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Read Ebook: Voyage aux montagnes Rocheuses Chez les tribus indiennes du vaste territoire de l'Orégon dépendant des Etats-Unis d'Amérique by Smet Pierre Jean De

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Ebook has 323 lines and 77993 words, and 7 pages

Ce d?sert de l'ouest, tel que je viens de le d?crire, semble devoir d?fier l'industrie de l'homme civilis?. Quelques terres, plus heureusement situ?es sur le bord des fleuves, seraient peut-?tre avec succ?s soumises ? la culture; d'autres pourraient se changer en p?turages aussi fertiles que ceux de l'est; mais il est ? craindre que, dans sa presque totalit?, cette immense r?gion ne forme comme un oc?an entre la civilisation et la barbarie, et que des bandes de malfaiteurs, organis?es comme les caravanes des Arabes, n'y exercent impun?ment leurs d?pr?dations. Ce sera peut-?tre un jour le berceau d'un nouveau peuple, compos? des anciennes races sauvages et de cette classe d'aventuriers, de fugitifs et de bannis que la soci?t? repousse de son sein, population h?t?rog?ne et mena?ante, que l'Union-Am?ricaine amoncelle comme un sinistre nuage sur ses fronti?res, et dont elle accro?t sans cesse l'irritation et les forces en transportant des tribus enti?res d'Indiens, des rives du Mississipi o? ils ont pris naissance, dans les solitudes de l'ouest qu'elle leur assigne pour exil. Ces sauvages emportent avec eux une haine implacable contre les blancs, qui les ont, disent-ils, injustement chass?s de leur patrie, loin des tombeaux de leurs p?res, pour se mettre en possession de leur h?ritage. Si quelques-unes de ces tribus forment un jour des hordes semblables aux peuples nomades, moiti? pasteurs, moiti? guerriers, qui parcourent avec leurs troupeaux les plaines de la haute Asie, n'est-il pas ? craindre qu'avec le temps d'autres ne s'organisent en bandes de pillards et d'assassins, qui auront pour coursiers les chevaux l?gers des prairies, le d?sert pour th??tre de leurs brigandages, et des rochers inaccessibles pour mettre leurs jours et leur butin en s?ret??

Cette r?gion abonde en magn?sie, de sorte que le sel de glauber se trouve presque partout et en plusieurs endroits en grande quantit? dans un ?tat de cristallisation. Les serpents ? sonnettes et autres reptiles dangereux qu'on y rencontre ? chaque pas seraient un fl?au pour la contr?e, si les sauvages n'avaient d?couvert, dans une racine tr?s-commune en ces parages, un sp?cifique infaillible contre toutes les morsures venimeuses.

Dans cette m?me r?gion, les bandes des chevaux marrons et sauvages sont tr?s-nombreuses; il faut beaucoup d'adresse et des chevaux ? longue haleine pour les prendre. Les Espagnols-Mexicains et en g?n?ral les Indiens sont adroits dans cette sorte de chasse; il est rare qu'ils manquent, quoiqu'? la course, ? leur passer le lacet autour du cou.

Je pris occasion de leur parler des principaux points de la religion; je leur expliquai les dix commandements de Dieu et plusieurs articles du Symbole. Je leur fis conna?tre l'objet de mon voyage aux Montagnes, leur demandant si eux aussi ne d?siraient pas d'avoir des Robes-noires parmi eux, pour apprendre ? leurs enfants ? conna?tre et ? servir le Grand-Esprit. La proposition parut leur plaire beaucoup, et ils me r?pondirent qu'ils feraient leur possible pour rendre le s?jour des Robes-noires agr?able parmi eux. Je crois qu'un z?l? missionnaire r?ussirait tr?s-bien chez ces sauvages. Leur langue, dit-on, est tr?s-difficile; leur nombre est d'environ deux mille. Les nations voisines consid?rent ces sauvages comme les guerriers les plus courageux des prairies.

On voit ? la Ram?e une branche des Montagnes Rocheuses ? la distance de quarante milles. Elle a cinq mille pieds au-dessus de la plaine. Le thermom?tre montait tous les jours jusqu'? quatre-vingt et quatre-vingt-dix degr?s dans les vallons de ces montagnes; et cependant leurs sommets ?taient couverts de neige. Souvent je me suis tromp? par rapport aux distances; quelquefois je d?sirais examiner de pr?s un grand rocher ou une c?te d'une apparence singuli?re; je m'y dirigeais dans la persuasion de m'y rendre ? cheval en une heure, et j'y mettais au moins deux ou trois heures. Il faut que cela soit d? ? la grande puret? de l'atmosph?re dans les prairies de cette haute r?gion. L'absinthe est une production spontan?e de ce pays; elle y cro?t ? une hauteur de huit ? dix pieds, et en si grande abondance qu'elle rend le voyage en charrettes tr?s-incommode. Les cerises ? grappes, les groseilles, les poires des c?tes y sont tr?s-abondantes. Le sureau y cro?t dans les ravins; le cotonnier de deux esp?ces est commun dans les fonds; sur les bords des rivi?res et sur la pente des montagnes, on voit des bocages de c?dres et de pins.

Je vous donnerai ici une petite notice sur les moeurs, les caract?res et les localit?s des diff?rents peuples des montagnes, d'apr?s mes propres observations et d'apr?s les meilleures informations que j'en ai pu obtenir.

Les quatre nations que je viens de citer parlent la m?me langue avec une l?g?re diff?rence de dialecte.

Je crois que vous ne lirez pas sans int?r?t une petite notice de mon s?jour parmi eux et de mes excursions dans leur compagnie. Ne vous ?tonnez pas de ce que depuis le mois d'avril jusqu'au mois de d?cembre j'ai men? la vie nomade d'un sauvage, vivant de chasse et de racine, sans pain, sans sucre et sans caf?, n'ayant pour tout lit qu'une peau de buffle et une couverture de laine, passant les nuits ? la belle ?toile lorsqu'il faisait beau, et bravant les orages et les temp?tes sous une petite tente. Je vous ai parl? de ma fi?vre; elle semblait s'obstiner ? ne pas me quitter: eh bien, par la vie dure que je menais, il est arriv? que j'en fus tout ? fait d?barrass?, et je me porte ? merveille depuis le mois de septembre.

Dans les vall?es des montagnes, le sol est en g?n?ral noir?tre, quelquefois jaune. Souvent il est entrem?l? de marne et de substances marines dans un ?tat de d?composition. Cette esp?ce de sol p?n?tre ? une grande profondeur, comme on le voit dans les vastes coupures des ravins et sur les bords des rivi?res. La v?g?tation dans ces vall?es est tr?s-abondante. C'est un pays o? le g?ologue admire de grands mouvements d'op?ration volcanique; il y trouve en m?me temps beaucoup d'int?r?t ? examiner les diff?rentes formations des laves, etc.

J'?tablis avec eux un r?glement pour les exercices spirituels, particuli?rement pour les pri?res du matin et du soir en commun, et pour les heures des instructions. Un des chefs m'apporta ensuite une cloche pour donner les signaux, et, d?s la premi?re soir?e, je rassemblai tout le monde autour de ma loge. Je leur fis conna?tre ma conversation avec leurs chefs, le plan que j'allais suivre pour leur instruction, et les dispositions n?cessaires que le Grand-Esprit demandait d'eux, pour comprendre et pratiquer la sainte loi de J?sus-Christ, qui seule pouvait les sauver des peines de l'enfer, les rendre heureux sur la terre et leur procurer apr?s cette vie un bonheur ?ternel avec Dieu dans le ciel. Je dis ensuite les pri?res du soir; et pour conclusion ils chant?rent ensemble, dans une harmonie qui me surprit beaucoup et que je trouvai admirable pour des sauvages, plusieurs cantiques de leur propre composition ? la louange de Dieu. Il me serait impossible de vous d?crire les ?motions que j'?prouvais en ce moment. Qu'il est touchant pour un missionnaire d'entendre publier les bienfaits du Tr?s-Haut par de pauvres enfants des for?ts qui n'ont pas encore eu le bonheur de recevoir la lumi?re de l'Evangile!

Tous les matins, au point du jour, le vieux chef se levait le premier; puis, montant ? cheval, il faisait le tour du camp pour haranguer son peuple. C'est une coutume qu'il a toujours observ?e, et qui a tenu, je pense, ces Indiens dans la grande union et dans la simplicit? admirable que l'on remarque parmi eux. Ces mille six cents personnes, par ses soins paternels et ses bons avis, paraissaient ne former qu'une seule famille, o? l'ordre et la charit? r?gnaient d'une mani?re vraiment ?tonnante. <> Il faisait ensuite des remontrances paternelles sur ce que lui et les autres chefs avaient remarqu? de d?fectueux dans leur conduite de la veille. A la voix de ce vieillard, que tous aiment et respectent comme un tendre p?re, ils s'empressaient de se lever; tout ?tait en mouvement dans le village, et en quelques instants les bords de la rivi?re se couvraient de monde.

Le 24 juillet, le camp traversa la montagne et se transporta du lac Henri sur le lac des Maringouins. Jusqu'au 8 ao?t, nous pass?mes encore par une grande vari?t? de pays. Tant?t nous nous trouvions dans des vallons ouverts et riants, tant?t dans des terres st?riles ? travers de hautes montagnes et des d?fil?s ?troits, quelquefois dans des plaines ?lev?es et ?tendues, profus?ment couvertes de blocs et de fragments de granit.

La grande ambition d'un sauvage et toute sa richesse consistent ? avoir des chevaux, une belle loge, une bonne couverture ou casaque et un bon fusil. Au del?, ? peine y a-t-il quelque chose qui puisse le tenter. Le seul avantage que lui donnent ses chevaux, c'est qu'au temps de la chasse il peut tuer autant de buffles qu'il le d?sire et emporter beaucoup de viande.

Les sauvages sont tr?s-adroits ? tanner la peau d'un animal. Ils ?tent les chairs avec un fer dentel?, et le poil avec une petite pioche: alors la peau, frott?e avec le cerveau de l'animal, devient tr?s-molle et propre au travail. Ils ne sont pas moins habiles ? faire leurs arcs d'un bois tr?s-?lastique ou de la corne du cerf; leurs fl?ches sont faites d'un bois pesant, et garnies de pointes de fer ou d'une pierre en forme de lance; l'effet que font ces armes est ?tonnant. La corne des grosses-cornes et des buffles leur sert ? faire des coupes, des plats et d'excellentes cuillers; ils amollissent la corne en la faisant cuire dans des cendres chaudes, et lui donnent ainsi toutes sortes de formes: en refroidissant, elle reprend sa duret? primitive. Ils font de bons paniers de saules, d'?corces ou de paille.

En g?n?ral, les sauvages des montagnes admettent l'existence d'un Etre supr?me, le Grand-Esprit, cr?ateur de toutes choses; l'immortalit? de l'?me, et une vie future o? l'homme est r?compens? ou puni d'apr?s ses m?rites. Ce sont les points principaux de leur croyance. Leurs id?es religieuses sont tr?s-born?es. Ils croient que le Grand-Esprit dirige tous les ?v?nements importants, qu'il est l'auteur de tout bien et par cons?quent seul digne d'adoration; que par leur mauvaise conduite ils s'attirent son indignation et sa col?re, et qu'il leur envoie des calamit?s pour les punir. Ils disent encore que l'?me entre dans l'autre monde avec la m?me forme qu'avait le corps sur la terre. Ils s'imaginent que leur bonheur consistera dans la jouissance et l'abondance de ces m?mes choses qu'ils ont le plus estim?es pendant la vie, que les sources de leur bonheur pr?sent seront port?es ? la perfection, et que la punition des m?chants consistera dans une privation de tout bonheur, tandis que le d?mon les accablera de mis?res d'une mani?re effrayante. Cette croyance du bonheur et du malheur ?ternel varie d'apr?s les circonstances dans lesquelles ils ont v?cu sur la terre.

Les courses de chevaux et les jeux de hasard sont au nombre des passions dominantes des sauvages; j'en ai fait d?j? mention plus haut. Les Indiens de la Colombie ont port? les jeux de hasard au dernier exc?s. Apr?s avoir perdu tout ce qu'ils ont, ils se mettent eux-m?mes sur le tapis, d'abord une main, ensuite l'autre; s'ils les perdent, les bras, et ainsi de suite tous les membres du corps; la t?te suit, et s'ils la perdent, ils deviennent esclaves pour la vie avec leurs femmes et leurs enfants.

Le gouvernement parmi les nations sauvages est entre les mains des chefs, qui deviennent tels par leurs m?rites ou leurs exploits. Leur pouvoir consiste seulement dans leur influence; elle est grande ou petite, en proportion de la sagesse, de la bienveillance et du courage qu'ils ont montr?s. Le chef n'exerce pas l'autorit? en commandant, mais par la persuasion. Il ne l?ve jamais de taxe; au contraire, il a tellement l'habitude de contribuer de ses propres biens, soit ? soulager un individu dans le besoin, soit ? procurer le bien public, qu'il est ordinairement un des plus pauvres du village. Son autorit? est n?anmoins tr?s-grande; son d?sir est accompli aussit?t que connu; son opinion est g?n?ralement suivie. Si quelqu'un s'obstine d?raisonnablement, la voix de la nation y met fin aussit?t. Je ne connais pas de gouvernement qui accorde plus de libert? personnelle, et o? il y ait en m?me temps si peu d'anarchie, tant de subordination et de d?vouement.

Cette r?gion est le repaire des ours gris: c'est l'animal le plus terrible de ce d?sert; ? chaque pas, nous en rencontrions les traces effrayantes. Un de nos chasseurs en tua un et l'apporta au camp: ses pattes avaient treize pouces de long, et ses ongles en avaient sept. La force de cet animal est surprenante. Un sauvage m'a assur? que d'un seul coup de patte il avait vu un de ces ours arracher quatre c?tes ? un buffle, qui tomba mort ? ses pieds. Un autre de ma compagnie passant ? la course pr?s du bois de saules tr?s-?pais , une ourse s'?lan?a avec fureur vers son cheval, mit sa patte formidable sur la croupe du coursier, et, d?chirant les chairs jusqu'aux os, le renversa avec son cavalier. Heureusement pour mon homme, en un clin d'oeil il fut debout, fusil en main, et il eut la satisfaction de voir son terrible adversaire retourner dans les saules avec la m?me pr?cipitation qu'il en ?tait sorti. Il est cependant rare qu'un ours attaque l'homme, ? moins que ce dernier n'arrive subitement sur lui ou qu'il ne le blesse. Si on le laisse passer sans injure, il se retire, montrant que la crainte de l'homme est sur lui comme sur tous les autres animaux.

Je fis route pendant deux jours avec cette tribu indienne; ils se trouvaient dans l'abondance, et, selon leur coutume, ils passaient le temps en r?jouissances et festins. Comme je n'ai rien de cach? pour vous, j'esp?re que vous ne serez pas scandalis? en apprenant que, dans une seule apr?s-d?n?e, j'ai assist? ? vingt diff?rents banquets; ? peine m'?tais-je assis dans une loge qu'on venait m'appeler ? une autre. Mais mon estomac n'?tant pas si complaisant que celui des Indiens, je me contentais de go?ter de leurs rago?ts, et, pour un petit morceau de tabac, des mangeurs dont j'avais pris la pr?caution de me faire accompagner avaient soin de vider le plat pour moi.

Le deuxi?me jour du voyage, j'aper?us de grand matin en m'?veillant, ? la distance d'un quart de mille, la fum?e d'un grand feu; une pointe de rocher nous s?parait seule d'un parti de guerre sauvage. Sans perdre de temps, nous sell?mes nos chevaux et part?mes au grand galop; enfin nous gagn?mes la c?te, et, traversant les ravins et le lit sec d'un torrent, nous atteign?mes le sommet sans ?tre aper?us. Nous f?mes ce jour de quarante ? cinquante milles sans nous arr?ter, et nous ne camp?mes que deux heures apr?s le coucher du soleil, de crainte que les sauvages, rencontrant nos traces, ne nous poursuivissent. La m?me crainte nous emp?cha d'allumer du feu; il fallut donc se passer de souper. Je me roulai dans ma couverture et je m'?tendis sur le gazon en me recommandant au bon Dieu. Mon grenadier, plus brave que moi, ronfla bient?t comme une machine ? vapeur en plein mouvement; passant par toutes les notes d'une gamme chromatique, il terminait par un profond soupir, en guise d'accord, chacun des tons sur lesquels il pr?ludait. Quant ? moi, j'eus beau me tourner ? droite, je passai ce qu'on appelle une nuit blanche. Le lendemain au point du jour, nous ?tions d?j? en route; il fallut user des plus grandes pr?cautions, parce que le pays que nous avions ? parcourir offrait les dangers les plus grands. Vers midi, nouveau sujet d'alarme; un buffle venait d'?tre tu? depuis environ deux heures dans un endroit o? nous devions passer; on lui avait ?t? la langue, les os ? moelle et quelques autres morceaux friands. Nous tressaill?mes ? cette vue en pensant que l'ennemi n'?tait pas loin; et cependant nous aurions d? plut?t remercier le Seigneur, qui nous avait ainsi pr?par? des aliments pour notre repas du soir. Nous nous dirige?mes du c?t? oppos? aux traces des sauvages, et la nuit suivante nous camp?mes parmi des rochers qui servent de repaire aux tigres et aux ours. J'y fis un bon somme. Pour cette fois, la musique ronflante de mon compagnon ne me troubla pas.

Ces sauvages nous aid?rent le lendemain ? traverser le Missouri dans leurs canots de buffle. Ces canots ont la forme d'un panier rond fait de saules entrelac?s d'un pouce d'?paisseur, et qu'on couvre d'une peau de buffle. Les femmes conduisent ce bateau de leur fabrique avec beaucoup de dext?rit?. Le poids et le nombre de personnes que ces canots portent est vraiment ?tonnant. Nos chevaux, qui nous avaient suivis ? la nage, s'embourb?rent jusqu'au cou sur la rive oppos?e; il fallut un demi-jour de travail pour les retirer de la vase.

On ne saurait se faire une id?e de la cruaut? d'un grand nombre de ces tribus sauvages, dans les guerres continuelles qu'ils font ? leurs voisins. Quand ils savent que les guerriers d'une tribu rivale sont partis pour la chasse, ils entrent inopin?ment dans leur village, massacrent les enfants, les femmes et les vieillards, et emm?nent prisonniers tous les hommes qu'ils peuvent conduire. Quelquefois ils se placent en embuscade, ils laissent passer tranquillement une partie de la bande, tout ? coup ils jettent un cri affreux et font pleuvoir sur l'ennemi une gr?le de balles et de fl?ches. Un combat ? mort commence aussit?t; ils s'?lancent les uns sur les autres le casse-t?te et la hache ? la main, et font une horrible boucherie, se glorifiant de leur valeur, et vomissant un torrent d'injures contre les malheureux vaincus. La mort s'y montre sous mille formes hideuses, dont le spectacle, qui glacerait d'?pouvante tout homme civilis?, ne fait au contraire qu'enflammer la rage de ces barbares. Ils insultent et foulent aux pieds les cadavres mutil?s; ils arrachent les chevelures, se roulent dans le sang comme des b?tes f?roces, souvent m?me ils d?vorent les membres palpitants de ceux qui respirent encore. Les vainqueurs retournent ? leur village, entra?nant avec eux leurs prisonniers destin?s au supplice. Les femmes viennent ? leur rencontre en jetant des hurlements ?pouvantables dans la supposition qu'elles auront ? pleurer la mort de leurs maris ou de leurs fr?res. Un h?raut proclame les d?tails circonstanci?s de l'exp?dition; on fait l'appel nominal des guerriers, et leur absence indique qu'ils ont succomb?. Alors les cris per?ants des femmes se renouvellent, et leur d?sespoir pr?sente une sc?ne de rage et de douleur qui passe l'imagination. La derni?re c?r?monie est la proclamation de la victoire: oubliant aussit?t leurs propres malheurs, elles s'empressent de c?l?brer le triomphe de leur nation; par une transition inexplicable, elles passent dans un instant d'un deuil fr?n?tique ? la joie la plus extravagante.

Je ne saurais trouver des paroles pour vous d?crire les tourments qu'ils infligent au pauvre prisonnier d?vou? ? la mort; l'un lui arrache les ongles jusqu'? la racine, un autre lui mord la chair des doigts, fait entrer le doigt d?chir? dans son calumet et en fume le sang; on leur ?crase les doigts des pieds entre deux pierres, on leur applique des fers rouges sur toutes les parties du corps, on les ?corche vifs, et on se repa?t de leurs chairs palpitantes. Ces cruaut?s continuent pendant plusieurs heures, quelquefois pendant une journ?e enti?re, jusqu'? ce que la victime succombe ? tant d'affreux tourments. Les femmes, comme de v?ritables furies, l'emportent souvent en cruaut? sur les hommes dans ces sc?nes d'horreur. Pendant tout cet horrible drame, les chefs de la tribu sont tranquillement assis autour du poteau o? se d?bat la victime; ils fument et regardent ces sc?nes tragiques sans la moindre ?motion. Souvent le prisonnier ose braver ses bourreaux avec une froideur vraiment sto?que: <>

Je d?sirais parler ? ces braves gens des principaux points du christianisme: mais l'interpr?te n'?tait pas assez vers? dans la langue pour rendre mes paroles en scioux. Le lendemain, quoique nous fussions encore ? cinq journ?es du fort, le chef me fit accompagner par son fils et par deux autres jeunes gens, me priant de les instruire. Il d?sirait absolument de conna?tre, disait-il, les paroles que j'avais ? leur communiquer de la part du Grand-Esprit; et en m?me temps ces jeunes gens seraient pour moi une sauvegarde contre les sauvages mal intentionn?s.

Deux jours apr?s, nous rencontr?mes un sauvage charg? de viande de vache. Voyant que nous ?tions sans provisions, il jeta sa charge ? terre en nous priant de vouloir l'accepter, <> Nous arriv?mes au fort Pierre le 17 octobre.

Apr?s avoir pass? quelques jours au fort Pierre, je me remis en route pour le fort Vermillon, dans la compagnie de deux Canadiens. Les plaines que nous travers?mes ?taient presque enti?rement d?nu?es de bois; souvent nous f?mes oblig?s d'appr?ter nos aliments avec du foin qu'il fallut faire flamber constamment. Nous ne rencontr?mes que tr?s-peu de sauvages dans ce voyage de dix-neuf jours; la plaine ?tait br?l?e. Nous travers?mes la rivi?re de M?decine, la rivi?re de la Chapelle, la rivi?re de Jacques et le Vermillon.

La forme des loges sauvages est digne d'attention; chaque tribu a une forme diff?rente qu'il est facile de reconna?tre. L'ext?rieur des loges sciouses est gai; elles sont peintes en lignes onduleuses rouges, jaunes et blanches, ou d?cor?es de figures de chevaux, de cerfs et de buffles, de lunes, de soleils et d'?toiles.

Je me pr?pare maintenant ? retourner ? cette vigne inculte du Seigneur. Je partirai de bonne heure dans le printemps, accompagn? de deux P?res et de trois Fr?res de notre communaut?. Vous savez qu'une pareille entreprise ne peut s'ex?cuter sans des moyens proportionn?s, et c'est un fait que je n'ai rien d'assur?; toute mon esp?rance est dans la Providence et dans le z?le de mes amis.

P. J. DE SMET, S. J.

SECOND VOYAGE

du 21 avril au 31 octobre 1842.

PREMI?RE LETTRE

Des bords de la Plate, 2 janvier 1841.

Comme toutes les oeuvres de Dieu, les commencements de la n?tre ont eu leurs preuves; peu s'en fallut m?me que d?s son d?but elle ne f?t infiniment arr?t?e, par l'ajournement impr?vu de deux caravanes sur lesquelles nous avions trop compt?, l'une de chasseurs pour la Compagnie des pelleteries am?ricaines, l'autre d'explorateurs pour les Etats-Unis, ? la t?te de laquelle devait se trouver le c?l?bre M. Nicolet. Heureusement Dieu inspira ? deux voyageurs estimables, dont j'aurais occasion de parler dans la suite, et peu apr?s ? une soixantaine d'autres, la bonne id?e de faire la m?me route que nous, les uns pour leur sant?, les autres pour leur instruction et leur plaisir, la plupart pour aller chercher fortune dans les terres beaucoup trop vant?es de la Californie. Cette caravane formait un m?lange extraordinaire de diff?rentes nations; chaque pays de l'Europe y avait son repr?sentant, depuis le sud de l'Italie, jusqu'aux plus froides r?gions de la Russie; ma petite compagnie seule, compos?e de onze personnes, en comptait huit.

La difficult? du d?part une fois lev?e, bien d'autres lui succ?d?rent. Il fallait des provisions, des armes, des instruments de toute esp?ce, des moyens de transport, des conducteurs de charrettes, un bon chasseur, un capitaine, enfin tout ce qui devient n?cessaire quand on a ? parcourir un d?sert de huit cents lieues, o? l'on ne rencontre gu?re que des ennemis ? combattre, qui pillent, qui volent, qui tuent quand ils en trouvent l'occasion, et des obstacles ? vaincre, tels qu'une foule de ravins, de marais, de rivi?res et de montagnes, qui vous arr?tent quelquefois tout court. Ce n'est souvent qu'? force de bras qu'on en tire les b?tes de charge; toutes ces choses ne se font ni sans fatigue ni surtout sans argent. Ce secours ne manqua pas ? nos besoins: d'abondantes aum?nes nous furent envoy?es de Philadelphie, de Cincinnati, du Kentucki, de Saint-Louis, de la Nouvelle-Orl?ans, ville que j'ai visit?e en personne et qui est toujours ? la t?te des autres quand il s'agit de se montrer compatissante et g?n?reuse. Ces aum?nes, et une partie des fonds que l'Association de la Foi, cette belle perle de l'Eglise militante, avait plac?s ? la disposition de notre R. P. provincial pour l'avancement des missions chez les sauvages, nous ont mis ? m?me d'entreprendre ce long voyage.

O Dieu, par quelle route inconnue aux mortels Ta sagesse conduit tes desseins ?ternels!

Le 30 avril, j'arrivai ? West-Port, ville fronti?re de l'ouest des Etats-Unis. De Saint-Louis, nous avions mis sept jours pour faire en bateau ? vapeur ce trajet de cinq cents milles; ce qui peut donner la mesure des difficult?s que pr?sente la navigation sur le Missouri au sortir de l'hiver. Alors, il est vrai, les glaces sont fondues; mais l'eau est encore si basse, les bancs de sable si rapproch?s, les chicots si nombreux, que les bateaux ne peuvent avancer qu'avec les plus grandes pr?cautions. Ces m?mes difficult?s se repr?sentent ? la fin de l'automne. Je reviendrai plus tard sur la description g?ographique de cette rivi?re.

Nous d?barqu?mes sur la rive droite. Il y avait l? une petite cabane abandonn?e, tout ? fait semblable aux demeures de nos pauvres campagnards belges, et o? quelques jours auparavant une pauvre sauvagesse ?tait morte. C'est dans ce r?duit, si semblable ? celui qui m?rita la pr?f?rence du Sauveur naissant, que nous nous cas?mes avec empressement; car nous n'allions plus avoir, pour des mois entiers, d'autre abri qu'une tente au milieu d'un d?sert immense. Une voiture br?l?e sur le bateau, un cheval qui s'est ?chapp? en d?barquant pour ne plus revenir, un autre cheval malade ? devoir laisser en route, bien des choses qui demandaient suppl?ment et r?paration, nous arr?t?rent en cet endroit jusqu'au 10 mai.

Le 19, nous continu?mes notre route, au nombre d'environ soixante-dix personnes, dont plus de cinquante ?taient en ?tat de se servir de la carabine, nombre plus que suffisant pour entreprendre avec prudence la longue course qui nous restait ? fournir. Pendant que le gros de la troupe s'avan?ait vers l'ouest, le P. Point, un jeune Anglais et moi, nous d?clin?mes sur la gauche pour visiter le premier village de nos h?tes. Arriv?s ? quelque distance de leurs loges, nous f?mes frapp?s de la ressemblance qu'elles ont avec ces larges meules de froment qui couvrent nos gu?rets apr?s la moisson. Il n'y en avait gu?re qu'une vingtaine group?es sans ordre ? quelque distance les unes des autres; mais chacune d'elles couvrait un espace circulaire d'environ cent vingt pieds de circonf?rence, ce qui suffit pour abriter commod?ment de trente ? quarante personnes. Tout le village nous parut devoir renfermer sept ? huit cents ?mes; approximation justifi?e d'ailleurs par le chiffre total de la peuplade des Kants, qui est d'environ quinze cents, r?partis en deux villages ? une vingtaine de milles de distance l'un de l'autre. Ces loges, quoique humides, paraissent cependant r?unir ? la solidit? la commodit? et l'agr?ment. De la muraille circulaire, faite de terre, et qui s'?l?ve perpendiculairement ? hauteur d'homme, partent des perches courb?es, aboutissant ? une ouverture centrale, qui sert tout ? la fois de fen?tre et de chemin?e. La porte de l'?difice est une peau brute; elle s'ouvre du c?t? le plus abrit? contre le vent; le foyer est plac? au milieu de quatre poteaux ou colonnes destin?es ? soutenir la rotonde; les lits sont rang?s en cercle autour de la muraille, et dans l'espace compris entre les lits et le foyer, se trouvent les habitu?s de la loge, les uns debout, les autres assis ou couch?s sur des peaux ou sur des nattes de jonc; il para?t que ces derni?res ont plus de valeur ? leurs yeux, car entre les honneurs qu'on nous fit lorsque nous entr?mes dans la loge, on nous en pr?senta une de cette esp?ce.

Il me serait impossible de peindre tout ce que nous v?mes de curieux pendant la demi-heure que nous pass?mes au milieu de ces figures ?tranges; bien certainement un Teniers y e?t vu des tr?sors; ce qui me frappa davantage, c'?tait la physionomie vraiment ? caract?re de la plupart de ces personnages, le naturel de l'attitude, la vivacit? de l'expression, la singularit? des costumes, la vari?t? des occupations.

Les femmes seules se livraient ? un travail proprement dit: il semblait que la t?che de gagner le pain ? la sueur de son front ne regard?t qu'elles. Pour n'?tre point d?tourn?es de leurs travaux par le soin de ceux de leurs enfants qui ne marchent pas encore, elles les avaient attach?s par les pieds et les mains ? un morceau d'?corce ou ? une planche d'assez grande dimension pour les pr?server des blessures que pourraient leur causer les objets environnants, et avaient d?pos? ce meuble, que je n'oserais appeler berceau ni fauteuil, quoiqu'il r?unisse les avantages de l'un et de l'autre, les unes sur un lit, d'autres ? leurs pieds ou dans quelque coin. En voyage, elles s'en servent ?galement, et le portent, tant?t sur le dos, ? la fa?on des Egyptiennes ou diseuses de bonne aventure, quelquefois ? leur c?t?, le plus souvent suspendu au pommeau de leur selle; tandis qu'en m?me temps elles tra?nent derri?re elles ou qu'elles poussent en avant les b?tes de somme qui portent avec la tente le bagage et quelquefois les armes de leurs maris, elles galopent en cet ?quipage aussi vite qu'eux; et ces innocentes cr?atures paraissent comprendre que crier et pleurer ne les soulage pas, car c'est rare qu'on entende leurs sons plaintifs.

Pour le v?tement, les formes ext?rieures, le langage, la mani?re de prier et de faire la guerre, les Kants ressemblent beaucoup aux sauvages leurs voisins, avec qui d'ailleurs ils sont en relation d'amiti? de temps imm?morial. Leur taille est g?n?ralement haute et bien prise: leur physionomie, comme je l'ai d?j? dit, a quelque chose de m?le; leur langage, saccad? et guttural, est encore remarquable par la longueur et la forte accentuation de ses d?sinences, ce qui n'emp?che pas leur chant d'?tre on ne peut plus monotone; d'o? l'on pourrait conclure que les eaux de leur rivi?re, quoique fort belles, n'ont cependant pas la vertu des eaux du Paraguay. Quant aux qualit?s qui distinguent l'homme de la brute, ils sont loin d'en ?tre d?pourvus: ? la force du corps et au courage, ils ajoutent un bon sens et une adresse que n'ont pas tous les sauvages. Dans leurs guerres ou ? la chasse, ils se servent, comme les blancs, de la carabine, ce qui leur donne sur leurs ennemis une grande sup?riorit?.

Bien que cette r?ponse f?t un peu plaisante, il ne faudrait pas en conclure que ce sauvage parl?t de la religion ? la l?g?re: loin de l?: semblables en ce point ? toutes les tribus indiennes, les Kants sont toujours s?rieux quand ils parlent ou entendent parler de la religion. Pour peu qu'on les observe, on s'apercevra m?me que le sentiment le plus enracin? dans leur coeur et qu'ils expriment le plus souvent dans le d?tail de leurs actions, est l'esprit et le sentiment religieux. Jamais, par exemple, ils ne prendront le calumet sans en offrir les pr?mices ? leur divinit? tut?laire; jamais ils n'iront ? l'ennemi sans avoir consult? le Grand-Esprit: au milieu des passions les plus fougueuses, ils lui adresseront leurs voeux; en assassinant une femme ou un enfant sans d?fense, ils invoqueront le Ma?tre de la vie. Enlever beaucoup de chevelures ? l'ennemi, lui voler beaucoup de chevaux, voil? l'objet de leurs voeux; c'est aussi celui de leurs plus ardentes pri?res: souvent ils y ajouteront les je?nes, les mac?rations, le sacrifice. Dans le cours de l'hiver dernier, que ne firent-ils pas pour se rendre le Ciel propice? et pourquoi, pour obtenir la gr?ce de parvenir heureusement ? massacrer, dans l'absence de leurs maris et de leurs p?res, toutes les femmes et tous les enfants qu'ils trouveraient dans le premier village des Pawn?es, leurs voisins. Et, en effet, ils enlev?rent la chevelure ? quatre-vingt-dix victimes, et firent prisonniers ceux qu'ils jug?rent ? propos de ne pas massacrer. C'est qu'? leurs yeux tout est permis ? la vengeance; les massacres les plus horribles, loin d'?tre un crime, sont pour eux des actes de vertu religieuse, de la vertu par excellence des grandes ?mes. Le Kant se venge, parce qu'? ses yeux il n'y a qu'une ?me basse qui puisse pardonner des affronts, et il nourrit sa rancune, parce que sa vengeance seule peut lui faire oublier le poids d'infamie dont il se croit accabl? par l'injure. Essayer, sans l'Evangile, de leur faire comprendre qu'il ne peut y avoir ni m?rite ni gloire ? massacrer un ennemi sans d?fense, ce serait peine perdue. Il n'y a qu'une exception ? cette loi barbare, c'est quand l'ennemi vient de lui-m?me se r?fugier dans leur village. Tant qu'il y demeure, son asile est inviolable, sa vie m?me y est plus en s?ret? que dans sa propre loge: mais malheur ? lui s'il s'en ?carte d'un seul pas: ? peine en est-il sorti, qu'il a rendu ? ses h?tes tous les droits imaginaires que l'esprit de vengeance leur avait donn?s sur lui.

Lorsque nous quitt?mes le village des Kants, deux de leurs guerriers, l'un premier soldat de la nation, l'autre ? qui l'on donnait le titre de capitaine, vinrent nous donner le pas de conduite. En quittant le premier village, nous travers?mes un grand champ d?vast?, que les Etats-Unis avaient fait d?fricher et ensemencer pour eux quelques ann?es auparavant; triste preuve de ce que je viens de dire des moyens de civilisation employ?s par les protestants.

Nos deux compagnons sont rest?s avec nous jusqu'au lendemain, et ils fussent demeur?s beaucoup plus longtemps, s'ils n'avaient pas eu ? craindre les plus terribles repr?sailles de la part des Pawn?es, ? cause des massacres dont j'ai parl? plus haut. Ayant donc re?u de nous des remerc?ments et de quoi fumer le calumet pour la peine qu'ils avaient prise, ils s'en retourn?rent ? leur village par le plus court chemin; et bien leur en prit, car nous n'avions pas encore march? deux jours, que quelques-uns de nos gens rencontr?rent un parti de Pawn?es, se dirigeant de leur c?t? et ne respirant que vengeance.

Les Pawn?es sont divis?s en quatre tribus, r?pandues dans les fertiles environs de la Plate et sur les fourches sup?rieures de la rivi?re des Kants. Quoique six fois plus nombreux que les Kants, ils ont presque toujours ?t? battus par ceux-ci, parce qu'ils n'ont ni les armes, ni l'adresse, ni la force, ni le courage de leurs rivaux. Cependant, comme le parti en question paraissait avoir bien pris ses mesures, et que chez eux la passion de la vengeance ?tait exasp?r?e au dernier point, par le souvenir encore r?cent du massacre de leurs m?res, de leurs femmes et de leurs enfants, nous ne pouvions nous emp?cher de craindre beaucoup pour les Kants; d?j? m?me nous nous peignions les Pawn?es se baignant dans le sang de leurs ennemis, lorsque deux jours apr?s leur passage nous les v?mes revenir sur leurs pas. Les deux premiers qui s'approch?rent de nous se faisaient remarquer, l'un par une chevelure humaine pendu au mors de son cheval, l'autre par un drapeau am?ricain drap? autour de son corps en guise de manteau: symbole de victoire qui nous firent mal augurer du sort de nos h?tes. Mais le chef de notre caravane les ayant interrog?s par signes sur le r?sultat de leur exp?dition, nous appr?mes d'eux-m?mes qu'ils n'avaient pas m?me vu l'ennemi, et qu'ils avaient grande faim. On leur donna, ainsi qu'? une quinzaine d'autres qui les suivaient de pr?s, non-seulement de quoi manger, mais encore de quoi fumer. Ils mang?rent beaucoup, mais ne fum?rent pas, et contre la coutume des sauvages, qui, apr?s un repas en attendent presque toujours un autre, ils partirent d'un air qui annon?ait qu'ils n'?taient pas contents. La brusquerie de ce d?part, le calumet mis de c?t?, ce retour pr?cipit? de leur exp?dition, le voisinage rapproch? de leurs peuplades, leur amour bien connu pour un pillage facile, tout contribuait ? nous faire craindre de leur part quelques tentatives, sinon contre nos personnes, du moins contre nos chevaux et bagages; mais, gr?ce ? Dieu, nos appr?hensions furent vaines, ils partirent, et pas un ne reparut.

Cette enfant, car elle n'avait que quinze ans, apr?s avoir ?t? nourrie six mois dans l'id?e qu'on lui pr?parait une f?te pour le retour de la belle saison, se r?jouissait en voyant s'enfuir les derniers jours de l'hiver. La veille du jour marqu? pour la pr?tendue f?te, on fit une coupe de bois dans la for?t, et l'on fit comprendre ? la jeune fille qu'elle devait aider ? abattre les arbres et ? aiguiser les poteaux. Le lendemain, elle fut rev?tue de ses plus beaux ornements, et plac?e au milieu des guerriers qui semblaient ne l'escorter que par honneur. Lorsque le cort?ge se mit en marche, chacun de ces guerriers, outre ses armes, qu'il tenait soigneusement cach?es, portait deux pi?ces de bois qu'il avait re?ues des mains de la victime. Celle-ci ?tait elle-m?me charg?e de trois poteaux; mais croyant marcher ? un triomphe, et n'ayant dans l'imagination que des id?es riantes, elle s'avan?ait vers le lieu de son sacrifice, dans la plus enti?re s?curit?, pleine de ce m?lange de timidit? et de joie si naturelle ? une enfant pr?venue de tant d'hommages.

Pendant la marche, qui fut longue, le silence ne fut interrompu que par des chants religieux et des invocations r?it?r?es au Ma?tre de la vie; en sorte qu'? l'ext?rieur tout contribuait ? entretenir l'illusion si flatteuse dont on l'avait berc?e jusqu'alors. Mais lorsqu'on fut parvenu au terme, et qu'elle ne vit plus que des feux, des torches et des instruments de supplice, alors ses yeux commen?ant ? s'ouvrir sur le v?ritable sort qui l'attendait, quelle ne fut pas sa surprise! et lorsqu'il ne lui fut plus possible de se faire illusion sur son sort, qui pourrait dire les d?chirements de son ?me? Des torrents de larmes coul?rent de ses yeux; son coeur se r?pandait en cris lamentables; ses mains suppliantes s'?levaient vers le ciel; puis elle priait, conjurait ses bourreaux d'avoir piti? de son innocence, de sa jeunesse, de ses parents; mais en vain: ni ses larmes, ni ses cris, ni ses pri?res, ni les promesses lib?rales d'un marchand qui se trouvait l?, rien ne fut capable d'adoucir ces barbares. Malgr? la r?sistance de la jeune fille, ils l'attachent impitoyablement aux branches de deux arbres et aux trois poteaux dont ses ?paules avaient ?t? charg?es comme d'un troph?e; ils lui br?lent ensuite les parties du corps les plus sensibles, avec des torches ardentes faites de ce m?me bois que ses propres mains avaient distribu? aux guerriers de l'escorte. Apr?s que son supplice eut dur? aussi longtemps que la soif de la vengeance et la rage du fanatisme peuvent permettre ? des coeurs f?roces de jouir d'un si horrible spectacle, le grand chef lui d?cocha au coeur une fl?che qui fut ? l'instant suivie d'une gr?le de traits, lesquels, apr?s avoir ?t? violemment tourn?s et retourn?s dans ses blessures, en furent arrach?s de mani?re ? ne faire de son corps qu'un amas de chairs meurtries d'o? le sang ruisselait de toutes parts. Quand il eut cess? de couler, le grand sacrificateur, pour couronner dignement tant d'atrocit?s, s'approcha de la victime expirante, en arracha le coeur encore palpitant, et vomissant mille impr?cations contre la nation sciouse, le porta ? sa bouche et le d?vora aux acclamations des guerriers, des femmes et des enfants de la tribu. Apr?s avoir laiss? le corps en proie aux b?tes f?roces, et r?pandu le sang sur les semences pour les f?conder, chacun se retira dans sa loge, content de soi-m?me et plein de l'esp?rance d'une bonne r?colte.

De telles atrocit?s n'?taient propres qu'? attirer sur ces sauvages les plus cruelles repr?sailles. Aussi ? peine la nouvelle s'en fut-elle r?pandue, que les Scioux, br?lant de venger leur nation, jur?rent tous qu'ils ne seraient satisfaits que lorsqu'ils auraient massacr? autant de Pawn?es que leur victime avait de phalanges aux doigts et d'articulations dans chacun de ses membres. L'effet ne tarda pas ? suivre la menace. D?j? plus de cent Pawn?es sont tomb?s sous les coups de leurs ennemis; et le massacre de leurs femmes et de leurs enfants, commis l'hiver dernier par les Kants, a mis le comble ? leur d?solation.

A la vue de tant d'horreurs, qui pourrait ne pas reconna?tre l'influence invisible de l'ennemi du genre humain, et ?tre pr?t ? tout faire, pour donner ? ces pauvres peuples la connaissance du vrai M?diateur et du v?ritable sacrifice, sans lesquels il est impossible d'apaiser la justice divine?

Rivi?re d'Eau-Sucr?e, le 14 juillet 1841.

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