Read Ebook: Paris tel qu'il est by Noriac Jules
Font size:
Background color:
Text color:
Add to tbrJar First Page Next Page
Ebook has 23 lines and 5544 words, and 1 pages
L'ESCLAVE RELIGIEUX, ET SES AVANTURES.
A PARIS, Chez DANIEL HORTEMELS, ru? S. Jacques, au M?cenas.
M. DC. XC.
A MADAME LA MARQUISE DE L'HOPITAL.
MADAME,
Vostre tres humble & tres-obe?ssant serviteur,
F. A. Q.
AVERTISSEMENT.
Ce n'est ny le desir d'?crire, ny l'ambition de faire connoistre mon nom, qui me fait donner au publicq c?t Ouvrage, que j'ay intitul? l'Esclave Religieux, parce que ce fut dans les fers que je formay la resolution de renoncer au monde. Je n'ay point d'autre dessein que d'exciter les Chr?tiens au soulagement des Captifs, en exposant ? leurs yeux le fidele Tableau de leurs miseres. Je puis dire avec verit?, qu'encore que j'aye extr?mement souffert durant huit ann?es d'Esclavage, ma plus grande peine a to?jours est? d'en voir beaucoup d'autres plus malheureux que moy, soit qu'ils n'eussent pas la mesme force pour supporter leurs maux, soit que le Ciel ne leur accord?t pas le secours dont il m'a favoris? de temps en temps; puisque ce n'est point parmy les Chr?tiens d?tenus en Barbarie, que le proverbe ? lieu, que la consolation d'un malheureux est d'en voir de plus miserables que luy. Comme la porte de la libert? est ouverte ? tous ceux qui renoncent ? leur Religion, il ne reste dans les fers que ceux lesquels animez de l'esprit de JESUS-CHRIST, demeurent unis & fermes dans les plus cruelles persecutions; ainsi la pesanteur de leurs cha?nes leurs devient commune, parce qu'ils se regardent comme des enfans qui souffrent pour la querele d'un mesme pere, & ils assistent les plus foibles pour les emp?cher de tomber dans l'infidelit?.
TABLE DES CHAPITRES.
FIN.
Sign?, J. B. COIGNARD SYNDIC.
Achev? d'Imprimer pour la premiere fois le 22. May 1690.
LES VOYAGES ET AVANTURES D'UN ESCLAVE DE TRIPOLY.
Chapitre premier.
Pendant qu'on ?quipoit ? Venise un Navire pour Constantinople, o? je me proposois d'aller, j'e?s le temps de considerer les beautez de cette Ville qui est l'unique dans le monde, assise au milieu de la Mer, toutes les ru?s sont remplies de Canaux, & chaque Habitant a sa Gondole, les Eglises, les Places & les Palais y sont magnifiques, sur tout la Place de Saint Marc, o? l'on voit deux Colomnes qui ont servy au Temple de Sainte Sophie de Constantinople. La Ville est environn?e de petites Isles agreables, on voit dans les unes des Jardins de Plaisance, dans les autres des Monasteres qui servent de Forteresses spirituelles ? la Republique, sans compter les Tours & les Bastions garnis de Canons, pour s'opposer aux insultes des Turcs. Il y a dans l'Arsenal dequoy armer quarante mil hommes, & un nombre infiny d'Ouvriers destinez pour les Ouvrages de la Marine: On y garde quantit? d'Etendars, comme des Monumens ?ternels de la valeur des Generaux de la Republique & des Victoires memorables qu'ils ont remport?es sur les Infideles. Si Rome est appell?e la Sainte, Naples la Gentille, Florence la Belle, Gennes la Superbe, Venise se peut vanter d'estre la Riche. Je finiray l'?loge de Venise par six Vers Latins d'un Po?te Italien, qui fut recompens? par le Senat de six cens Sequins d'or.
Le long s?jour que je fis ? Venise pour attendre le d?part du Vaisseau o? je devois m'embarquer, me donna le loisir de voir en l'Eglise de S. Marc, la Pompe funebre du Prince Almeric de la Maison de Modene, qui estoit mort en Candie pour le Service de la Republique, & la Sortie du Bucentaure le jour de l'Ascension, lorsque le Doge va en Ceremonie Epouser la Mer. Ce superbe Bastiment que les Estrangers appellent la Montagne d'or, porte six cent personnes, sans les Rameurs & les Matelots necessaires pour son ?quipage. Le Doge accompagn? de tous les Ambassadeurs & du Senat, monte le Bucentaure, dont les Cordages sont de Soye, les Voiles & les Etendars de Broderie: Estant arriv? au lieu destin?, le Patriarche benit un Anneau, & le met au doigt du Doge qui le jette aussi-tost dans la Mer. Apres la Ceremonie le Bucentaure retourne dans la Ville suivy de dix ? douze mil Gondoles, & de plusieurs Galiotes, Brigantins & Galeres qui luy font la Cour comme ? leur Souverain. Ces petites Gondoles qu'on appelle ordinairement les Carrosses de Venise, tiennent leur rang pr?s de leur Prince selon la qualit? de ceux qui les montent; Elles sont orn?es d'Armes, de Fl?mes, de Pavillons, & couvertes de Tapis de Turquie, & semblent ? leur retour t?moigner par mille Fanfares & Concerts differents, que le Roy de la Mer a e? pour agreable le mariage du Doge avec elle.
Le Vaisseau Hollandois sur lequel je m'embarquay pour aller ? Constantinople, s'appelloit la Fleur de Lys, il estoit moiti? arm? en Guerre, & moiti? charg? en Marchandises, & portoit des Passagers de Diverses Nations; Une Dame Greque y estoit, & deux petites Filles ?g?es de huit ? dix ans, qu'elle avoit eu?s d'un Noble Venitien qui l'avoit enlev?e pour sa beaut? & emmen?e ? Venise, apr?s sa mort elle se retiroit en son Pa?s. D?s que le Vaisseau fut en estat de se mettre ? la voile, nous partismes de la grande rade avec un vent assez favorable qui nous fit arriver en peu de temps ? Zante: Nous n'y fismes pas de s?jour ? cause des tremblemens de terre qui arrivent souvent dans cette isle comme les Habitans nous le firent remarquer par les ruines des Terres voisines de la Ville, & de quelques maisons depuis peu renvers?es. Un jour que nous nous divertissions apr?s le disner, la chambre o? nous estions trembla si rudement, que les pierres de la porte se separerent; ce qui nous obligea d'en sortir promptement; & ? peine f?mes nous embarquez que la maison abisma. Nous rendismes graces au Ciel de nous avoir preservez de ce peril, & continu?mes nostre route du cost? de Candie, o? toutes les forces Ottomanes estoient pour le Siege de la Capitale. Il y a bien de la difference entre les Voyages qu'on fait par Terre & ceux qu'on fait sur Mer; dans les premiers la diversit? des moeurs & des co?tumes des Peuples, & les beautez singulieres des Pa?s, font oublier une partie des fatigues que souffre le Voyageur; au lieu que sur Mer on est dans un repos continuel, n'ayant point d'autre occupation qu'? passer le temps, & ? faire part de ses avantures ? ses Compagnons de Vaisseau. Depuis Venise jusqu'? l'Archipel, on d?couvre ? droite les Terres de la Republique, la Marche d'Ancone, Lorette, & les Provinces de l'Abruze, de la Po?ille & de Calabre dans le Royaume de Naples; A gauche, la Dalmatie, la Republique de Raguze, l'Albanie, l'Epire, la Bossine, la Mor?e & la Candie.
L'approche de Candie nous fit tenir sur nos gardes, le bruit du Canon des Turcs venoit jusqu'? nous, & nous avions sujet d'apprehender leur Arm?e Navalle. Nous commencions ? costoyer les Isles de l'Archipel, lors qu'un soir nostre Capitaine dit qu'il s'estimoit heureux d'estre venu d'Hollande ? Venise sans danger, nonobstant la quantit? de Pirates qui courent la Mediteran?e. On le felicita de son bon-heur, & pour en t?moigner sa reconnoissance, il fit apporter la Collation & deux bouteilles de Malvoisie. Ce Regal se passa joyeusement, parce qu'il y avoit des personnes de differentes Nations, qui firent un concert assez bizare de leurs langages: Ce qui augmenta le plaisir, Un Prestre Flamand apres avoir bien beu avo?a qu'il alloit expr?s en Grece ou en Armenie pour s'y ?tablir, ? cause que les Prestres s'y marient, & qu'il avoit dessein d'entrer dans ce Sacrement avant que de mourir.
Comme nous estions prests de nous retirer, la Sentinelle qui descendoit du Perroquet, ass?ra le Capitaine qu'il avoit aperceu de loin quelques voiles. Nous nous retirasmes dans l'esperance que la nuit nous en ?loigneroit; mais ? la pointe du jour nous vismes quatre Vaisseaux qui n'estoient eloignez de nostre Navire que de dix mille, & qui venoient fondre sur nous ? toutes voiles. Leur diligence nous fit juger qu'ils estoient Corsaires; ce qui obligea le Capitaine de donner ses ordres. Il fit faire une Priere publique, exhorta un chacun de garder son poste & de deffendre sa vie & sa libert? contre les ennemis des Chrestiens, & disposa si bien toutes choses, que nous f?mes en estat de combattre. Une Barque Italienne que nous avions trouv?e dans le Golphe de Venise deux jours apres nostre d?part avoit est? prise par ces Pirates, qui ayant est? par elle avertis de nostre passage, ils mirent toutes les Voiles au vent pour nous joindre avant que nous pussions mo?iller l'Ancre aux Isles de l'Archipel, & par cette retraite ?viter le Combat; Mais toute la diligence que nous p?mes apporter fut inutile ? cause de la pesanteur de nostre Vaisseau qui estoit charg? de marchandises. Le plus hardy des quatre Corsaires nomm? Beyrant Rais Renegat Proven?al, nous vint sal?er de vingt-quatre canonades, mais celles de la Poupe nous firent plus de ravage que toute la bande; Hally Rais Renegat Grec fit en suite sa passade du mesme bord; Morat Renegat Hollandois, qui commandoit un Vaisseau ? la Fran?oise, mont? de quarante-huit pieces de Canon, nous maltraita beaucoup, & enfin nous essuy?mes les Canonades des ennemis suivies de mousqueterie, de fl?ches & de grenades.
On se donne quelque tr?ve dans ces occasions, pour descendre les blessez ? fond de calle, & jetter en Mer les corps morts dont profitent les Poissons, qui ne manquent jamais de se rendre pr?s des Navires au bruit du Canon. Pendant ce temps nostre Capitaine, qui estoit un tres brave homme, parcourut le Vaisseau, & voyant que le flanc de Tribord estoit maltrait?, les Canons en partie d?montez, & sans secours, il fit armer l'autre bande pour faire paroistre aux ennemis une force ?gale, bien qu'ils fussent quatre Pirates contre un Vaisseau Marchand.
Tandis qu'un des Corsaires nous donna la passade, Beyram Rais vint nous aramber, apres que les acrots furent jettez, nous fismes retraite ? la poupe pour surprendre ces Infideles, dont trente entrerent dans nostre Navire le Sabre ? la main, le feu de nostre Mousquerie & de deux Periers chargez ? Cartouches, fit un tel effet, qu'il ne s'en sauva que six. Un d'eux receut en se retirant un coup de Ponton au travers du corps, & un coup de Sabre sur la teste, ces blessures ne l'emp?cherent pas de courir apres celuy qui l'avoit bless?, & il tomba roide mort ? six pas de l?. L'opium que les Turcs mangent avant que de combattre les rend furieux, & les fait aller au combat la teste baiss?e sans craindre le danger, heurlans comme des bestes feroces, pour donner de la terreur aux Chrestiens.
Nostre Capitaine cr?t que les Barbares n'hazarderoient pas une autre
Add to tbrJar First Page Next Page