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Read Ebook: Raffael by Knackfuss H Hermann

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Ebook has 305 lines and 63325 words, and 7 pages

Mes petites vacances de No?l se passoient ? jouir, mes parens et moi, de notre tendresse mutuelle, sans d'autre diversion que celle des devoirs de biens?ance et d'amiti?. Comme la saison ?toit rude, ma volupt? la plus sensible ?toit de me trouver ? mon aise aupr?s d'un bon feu: car ? Mauriac, dans le temps m?me du froid le plus aigu, quand les glaces nous assi?geoient, et lorsque, pour aller en classe, il falloit nous tracer nous-m?mes, tous les matins, un chemin dans la neige, nous ne retrouvions au logis que le feu de quelques tisons qui se baisoient sous la marmite, et auxquels ? peine tour ? tour nous ?toit-il permis de d?geler nos doigts; encore le plus souvent, nos h?tes assi?geant la chemin?e, ?toit-ce une faveur de nous en laisser approcher, et le soir, durant le travail, quand nos doigts engourdis de froid ne pouvoient plus tenir la plume, la flamme de la lampe ?toit le seul foyer o? nous pouvions les d?gourdir. Quelques-uns de mes camarades, qui, n?s sur la montagne et endurcis au froid, l'enduroient mieux que moi, m'accusoient de d?licatesse; et, dans une chambre o? la bise siffloit par les fentes des vitres, ils trouvoient ridicule que je fusse transi, et se moquoient de mes frissons. Je me reprochois ? moi-m?me d'?tre si frileux et si foible, et j'allois avec eux sur la glace, au milieu des neiges, m'accoutumer, s'il ?toit possible, aux rigueurs de l'hiver; je domptois la nature, je ne la changeois pas, et je n'apprenois qu'? souffrir. Ainsi, quand j'arrivois chez moi, et que, dans un bon lit ou au coin d'un bon feu, je me sentois tout ranim?, c'?toit pour moi l'un des momens les plus d?licieux de la vie; jouissance que la mollesse ne m'auroit jamais fait conno?tre.

Dans ces vacances de No?l, ma bonne a?eule, en grand myst?re, me confioit les secrets du m?nage. Elle me faisoit voir, comme autant de tr?sors, les provisions qu'elle avoit faites pour l'hiver: son lard, ses jambons, ses saucisses, ses pots de miel, ses urnes d'huile, ses amas de bl? noir, de seigle, de pois et de f?ves, ses tas de raves et de ch?taignes, ses lits de paille couverts de fruits. <>

Pour elle-m?me, rien de plus sobre que cette sage m?nag?re; mais son bonheur ?toit de voir r?gner l'abondance dans la maison. Un r?gal qu'elle nous donnoit avec la plus sensible joie ?toit le r?veillon de la nuit de No?l. Comme il ?toit tous les ans le m?me, on s'y attendoit, mais on se gardoit bien de paro?tre s'y ?tre attendu: car tous les ans elle se flattoit que la surprise en seroit nouvelle, et c'?toit un plaisir qu'on avoit soin de lui laisser. Pendant qu'on ?toit ? la messe, la soupe aux choux verts, le boudin, la saucisse, l'andouille, le morceau de petit-sal? le plus vermeil, les g?teaux, les beignets de pommes au saindoux, tout ?toit pr?par? myst?rieusement par elle et une de ses soeurs; et moi, seul confident de tout cet appareil, je n'en disois mot ? personne. Apr?s la messe on arrivoit; on trouvoit ce beau d?jeuner sur la table; on se r?crioit sur la magnificence de la bonne grand'm?re, et cette acclamation de surprise et de joie ?toit pour elle un plein succ?s. Le jour des Rois, la f?ve ?toit chez nous encore un sujet de r?jouissance; et, quand venoit la nouvelle ann?e, c'?toit dans toute la famille un encha?nement d'embrassades et un concert de voeux si tendres qu'il e?t ?t?, je crois, impossible d'en ?tre le t?moin sans en ?tre ?mu. Figurez-vous un p?re de famille au milieu d'une foule de femmes et d'enfans qui, tous levant les yeux et les mains vers le ciel, en appeloient sur lui les b?n?dictions; et lui, r?pondant ? leurs voeux par des larmes d'amour qui pr?sageoient peut-?tre le malheur qui nous mena?oit: telles ?toient les sc?nes que me pr?sentoient ces vacances.

Celles de P?ques ?toient un peu plus longues; et, lorsque le temps ?toit beau, elles me permettoient quelques dissipations. J'ai d?j? dit que, dans ma ville, l'?ducation des jeunes gens ?toit soign?e; leur exemple ?toit pour les filles un objet d'?mulation. L'instruction des uns influoit sur l'esprit des autres, et donnoit ? leur air, ? leur langage, ? leurs mani?res, une teinte de politesse, de biens?ance et d'agr?ment que rien ne m'a fait oublier. Une libert? innocente r?gnoit parmi cette jeunesse. Les filles, les gar?ons, se promenoient ensemble, le soir m?me, au clair de la lune. Leur amusement ordinaire ?toit le chant, et il me semble que ces jeunes voix r?unies formoient de doux accords et de jolis concerts. Je fus d'assez bonne heure admis dans cette soci?t?; mais, jusqu'? l'?ge de quinze ans, elle ne prit rien sur mes go?ts pour l'?tude et la solitude. Je n'?tois jamais plus content que lorsque, dans le jardin d'abeilles de Saint-Thomas, je passois un beau jour ? lire les vers de Virgile sur l'industrie et la police de ces r?publiques laborieuses que faisoit prosp?rer l'une des tantes de ma m?re, et dont, mieux que Virgile encore, elle avoit observ? les travaux et les moeurs. Mieux que Virgile aussi elle m'en instruisoit, en me faisant voir de mes yeux, dans les merveilles de leur instinct, des traits d'intelligence et de sagesse qui avoient ?chapp? ? ce divin po?te, et dont j'?tois ravi. Peut-?tre, dans l'amour de ma tante pour ses abeilles, y avoit-il quelque illusion, comme il y en a dans tous les amours, et l'int?r?t qu'elle prenoit ? leurs jeunes essaims ressembloit beaucoup ? celui d'une m?re pour ses enfans; mais je dois dire aussi qu'elle sembloit en ?tre aim?e autant qu'elle les aimoit. Je croyois moi-m?me les voir se plaire ? voler autour d'elle, la conno?tre, l'entendre, ob?ir ? sa voix; elles n'avoient point d'aiguillon pour leur bienfaisante ma?tresse, et lorsque, dans l'orage, elle les recueilloit, les essuyoit, les r?chauffoit de son haleine et dans ses mains, on e?t dit qu'en se ranimant elles lui bourdonnoient doucement leur reconnoissance. Nul effroi dans la ruche quand leur amie la visitoit; et si, en les voyant moins diligentes que de coutume, et malades ou languissantes, soit de fatigue ou de vieillesse, sa main, sur le sol de leur ruche, versoit un peu de vin pour leur rendre la force et la sant?, ce m?me doux murmure sembloit lui rendre gr?ces. Elle avoit entour? leur domaine d'arbres ? fruits, et de ceux qui fleurissent dans la naissance du printemps; elle y avoit introduit et fait rouler sur un lit de cailloux un petit ruisseau d'eau limpide, et, sur les bords, le thym, la lavande, la marjolaine, le serpolet, enfin les plantes dont la fleur avoit le plus d'attraits pour elles, leur offroient les pr?mices de la belle saison. Mais, lorsque la montagne commen?oit ? fleurir, et que ses aromates r?pandoient leurs parfums, nos abeilles, ne daignant plus s'amuser au butin de leur petit verger, alloient chercher au loin de plus amples richesses; et, en les voyant revenir charg?es d'?tamines de diverses couleurs, comme de pourpre, d'azur et d'or, ma tante me nommoit les fleurs dont c'?toit la d?pouille.

Ce qui se passoit sous mes yeux, ce que ma tante me racontoit, ce que je lisois dans Virgile, m'inspiroit pour ce petit peuple un int?r?t si vif que je m'oubliois avec lui, et ne m'en ?loignois jamais sans un regret sensible. Depuis, et encore ? pr?sent, j'ai tant d'amour pour les abeilles que sans douleur je ne puis penser au cruel usage o? l'on est, dans certains pays, de les faire mourir en recueillant leur miel. Ah! quand la ruche en ?toit pleine, chez nous c'?toit les soulager que d'en ?ter le superflu; mais nous leur en laissions abondamment pour se nourrir jusqu'? la floraison nouvelle, et l'on savoit, sans en blesser aucune, enlever les rayons qui exc?doient leur besoin.

Dans les longues vacances de la fin de l'ann?e, tous mes devoirs remplis, tous mes go?ts satisfaits, j'avois encore du temps ? donner ? la soci?t?, et je conviens que, tous les ans, celle de la jeunesse me plaisoit davantage; mais, comme je l'ai dit, ce ne fut qu'? quinze ans qu'elle eut pour moi tout son attrait. Les liaisons qu'on y formoit n'inqui?toient point les familles: il y avoit si peu d'in?galit? d'?tat et de fortune que les p?res et m?res ?toient presque aussit?t d'accord que les enfans, et rarement l'hymen faisoit languir l'amour; mais ce qui pour mes camarades n'?toit d'aucun danger avoit pour moi celui d'?teindre mon ?mulation et de faire avorter le fruit de mes ?tudes.

Je voyois les coeurs se choisir et former entre eux des liens: l'exemple m'en donna l'envie. L'une de nos jeunes compagnes, et la plus jolie ? mon gr?, me parut libre encore et n'avoir, comme moi, que le vague d?sir de plaire. Dans sa fra?cheur, elle n'avoit pas ce tendre et doux ?clat que l'on nous peint dans la beaut? lorsqu'on la compare ? la rose; mais le vermillon, le duvet, la rondeur de la p?che, vous offrent une image qui lui ressemble assez. Pour de l'esprit, avec une si jolie bouche pouvoit-elle ne pas en avoir? Ses yeux et son sourire en auroient donn? seuls ? son langage le plus simple; et, sur ses l?vres, le bonjour, le bonsoir, me sembloient d?licats et fins. Elle pouvoit avoir un ou deux ans de plus que moi, et cette in?galit? d'?ge, qu'un air de raison, de sagesse, rendoit encore plus imposante, intimidoit mon amour naissant; mais peu ? peu, en essayant de lui faire agr?er mes soins, je m'aper?us qu'elle y ?toit sensible, et, d?s que je pus croire que j'en serois aim?, j'en fus amoureux tout de bon. Je lui en fis l'aveu sans d?tour, et, sans d?tour aussi, elle me r?pondit que son inclination s'accorderoit avec la mienne. <> Elle me le promit avec un sourire charmant, et, tout le reste du temps de nos vacances, nous nous livr?mes au plaisir de nous aimer avec l'ing?nuit? et l'innocence de notre ?ge. Nos promenades t?te ? t?te, nos entretiens les plus int?ressans, se passoient ? imaginer pour moi dans l'avenir des possibilit?s de succ?s, de fortune, favorables ? nos d?sirs; mais, ces douces illusions se succ?dant comme des songes, l'une d?truisoit l'autre, et, apr?s nous en ?tre r?jouis un moment, nous finissions par en pleurer, comme les enfans pleurent lorsqu'un souffle renverse le ch?teau qu'ils ont ?lev?.

Je retournai chez moi, l'air ?gar?, les yeux en feu, la t?te absolument perdue. Heureusement mon p?re ?toit absent, et je n'eus pour t?moin de mon d?lire que ma m?re. En me voyant passer et monter dans ma chambre, elle fut effray?e de mon trouble; elle me suivit; je m'?tois enferm?; elle me commanda d'ouvrir: <> J'avois le front meurtri des coups que je m'?tois donn?s de la t?te contre le m?r. Quelle passion que la col?re! J'en ?prouvois pour la premi?re fois la violence et le transport. Ma m?re, ?perdue elle-m?me, me serrant dans ses bras et me baignant de larmes, jeta des cris si douloureux que toutes les femmes de la maison, hormis une seule, accoururent; et celle qui n'osoit paro?tre, et qui venoit d'avouer sa faute, s'arrachoit les cheveux du malheur qu'elle avoit caus?.

Pour lui ob?ir, je m'?tois couch?. L'effervescence de mon sang, quoique bien affoiblie, n'?toit point apais?e; tous mes nerfs ?toient ?branl?s, et l'image de cette fille int?ressante et malheureuse, que je croyois inconsolable, ?toit pr?sente ? ma pens?e, avec les traits de la douleur les plus vifs et les plus per?ans. Ma m?re me voyoit frapp? de cette id?e, et mon coeur, encore plus ?mu que mon cerveau, tenoit mon sang et mes esprits dans un mouvement d?r?gl? semblable ? une ardente fi?vre. Le m?decin, ? qui la cause en ?toit inconnue, pr?sageoit une maladie, et parloit de la pr?venir par une seconde saign?e. <> Il r?pondit qu'il seroit temps. <>

Mon p?re, ? son retour du petit voyage qu'il venoit de faire ? Clermont, nous annon?a qu'il alloit m'y mener, non pas, comme l'auroit voulu ma m?re, pour continuer mes ?tudes et faire ma philosophie, mais pour apprendre le commerce. <> Ma m?re combattit cette r?solution de toute la force de son amour, de sa douleur et de ses larmes; mais moi, voyant qu'elle affligeoit mon p?re sans le dissuader, j'obtins qu'elle c?d?t. <>

Si je n'avois suivi que ma nouvelle inclination, j'aurois ?t? de l'avis de mon p?re, car le commerce, en peu d'ann?es, pouvoit me faire un sort assez heureux; mais ni ma passion pour l'?tude, ni la volont? de ma m?re, qui, tant qu'elle a v?cu, a ?t? ma supr?me loi, ne me permirent de prendre conseil de mon amour. Je partis donc, avec l'intention de me r?server, matin et soir, une heure et demie de mon temps pour aller en classe; et, en assurant mon patron que tout le reste de mes momens seroit ? lui, je me flattois qu'il seroit content. Mais il ne voulut point entendre ? cette composition, et il fallut opter entre le commerce et l'?tude. <> Il me r?pondit qu'il d?pendoit de moi d'aller ?tre plus libre ailleurs. Je ne me le fis pas redire, et, dans le moment m?me, je pris cong? de lui.

Je n'avois pour toute richesse que deux petits ?cus que mon p?re m'avoit donn?s pour mes menus plaisirs, et quelques pi?ces de douze sous que ma grand'm?re, en me disant adieu, m'avoit gliss?es dans la main; mais la d?tresse o? j'allois tomber ?toit la moindre de mes peines. En quittant l'?tat que mon p?re me destinoit, j'allois contre sa volont?, je semblois me soustraire ? son ob?issance: me pardonneroit-il? ne viendroit-il pas me r?duire et me ranger ? mon devoir? et quand m?me, dans sa col?re, il m'abandonneroit, avec quelle amertume n'accuseroit-il pas ma m?re d'avoir contribu? ? mon ?garement? La seule id?e des chagrins que je causerois ? ma m?re ?toit un supplice pour moi. L'esprit troubl?, l'?me abattue, j'entrai dans une ?glise, je me mis en pri?re, dernier recours des malheureux. L?, comme par inspiration, me vint une pens?e qui tout ? coup changea pour moi la perspective de la vie et le r?ve de l'avenir.

R?concili? avec moi-m?me, esp?rant l'?tre avec mon p?re par la saintet? du motif que j'avois ? lui pr?senter, je commen?ai par me donner un g?te, en louant aupr?s du coll?ge un cabinet a?rien, o?, pour meubles, j'avois un lit, une table, une chaise, le tout ? dix sous par semaine, n'?tant pas en ?tat de faire un plus long bail. J'ajoutai ? ces meubles un ustensile d'anachor?te, et je fis ma provision de pain, d'eau claire et de pruneaux.

Apr?s m'?tre ?tabli, et avoir fait le soir chez moi une collation frugale, je me couchai; je dormis peu, et le lendemain j'?crivis deux lettres: l'une ? ma m?re, o? je lui exposois le refus inhumain que j'avois essuy? de cet inflexible marchand; l'autre ? mon p?re, o?, faisant parler la religion et la nature, je le suppliois avec larmes de ne pas s'opposer ? la r?solution qui m'?toit inspir?e de me consacrer aux autels. Le sentiment que je croyois avoir de cette sainte vocation ?toit en effet si sinc?re, et ma foi aux desseins et aux soins de la Providence ?toit si vive alors, que j'?non?ai dans ma lettre ? mon p?re l'esp?rance presque certaine de n'avoir plus dor?navant aucune d?pense ? lui causer; et, pour continuer mes ?tudes, je ne lui demandois que son consentement et sa b?n?diction.

Ma lettre fut un texte pour l'?loquence de ma m?re. Elle crut voir ma route trac?e par les anges, et rayonnante de lumi?res, comme l'?chelle de Jacob. Mon p?re, avec moins de foiblesse, n'avoit pas moins de pi?t?. Il se laissa fl?chir, et permit ? ma m?re de m'?crire qu'il adh?roit ? mes saintes r?solutions. En m?me temps, elle me fit passer quelques secours d'argent, dont je fis peu d'usage; et bient?t je fus en ?tat de les lui rendre tels que je les avois re?us.

J'avois appris que le coll?ge de Clermont, bien plus consid?rable que celui de Mauriac, faisoit seconder ses r?gens par des r?p?titeurs d'?tudes; ce fut sur cet emploi que je fondai mon existence; mais, pour y ?tre admis, il falloit au plus vite me faire un nom dans le coll?ge, et, malgr? mes quinze ans, gagner de haute lutte la confiance des r?gens.

Muni de ces attestations, je n'aurois eu qu'? les pr?senter au pr?fet du coll?ge de Clermont, c'en ?toit assez pour ?tre envoy? en philosophie sur-le-champ et sans examen; mais ce n'?toit pas ce que je voulois. Un ?loge en paroles, m?me le plus exag?r?, ne fait qu'une impression vague; et il me falloit quelque chose de plus frappant, de plus intime: je voulus ?tre examin?.

Je m'appliquai ? faire voir dans la feinte un pur badinage, ou un artifice innocent; un art ing?nieux d'amuser pour instruire, et quelquefois un art sublime d'embellir la v?rit? m?me, et de la rendre plus aimable, plus touchante, plus attrayante, en lui pr?tant un voile transparent et sem? de fleurs. Dans le mensonge il me fut ais? de montrer la bassesse d'une ?me qui trahit son sentiment ou sa pens?e; l'impudence d'un esprit fourbe, qui, pour en imposer, alt?re, d?nature la v?rit?, et dont le langage porte le caract?re de la ruse et de la malice, de la fraude et de la noirceur.

<> Il me le promit, quoiqu'un peu foiblement; et, avec un billet de sa main, j'allai ?tudier en logique.

Une bonne petite Mme Cl?ment, qui logeoit au-dessous de moi, et qui avoit une cuisine, fut curieuse de savoir o? ?toit la mienne. Elle me vint voir un matin. <> Je lui avouai que, pour le moment, je n'?tois pas fort ? mon aise; mais j'ajoutai qu'incessamment j'allois avoir amplement de quoi vivre; que j'?tois en ?tat de tenir une ?cole, et que les P?res j?suites vouloient bien s'occuper de moi. <> Je n'ai pas besoin de vous dire que je parlois ? une jans?niste. Sensible ? l'int?r?t qu'elle prenoit ? moi, je parus dispos? ? suivre ses conseils, et je lui demandai quelques instructions sur les P?res de l'Oratoire. <> J'acceptai son invitation; et, quoique son d?ner f?t assur?ment bien frugal, je n'en ai jamais fait de meilleur en ma vie; surtout deux ou trois petits coups de vin pur qu'elle me fit boire ranim?rent tous mes esprits. L? j'appris dans une heure tout ce que j'avois ? savoir de l'animosit? des j?suites contre les oratoriens, et de la jalouse rivalit? de l'un et l'autre coll?ges. Ma voisine ajouta que, si j'allois ? Riom, j'y serois bien recommand?. Je la remerciai des bons offices qu'elle vouloit me rendre; et, fort de ses intentions et de mes esp?rances, j'allai voir le pr?fet. C'?toit un jour de cong? pour les classes. Il parut surpris de me voir, et me demanda froidement ce qui m'amenoit. Cet accueil acheva de me persuader ce que m'avoit dit ma voisine. <> Et de ce pas il me mena chez mon professeur. <> Mon professeur prit feu dans cette affaire encore plus vivement que le P?re pr?fet. Ils dirent l'un et l'autre des merveilles de moi ? tous les r?gens du coll?ge; d?s lors ma fortune fut faite; j'eus une ?cole, et, dans un mois, douze ?coliers, ? quatre francs par t?te, me firent un ?tat au-dessus de tous les besoins. Je fus bien log?, bien nourri, et ? P?ques j'eus les moyens de me v?tir d?cemment en abb?, ce dont j'avois le plus d'envie, soit pour mieux assurer mon p?re de la sinc?rit? de ma vocation, soit pour avoir dans le coll?ge une s?rieuse existence.

Quand je quittai mon cabinet, ma voisine, ? qui j'allai dire ce qu'on faisoit pour moi, n'en fut pas aussi aise que je l'aurois voulu. <> Je la priai de me garder ses bont?s en cas de besoin, et, m?me dans mon opulence, j'allai la revoir quelquefois.

Mon habit eccl?siastique, les biens?ances qu'il m'imposoit, et de plus cet ancien d?sir de consid?ration personnelle que l'exemple d'Amalvy m'avoit laiss? dans l'?me, eurent pour moi d'heureux effets, et singuli?rement celui de me rendre s?v?re et r?serv? dans mes liaisons de coll?ge. Je ne me pressai pas de choisir mes amis, et je n'en fis qu'un petit nombre: nous ?tions quatre, et toujours les m?mes, dans nos parties de plaisir, c'est-?-dire de promenade. ? frais communs, et ? peu de frais, nous ?tions abonn?s pour nos lectures avec un vieux libraire; et, comme les bons livres sont, gr?ce au Ciel, les plus communs, nous n'en lisions que d'excellens. Les grands orateurs, les grands po?tes, les meilleurs ?crivains du si?cle dernier, quelques-uns du si?cle pr?sent, car le libraire en avoit peu, se succ?doient de main en main; et, dans nos promenades, chacun se rappelant ce qu'il en avoit recueilli, nos entretiens se passoient presque tous en conf?rences sur nos lectures. Dans l'une de nos promenades ? Beauregard, maison de plaisance de l'?v?ch?; nous e?mes le bonheur de voir le v?n?rable Massillon. L'accueil plein de bont? que nous fit ce vieillard illustre, la vive et tendre impression que firent sur moi sa vue et l'accent de sa voix, est un des plus doux souvenirs qui me restent de mon jeune ?ge.

Dans cet ?ge o? les affections de l'esprit et celles de l'?me ont une communication r?ciproquement si soudaine, o? la pens?e et le sentiment agissent et r?agissent l'un sur l'autre avec tant de rapidit?, il n'est personne ? qui quelquefois il ne soit arriv?, en voyant un grand homme, d'imprimer sur son front les traits du caract?re de son ?me ou de son g?nie. C'?toit ainsi que, parmi les rides de ce visage d?j? fl?tri, et dans ces yeux qui alloient s'?teindre, je croyois d?m?ler encore l'expression de cette ?loquence si sensible, si tendre, si haute quelquefois, si profond?ment p?n?trante, dont je venois d'?tre enchant? ? la lecture de ses sermons. Il nous permit de lui en parler, et de lui faire hommage des religieuses larmes qu'elle nous avoit fait r?pandre.

Apr?s un travail excessif, durant mon ann?e de logique, ayant eu, sans compter mes ?tudes particuli?res, trois autres classes, soir et matin, ? faire avec mes ?coliers, j'allai chez moi prendre un peu de repos; et ce ne fut pas, je l'avoue, sans quelque sentiment d'orgueil que je parus devant mon p?re, bien v?tu, les mains pleines de petits pr?sens pour mes soeurs, et avec quelque argent de r?serve. Ma m?re, en m'embrassant, pleura de joie; mon p?re me re?ut avec bont?, mais froidement; tout le reste de la famille fut comme enchant? de me voir.

La seconde ann?e de ma philosophie fut encore plus laborieuse que la premi?re. Mon ?cole ?toit augment?e, j'y donnois tous mes soins; et, de plus, destin? ? soutenir des th?ses g?n?rales, il fallut prendre de longues veilles sur mes nuits pour m'y pr?parer.

Ce fut le jour o? je venois de terminer, par cet exercice public, le cours de ma philosophie, que j'appris l'?v?nement funeste qui nous plongeoit, ma famille et moi, dans un ab?me de douleur.

Apr?s mes th?ses, selon l'usage, nous faisions, mes amis et moi, dans la chambre du professeur, une collation qu'auroit d? animer la joie; et, dans les f?licitations qui m'?toient adress?es, je ne vis que de la tristesse. Comme j'avois assez bien r?solu les difficult?s qu'on m'avoit propos?es, je fus surpris que mes camarades, et que le professeur lui-m?me, n'eussent pas un air plus content. <> Je tombai sous le coup, et je fus un quart d'heure sans couleur et sans voix. Rendu ? la vie et aux larmes, je voulois partir sur-le-champ pour aller sauver du d?sespoir ma pauvre m?re; mais, sans guide et par les montagnes, la nuit m'alloit surprendre; il fallut attendre le point du jour. J'avois douze grandes lieues ? faire sur un cheval de louage; et, en le pressant le plus qu'il m'?toit possible, je n'allois que tr?s lentement. Durant ce fun?bre voyage, une seule pens?e, un seul tableau pr?sent ? mon esprit, l'avoit occup? sans rel?che, et toutes les forces de mon ?me s'?toient r?unies pour en soutenir l'impression; mais bient?t, en r?alit?, il fallut avoir le courage de le voir, de le contempler dans ses plus lugubres horreurs.

J'arrive, au milieu de la nuit, ? la porte de ma maison. Je frappe, je me nomme, et dans le moment un murmure plaintif, un m?lange de voix g?missantes, se fait entendre. Toute la famille se l?ve, on vient m'ouvrir, et, en entrant, je suis environn? de cette famille ?plor?e, m?re, enfans, vieilles femmes, tous presque nus, ?chevel?s, semblables ? des spectres, et me tendant les bras avec des cris qui percent et d?chirent mon coeur. Je ne sais quelle force que la nature nous r?serve, sans doute, pour le malheur extr?me, se d?ploya tout ? coup en moi. Jamais je ne me suis senti si sup?rieur ? moi-m?me. J'avois ? soulever un poids ?norme de douleur; je n'y succombai point. J'ouvris mes bras, mon sein ? cette foule de malheureux; je les y re?us tous; et, avec l'assurance d'un homme inspir? par le Ciel, sans marquer de foiblesse, sans verser une larme, moi qui pleure facilement: <>

? ces mots, des ruisseaux de larmes, mais des larmes bien moins am?res, coul?rent de leurs yeux. <> Et mes fr?res, mes soeurs, mes bonnes tantes, ma grand'm?re, tomb?rent ? genoux. Cette sc?ne touchante auroit dur? le reste de la nuit, si j'avois pu la soutenir. J'?tois accabl? de fatigue; je demandai un lit. <> Ses pleurs lui coup?rent la voix. <>

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