! Je n'ai m?me plus la force d'?crire. Il y a si longtemps que je n'ai eu une heure de bon sommeil!--Oh! mes forces, mes forces, ne m'abandonnez pas encore! laissez-moi arriver l?-bas, bien loin! laissez-moi encore souffrir quelques mois. Il ne me reste que cela ? moi, ma souffrance qui vient d'elle, laissez-la-moi, je l'aime!

>>Adieu! je n'en puis plus, je ne vois plus clair, je vais me jeter sur mon lit; pauvre lit, bien mis?rable, dans une petite chambre bien noire; mais je ne veux en sortir que pour partir. Du reste, cette travers?e, qui a ?t? si mauvaise, a fini de me mettre ? bas. J'ai donc besoin de repos pendant trois jours au moins.

>>Je pars avec une bande d'?migrants, presque tous Irlandais; le capitaine m?me ne sait pas un mot de fran?ais. Il y avait un bateau qui partait demain, mais je n'avais pas le temps ni la force d'?tre ? Liverpool; et puis, le b?timent du 9 part de Londres m?me, et est moins mauvais.

>>J'ai donn? votre portrait ? mettre dans un ?crin. En arrivant ? Sidney, je vous ?crirai, si Dieu m'a pr?t? vie. Si je trouve moyen en route, par un b?timent, de vous envoyer un souvenir, je le ferai. Adieu, encore une fois; je vous pardonne, car, je vous le r?p?te, vous le verrez un jour, vous serez seule ? votre tour, toute seule, sans amis, moi je ne serai plus l?. T?chez que ce moment-l? arrive bien tard. Quelque riche que vous puissiez ?tre, quelque ambition que vous puissiez avoir, tout est affreux, quand il ne reste que l'isolement, le d?go?t et le m?pris.

>>Adieu, adieu; ? vous toutes mes pens?es, comme toutes mes douleurs.

>>ROBERT.

>>J'?crirai demain encore ? votre avou?, M. Picard, pour lui bien recommander vos int?r?ts.

>>Jetez-moi un mot ? la poste, mardi ou mercredi, ? Londres, bureau restant, pour me dire ce qui aura ?t? fait au tribunal pour vos affaires. Ne me parlez pas d'autre chose, je vous prie, je ne veux savoir que cela. Vous devez comprendre que je ne dois plus croire ? rien et que, par cons?quent, vos excuses, vos raisons, vos larmes et vos regrets ne seraient que mensonges pour moi. Mais je d?sire savoir, puisque j'ai le temps de recevoir ce mot, quelle tournure a pris votre proc?s mardi dernier.>>

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>>Je vous ?cris ? bord du b?timent qui, dans une heure, va m'emmener pour toujours loin de vous. Je pars sans illusions et sans esp?rances. J'ai fait faire pour vous ? Londres une bague que je remets en montant sur le b?timent ? M. Godot, le seul Fran?ais, le seul ?tre qui m'ait t?moign? quelque int?r?t. Peut-?tre cet int?r?t ne vient-il que de l'immensit? de ma douleur. J'ai pour compagnon, non de route, mais pour compagnon d'avenir, et que je dois retrouver, dans quatre ou cinq mois, dans les pays o? je vais isoler ma douleur et cacher ma mis?re, un gar?on que j'ai rencontr? ? Londres et qui, comme moi, va chercher l'oubli et l'existence loin de la France. Le rapprochement de position a fait notre rapprochement de sentiments, et nous nous trouvons li?s par les m?mes id?es. Il me donne du courage, et nous esp?rerons ensemble.

>>Je vous pardonne tout, mensonges, ingratitudes. Pourquoi auriez-vous eu quelque respect pour moi, qui ai ?t? assez l?che pour supporter toutes vos insultes?

>>Je vous pardonne, mais Dieu vous maudira, vous, femme sans coeur et sans ?me.

>>ROBERT.>>

>>Je viens de quitter Southampton ? deux heures et demie. Pas un passager, pas un matelot, pas un mousse qui n'e?t quelqu'un venu pour l'embrasser, et moi, je suis seul, seul, comme un maudit. Toute la ville ?tait sur le port, poussant des hurrah pour nous souhaiter bon voyage.

>>Des bateaux ? vapeur nous ont accompagn?s pendant deux heures en mer. On avait permis ? chacun des passagers d'emmener, pendant ce temps, les uns leur famille, les autres leurs ma?tresses. Chacun partait triste, mais chacun avait quelqu'un qui lui disait: Au revoir! Moi seul, je suis seul. Personne, pas m?me la consolation d'avoir pr?s de moi un Fran?ais qui me comprenne, Ils avaient tous quelqu'un qui les aimait, qui les regrettait.

>>Moi je n'ai personne qui me regrette, qui m'aime.

>>Pendant que j'?cris cette lettre, vous, C?leste, vous jouissez de votre triomphe. Il n'y a pourtant pas de quoi, car je ne me suis gu?re d?fendu. J'?tais si heureux de vous voir sourire. O mon Dieu! je souffre bien, car je suis bien seul dans le monde, et j'avais pourtant bien besoin d'affection et d'amour. Ces bateaux qui nous ont accompagn?s viennent de nous quitter. Ils avaient ? bord de la musique qui n'a cess? de jouer. Cette musique me portait sur les nerfs d'une mani?re atroce et je pleurais comme un enfant. Fou que je suis! je croyais en quittant Southampton te reconna?tre dans chacune des femmes qui agitaient leurs mouchoirs en l'air; mais ce n'?tait pas ? moi qu'on disait adieu. Qui donc peut m'aimer, qui donc peut me regretter? Me voici pour trois mois entre le ciel et l'eau. Cette lettre ne t'arrivera pas avant longtemps. Je t?cherai de la donner en passant au Cap. Je t'?crirai tous les jours, car ta pens?e ne me quitte pas. Tu m'as fait bien du mal, tu as ?t? sans piti?; mais je te pardonne. Je ne crois pas jamais revenir, jamais te revoir, mais ma derni?re parole sera pour te dire: Je t'aime. Et quand m?me je te reverrais, ? quoi bon le d?sirer, ? quoi bon esp?rer? N'ai-je pas tout donn?, tout sacrifi? pour un espoir, espoir tromp? chaque jour depuis cinq ans? Sais-tu ce que c'est que le d?sespoir? c'est le coeur d?chir?, c'est le r?ve ?vanoui, c'est le r?veil ? la r?alit?. Eh bien! C?leste, voil? ce que j'ai aujourd'hui. Tu m'as tromp? cinq ans, jusqu'au jour o? tu as ?t? sans piti?. Que m'importe aujourd'hui l'avenir, la mis?re? Oh! je sais ton raisonnement; tu n'as m?me pas piti? de moi.--J'ai ma famille, dis-tu, qui viendra ? mon secours; mais tu ne sais donc pas que quand je mourrai, ma famille ne le saura que trois mois apr?s.--Et puis, je ne veux rien; o? donc serait le prix de mes sacrifices pour toi, si j'avais compt? sur les autres? Je ne compte que sur moi pour vivre. Ma douleur fait presque ma force, et si je r?pare ma position perdue, ce sera ? moi seul que je le devrai. Je vais me mettre sur mon lit, car je suis tr?s-fatigu?. Voil? bien des nuits que je passe sans sommeil; mes pauvres yeux sont bien rouges. Et du reste, que puis-je te dire qui te touche? Tu es heureuse maintenant, tu es libre; mon souvenir est d?j? bien loin. Mon seul bonheur sera de t'?crire tous les jours quelques lignes, de penser ? toi. A demain, si la mer n'est pas trop mauvaise.--J'ai ton portrait pr?s de moi et je l'embrasse souvent.>>

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>>Depuis samedi, voici la premi?re fois que je puis me tenir un peu. Jusqu'? pr?sent, le temps ne permettait pas de rester debout. Je suis en face des c?tes d'Afrique. J'ai pass? tout mon temps sur le pont, assis dans un coin, nuit et jour, pensant au pass? que chaque coup de vent emporte un peu plus loin de moi. Mon souvenir doit s'effacer de ta pens?e, comme ces horizons que mon regard ne voit plus derri?re le sillage du navire.

>>Je souffre beaucoup, non pas du corps, car ces souffrances me sont insignifiantes; mais le coeur, mon pauvre coeur est bris?, d'autant qu'il n'a aucune consolation dans les affections qu'il laisse derri?re lui. Pourquoi faut-il que j'aie port? tout ce que j'avais de coeur sur une esp?ce de fl?au, dont la vie ne respirait que la destruction et la ruine. Tout ce qui t'aimera, tu le d?truiras; tout ce qui est beau, tu le d?testes. Le mal est ton essence; plus il est grand, plus tu souris. Quand il ne reste plus rien ? d?truire, tu rejettes tes victimes loin de toi, tu les salis, tu les insultes.

>>Depuis samedi, je n'ai aper?u qu'un vaisseau bien loin, il retournait en France: y reviendrai-je jamais? Je ne le crois pas; qu'y viendrais-je faire?

>>Dimanche, tu as d? aller ? Chantilly. Chaque jour ma pens?e se reporte en France, mon pauvre pays o? j'ai cru ?tre aim?!--Voil? mon avenir: travailler ? Sidney avec le rebut de l'Europe, au milieu de la fange de la population anglaise, les gal?riens!

>>Je n'ai pour ressource ? bord qu'un petit Polonais de vingt ans, qui dit quelques mots de fran?ais, et qui, exil? par suite des guerres de la Hongrie, va t?cher de vivre l?-bas, comme moi, sans espoir et sans but. Encore est-il tr?s-malade depuis son arriv?e ? bord.

>>Le reste me para?t ?tre un ramassis d'affreuses canailles qui se sauvent d'Angleterre pour ?viter la justice. Le bateau est tr?s-mauvais, c'est son premier voyage. On dit qu'aux premi?res on est mieux; mais aux secondes, on est nourri indignement, on mange avec les matelots les restes de la table des premi?res. Il y a un Fran?ais aux premi?res qui est n?gociant de Rouen, qui se sauve en faisant banqueroute. Je l'ai vu ? peine, et il para?t peu se soucier qu'on sache m?me son nom; je l'ai su ? Londres, avant de partir. Du reste, je suis si mal ?quip? pour voyager, que je suis tremp? comme une soupe toute la journ?e.--Mais bah! que m'importe! pourvu que le temps me permette de temps en temps de t'?crire. Je regarde ton portrait. Je pense ? toi, ? toi que je devrais ha?r pour toute la haine que tu as eue pour moi. Je cherche dans ma t?te de quoi tu pouvais te venger sur moi, qui t'adorais. Etait-ce ma faute si tu ?tais ce que tu ?tais?--N'ai-je pas tout tent? pour t'en faire sortir? Pourquoi alors m'avoir fait tant de mal?--Il n'y avait donc dans ton coeur aucune place, m?me pour la piti?. Rien pour moi, rien que de la haine! De quoi te vengeais-tu? Est-ce donc ta nature? Tu dois ?tre heureuse, maintenant. J'ai pris le genre humain dans une horreur atroce. Je hais tout le monde, car tout ce qui a de l'argent peut me voler, me voler ce que j'aime, ce que j'adore.

>>Le bateau marche tr?s-vite, et l'on nous fait esp?rer que nous arriverons au cap de Bonne-Esp?rance vers le 20 juin. Je serai presque ? moiti? chemin; jusque-l?, le ciel et la mer.

>>Si les vents sont bons et s'il ne nous arrive pas d'accident en traversant la mer des Indes, j'arriverai ? Sidney du 1er au 15 ao?t. Je retrouverai-l?, quinze jours apr?s, le jeune homme dont je t'ai parl? dans ma derni?re lettre.

>>J'ai bu ?norm?ment pendant les derniers jours que j'ai pass?s ? Londres, non pas pour soutenir mon ?nergie, mais pour m'?tourdir et oublier. Loin de me faire oublier, l'ivresse m'a rendu encore plus malheureux. Plus je souffre, plus je suis heureux, car tout le mal me vient de toi. Comme il y a loin de ces jours o? tu te disais si fi?re de moi! Toi que j'avais ramass?e de si bas, et qui, d?s le premier jour, pr?voyais ton ouvrage!--Te souviens-tu, quand tu m'as dit que je te d?testerais un jour?--Tu avais d?j? ton but ? cette ?poque. Tu l'as cach? jusqu'au jour o? tu l'as avou? hautement et ? tout le monde. Quel avenir! Quelle position ? cette ?poque-l?! Comme j'?tais brillant! comme je suis bas aujourd'hui, et comme tout le monde, comme toi-m?me, tu m?prises cet amour qui a ?t? de la l?chet?!

>>Je te quitte, car la t?te me tourne d'?crire. A demain, si je le puis, sinon au premier jour tranquille. Comme je suis fou, je ne puis m'?ter de la t?te qu'en quittant Southampton je t'ai vue sur la jet?e! C'est de la folie, mais je ne puis fermer un instant les yeux sans te revoir. J'ai vu une femme pleurer, qui a regard? le b?timent longtemps s'?loigner.--Allons, je suis fou, cela ne pouvait ?tre toi. Et puis, est-ce que quelqu'un m'aime?

>>Adieu, ? demain.>>

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>>Je viens de passer une journ?e et une nuit atroces. Le temps est un peu plus calme ce matin et je t?che d'?crire quelques lignes. Cette nuit que je viens de passer enti?rement sur le pont, sans pouvoir descendre un instant me reposer, ne m'a pas paru trop longue. Le ciel ?tait bien clair, les ?toiles ?taient superbes, il n'y avait qu'un vent ?pouvantable, vent d'Afrique bien chaud, qui vous br?lait la figure.

>>Comme tu dois ?tre heureuse, toi, tu vois des fleurs, tu dois en avoir beaucoup chez toi, et moi qui aime tant la campagne, O mon pauvre ch?teau! Pauvre Poin?onnet! Vous avez des roses, et moi qui vous soignais avec tant de bonheur, moi qui aurais voulu faire de vous un petit paradis, qui aurais voulu que tout d?t autour de moi: Je t'aime! Pauvre fou! tu n'?tais que le jouet d'une femme pour laquelle ton existence et ta fortune n'?taient rien, il lui fallait encore te briser le coeur, t'insulter, et ? chaque insulte tu as ?t? assez faible pour lui pardonner! Que voulez-vous, mon Dieu! je lui pardonne encore aujourd'hui. Et vous seul savez, ? mon Dieu! quelle existence elle m'a faite, ce que je souffre; moi dans qui vous aviez mis tant de coeur, tant d'amour, tant de beau! Vous seul pouvez voir o? je suis descendu! avec qui et o? je vis et comment je vis! Voil? la r?compense de cinq ans d'amour, de d?vouement sans bornes.--Voil? la r?compense et le merci que me gardait cette femme! le m?pris et l'oubli!--Eh! mon Dieu, pourquoi aurait-elle ?t? autre pour moi que pour les autres? Pourquoi? mais parce que je l'aimais comme elle ne pouvait jamais esp?rer d'?tre aim?e; parce que si elle ne m'aimait pas, elle devait au moins respecter une passion comme la mienne, passion honteuse pour moi, puisqu'elle ne pouvait me donner qu'une existence fl?trie; mais elle aurait d? ?tre ? mes genoux toute sa vie et me remercier d'un amour dont elle ?tait indigne, d'un amour qui pouvait lui tout faire pardonner. Qu'a-t-elle fait au lieu de cela? Quand elle a eu tout d?truit en moi et autour de moi, elle a pouss? un ?clat de rire comme celui de l'enfer et elle m'a dit:--Mais regarde donc, pauvre mis?rable! Je ne suis et ne veux ?tre qu'une fille. Tu n'as plus rien ? me donner, je n'ai plus rien ? te vendre. Je viendrai te voir quand j'aurai le temps; mais on me paye tr?s-cher ailleurs, je ne viendrai que pour jouir de ma destruction et me reposer pr?s de toi en te regardant souffrir.

>>Apr?s tout ce que j'ai fait pour cette femme, voil? ce que je suis aujourd'hui, voil? ce qu'elle a ?t?, et je lui pardonne, je d?sire qu'elle ne paye pas trop cher, par ses regrets, son ingratitude envers moi. Le bon Dieu a mis au fond du coeur de chaque cr?ature humaine un ver rongeur qui s'appelle le remords, et qui, le jour o? il s'?veille, vous d?chire cruellement sans r?pit et pour toujours. Souvenez-vous de ce que je vous dis aujourd'hui, C?leste; ce jour-l? n'est pas loin; ne vous faites pas d'illusion, vous aurez une existence de damn?e; vous vous tra?nerez aux genoux de quelqu'un, vous lui demanderez gr?ce, vous croirez le toucher ? force de d?vouement, comme j'ai essay? de le faire; eh bien! ? vous on dira:--Tu n'es qu'une fille perdue, ton amour, c'est du venin. On vous r?pondra comme vous m'avez r?pondu, par l'insulte, et vous n'aurez pas la consolation que j'ai aujourd'hui, c'est d'avoir offert et donn? un amour beau, vrai, amour digne de toute femme belle et digne d'?tre aim?e. J'ai d?pens? toute ma vie, toute ma force, toute mon intelligence ? faire de vous un ?tre respectable et reconnaissant. J'ai tout us? et suis arriv? ? ne faire qu'une ingrate, avec tous les vices qu'elle avait avant. Personne ne saura toutes mes souffrances physiques. Personne ne saura se faire une id?e de mes souffrances morales. La mis?re ne m'effraye pas, et je travaillerai avec rage pour nourrir cette existence que vous avez d?truite moralement. Je ne dois pas me relever jamais de ma ruine. Les fortunes ne se refont pas, et puis je suis bien vieux d?j?, et il faut de longues ann?es pour faire une fortune. Je n'ai donc besoin que de la vie mat?rielle n?cessaire, et mon intelligence y subviendra.

>>Si le temps ne change pas, nous n'arriverons pas avant quatre mois, et voil? huit jours seulement de pass?s. Quatre mois en mer!

>>Que je serais heureux de voir une fleur! Quand j'arriverai ? Sidney, ce sera en plein hiver, car je serai juste au-dessous de Paris. Quand il sera minuit ? Sidney, il sera midi ? Paris, de m?me le mois d'ao?t est le milieu de l'hiver. Ainsi donc me voil? priv? pour longtemps de verdure et de fleurs. J'ai la t?te qui me tourne et te dis ? revoir. A demain. Je ne suis pas encore fort comme marin, et la mer est loin d'?tre belle. Il faut tout le bonheur que j'ai ? te parler pour pouvoir ?crire. Cette lettre ne te parviendra peut-?tre jamais. A revoir! A demain! Demain, j'aurai une ride de plus, car je vieillis bien maintenant en un jour.--Vieillir sans avoir v?cu. Vieillir par la souffrance!

>>A demain!>>

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>>Voil? huit jours d'?coul?s. J'ai pass? une grande partie de la nuit sur le pont, le vent ?tait bien calme et le ciel magnifique. J'ai chant? ces beaux vers de Musset que j'avais mis en musique et que je t'avais envoy?s du Poin?onnet.

>>Si tu ne m'aimais pas, dis-moi, fille insens?e.

>>Je les ai chant?s toute la nuit. Tout le monde dormait ? bord, et d'ailleurs personne ne m'aurait compris; et puis, ? deux heures, je me suis couch? et endormi avec de beaux r?ves. Je ne sais pourquoi ton souvenir se m?le jusqu'? mon sommeil, c'est une souffrance de plus pour le r?veil. Et pourquoi t'?crire? C'est une jouissance de plus pour toi que mes plaintes, et puis, qu'ai-je ? te dire? Des v?rit?s que je connais aujourd'hui et qui t'affectent peu; car que t'importe? Moi, pour rendre le fond de ma pens?e, tout ce que mon coeur a d'amertume et d'amour, j'ai toujours la m?me phrase, et j'ai pourtant dans le coeur comme une musique dont la phrase aussi est toujours la m?me, mais dont le son d?licieux varie pour mon ?me.

>>Je me suis fait un ami ? bord. C'est un petit terrier, un chien qui appartient au capitaine. Il m'a pris en affection et je l'appelle Finoche, en souvenir de votre petite chienne. Finoche, l'ingrate! Elle caresse l'heureux du jour. Elle a ?t? pourtant bien heureuse au ch?teau.

>>Voici le premier jour o? l'on aper?oit la terre; nous sommes en face de l'?le de Mad?re.

>>Avec la lunette du b?timent j'ai bien regard?, mais c'est si loin. Si je pouvais avoir une petite fleur! Pauvre fou, une fleur! mais une fleur serait fan?e demain. Cela serait donc un regret de plus.

>>J'ai cru comprendre tout ? l'heure que le capitaine parlait de rel?cher aux ?les du Cap-Vert, d'aujourd'hui en huit, pour prendre de l'eau. Je laisserai cette lettre ? tout hasard; elle t'arriverait vers la fin de juin.

>>J'ai souvent tort de laisser aller ma plume et de la tremper dans l'aigreur. Je devrais souffrir avec r?signation, et puisque je ne pouvais pas esp?rer autre chose, avoir au moins l'?nergie de ma l?chet? et ne pas me plaindre; mais par moments, c'est plus fort que moi et cela d?borde, et puis les gens qui m'entourent me d?go?tent tellement, l'infamie est ?crite sur leur figure. Ils ont l'air si ?tonn? de me voir au milieu d'eux!

>>Le capitaine quelquefois vient aux secondes et je vois qu'il voudrait parler le fran?ais afin de savoir pourquoi je suis l?. Il doit me regarder comme un homme bien malheureux ou comme un grand mis?rable. J'apprends l'anglais, c'est mon occupation de toute la journ?e. La nourriture me r?pugne beaucoup, et la plupart du temps je ne mange que du biscuit de mer. Du reste je suis insensible ? toutes les privations du corps. Tu pourras difficilement me lire. J'ai beaucoup de peine ? ?crire avec le roulis.

>>Allons, voil? ma lettre d'aujourd'hui finie. Est-elle bonne? Dans l'un et l'autre cas, c'est toujours une jouissance pour toi. De l'amour, de la haine, des regrets, des reproches, des souvenirs; tout cela se tient par la main, c'est ton triomphe, et dans les choses les plus vraies et les plus dures, tu retrouves toujours le m?me amour dont tu souris et dont tu te moques. Pauvre femme! ton rire est infernal! Prends garde au jour o? il se changera en cris de rage et de d?sespoir. Adieu, ? demain! Voil? vingt-deux jours que j'ai quitt? Paris, ta derni?re parole n'a ?t? qu'un mot glacial, un arr?t, et je suis parti.

>>Dieu te pardonne!>>

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>>Je souffre, depuis samedi, de migraines comme celles que j'ai d?j? eues ? Paris, et je n'y voyais pas m?me assez clair pour ?crire.

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