Read Ebook: La colline inspirée by Barr S Maurice
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Ebook has 1026 lines and 70288 words, and 21 pages
Ils ?taient arriv?s en effet ? la porcherie. L?opold regarda les b?tes sans bienveillance et dit durement:
--Je regrette que vos fr?res n'aient pas visit? notre ferme de Saxon; ils y auraient vu des ?tables...
Cependant les nourrins, qui avaient reconnu le bon P?re, se pressaient autour de lui en reniflant, et la joie qu'il en tirait l'emp?chait d'enregistrer ces paroles d?sagr?ables. Mais L?opold insistait:
--Ces b?tes sont en mauvais ?tat. On les nourrit mal. Pour faire venir ? bien un nourrin, il faut lui donner du petit lait. C'est ce que je faisais ? Saxon. Les r?sultats de notre ferme mod?le, avant que Monseigneur cr?t devoir intervenir, ?taient de premier ordre. Mais vous, mes P?res, ne vous m?lez pas de l'?l?ve du cochon, vous buvez le petit lait!
Le p?re Magloire ne put s'emp?cher de marquer son m?contentement. Il r?pondit:
--Je ne doute pas que ces petites b?tes ne trouveraient du profit ? suivre le r?gime que vous pr?conisez, mais pour nous, il nous serait difficile de renoncer ? la simplicit? de nos anciens P?res. Notre premier soin doit ?tre de mettre en pratique ces paroles de la Sainte-?criture: <
Sur ces mots, il referma la porte de l'?table et s'excusa en disant ? L?opold qu'il lui e?t bien volontiers tenu compagnie davantage, mais qu'il fallait qu'il all?t cultiver son petit jardin, et qu'il pensait que Monsieur Baillard ne trouverait pas mauvais qu'il sacrifi?t l'occasion de s'instruire sur le grand ?levage ? la n?cessit? de b?cher une petite plate-bande dont il avait la charge.
Comme le bon P?re regagnait sa cellule, il rencontra le P?re Abb?, qui lui demanda o? il allait et o? il avait laiss? le cur? Baillard:
--Je l'ai laiss?, dit-il, qui circule dans nos ?tables et qui trouve ? bl?mer partout, et j'ai pris cong? de lui pour aller b?cher mon jardin, et aussi, je l'avoue, parce que ses d?dains me blessent pour notre cher couvent.
--Vraiment reprit le P?re Abb?, je vous rappellerai ce que disait un jour saint Fran?ois de Sales: vous vous entendez fort ? la seule culture qui importe, celle des ?mes! Vous aurez toujours assez de loisir pour tirer parti de votre jardin, mais ce pauvre monsieur Baillard ne fait que passer au milieu de nous, et il ne faut pas ajourner d'essayer de bien agir sur lui.
A ces mots, les traits contract?s de L?opold Baillard s'attendrirent et deux larmes coul?rent de ses yeux. Sur ce visage de fi?vreux apparut l'expression la plus touchante d'une tristesse en qu?te d'une consolation. L?opold, contraint de plier devant les repr?sentants de Dieu, en appelait depuis vingt jours ? Dieu m?me. Et soudain ces bonnes paroles, qui semblaient lui tomber du ciel, venaient fondre sa duret?. Toute trace d'orgueil disparut de sa figure pour ne plus laisser voir que cette face de son ?me qui aspirait ? l'amour. Le bon p?re Magloire en fut ?bloui, et devinant que toute explication blesserait un coeur si malade, il eut un geste plus humain que religieux, et lui serra simplement la main.
Tous deux se turent quelques minutes, puis comme ils rentraient dans la Chartreuse, L?opold la montrant d'un geste:
--Cette maison, mon P?re, savez-vous comment elle a ?t? construite? Par notre duc Charles IV, avec les pierres de nos forteresses lorraines, quand Richelieu nous contraignit ? les d?truire. Eh bien! moi aussi, on m'a ordonn? de d?truire de grandes forteresses lorraines que j'avais relev?es de mes mains...
Et il les ouvrait toutes grandes, ajoutant:
--Comment voulez-vous que j'aie pu trouver la paix ici?
Jamais le bon Chartreux n'avait entendu de semblables paroles. Son imagination, d?concert?e par un pareil rapprochement, se r?fugia dans un humble conseil dont il ne pouvait pas soup?onner les redoutables cons?quences.
L?opold ne r?pondit rien. Il s'enfon?a dans une immense r?verie. Le mot g?n?rateur de toute une nouvelle vie venait d'?tre prononc?.
CHAPITRE IV
IPSE EST ELIAS QUI VENTURUS EST
... Oui, mais vient-il de Dieu? se demande L?opold Baillard, dans la diligence qui l'emporte de Lorraine en Normandie. Vais-je trouver l'appui que j'ai implor? du Ciel? Va-t-il me tromper aussi, comme cette chose myst?rieuse qui est entr?e dans ma chambre pour me d?cevoir? Pourtant, cette charit? du p?re Magloire ressemblait tant ? la r?ponse! Pourquoi m'a-t-il nomm? Vintras, si ce n'est parce que le salut est l??
Cette question s'interposait pour lui entre les paysages et sa sensibilit?. D'ailleurs, qu'auraient pu lui repr?senter les ?tapes de ce voyage, sinon des images de sa vie pass?e, des qu?tes fructueuses ? Bar-le-Duc, Vitry, Ch?teau-Thierry, Meaux, ? Paris m?me, ? ?vreux. Ce qu'il voudrait, sur l'imp?riale de la diligence qui le secoue le long des routes, c'est faire parler de Vintras celui-ci ou celui-l?. Mais ce nom, la premi?re fois qu'il le prononce, en traversant les plaines de Champagne, n'?veille m?me pas un regard d'?tonnement dans les yeux du bourgeois, ? figure pourtant fine, qu'il a choisi parce qu'il a su que c'?tait un professeur du coll?ge de Reims allant prendre ses vacances dans un village normand.
--Oh! vous savez, monsieur l'Abb?, lui r?pond le professeur, je respecte toutes les opinions, mais je suis un fils de Voltaire.
Il n'est pas plus heureux aux approches de Paris avec un commis voyageur en ornements d'?glise, un Marseillais qui a essay? aussit?t de lui placer un chemin de croix de la Soci?t? fond?e en ce temps-l?,--? ironie!--par Savary duc de Rovigo, Villemessant et Jules Barbey d'Aurevilly.
--?a m'int?resse, donnez-moi donc l'adresse, monsieur l'Abb?. Il aurait peut-?tre besoin de quelques petites choses, ce monsieur Vintras.
L?opold Baillard aurait pu se renseigner ? Paris, mais il ne fait qu'y passer. Il redoute d'y rencontrer quelques-unes des personnes qui l'accueillaient si bien autrefois, quand il qu?tait aux Oiseaux, par exemple, chez les filles du Bienheureux P?re Fourrier. Il ne veut pas entendre les conseils de soumission qu'on lui donnerait certainement. La diligence roule toujours. Les rubans de queue succ?dent aux rubans de queue, comme les postillons d'alors disaient en parlant des routes. C'est seulement ? Caen que, descendu dans la rotonde par un temps de pluie, il se trouve en t?te ? t?te avec un chanoine dont la physionomie, bonasse et fine ? la fois, lui rappelle celle du p?re Magloire. Apr?s avoir dit chacun leur br?viaire, les deux pr?tres ont commenc? par parler du temps, de la prochaine r?colte, de l'esprit des populations.
--Il para?t que vous avez un saint dans votre pays? se hasarde ? demander Baillard.
--J'esp?re que nous en avons plusieurs, r?pond le chanoine; mais les saints sont comme les diamants: ils se cachent.
--Oh! celui-l? est c?l?bre.
--Et qui donc?
--Mais Vintras, le Voyant de Tilly.
La figure du pr?tre normand exprima soudain l'horreur profonde et le d?dain tout ensemble.
--Vintras! dit-il. On vous a dit cela, et vous l'avez cru! Vous ne savez donc pas que Monseigneur de Bayeux l'a fait condamner ? cinq ans de prison pour escroquerie, et qu'il n'a ?t? rel?ch? que par le juif Cr?mieux, devenu ministre ? la r?volution? Et pourquoi? Pour lancer dans le dioc?se un ennemi de l'?glise, un instrument de Satan. Je ne vous engage pas ? faire son ?loge ? Caen, monsieur l'Abb?! On l'y a connu domestique.
--Notre-Seigneur, r?pondit L?opold, s'est bien servi des publicains. Ce qu'il a ?t? n'importe pas.
--Mais ce qu'il est? r?pliqua le chanoine. Un scandale vivant, qui d'ailleurs ne durera pas, quand un gouvernement d'ordre sera enfin revenu. Oh! le coquin est adroit; il joue la com?die de l'humilit? et de la pauvret?; il ne veut rien devoir qu'? son travail; il a une petite place, soi-disant dans une fabrique de carton, que dirige un niais de ses amis. Mais il faut voir ce que sa seule pr?sence a fait de cette charmante petite ville normande de Tilly, infest?e maintenant d'escrocs et d'ali?n?s comme lui. Il y a l? un certain Charvaz, un malheureux, monsieur l'Abb?, cur? de Montlouis, du dioc?se de Tours, un interdit; un certain Le Paraz, un interdit encore; et des vieilles filles qui vont perdre l? leurs quatre sous; et des infirmes persuad?s qu'ils vont ?tre miracul?s. C'est du vilain monde, allez, monsieur l'Abb?. Et tout cela sp?cule, vocif?re, emprunte, ne paye pas ses dettes, blasph?me, monsieur l'Abb?, blasph?me toute la journ?e. Et le soir! Le soir, il y a pis que les blasph?mes, dit-il en baissant la voix; nous savons qu'il y a eu des sacril?ges. Enfin! l'?glise a connu ces tristesses dans tous les temps. Rappelez-vous les convulsionnaires de Saint-M?dard. Peut-?tre compte-t-on parmi eux des ?mes de bonne foi. Dieu leur fasse mis?ricorde!
La conversation tomba. Le pr?tre normand observait son compagnon avec une curiosit? m?fiante maintenant. Visiblement, il ?tait ?tonn? de l'expression qu'avait prise la physionomie, si frappante d?j? de L?opold, pendant qu'il lui donnait ces renseignements, et de l'esp?ce d'avidit? avec laquelle il les avait ?cout?s, sans donner cependant aucun signe d'acquiescement. Comme il ?tait arriv? au terme de sa route:
--Voil? ma paroisse, dit-il, monsieur l'Abb?, en nommant un village. Si jamais vous la traversez, je serai trop heureux de vous montrer notre ?glise, et je m'appelle le chanoine Lambert... Puis-je savoir, ajouta-t-il, avec qui j'ai eu l'honneur...
--L'abb? L?opold Baillard, cur? de Saxon, r?pliqua le Lorrain.
Il e?t consid?r? comme une esp?ce de l?chet? de ne pas r?pondre franchement ? la curiosit? de son interlocuteur.
L'exclamation aussit?t r?prim?e du chanoine lui prouva qu'il ?tait connu et que ses d?m?l?s avec son ?v?que ?taient arriv?s jusque-l?. Il se redressa plus fi?rement, tandis que l'autre, sans rien ajouter, s'inclinait avec une politesse froide.
L?opold le vit s'?loigner de la diligence d'un pas h?tif, et remarqua qu'au d?tour de la route il se retourna pour le regarder avec une esp?ce d'inqui?tude, o? il y avait comme de l'?pouvante.
Qu'est-ce que cela prouve? se disait-il. Tous les saints ont ?t? calomni?s. Pourquoi Vintras, s'il est un saint, comme l'a dit Magloire, ne le serait-il pas? Son entourage est ignoble: pourquoi pas? Tout proph?te doit avoir ses pharisiens, ses grands pr?tres et ses Pilate ? sa poursuite. Dieu est constant dans ses desseins. S'il a choisi jadis, comme l'a dit saint Paul, pour sauver le monde ce qu'il y avait de plus vil et de plus m?prisable, pourquoi ne choisirait-il pas aujourd'hui, pour le renouveler, un malheureux, un coupable m?me, afin que les qualit?s de son op?ration divine en soient plus manifestes? Son ?v?que l'a fait condamner? Et le mien? Est-ce qu'il ne m'a pas condamn??
Ce raisonnement et d'autres semblables n'emp?chaient pas que les propos du chanoine Lambert l'eussent singuli?rement travaill? quand il descendit ? Tilly. C'?tait le soir. Il demanda une chambre dans l'unique auberge. On lui en donna une dont la fen?tre ouvrait au couchant. Le suintement rouge du ciel ? l'horizon lui parut d'un si fun?bre augure qu'il referma la crois?e, ouverte d'abord pour voir la campagne, et il descendit s'asseoir ? une petite table d'h?te, autour de laquelle riaient haut quelques habitu?s.
Les propos grossiers de ces individus laiss?rent le pr?tre indiff?rent jusqu'au moment o?, un vieux monsieur de mine falote ?tant entr? dans la salle, un d'eux l'interpella:
--Monsieur, dit le baron, le roi reviendra ? la date qui a ?t? annonc?e.
--Ma foi, si je vois ?a, intervint un autre, je crois ? votre Vintras.
--Monsieur, dit celui qu'ils avaient appel? baron, monsieur Vintras ne s'est jamais tromp?. Les archanges lui parlent.
--Ils prennent quelquefois la figure des gendarmes, les archanges, observa un troisi?me.
--Monsieur, repartit le baron indign?, si vous connaissiez comme moi les circonstances du proc?s qu'un indigne ?v?que a fait ? monsieur Vintras, vous ne parleriez pas ainsi.
--Il a tout de m?me ?t? condamn?, dit un autre convive.
--Notre-Seigneur et Jeanne-d'Arc l'ont bien ?t?, d?clara solennellement le baron.
Pendant que ces phrases s'?changeaient, L?opold regardait le vieillard. Il y avait dans la mine de ce Naundorffiste, ?videmment abus?, une telle sottise! C'?tait si visiblement un faible d'esprit! Son visage d?charn? ?tait secou? par des tics; un sourire d'une b?ate stupidit? relevait de temps en temps ses l?vres sur ses gencives. C'?tait une loque humaine, une ?pave dont le seul aspect illustrait d'une mani?re probante les confidences du chanoine sur la basse qualit? des recrues du proph?te. Le pr?tre lorrain, si sup?rieur lui-m?me par certains c?t?s, ne put pas supporter ce nouvel indice de la d?sillusion qui l'attendait. Il se leva de table sans achever son d?ner.
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