Read Ebook: Propos de peintre première série: de David à Degas Ingres David Manet Degas Renoir Cézanne Whistler Fantin-Latour Ricard Conder Beardsley etc. Préface par Marcel Proust by Blanche Jacques Mile Proust Marcel Author Of Introduction Etc
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Ebook has 1562 lines and 125511 words, and 32 pages
Contributor: Marcel Proust
JACQUES-?MILE BLANCHE
Propos de Peintre
DE DAVID A DEGAS
PREMI?RE S?RIE: Ingres, David, Manet, Degas, Renoir, C?zanne, Whistler, Fantin-Latour, Ricard, Conder, Beardsley, etc.
Pr?face par Marcel PROUST
PARIS ?MILE-PAUL FR?RES, ?DITEURS 100, RUE DU FAUBOURG-SAINT-HONOR?, 100 PLACE BEAUVAU
DU M?ME AUTEUR
Cahiers d'un Artiste:
PREMI?RE S?RIE.--Juin-novembre 1914.
CINQUI?ME S?RIE.--Ao?t-d?cembre 1916.
Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation r?serv?s pour tous pays.
Copyright by ?mile-Paul fr?res, 1919.
Justification du tirage
Ce livre est d?di? ? Marcel PROUST en souvenir de l'Auteuil de son enfance et de ma jeunesse et comme un hommage d'admiration pour l'auteur de <
son ami J.-E. Blanche.
PR?FACE
Cet Auteuil de mon enfance,--de mon enfance et de sa jeunesse,--qu'?voque Jacques Blanche, je comprends qu'il s'y reporte avec plaisir comme ? tout ce qui a ?migr? du monde visible dans l'invisible, ? tout ce qui, converti en souvenirs, donne une sorte de plus-value ? notre pens?e, ombrag?e de charmilles qui n'existent plus. Mais cet Auteuil-l? m'int?resse encore davantage comme un m?me petit coin de la terre observable ? deux ?poques, assez distantes, de son voyage ? travers le Temps.
Entre ces jours anciens et ceux de maintenant, Auteuil, sans qu'il ait eu l'air de bouger, a travers? plus de vingt ann?es, pendant lesquelles Jacques-?mile Blanche a conquis la c?l?brit? comme peintre et ?crivain, alors que moi, dans les jardins voisins et au bord des m?mes vieux <
Si l'on savait mieux d?m?ler <
Je ne peux pas me rappeler exactement si c'est dans l'incomparable salon de Mme Straus, dans celui de la Princesse Mathilde ou de Mme Baign?res que j'ai fait la connaissance de Jacques Blanche, vers l'?poque de mon service militaire, c'est-?-dire ? peu pr?s ? vingt ans. En tout cas, c'est dans ces trois salons que je le retrouvais le plus souvent, et une esquisse au crayon qui a pr?c?d? mon portrait ? l'huile a ?t? faite avant le d?ner, ? Trouville, dans les admirables Fr?monts qui ?taient alors la r?sidence de Mme Arthur Baign?res et o? montaient du manoir des Roches ou de la villa Persane, la marquise de Galliffet, cousine germaine de la ma?tresse de la maison, avec la princesse de Sagan, toutes deux dans leur ?l?gance aujourd'hui ? peu pr?s indescriptible, d'anciennes belles de l'Empire.
Comme mes parents passaient le printemps et le commencement de l'?t? ? Auteuil o? Jacques Blanche habitait toute l'ann?e, j'allais sans peine le matin poser pour mon portrait. A ce moment la maison qui s'est construite en hauteur, sur l'atelier m?me, comme une cath?drale sur la crypte de l'?glise primitive, ?tait r?pandue, en ordre dispers?, dans les beaux jardins; et apr?s la s?ance de pose, j'allais d?jeuner dans la salle ? manger du docteur Blanche, lequel, par habitude professionnelle, m'invitait de temps ? autre au calme et ? la mod?ration. Si j'?mettais une opinion que Jacques Blanche contredisait avec trop de force, le docteur, admirable de science et de bont?, mais habitu? ? avoir affaire ? des fous, r?primandait vivement son fils: <
Cette maison que nous habitions avec mon oncle, ? Auteuil au milieu d'un grand jardin qui fut coup? en deux par le percement de la rue , ?tait aussi d?nu?e de go?t que possible. Pourtant je ne peux dire le plaisir que j'?prouvais, quand apr?s avoir long? en plein soleil, dans le parfum des tilleuls, la rue Lafontaine, je montais un instant dans ma chambre o? l'air onctueux d'une chaude matin?e avait achev? de vernir et d'isoler, dans le clair-obscur nacr? par le reflet et le glacis des grands rideaux en satin bleu Empire, les simples odeurs du savon et de l'armoire ? glace; quand apr?s avoir travers? en tr?buchant le petit salon, herm?tiquement clos contre la chaleur, o? un seul rayon de jour, immobile et fascinateur, achevait d'anesth?sier l'air, et l'office o? le cidre--qu'on verserait dans des verres d'un cristal un peu trop ?pais, qui donnerait en buvant l'envie de les mordre, comme certaines chairs de femme, ? gros grains, en les embrassant--avait tant rafra?chi que, tout ? l'heure, introduit dans la gorge, il p?serait contre les parois de celle-ci en une adh?rence totale, d?licieuse et profonde,--j'entrais enfin dans la salle ? manger ? l'atmosph?re transparente et congel?e comme une immat?rielle agate que veinait l'odeur des cerises d?j? entass?es dans les compotiers, et o? les couteaux, selon la mode la plus vulgairement bourgeoise, mais qui m'enchantait ?taient appuy?s ? de petits prismes de cristal. Les irisations de ceux-ci n'ajoutaient pas seulement quelque mysticit? ? l'odeur du gruy?re et des abricots. Dans la p?nombre de la salle ? manger, l'arc-en-ciel de ces porte-couteaux projetait sur les murs des ocellures de paon qui me semblaient aussi merveilleuses que les vitraux--pr?serv?s seulement dans les exquis relev?s et transpositions qu'en a donn?s Helleu--de la cath?drale de Reims, de cette cath?drale de Reims que de sauvages Allemands aimaient tant, que ne pouvant la prendre de force ils l'ont vitriol?e. H?las! je ne pr?voyais pas ce hideux crime passionnel contre une Vierge de pierre, je ne savais pas proph?tiser, quand j'?crivis la <
On peut ais?ment deviner que je n'ai pas attendu la d?faite de l'Allemagne pour ?crire ces lignes; elles lui sont ant?rieures; les gens qui crient < mort>> sur le passage d'un condamn? me sont peu sympathiques, et je n'ai pas l'habitude d'insulter les vaincus.
--<
Mes parents trouvant qu'un jeune homme ne doit pas d?penser son argent inutilement, me refus?rent pour me rendre au bal de Mme de Wagram, non seulement la voiture familiale dont les chevaux ?taient d?tel?s depuis sept heures du soir, mais m?me un modeste fiacre, et mon p?re d?clara qu'il ?tait tout indiqu? que je prisse l'omnibus d'Auteuil-Madeleine qui passait devant notre porte et s'arr?tait avenue de l'Alma o? ?tait l'h?tel de la Princesse. Comme <
Malheureusement, l'h?te des Dutilleul ?tait pr?cis?ment dans l'omnibus quand j'y montai. Il s'excusa, sur l'?clat qui les environnait, de la rude op?ration ? laquelle il avait ?t? oblig? de proc?der dans l'apr?s-midi et se tordant de joie, par comparaison avec sa propre ?l?gance, il me dit: <
J'ignorais qu'il y avait pour les gar?ons de caf? et les <
La seule ?num?ration des portraits que Jacques Blanche fit vers cette ?poque suffit ? montrer qu'en litt?rature aussi, c'?tait l'avenir qu'il d?couvrait, qu'il ?lisait, et elle est d?j?, par l?, une premi?re explication de l'extr?me valeur, du charme unique, que poss?de le pr?sent volume. En effet, tandis que les peintres illustres alors--un Benjamin Constant, par exemple--ne faisaient le portrait que d'?crivains charg?s d'honneurs, d?pourvus de m?rite, et aujourd'hui aussi oubli?s que leur peintre, Jacques Blanche peignait les amis dont il ?tait seul ou presque seul ? c?l?brer le talent <
Ce point de vue est celui auquel Jacques Blanche se place souvent dans ce volume. Quelle stup?faction pour les admirateurs de Manet d'apprendre que ce r?volutionnaire ?tait <
On peut trouver parfois dans les portraits que Blanche donne ici quelque justification ? l'accusation de malice. Le portrait de tel peintre, de Fantin par exemple, pr?te ? sourire. Mais, je le demande, un tel portrait, criant de v?rit?, d'originalit? et de vie, ne louera-t-il pas plus efficacement le ma?tre disparu que tant de pages uniform?ment dithyrambiques ?crites par des critiques d'art qui ne connaissent rien ? l'art? Ont-ils mieux servi, entretenu l'int?r?t et la vie autour de la gloire de Fantin que Jacques Blanche quand, pour l'atelier de Fantin comme pour celui de Manet, il nous donne des d?tails sans prix? On peut ne pas trouver <
Il me semble que de telles pages, dont je ne donne ici que des extraits, mais que le lecteur trouvera int?gralement dans ce volume, ne font pas seulement admirer Jacques Blanche comme ?crivain, autant qu'on a fini par l'admirer comme peintre, mais le feront aussi aimer. Ainsi par exemple la fin du morceau sur Millet, qui sera aussi celle de cette pr?face: <
Marcel PROUST.
PROPOS DE PEINTRE
FANTIN-LATOUR
Tel fut l'avant-guerre.
Envahie par les esth?tes, les ?tudiants, les sp?culateurs, les exploiteurs de sa pens?e, la France attendait, dans une fi?vre toujours croissante, l'heure d'une autre invasion. C'?tait le cr?puscule de la paix.
Depuis l'affaire Dreyfus, la critique d'art ?tait devenue, en France, une branche de la sociologie, et comme en Allemagne, de la philosophie, de la science.
Fantin fut rang?, avec Carri?re, parmi les <
C'est peut-?tre par r?action contre l'abus du sentiment, de la sensiblerie humanitaire, du culte de la pauvret?, que l'art sensuel, la fr?n?sie du ton pur, du d?cor joyeux, ?clat?rent comme une fus?e de f?te dans le ciel nocturne. Mais les mouvements esth?tiques s'arr?tent court, ? notre ?poque; le cubisme, qui est encore de l'art c?r?bral, allait bient?t faire son apparition. Il se substituait au n?o-impressionnisme des Bonnard, des Vuillard et autres charmants artistes.
Le Salon des Ind?pendants ouvrait ses portes toutes grandes, pr?tant ses kilom?tres de cimaise ? ceux qui refusent la sanction d'un jury. La critique, apr?s avoir maudit le surcro?t de besogne d? ? un troisi?me salon annuel, se r?servait pour celui qui parut le plus vivace: pour le plus jeune, le plus audacieux, le plus <
L'Allemagne est, pour une bonne part, responsable du d?sarroi de la critique qui, ne se r?signant pas ? commettre une erreur d'appr?ciation, pour ne pas m?conna?tre un <
Fantin fut ? la mode et toujours cit?, non pas avec, mais ? c?t? des novateurs; il fut r?clam? par chaque clan et il se d?robait d'autant plus qu'on l'y attira davantage... Les impressionnistes avec lesquels il avait d?but? et les acad?miciens qui ne demandaient qu'? le recevoir sous la coupole du Palais Mazarin; tous respectaient ce solitaire, qui ne g?nait personne, entre l'Institut et les Ind?pendants. Fantin-Latour fut, jusqu'? sa mort, soutenu par les petites revues, et par les journaux officiels.
Et il fut < la mode>> ? force de m?priser les modes. Il ?tait de l'?poque l?gendaire des <
Lorsqu'on allait frapper ? sa porte, c'?tait ? droite, au fond de la cour, n? 8, rue des Beaux-Arts, non pas ? son atelier principal, mais ? une annexe construite en retour, o? Mme Fantin travaillait parfois. On ?tait pr?alablement examin? au travers d'un judas. Le ma?tre jugeait s'il devait, ou non, ouvrir. Entre l'instant o? il avait aper?u le visiteur, et celui o? il l'accueillait, plusieurs minutes s'?coulaient: Fantin se demandait sur quoi il pourrait <
Il fut le premier peintre que j'entendis parler de son art; c'est lui dont j'ambitionnai des le?ons au sortir du coll?ge. Il m'avait fait pr?sent d'une toute petite toile, laquelle je poss?de encore, et qui renferme ses meilleures qualit?s et les plus exquises: un portrait exact et touchant de deux pommes vertes sur un coin de meuble en ch?ne, o? tant de fleurs et de fruits achev?rent leur br?ve destin?e. Fantin peignit devant moi, je lui soumis mes premiers essais. Il les jugea nuls, ou quelconques. Je lui suis reconnaissant de sa franchise, comme je remercie tous ceux qui m'ont malmen?. Ils ne m'ont pas d?courag?, au contraire!
Fantin est pour moi au nombre de ces figures que nous avons vues au milieu de notre famille et qui ont avec nous une sorte de parent?: caract?re jadis commun ? tout un milieu bourgeois.
Fantin a sa place dans les vieux albums ? fermoir de cuivre, o? s'alignent des <
Je ne saurais dire ? quel man?ge je me livrais, le dimanche soir, quand il d?nait chez mon p?re, pour que mon grand ami, M. Edmond Ma?tre, le plus jeune des convives, attir?t l'attention de Fantin sur quelque nature morte ou quelque portrait que j'avais fait dans la semaine, entre mes le?ons. Edmond Ma?tre craignait d'ennuyer Fantin, et ne voulait pas me faire de la peine; parfois c'?tait dans la h?te du d?part, dans le vestibule assez obscur, que Fantin jetait un coup d'oeil sur ma toile, faisait une remarque insignifiante. Ma?tre me consolait de son mieux, et je ne dormais pas de la nuit.
On peut le suivre depuis son adolescence jusqu'? sa mort, faisant les m?mes gestes, aux m?mes heures, en deux arrondissements de Paris. Mieux que personne au courant de la litt?rature et de l'art de France et d'ailleurs, sa pens?e voyageait, mais son corps semblait amarr? aux rives de la Seine, entre le pont des Saints-P?res et l'Institut pour lequel il avait un secret penchant, mais o? il ne se d?cida pourtant jamais ? briguer un si?ge, par fiert?, et peur du ridicule.
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