Read Ebook: La leçon d'amour dans un parc by Boylesve Ren
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Ebook has 668 lines and 48872 words, and 14 pages
<<--Pratiquez uniquement la vertu autour d'elle,>> dit le baron.
<<--Pour une fois que vous hasardez une chose sens?e, dit Mme de Matefelon, que n'avez-vous le courage de le faire sans ricaner?>>
Ninon songea ? mettre Jacquette au couvent. Il y en avait un c?l?bre dans le pays; mais, outre que Mmes de la Vall?e-Chourie et de la Vall?e-Malitourne y avaient ?t? ?lev?es, on n'en disait point de bien. Ces dames racontaient que l'on s'y baignait deux fois l'an, ? partir de l'?ge nubile, et v?tues d'un grand sac de toile qu'une converse, les yeux baiss?s, vous passait et vous nouait au cou, sous la chemise, avant d'enlever celle-ci, et vous arrachait de m?me au sortir de l'eau, apr?s avoir repass? la chemise, de telle mani?re qu'? aucun moment le corps ne p?t appara?tre ? nu, que les mains ne fussent tent?es d'en fr?ler les contours et les yeux d'y exercer la concupiscence. Le m?me usage ?tait pratiqu?, disait-on, par les religieuses, et, gr?ce ? lui, un homme avait pu se dissimuler et vivre au couvent, sous figure de nonne, onze mois durant.
<<--Vraiment! faisait Ninon; et comment finit-on par s'apercevoir de son sexe?>>
<<--En crevant le sac, ? la suite de graves d?sordres: un certain nombre de ces dames et plusieurs ?l?ves nobles accouchaient.>>
On en revint ? l'id?e premi?re, qui ?tait de donner ? Jacquette une gouvernante.
<<--De cette fa?on, dit Ninon, nous ne cesserons d'avoir la ch?re enfant sous les yeux, et nous aurons mis notre responsabilit? ? couvert.>>
On avisa le marquis de ce projet. Foulques fron?a d'abord le sourcil, comme toutes les fois qu'on le consultait pour la forme, car il tenait ? para?tre rouler mille objections dans sa t?te. Puis il jugea le projet convenable.
La difficult? ?tait de trouver la gouvernante, car on ne connaissait personne qui f?t apte ? remplir cette fonction.
Mme de Ch?teaubedeau avait justement dans ses relations une certaine demoiselle de Quinsonas, issue d'une famille des plus honorables, mais ruin?e par le Syst?me, et dont elle savait le plus grand bien quant ? la science et ? la moralit?.
Le marquis Foulques ha?ssait les figures ingrates et d?cr?pites; il les pr?tendait n?fastes ? la jeunesse, et pour rien au monde n'e?t consenti ? ce qu'une d'elles respir?t au chevet de sa fille. C'est pourquoi il avait tout d'abord fronc? le sourcil un peu plus longuement qu'? l'ordinaire, au seul mot de gouvernante.
<<--Ma fille, dit-il, ne sera point ?lev?e par une du?gne. Ces vieilles sottes inculquent ? l'enfance des id?es d'un autre ?ge; elles ont des manies inv?t?r?es et l'obstination des mules, sans compter qu'il leur arrive fr?quemment de r?pandre une aigre odeur.>>
Mais Mme de Ch?teaubedeau le tranquillisa en lui affirmant que Mlle de Quinsonas r?unissait pr?cis?ment le double avantage d'offrir des dehors agr?ables et une docilit? parfaite aux exigences des familles touchant les m?thodes d'?ducation. Elle ?tait la propre ni?ce et filleule de Mgr l'?v?que d'Angers, et vivait pr?sentement dans une petite ruelle avoisinant la cath?drale, d'une maigre rente servie par la munificence ?piscopale. La description de cette maison humide et basse abritant une personne pleine de m?rites, suffit ? gagner le coeur excellent de Ninon, qui ne savait plus comment t?moigner sa reconnaissance ? Mme de Ch?teaubedeau.
Il fut sensible pour tout le monde que la ma?tresse de M. de la Vall?e-Chourie avait aujourd'hui tir? la famille de la situation la plus difficile.
La seule Mme de Matefelon, qui ne perdait point la t?te, s'avisa, le soir, de faire observer ? Ninon, qu'en somme, on avait pris un parti bien promptement.
<<--Croyez-vous?>> dit Ninon.
<<--Je le crois, dit Mme de Matefelon, car cette gouvernante ne vous est connue, en somme, que par Mme de Ch?teaubedeau, qui a rendu elle-m?me son intervention n?cessaire par les d?sordres de sa conduite.>>
<<--Je l'oubliais, fit Ninon; mais tout cela c'est de quoi se rompre la t?te...>>
ARRIV?E DE MADEMOISELLE DE QUINSONAS ET SON INSTALLATION. CE QUE JACQUETTE APPREND TOUT D'ABORD, DU FAIT DE SA GOUVERNANTE.
La gouvernante arriva un beau jour de septembre, ? la tomb?e de la chaleur, dans un carrosse poudreux que le marquis avait envoy?, tout expr?s, au-devant d'elle, jusqu'aux Ponts-de-C?.
Les h?tes du ch?teau ?taient cach?s dans une grande pi?ce am?nag?e en lingerie, donnant sur la cour, afin d'avoir l'oeil sur la Quinsonas au moment o? elle mettrait pied ? terre. Seules, Ninon et Mme de Ch?teaubedeau l'attendaient au salon. Le marquis s'avan?a dans la cour, en rejetant du coin de la semelle, les marrons tomb?s, avec leur coque ?pineuse ? demi ?clat?e, dans les petites rigoles, entre les pav?s ventrus; et, arriv? au porche d'entr?e, il regarda sur la route de Saumur, la main en abat-jour, et la figure grima?ante, ? cause du soleil qui se trouvait bas, juste en face. On remarqua soudain qu'il rajustait sa perruque et faisait des pichenettes sur son jabot, d'o? l'on augura que la voiture ?tait en vue et que le marquis se souvenait du portrait avantageux que Mme de Ch?teaubedeau avait trac? de la gouvernante.
Le bon Fleury, le cocher de Fontevrault, eut, en faisant tourner les chevaux dans la cour, un coup de langue qui en disait long sur l'effet que lui avait produit la voyageuse. Celle-ci ?tait aussit?t par terre, tr?s simplement, tr?s vivement, avant que Foulques f?t l? pour lui pr?senter la main.
L'avis de la lingerie fut unanime: la nouvelle venue ?tait quelconque. Cependant M. de la Vall?e-Malitourne,--qui n'avait rien vu parce qu'on l'avait post? pr?s de la porte, en sentinelle,--ayant ouvert, avec la malchance qui le caract?risait, juste de fa?on ? se trouver nez ? nez avec Mlle de Quinsonas, r?apparut en se baisant le dessus de la main et disant que la nouvelle venue avait la bouche la plus affriolante qui f?t. Son fr?re Chourie se pr?cipitait et dessinant dans l'espace une ample circonf?rence:
<<--Quel derri?re!>> s'?cria-t-il.
Il n'en fallait pas plus pour que celle ? qui l'on trouvait du m?me coup d'aussi grandes qualit?s aux antipodes, e?t contre elle toutes les femmes pr?sentes.
On lui donna les appartements de feu M. Lemeunier de Fontevrault, un peu surann?s quant aux tentures, mais spacieux et commodes, situ?s au rez-de-chauss?e, vis-?-vis un petit parterre, au couchant, bien plant? et tenu frais. Le marquis tint ? l'y accompagner, pour lui faire honneur, cela va sans dire, et lui ?num?rer tout de suite et point par point ses instructions.
Jacquette, enorgueillie de valoir, ? elle seule, un si grand remue-m?nage, s'amusa seule dans le parterre, en attendant, apr?s avoir vu Fleury d?teler les chevaux. Elle marchait avec pr?caution dans les sentiers ?troits garnis d'un sable fin soigneusement ratiss?, entre les bordures de buis, puis jetait un regard en arri?re pour voir la trace de ses chaussures, pareille ? un semis de points d'exclamation. Elle piqua tout ? coup dans le sol un de ses talons et tourna sur elle-m?me, comme un toton, clignant de l'oeil toutes les fois qu'elle passait en face d'un rayon de soleil qui venait par l'all?e des fontaines et semblait mettre le feu aux panaches des marronniers. Ce rayon atteignit bient?t les vitres des appartements de la gouvernante, et Jacquette se plut ? imaginer que l'ancienne chambre de M. Lemeunier de Fontevrault ?tait bond?e de pots de confitures de groseilles et elle e?t bien voulu y regarder de plus pr?s mais c'?tait difficile. Alors elle trouva le temps long et s'ennuya.
Les pigeons ex?cutaient autour du ch?teau la derni?re ronde du jour, et le parc entier retentissait du ramage des oiseaux. Puis tout cela s'apaisa d'un coup: les pots de confitures fondirent, la belle lumi?re s'envola, et tous les bruits avec elle. On pouvait distinguer le pas menu d'un chat qui se br?lait les pattes au bord du toit, en courant sur les rigoles de plomb ?chauff?es.
Jacquette en revint toutefois ? son id?e, qui ?tait de regarder par les fen?tres de la gouvernante, et elle appela, dans ce but, le chevalier Dieutegard qui s'en allait tout seul vers les bassins, en r?vant, au coucher du soleil, selon sa coutume. Jacquette le tenait en une estime particuli?re parce qu'il affectionnait les ?tangs, les fontaines et le bord du fleuve, hant?s, au dire de sa nourrice, par des g?nies redoutables, et elle le soup?onnait de commercer avec les f?es.
Il interrompit sa promenade ? la pri?re de sa jeune amie et p?n?tra dans le parterre en enjambant la cl?ture. Il s'agissait de descendre dans le foss? ? demi combl? et de se dresser au long de la muraille, avec Jacquette sur les ?paules, ? l'endroit o? une girofl?e croissait entre les pierres. La petite surprendrait ainsi Mlle de Quinsonas; on rirait de part et d'autre, et ce serait une jolie fa?on de faire un peu connaissance.
Le chevalier se pr?ta volontiers ? ce caprice d'enfant, et Jacquette, ayant essuy? la semelle de ses souliers sur l'herbe du foss?, escalada le dos d'un habit feuille morte, qui ?tait renomm? ? Fontevrault pour fournir le ton exact des pens?es du chevalier Dieutegard. L'habit se tendit; les petits pieds gazouill?rent sur la soie et s'?tablirent le plus fermement possible de chaque c?t? du col. Le chevalier serrait prudemment contre ses paumes, les fins mollets de Mlle de Chamarante.
Tout d'abord, Jacquette ne vit rien que l'all?e des fontaines, les marronniers et un petit bout de clocheton du colombier, qui se refl?taient dans la vitre; mais, en appliquant bien les mains sur chaque tempe, elle distingua les moulins brod?s sur les tentures, puis du linge blanc, une robe au dossier d'une chaise, un gu?ridon portant la bo?te ? poudre, et soudain Th?r?se, la femme de chambre, qui parut et disparut, tirant ? soi le linge qui courait apr?s elle, dans cette pi?ce assombrie, comme un fant?me. Un rai de lumi?re jaillit vivement et s'?vanouit, mouvement d'une psych?, sans doute. Enfin il fut possible de reconna?tre Mlle de Quinsonas, tout au fond, sur la droite, quasi dissimul?e par une grande ombre. Elle s'adossait dans la berg?re ? oreillettes, toute coiff?e, mais la gorge nue, qu'elle garantissait pudiquement ? deux mains, sans y parvenir, car elle l'avait forte; puis, s'adossant au si?ge inclin?, elle confiait ? Th?r?se le soin de tirer ses cale?ons. A ce moment la grande ombre bougea, et le dos du marquis couvrit Mlle de Quinsonas. Alors Jacquette vit de ses yeux et entendit de ses oreilles que la gouvernante souffletait vigoureusement monsieur son p?re.
--?tes-vous satisfaite, Mademoiselle? demandait sous elle, et sans penser ? mal, le chevalier Dieutegard.
Elle le pria de la d?poser ? terre et, quand elle fut dans le foss?, lui raconta fid?lement ce qu'elle avait vu. Il en fut chagrin et dit qu'il regrettait d'avoir servi d'instrument ? ce spectacle.
--Pourquoi donc? dit-elle.
--Mais, parce qu'il est tr?s mauvais de regarder dans une chambre ? coucher o? des personnes des deux sexes sont assembl?es.
--Ah! fit Jacquette.
CE QUE JACQUETTE N'APPREND PAS DE SA GOUVERNANTE. MAIS L'ESSENTIEL EST QUE MADEMOISELLE DE QUINSONAS A TOUT CE QU'IL FAUT POUR INSPIRER ? LA FAMILLE UNE TRANQUILLIT? PARFAITE.
Jacquette ne fit ni une ni deux quand elle put attraper sa gouvernante; elle lui posa des questions sur quelques points dont l'incertitude lui pesait:
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Mlle de Quinsonas re?ut ces interrogations sans sourciller et dit que les enfants devaient se contenter de ce qu'on leur apprend aux heures de le?on, se garder de chercher au del?, et surtout de mettre l'oeil aux fen?tres et au trou des serrures, parce qu'on risque de s'y voir par avance en enfer, grill?e comme une c?telette.
Jacquette se montra un peu d?sappoint?e, car elle avait pens? qu'on lui donnait une gouvernante pour s'?clairer sur ce qui se passait commun?ment autour d'elle. Elle se demanda si Marie Coqueli?re n'e?t pas suffi encore longtemps aux soins de sa petite personne; au moins la nourrice savait des histoires de f?es et se soumettait ? ses trente-six mille volont?s.
C'?tait bien mal estimer la valeur de Mlle de Quinsonas, qui lui apprit ? lire, ? compter autrement que sur ses doigts, ? conna?tre ? fond la vie des grands hommes de Plutarque, et lui enseigna la religion d'une mani?re un peu plus difficile ? comprendre que l'on n'avait fait jusque-l?. Songez que Mlle de Chamarante savait tout juste ses pri?res du matin et du soir. En plus de cela, sa gouvernante lui fit apprendre par coeur un petit trait? de morale compos? par Mgr de Tr?laz?, ?v?que d'Angers, son propre oncle, lequel contenait un appendice indiquant mot ? mot tout ce qu'il faut savoir, croire et pratiquer pour ?tre sauv?. Elle jugeait tout commentaire superflu, p?rilleux pour l'?l?ve et pour le ma?tre plus encore.
L'?tude des textes achev?e, Mlle de Quinsonas devenait une longue personne ? d?hanchement de fausse maigre, qui se tenait sans cesse aux c?t?s de Jacquette et la menait promener en lui parlant du beau temps, de la pluie et, ? la rigueur, des beaux exemples que l'antiquit? nous fournit.
On ne pouvait dire ni qu'elle f?t jolie, ni qu'elle f?t laide, ni qu'elle f?t sotte, ni qu'elle f?t intelligente. Instruite par l'adversit? ? appr?cier l'aubaine d'une place avantageuse, elle cultivait elle-m?me une prudente neutralit? et vivait dans la crainte d'offenser quelqu'un. Elle ne mangeait pas ? sa faim, ne buvait pas ? sa soif, car toute sa personne indiquait qu'elle ?tait gourmande et port?e vers la satisfaction de nombreuses sensualit?s. Ses traits, quoique peu harmonieux, n'?taient point vulgaires; elle avait l'oeil vif, ces l?vres rouges et charnues que Malitourne avait remarqu?es ? la porte de la lingerie et dont les dents les plus irr?guli?res n'arrivaient point ? rompre la s?duction puissante; par exemple, un menton parfait; le tout soutenu par une taille heureusement assez longue pour porter all?grement des seins pesants qui eussent exc?d? un buste ordinaire.
Ces dames, qui la jugeaient beaucoup trop haut mont?e sur jambes, appr?ci?rent la discr?tion de sa tenue, et, malgr? les hommages que les hommes lui rendaient, se ralli?rent ? elle, tant elle semblait les recevoir avec candeur et bonhomie. Elle n'avait jamais l'air d'entendre un compliment, laissait tomber une oeillade dans son corsage comme en un puits perdu, et arr?tait au bon moment un geste indiscret, mais en ayant l'air d'attraper des mouches.
Un tact si parfait lui conquit la confiance absolue de la marquise, voire celle de Mme de Matefelon, qui peu ? peu se repos?rent enti?rement sur elle du soin de Jacquette; et l'on fut tellement tranquille ? ce point de vue-l?, qu'on ne se g?na pas plus qu'avant le fameux esclandre qui avait motiv? l'intervention d'une ni?ce d'?v?que: la petite allait et venait dans le ch?teau, dans les corridors, les jardins, ? l'office ou ? table, et il semblait ? tous que les influences les plus f?cheuses dussent ?tre paralys?es par la seule pr?sence de la gouvernante.
De toutes les personnes de la maison, Jacquette ?tait celle qui l'appr?ciait le moins. Elle apprenait ? mentir et ? dissimuler pour le plaisir de f?cher durant un bon quart d'heure la figure toujours trop pareille de Mlle de Quinsonas. Par exemple, elle descendait avec sa gouvernante l'all?e des fontaines, et, arriv?e ? l'escalier qui m?ne aux jardins bas, elle virait brusquement et remontait, les jambes ? son cou, sous le pr?texte qu'elle avait oubli? son mouchoir, la passementerie ? parfilage ou le manuel de Mgr de Tr?laz?. Elle avait t?t fait de mettre une bonne distance entre elle et Mlle de Quinsonas, de qui elle escomptait le train de derri?re alourdi, et, quand elle savait ne plus figurer aux yeux de celle-ci qu'une quille bleu?tre au bout de la longue all?e, elle lui adressait un pied de nez ou lui tirait la langue. A qui la rencontrait essouffl?e, elle feignait l'?motion et disait que sa gouvernante avait ses vapeurs, <
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