Read Ebook: La colline inspirée by Barr S Maurice
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Ebook has 1026 lines and 70288 words, and 21 pages
L?opold s'enfi?vre et envenime sa plaie, chaque cellule ressent sa d?tresse et prie en sa faveur le ciel...
La cloche tinte une seconde fois. A travers les clo?tres obscurs, le capuchon rabattu sur la t?te, leur lanterne ? la main, les moines gagnent la chapelle, que n'?claire aucune lumi?re, sauf la veilleuse du Saint-Sacrement. Les uns apr?s les autres, tous arrivent au choeur, r?v?rends p?res, prof?s en habits blancs, novices aux chapes noires. Ils se prosternent et s'?tant relev?s sonnent quelques coups de la cloche dont la corde pend aupr?s de l'autel, cloche au son merveilleux, la c?l?bre cloche d'argent des Chartreux.
Maintenant, rang?s dans leurs stalles, les P?res ouvrent les gros antiphonaires et dirigent sur les pages not?es la mince lumi?re de leurs lanternes. Les voix graves s'?l?vent dans la nuit glaciale, sans qu'aucun orgue les soutienne. Le plain-chant loue, g?mit, supplie. A l'heure o? les t?n?bres couvrent le monde, ces religieux veillent et prient pour r?parer les crimes et tous les d?sordres nocturnes. Ils prient sp?cialement pour trois pr?tres tourment?s qu'ils savent l?, derri?re eux, dans la tribune r?serv?e aux ?trangers.
Durant trois heures, nul mouvement ne troublera le cours majestueux de leurs intercessions, nul mouvement, sinon parfois toutes les lanternes qui s'?teignent ou se cachent, et la petite lampe du sanctuaire jetant seule ses vacillantes clart?s dans le choeur o? l'on distingue des fant?mes blanch?tres. Grand drame immobile et par l? d'autant plus ?mouvant, grand drame tout gonfl? de volont?s et de r?ves d'une qualit? h?ro?que. Il nous ram?ne sur nous-m?mes, nous convainc de m?priser toutes les puissances du dehors et de chercher le triomphe dans notre monde int?rieur. Il c?l?bre en images violentes l'emprise de la volont? sur toutes les forces qui assi?gent la conscience des meilleurs. En m?me temps il nous soumet ? un ordre, nous dispense de chercher notre voie et nous introduit dans l'harmonie divine, comme chacune de ces notes se place dans ce concert ? la louange de l'?ternel.
L?opold est debout entre ses deux fr?res demi-somnolents. Il ne laisse rien ?chapper de ce profond tableau, de ces couleurs de nuit et de feu. Cette psalmodie vient le chercher jusque sur les bords du d?sespoir et le ram?ne au combat. Ces proses dans ces t?n?bres accourent le frapper et le soulever comme des vagues. Mais si elles l'excitent, elles ne le disciplinent pas. Il demeure ferm? ? ce qu'il y a de meilleur dans l'office surnaturel qui s'accomplit l? sous ses yeux et qui tend ? faire r?gner un ordre souverain sur les parties les plus indompt?es de l'?me. Pas plus que la paix de Bosserville n'a refroidi son coeur, cette grande image de discipline monastique ne l'invite ? baisser la t?te. C'est le contraire qui arrive. Et sur cette imagination trop fr?missante, cette incomparable mise en oeuvre de tout ce qui peut agir sur l'?me religieuse n'a pour effet que d'?veiller en lui sa nature humaine la plus profonde, l'homme de d?sir qu'il a toujours ?t?.
Coeur gonfl?, angoisse, douleur irradi?e jusqu'aux parties les plus mornes et les plus obscures de l'?tre, prodigieux empoisonnement des amoureux d??us et des ambitieux trahis par le sort! D'un coup de talon, du fond de l'ab?me, L?opold veut remonter, retrouver l'air pur, l'espace libre, le vaste ciel, un nouveau destin, sa revanche. L?opold ? cette minute, c'est le Mort dress? et sculpt? par Ligier Richier pour servir d'affirmation h?ro?que ? ceux qui, plut?t que d'abdiquer l'esp?rance, nient les lois de la vie. Comme le squelette de Bar-le-Duc qui ne se rend pas, qui rejette son suaire, qui en appelle ? Dieu contre la destruction, qui tend vers le ciel son coeur intact et toujours vif, L?opold s'?crie: <
A force de frapper, soutenu par l'enthousiasme et l'amour, ? la porte de la compassion divine, L?opold l'allait voir s'ouvrir.
Est-ce l'aube d?j? ou sa m?moire surexcit?e qui lui fait distinguer vaguement sur les murailles, dans leurs grands cadres, les portraits des saints fondateurs d'ordre? Ils sont l? une dizaine: Ignace de Loyola, avec ses premiers compagnons; saint Romuald, le fondateur des Camaldules; saint Bernard, favoris? d'une vision de la Vierge; saint Fran?ois d'Assise, instituteur des Fr?res Mineurs; saint Beno?t au Mont-Cassin; saint Nicolas Albergate, chartreux, quand il re?oit le chapeau de cardinal; enfin saint Thomas d'Aquin, qui meurt dans l'abbaye de Fossa-Nova. Et parmi ces formes incertaines, celle que l'esprit de L?opold saisit pour ne plus s'en d?tacher, c'est l'image de sainte Roseline, des Religieuses Chartreusines, que le peintre a repr?sent?e v?tue de l'?tole et du manipule, ornements r?serv?s aux pr?tres, mais que la prieure des Chartreusines a le privil?ge de porter deux fois, le jour de son installation et sur son lit mortuaire. Et cette image lui en rappelle une autre infiniment agr?able ? son esprit, plus pr?cieuse que tout ce qu'il a laiss? derri?re lui, o? il met toute sa confiance dans l'avenir, l'image de soeur Th?r?se, la premi?re de ses qu?teuses, celle qui sur la colline fut favoris?e d'un miracle.
Que d'injustes m?fiances et de pers?cutions ces personnages v?n?r?s n'ont-ils pas d? souffrir dans l'?glise m?me et du fait de leurs sup?rieurs hi?rarchiques! Mais pour eux comme pour Job, l'heure de la justice, un jour, a sonn?. Et l'esprit de L?opold, ramen? au texte biblique, se d?lecte du dernier verset:
L'office a cess?, les religieux regagnent leurs petites maisons. L?opold dit ? ses fr?res:
--Suivez-moi dans ma chambre.
Et la porte referm?e sur eux trois, il commence de leur expliquer, par l'exemple de Job et du Bienheureux Pierre Fourrier, que Dieu ne les a abaiss?s que pour les ?prouver:
--C'est un fait constant dans toutes les vies de saints, insiste-t-il, que la plus haute prosp?rit? succ?de imm?diatement aux pires catastrophes.
Fran?ois et Quirin le regardent avec stupeur.
Ils sont en v?rit? tr?s diff?rents de leur a?n?, ces deux fr?res. Fran?ois repr?sente assez bien un chevalier rustaud, ou plut?t un ?cuyer loyal et emport?, tout en mouvement, bon pour se d?vouer, mais de petit jugement. Son gros visage enfantin et d'une confiance joyeuse inspire de la sympathie. Quirin est plus terre ? terre. Tout ce qu'il y a de positif ? l'ordinaire chez les Lorrains, et que la nature n'avait pas employ? pour p?trir ses deux a?n?s, semble lui ?tre rest? pour compte et d'une mani?re excessive. L?opold ?tait vraiment leur chef, et il l'e?t ?t? de bien d'autres. Il continuait de parler; son visage sec tremblait d'animation et ses yeux brillaient. Quand il se tut, Quirin, d'un ton tout la?que, qui faisait un contraste affreux avec les paroles inspir?es de son a?n?, d?clara:
--C'est bon, c'est bon, nous parlerons de Job une autre fois...
Puis avec aigreur et clart?, comme e?t pu le faire un avou?, il exposa qu'il ne leur restait absolument qu'une ressource, c'?tait d'abandonner la colline pour toujours.
--J'en mourrais, dit L?opold avec une expression admirable de v?rit?.
--Allons donc, s'?cria Quirin, tu ne connais pas l'Am?rique!
--Il faut relever Sion, reprit L?opold se parlant ? lui-m?me.
Mais Quirin brutalement:
--Tu l'avais relev?e, et c'est toi qui l'as d?truite.
Et il se mit ? r?criminer.
Fran?ois ne put en entendre davantage.
--Assez, Quirin! s'?cria-t-il. Homme de peu de foi et de moins de m?moire! Pour que vous parliez ainsi, il faut que vous ayez le coeur bien peu ?lev?. Avez-vous donc oubli? tout ce que notre fr?re a fait pour nous?
L?opold les ?coutait, tous deux debout, et lui assis, ses larges mains aux ongles noirs ?tendues comme mortes sur sa soutane couverte de taches. A son habitude, son regard passait au-dessus de ses interlocuteurs, et au coin des l?vres il avait un sourire inexplicable, un mince sourire orgueilleux et acquies?ant. Quand ils se turent, il les regarda avec cette autorit? qui exer?ait sur eux une sorte de fascination, et le feu secret qui semblait avoir dess?ch? tout son ?tre jetait des flammes par ses yeux.
--Toute maison divis?e contre elle-m?me p?rira. Demeurons unis, et la colline nous sauvera. Ce qu'on nous a pris, c'est l'eau qui jaillit de la fontaine, mais la fontaine nous demeure. Ne suis-je pas toujours le chef du p?lerinage? N'avons-nous pas gard? les meilleurs instruments de Marie, la meilleure de nos qu?teuses?...
Et l?-dessus, il se mit ? rappeler les voyages les plus productifs qu'avait faits Th?r?se Thiriet et certain jour o? elle avait ?crit: <
Quirin l'observait avec des yeux o? l'inqui?tude se m?lait ? un vague espoir. Il surveillait les mouvements de la pens?e de son fr?re, comme il e?t surveill? les coups de b?che d'un chercheur de tr?sors:
--Ah! oui, dit-il, les qu?tes! Si nous avions toujours la ressource des qu?tes! Mais Monseigneur nous les a d?fendues.
--Monseigneur! Monseigneur! reprit L?opold avec une violence soudaine, il ne peut pourtant pas nous barrer la voie que Dieu nous a trac?e. Le ver de terre lui-m?me se remue quand on l'?crase. Nous avons fait plus que Monseigneur pour la Vierge, et s'il a pu tromper le ciel un instant, c'est Elle qui se chargera d'y d?fendre ses chevaliers. Mon fr?re, lisez dans les vies des saints toutes les ?preuves qu'ils eurent ? subir. Vous verrez qu'ils en rapportent toujours de magnifiques moissons. Pour moi, j'ai fait le ferme propos que jamais mon coeur ne sera coupable d'un p?ch? contre l'esp?rance.
Mais le bon Fran?ois, maintenant, b?illait sans respect pour les sublimit?s de L?opold:
--Ah! d?clara-t-il ing?nument, que j'avalerais volontiers une bonne tasse de caf? au lait!
L?opold les laissa partir. Il se mit au lit, souffla sa bougie et se r?fugia vers Dieu. Du fond de sa d?tresse, il le supplia de lui envoyer un signe, comme tant de fois les saints en avaient re?u, un signe auquel il reconn?t qu'il ne s'?tait pas tromp? et qu'il pouvait avoir confiance dans son coeur.
Soudain, il sentit quelque chose entrer dans sa chambre et s'arr?ter aupr?s de son lit. Une sueur d'effoi couvrit tout son corps, mais il ne pensa pas ? lutter, ni ? appeler. Ce qu'il sentait l?, pr?s de lui, vivant et se mouvant, c'?tait abstrait comme une id?e et r?el comme une personne. Il ne percevait cette chose par aucun de ses sens, et pourtant il en avait une communication affreusement p?nible. Les yeux ferm?s, sans un mouvement, il ressentait un d?chirement douloureux et tr?s ?tendu dans tout son corps, et surtout dans la poitrine. Mais plus encore qu'une douleur, c'?tait une horreur, quelque chose d'inexprimable, mais dont il avait une perception directe, une connaissance aussi certaine que d'une cr?ature de chair et d'os. Et le plus odieux, c'est que cette chose, il ne pouvait la fixer nulle part. Elle ne restait jamais en place, ou plut?t elle ?tait partout ? la fois, et s'il croyait par moment la tenir sous son regard, dans quelque coin de la chambre, elle se d?robait aussit?t pour appara?tre ? l'autre bout.
Deux minutes apr?s que cette chose myst?rieuse ?tait entr?e, elle se retira; elle s'?chappa avec une rapidit? presque instantan?e ? travers la porte ferm?e.
L?opold respira profond?ment. Il rouvrit les yeux et ne vit rien autour de lui. La sensation horrible avait disparu.
Au bout de quelques instants, il se leva et alla rejoindre ses fr?res.
Il les trouva qui dormaient.
Alors il revint dans sa chambre et se recoucha. Mais ? peine avait-il ?teint qu'aussit?t la chose inexprimable se r?installa pr?s de lui, et accompagn?e de la m?me horrible sensation. Cette fois, il concentra toute sa force mentale pour sommer cette chose de partir, si elle ?tait du Diable, sinon de lui dire la parole de Dieu. Il ne re?ut aucune r?ponse. Et comme elle avait d?j? fait, la pr?sence s'?vanouit au bout d'un court temps. Mais cette fois, L?opold s'?lan?a vivement ? la porte et cria dans le couloir:
--Fais tout ce que tu voudras, ?missaire de Dieu; tais-toi, d?robe-toi, mauvais serviteur; je saurai bien m'arranger pour que tu me rejoignes et sois oblig? d'accomplir ton message.
Au moment o? le petit jour parut, L?opold, affreusement d??u de n'avoir pas re?u le mot d'ordre qu'il implorait, quitta sa chambre et se mit ? errer sous le Grand Clo?tre.
Les vingt-sept petites maisons abrit?es par de grands toits rouges, de l'effet le plus touchant, enfermaient la prairie d'arbres ? fruits. La ligne simple des arceaux, le calme du verger, la lumi?re matinale composaient une douceur, un repos dont jouissaient, sans les troubler, quelques petits oiseaux sur les mirabelliers. Au milieu du clos, le puits symbolique signifiait l'abondance des gr?ces et de la charit?. Mais tout ce bel ordre et cette paix ne pouvaient rien, ? cette minute, sur le malheureux pr?tre.
Le P?re Magloire, que l'imminence du d?part de L?opold ne laissait pas sans remords, et qui l'?piait malgr? lui, entendit ce dur pas r?sonner sur les dalles. Il vint le rejoindre, et apprenant qu'il ne pouvait pas dormir, il lui offrit de faire un tour dans le domaine. Le bonhomme avait de la finesse, et tr?s vite il sentit que son h?te traversait une crise plus aigu?. <
--Monsieur Baillard, je voudrais avoir votre avis sur nos nourrins.
Les nourrins ou petits cochons ? l'engrais ?taient les favoris de pas mal de P?res dans le couvent--affection toute d?sint?ress?e, puisque aucune viande ne para?t jamais dans l'?cuelle du Chartreux.
L?opold acquies?a, avec cet habituel sourire poli sous lequel il dissimulait la plus haute id?e de soi-m?me, et selon sa coutume il passa de plein-pied, avec une parfaite aisance, de ses mysticit?s aux pr?occupations les plus plates. Il se mit ? marcher au c?t? du petit vieillard ? la t?te chauve et ? l'oeil doux, ? peu pr?s comme Napol?on Ier ? c?t? du maire de l'?le d'Elbe. Ils circul?rent dans la vaste cl?ture, le p?re Magloire montrant les terres, les vignes, la houblonni?re, le petit bois de ch?ne o? les religieux ont dress? une grande croix. Ces riches d?pendances, ces cultures si bien prot?g?es par des murs, ce personnel nombreux rappelaient au d?chu sa ferme de Saxon. Le bon p?re Magloire sentait l'amertume de son compagnon, et il ne trouvait pas les mots n?cessaires. Cependant, comme ils approchaient de l'?table, il insinua:
--On a caus? de vous, Monsieur le Sup?rieur, dans toute la Lorraine.
L'autre r?pondit d'un coup de boutoir:
--Dans toute la Lorraine! Que dites-vous? Dans toute la France!... Mais il ne s'agit pas de moi, voyons vos nourrins.
Ils ?taient arriv?s en effet ? la porcherie. L?opold regarda les b?tes sans bienveillance et dit durement:
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